Voler mon ange

Le plus discrètement possible, je tentais par maintes acrobaties de m'extraire de ce sac de couchage serré. Camus dormait, ou du moins, il avait les yeux fermés… mais je sais mieux que quiconque qu'il ne faut pas se fier à des yeux fermés, n'est-ce pas Lecteur Inconnu ?

Je réussis cependant à m'extirper de ce lit improvisé sans trop de bruit. Un léger ronflement sortit des lèvres du Verseau, assez fort cependant pour me conforter dans mon idée première : Camus ne dormait pas. Mais il avait compris. Il avait compris la raison qui m'avait poussé à me relever en cette heure tardive de la nuit. Et il n'avait soufflé mot. Si nous avions été seuls, juste lui et moi, sans doute m'aurait-il parlé, encouragé ou découragé… qui sait ? Mais sans doute aurait-il parlé… Seulement voila, trois de nos frères d'armes dormaient eux aussi à nos côtés et parmi eux… mon propre maître. Alors nous n'avons pas parlé. Un discret toucher sur sa main, une légère réponse sur la mienne : « j'y vais »… « bonne chance », et je ne crois pas que la réponse était ironique…

J'enjambais du mieux que je pus le sac de couchage d'Aiolia qui me barrait la route et réprimais un fou rire lorsque je faillis lui marcher dessus. La situation était, il faut bien l'avouer, cocasse. Je devais ressembler à ces adolescentes qui fuguent la nuit pour aller retrouver leur amant. Quelques pas au gré du hasard priant les Dieux de ne butter sur personne, et je me retrouvais libre. Je pris quelques secondes pour retrouver mon calme et calmer mes envies de rire. Il n'aurait sans doute pas apprécié de me voir arriver en riant. Déjà qu'il n'allait sans doute pas apprécier du tout de me voir arriver…

Je déambulais à présent dans le noir, me guidant sur le son d'un fleuve pour m'orienter. Il avait totalement masqué son cosmos, et je comprenais son besoin d'isolement, même si m'apprêtais à le violer. Quelques pas encore, une branche mal placée que je me suis prise en pleine figure… un juron dans ma langue maternelle sorti du cœur que je réussis de justesse à murmurer… et j'arrivais enfin à l'apercevoir. Assis à même le sol, les pieds mouillants dans l'eau… il avait le regard fixé vers le fleuve. Faiblement éclairé par la nuit, je l'aperçus dans toute sa beauté sauvage. Ici, perdu au beau milieu de la jungle amazonienne, il semblait plus que jamais dans son élément. Il ressemblait presque à un jaguar. Je m'approchais doucement, tentant de maîtriser ma respiration déchaînée, une main devant moi, comme on agirait pour approcher un animal sauvage. Sans me prêter la moindre attention, il soupira vivement.

- Swann…

Il secoua la tête, un sourire presque amusé sur ses lèvres.

- Tu n'es vraiment pas discrète !

Puis il se retourna et me regarda comme on regarde un enfant prit en faute.

- C'est à se demander ce que ton maître t'enseigne… Je t'ai entendu depuis que tu t'es levée.

Rouge de confusion, je baissais la tête. Mais soulagée tout de même qu'il ne se braque pas de ma présence. Je lui souris.

- J'aurais voulu t'y voir… Il fait nuit noire et je te rappelle que je ne peux pas masquer l'intégralité de mon cosmos.

- Moi, j'ai fait moins de bruit…

- Alors comment ai-je su où tu te trouvais ?

Il ouvrit la bouche pour rétorquer puis la referma aussitôt.

- Touché ! me dit-il dans un sourire.

Un de ces sourires sans joie… Sans lui demander la permission, je m'assis à côté de lui.

- Milo, soupirais-je, il faut que je te parle…

…..

A toi aussi, Lecteur Inconnu, il faut que je te parle…

J'imagine sans peine que ce n'est pas là la suite logique que tu t'attendais à avoir après le précédent chapitre… Je suis désolée. Crois-moi Lecteur Inconnu, j'ai vraiment essayé de te parler, de te raconter, de t'expliquer comment j'ai vécu cette incroyable découverte. J'aurais voulu avoir les mots pour disserter sur mes émotions ce soir là. J'aurais presque voulu pouvoir te prendre par la main et t'ouvrir mon cœur… mais je me suis découverte incapable de délabyrinther mes sentiments, même à travers une page blanche. J'ai écrit dix pages de sentiments niais et guimauves que j'ai jetées au feu. Et finalement, je ne vois qu'une manière de te raconter cela… la manière dont je l'ai expliqué au chevalier du Scorpion cette nuit là. Alors, regarde et lis, Lecteur Inconnu, ces mots d'explications que j'ai adressé à Milo, je te les adresse aussi à toi…

Je le sentis se raidir à mes côtés. Il n'avait pas la moindre envie d'une telle conversation… pas après ce qui s'était passé. Camus l'avait blessé. Sans le vouloir, mais blessé quand même. Camus l'avait blessé ce soir même en me prenant d'office par le bras pour me faire partager sa couche.

Un petit mot d'explication ne serait pas du luxe, je crois, Lecteur Inconnu…

Le matin même, une poignée de chevaliers d'or furent envoyés en ambassadeur auprès du mythique peuple des Amazones. Mon maître, Aiolia, Milo, Shura et Camus furent choisis pour cette mission.

Athéna, prévoyante et soucieuse des relations de paix entre les différentes puissantes armées des autres Dieux, envoyait régulièrement des émissaires de bonne volonté, puisant pour faire honneur, dans l'élite de ses chevaliers. Les Amazones étaient le nom donné à la garde d'élite d'une autre Déesse : Artémis. Son armée était exclusivement composée de femmes guerrières, donnant ainsi corps à une célèbre légende que tu connais sans doute. Cette mission n'avait rien de spéciale. Elle consistait simplement à entretenir les rapports d'amitié entre les deux Déesses. Je n'étais même pas censée y participer… et pourtant. La délégation des chevaliers d'or n'était partie que depuis quelques heures que le Pope me fit appeler précipitamment au treizième temple. Shion m'expliqua que, les Amazones étant une armée entièrement féminine, elles auraient tendance à voir d'un mauvais œil une délégation entièrement masculine, même venant avec les meilleures des intentions. C'était là un point que Saori avait apparemment négligé. Et me voila donc partie, vêtue – pour mon plus grand malheur - en Amazone… toujours dans le souci de faire honneur aux guerrières, m'expliqua Shion en devinant sans le voir, le regard noir que je lui lançais à la vue de mon accoutrement. Le sanctuaire d'Artémis se situait en pleine jungle d'Amazonie, d'où le nom pour ses guerrières d'Amazone. Cependant, l'emplacement exact nous était inconnu, et ne pouvant pas nous téléporter directement dans le sanctuaire, nous étions obligés de parcourir quelques lieux à pieds pour le trouver. Je me mis en connexion avec mon maître, lui demandant de me guider pour m'aider à les localiser. Aussitôt dit, aussitôt fait, j'arrivais en pleine jungle pour me retrouver nez-à-nez avec un chevalier du Lion qui salua mon arrivée par un énorme éclat de rire à la vue de ma tenue.

Il faut dire, pour sa défense, que les chevaliers avaient prit l'habitude de me voir sans cesse travestie en homme… Ce dû être une sacrée surprise pour eux de me voir arriver en jupette avec un corset de cuir… Bref, passons sur cet épisode si tu veux bien. Il n'empêche que j'en fus affreusement vexée…

Nous avons marché quelques kilomètres avant que l'obscurité ne nous empêche d'avancer plus en avant. Il nous fallut alors camper… et c'est alors que je m'aperçus que, dans sa hâte à m'envoyer sur place, Shion avait oublié de me fournir un équipement. Impossible pour moi de me téléporter de nouveau au sanctuaire et revenir le lendemain pour deux raisons : premièrement, la densité de la végétation locale rendait très difficile une téléportation de précision, j'avais déjà eu du mal à repérer mes camarades en pleine clairière…; et deuxièmement, la hâte de Shion à m'envoyer auprès des chevaliers venait du fait que le Pope craignait que les Amazones, alertées par le cosmos des ors et ignorant le but de leur venue, ne lancent une attaque contre eux. Un combat n'était pas une excellente entrée en matière pour une rencontre diplomatique, et la vue d'une femme allait sans doute inciter les guerrières à refréner leur élan impulsif. J'étais donc bloquée sur place. Shura, le premier, dans un geste de galanterie, me proposa de me céder sa couche. Mais, je ne t'apprendrais rien Lecteur Inconnu, en te disant que la jungle amazonienne regorge de créatures rampantes contre lesquelles il vaut mieux éviter de se coucher. Le sac offrait une protection à une éventuelle piqûre, et tous chevaliers que nous étions, nous n'étions pas immunisés contre les araignées et autres serpents et scorpions… y compris Milo malgré son signe. Je devais donc dormir avec quelqu'un… mais qui ? Mon maître décida naturellement que je dormirais avec lui, ne s'attendant pas à voir le bras autoritaire de Camus se placer sur mon épaule et décréter, sur un ton qui n'admettait aucune réplique, que je partagerais son sac ce soir là. Curieusement, Mû ne fit aucune remarque. Depuis cette fameuse veillée sur la plage, il avait dû comprendre qu'un lien fort et étroit me liait au Verseau. Mais il ne m'en souffla jamais mot, attendant que je lui en parle par moi-même… ce que je fis, mais bien plus tard.

Oui, Milo avait été blessé par ce geste… attendant en vain un regard d'explication, peut-être même de rassurance, mais cela était méconnaître le caractère froid du français. Il n'avait pas compris… Comment aurait-il pu ? Comprendre que ce geste, loin d'être un geste de possession ou de jalousie, était surtout un acte de protection d'un frère qui estimait, à ce moment là, que la place de sa petite sœur était près de lui. Dormir, oui, mais dormir avec son frère et non avec un autre homme.

Oui Milo n'avait pas compris… Comment aurait-il pu ? Ce bruit de craquèlement que j'entendis ce soir là… c'était le bruit de son cœur meurtri alors que nous prenions place pour passer la nuit. Pourtant Camus ne me toucha pas, mais le noir de la nuit dissimulait ses honnêtes intentions à des yeux aveuglés par la peine. Et je décidais qu'il était plus que temps de parler au Scorpion. Depuis trop longtemps, je voyais son cœur malmené par les gestes d'amitié puis de fraternité que Camus me dédiait. Le craquèlement, je l'avais vu, avait commencé lors de cette fameuse veillée sur la plage… jusqu'alors son cœur avait tenu bon. Mais le geste de ce soir avait frappé le coup de grâce… Il est dit, que nous les français, sommes froids comme la pierre, que nous sommes insensibles et muets… ne donnant jamais d'explications… Je décidais ce soir de faire mentir la tradition. Je devais parler à Milo.

….

- Va-t'en Swann… Je n'ai pas la moindre envie de parler…

Je m'y attendais. Ça ne pouvait pas être aussi facile. Pourtant, je m'assis à ses côtés, m'accommodant du mieux que je pus, lui faisant ainsi comprendre que je n'avais pas l'intention de partir. Il subirait ma présence… de gré ou de force. Il le comprit et se résigna, n'osant peut-être pas déclencher sa colère contre moi avec Camus et mon maître à proximité. Il baissa la tête et soupira.

- Camus a fait son choix. Il n'a jamais, aussi ouvertement, témoigné des bontés à qui que ce soit.

Il marqua un temps d'arrêt puis soupira une nouvelle fois, dans un nouveau déchirement de son cœur…

- Pas même à moi…

Oui, Milo, pas même à toi qui le connais depuis des années… Mais tu sais comment est Camus. Tu le connais mieux que quiconque au sanctuaire… mieux que moi-même. On ne peut prétendre connaître le cœur d'un frère qu'on vient de retrouver après dix ans d'absence. Il a vécu entre temps… j'ai vécu entre temps… Comment prétendre retrouver du jour au lendemain dans ses yeux, le petit garçon que je connaissais si bien ? La petite sœur qu'il aimait tant… crois-moi Milo, la petite sœur qu'il aimait tant… a depuis bien longtemps disparu.

Je restais muette, le laissant épancher sa douleur. Il tourna la tête de mon côté, me regarda avec infini douceur et laissa une main s'aventurer sur mon visage.

- Tu lui ressembles tant…

Regarde-moi Milo… regarde-moi ! Mais ne me regarde pas avec ce regard blessé qu'on concède au vainqueur. Je n'ai pas gagné son cœur Milo… Il ne me l'a pas donné… Il a juste accepté de le partager… Toi et moi Milo… On peut se partager un homme si on ne l'aime pas de la même manière…S'il ne nous aime pas de la même manière…

- Je suppose que c'est pour cela qu'il t'a choisi. Mais j'étais si sûr… si sûr…

Et dans un presque sanglot, il finit sa phrase.

- Que rien ni personne ne me le prendrait !

- Milo, lui murmurais-je émue, tu l'aimes donc autant ?

- Et plus même…

Fier… fier et si beau chevalier d'or du Scorpion… Toi qui jamais ne laisse se révéler une faiblesse… Tu me laisses sans voix ce soir. Et pourtant, c'est moi qui suis venue te trouver, mais c'est toi qui parle… Il n'y a pas de haine de ta voix… il n'y en a plus. Te voila donc résigné. Cœur brave, blessé et abattu. Tu concède ton amour… tu me passes le flambeau… pour ce que tu crois être son bonheur…

Soudain, il releva la tête dans un dernier sursaut d'orgueil… magnifique.

- Ne lui fais jamais de mal ! Tu m'entends Swann, ne lui fais jamais de mal ou je te jure que tu le regretteras.

Puis se calmant soudain, il leva son regard vers le ciel, mélancolique.

- Lorsqu'il est mort, lors de la première guerre… j'ai cru que mon cœur allait se briser, j'ai cru devoir mourir à mon tour… et je ne lui avais jamais dit… Puis il est revenu. Tous ressuscités... Et j'ai osé lui dire…

Il s'arrêta un instant pour reprendre son souffle et reprit, levant un poing rageur vers le ciel…

- Pourquoi a-t-il fallu qu'on me concède quelques mois de bonheur si c'est pour me le reprendre à nouveau ? Vraiment, je maudis les…

- Milo, m'écriais-je pour le couper dans son blasphème.

Il s'arrêta net. Son bras retomba, comme si toute son énergie s'était vidée d'un seul coup. Il fixa le fleuve et resta muet. Je levais les yeux au ciel… et commençais un bien étrange récit.

- Quand j'étais petite fille, je me souviens d'un jour où j'avais trouvé dans l'allée de notre maison un petit oiseau mort, j'avais quatre ans alors…

Il tourna la tête de mon côté, déstabilisé par le brusque changement de la conversation, mais je n'en eus cure et continuais.

- Je l'ai ramassé et je me suis mise à pleurer. Je pleurais sur ce petit corps, et je le pleurais de toute mon âme d'enfant. Mon grand frère est venu me rejoindre. Voyant ma peine, il a pris le petit oiseau et m'a souri. Il m'a dit que je ne devais pas pleurer pour lui. Et quand je lui ai demandé pourquoi, il m'a dit : « Quand on meurt, on vole… on vole vers le paradis ».

Je baissai la tête et soupirai.

- Je ne savais pas que cette même nuit… mon frère allait voler lui aussi… Mon frère… mon ange protecteur… il allait voler dans les flammes d'un incendie. Je ne savais pas alors, que ses ailes allaient brûler et que malgré tout il allait voler pour le paradis… Je me suis retrouvée, je ne sais comment, à la porte de derrière, à regarder mes parents transformés en torches humaines, à regarder le château familial réduit en cendre et à hurler le nom de mon frère dans la nuit. Mon propre nom aussi…

Une boule d'émotion me serra un moment la gorge, m'empêchant de continuer mon récit. A mes côtés, Milo, compatissant à mes souvenirs douloureux, ne prononçait pas le moindre mot. Lorsque la boule s'atténua, je continuais…

- Mais au paradis, c'est moi qui allais m'y rendre… trois ans plus tard… et dans un Paradis Blanc. Vois-tu Milo, les Dieux sont cruels, les Dieux sont moqueurs… Ils te prennent ce que tu as de plus cher, ils le tuent devant tes yeux… pour te le rendre… un jour… bien plus tard…

Je tournais mon regard vers lui, un faible sourire sur les lèvres…

- Je crois que tu as vécu cela toi aussi…

Il resta sans voix, n'osant comprendre ce que je voulais lui dire. Je lui pris soudainement la main et la posais sur mon visage, autoritaire, je haussais la voix.

- Regarde-moi Milo… regarde-moi avec le cœur ! Je lui ressemble tant !

Et il me regarda. Il me regarda avec ce regard indéchiffrable, cherchant désespérément à trier dans mes propos le vrai du faux. Scrutant la moindre parcelle de mes traits pour y trouver une ressemblance.

- Mais il a brûlé sous tes yeux…

- Les yeux peuvent se tromper, lui répliquais-je doucement.

Il semblait perdu… si perdu…

- Alors ce fameux soir sur la plage… lors de la veillée…

- Ce fameux soir Milo, tu m'as demandé quel était mon vrai nom… et sans cette question, je n'aurais sans doute jamais su… Je t'ai menti ce soir là Milo, je t'ai dit que ça n'avait pas d'importance… c'est faux. C'est un nom que je n'ai plus jamais voulu prononcer. C'est le mien… et le sien aussi.

- Tu as dit que des parents ne pouvaient pas appeler leur fils Camus… que ce n'était pas un prénom.

- C'est vrai et je confirme. Camus n'est pas un prénom et ce n'est pas le sien.

- Swann, me demanda-t-il me prenant violemment par le bras, comment tu t'appelles en réalité ?

- Gabrielle… Gabrielle de Beaumont

Milo sembla interdit. Il restait immobile les yeux écarquillés.

- Gabrielle, répéta-t-il dans un murmure… Je n'avais pas l'intention de poser la question à Camus. Je savais déjà. Il me l'avait avoué un jour, il y a des années.

Son regard se perdit dans le vague, il savait à présent que je disais la vérité.

- Un soir d'ivresse, alors que nous étions encore des apprentis, il m'avait parlé d'une petite sœur qui portait le même prénom que lui.

Puis son regard se posa sur moi, condescendant.

- Un petit ange partit dans les flammes, m'a-t-il dit, avant qu'une rare larme ne vienne couler sur sa joue. C'était la dernière confession. Il n'en a plus jamais parlé.

Je ne savais pas… Je ne savais pas que Camus avait, lui aussi, ouvert son cœur blessé à Milo, dans un moment de faiblesse. J'en fus émue. Je souris à Milo et lui ouvris les bras.

- Ne me vois plus comme une rivale Milo, tu ne perds pas un amour…

- J'y gagne une sœur, me répondit-il avec un sourire merveilleux.

Je le lui rendis en le serrant dans mes bras.

- Adelfi mou…*, murmura t-il

Et je le serrais plus fort.

Oui Milo… Oui mon frère… c'était un secret depuis cette fameuse nuit sur la plage. Pardonne-nous. Il était mon miracle et j'étais le sien. Je ne voulais pas le partager. Égoïste, je voulais le garder juste pour moi… mais pour toi mon nouveau frère, pour voir ton cœur sourire à nouveau, je peux faire une exception…

Oui, Milo… Oui mon frère… réconcilie-toi avec ton cœur, recolle les morceaux. On sait tous les deux ce que c'est que de perdre un être cher… puis de le retrouver par la suite. On le regarde, on le regarde sans y croire… et on pleure, de bonheur et de soulagement peut-être… Oui Milo. Oui mon frère, les Dieux sont moqueurs, les Dieux sont cruels. Il faut tout perdre pour les servir. Les sacrifices sont douloureux… mais quelques fois ça en vaut la peine… Oui ça en vaut vraiment la peine. Pour une joie, peut-être éphémère, on est prêt à tout risquer, n'est-ce pas ? Tu le sais aussi bien que moi…

….

Voila Lecteur Inconnu, j'aurais aimé te le dire, mais je ne voyais pas une autre manière de le faire.

Je m'appelle Swann, je suis un guerrier de la Lune, l'enfant sacré de la Lune d'Argent, à présent chevalier au service de la Déesse Athéna. Le chevalier de la Lune d'Argent…

C'est cela même que je t'ai dit tout au long de ses dernières pages, Lecteur Inconnu… et j'avoue t'avoir menti… un peu. En réalité, je ne t'avais pas dévoilé la vérité dans son intégralité. Je te l'ai déjà dit… et je suppose que pages après pages, tu as appris à me connaitre… je n'ai plus de réel futur, juste un hypothétique futur que je m'efforce de placer à ton intention. Mais franchement, Lecteur Inconnu, aurais-tu tout compris si je t'avais avoué ma véritable identité dès les premières lignes ? Le récit est déjà assez embrouillé comme ça, tu ne crois pas ?

Je suis vraiment Swann, l'enfant sacré de la Lune d'Argent… et je le suis depuis plus de dix ans ! Mais auparavant, j'étais une autre. Et c'est celle que j'ai, un jour, été, qui seule, peut définir le guerrier et le chevalier que je suis aujourd'hui.

Il reste une question en suspens, et j'imagine que tu te la poses. Si le château a brûlé en cette nuit là, il y a plus de dix ans, alors comment mon frère et moi en sommes-nous sortis indemne sans même nous rencontrer ? C'est là l'une des premières questions que Camus et moi nous nous sommes posés. Et la vérité fait mal, elle fait très mal tellement elle est banale.

Le château était au centre d'un vignoble… et il avait deux sorties. Je suis sortie par la porte de derrière, mon frère, lui, a fui par l'entrée principale. Il a été prit en charge par les pompiers qui ont immédiatement accourus et quelques jours plus tard, son maître est venu le chercher pour l'emmener au sanctuaire, il avait sept ans. Quant à moi, j'ai fui par la route des vignobles. Terrorisée et pleurant, c'est un paysan des environs qui m'a recueillie et m'a emmenée chez lui. J'avais quatre ans alors, trop jeune pour être un apprenti… L'incendie a fait de tel ravage, qu'une quelconque identification des corps n'était plus possible. Je suis morte dans cet incendie… et j'ai volé… volé pour aller trois ans plus tard, au Paradis Blanc… Gabriel ne m'a pas menti. Et lui aussi, il a volé, mon ange… Il a volé pendant presque dix ans, et ce soir là, quand je suis allée me recoucher… la chaleur de ses bras avait dans mon âme un goût de Paradis…

*Ma sœur – en grec