La reine des amazones

Un genou posé à terre, la tête légèrement courbée par respect, la main droite sur le cœur…. Ma position était calquée sur celle de mes frères chevaliers. Nous étions au centre du temple extérieur d'Artémis, celui où Miryna, la Reine des Amazones, accompagnée de quelques prêtresses, avait bien voulu recevoir les représentants d'Athéna. L'ambiance était électrique. On sentait clairement la méfiance de ces femmes et leur scepticisme, lorsque Shura délivra le message de bonne volonté d'Athéna, était flagrant.

Un genou posé à terre, nous attendions patiemment la réponse de la Reine, plongée dans ses pensées. Elle ne pouvait décemment pas refuser une main tendue. Il lui fallait répondre. Le silence serait interprété comme un refus et considéré comme une provocation envers Athéna. En clair, ou elle tendait une main amicale elle aussi, ou c'était la guerre.

Ce sont de stupides règlements divins vieux de plusieurs millénaires, mais il en est ainsi. Une divinité ne peut se permettre d'ignorer royalement une main qui se tend vers elle. Soit elle la prend, soit elle la rejette… il n'y a pas de milieu. Mais je sentais Miryna inquiète. Le peu de conversation que j'avais eu avec elle quelques instants auparavant avait suffit à me convaincre que la Reine se méfiait de nous. Se méfiait d'Athéna surtout. J'avoue que je ne comprenais pas ces griefs. En cette période d'après-guerre, Athéna avait tendue la main à de nombreuses divinités et toutes avaient accueillis le message avec joie. Je savais de Sorrente, qui avait accompagné son maître et les Gémeaux à Delphes (*), que l'accueil qui leur avait été réservé avait été bien plus chaleureux. Je savais également de la part d'Aldébaran, qui lui avait été envoyé en ambassadeur auprès des apôtres d'Héphaïstos, que le Dieu avait bien volontiers tendu la main à son tour. Alors pourquoi les Amazones se méfiaient-elles ainsi de nous ?

Lentement, Miryna releva la tête, prête à nous répondre et je sentis d'instinct que sa réponse serait ambiguë.

- J'accepte la main tendue de la Déesse Athéna envers le sanctuaire des Amazones et je l'en remercie. Cependant, je ne peux répondre qu'en mon nom propre, n'ayant pas consulté la Déesse Artémis.

Elle marqua une pause. De toute évidence, la Reine cherchait à gagner du temps. Mais pourquoi ?

- Je vous offre l'hospitalité pour cette nuit. Demain, je vous ferais savoir la réponse de ma Déesse.

Sur ce, elle nous congédia d'un signe de la main.

Nous ressortîmes passablement dépités de cet entretien. Ce n'était vraiment pas ce à quoi nous nous étions attendus. De retour dans la petite maison, les chevaliers tinrent conseils. Les paroles de Miryna n'étaient pas de bon augure pour nous. Si la Reine décrétait qu'Artémis refusait la main tendue, nous serions immédiatement traités en ennemis. Au mieux, nous serions expulsés du royaume des Amazones, au pire gardés comme prisonniers. Et tous chevaliers d'or que nous étions, il ne faut pas oublier mon Lecteur Inconnu, que n'étions que six… six contre tout un sanctuaire si les choses tournaient mal.

Nous avions besoin de comprendre. Connaitre cette étrange rancune que les amazones gardaient contre une Déesse qu'elles n'avaient, à priori, jamais rencontrée. C'est alors qu'Aiolia, qui me fixait curieusement depuis quelques minutes, eut une idée. Il me prit soudainement par les épaules comme pour me montrer au reste du groupe.

- Une femme ! s'écria-t-il. Pour comprendre les amazones, il nous faut l'aide d'une femme.

Et ravi de sa trouvaille, il me secoua d'avant en arrière, désignant de sa main les différentes parties de ma tenue sous le regard amusé de Milo, Shura et de Camus qui, devinant mon agacement, se retenaient tant bien que mal d'éclater de rire. Puis Aiolia me retourna pour mieux me détailler.

- Avant tout, enlève cette queue de cheval trop stricte.

Il joignit le geste à la parole et détacha mes cheveux, les éparpillant sur mes épaules. Je tournai la tête vers mon maître qui me fit un geste d'apaisement et me résignai. Apparemment, lui avait compris l'idée du Lion.

- Ensuite, tache de sourire un peu. Et enlève cette étoffe dont tu t'es entourée.

Un autre geste, et il me retira le châle que j'avais sur moi et dont je m'étais couvert tout le corps… après que ce même Aiolia ce fut moqué de ma tenue le jour d'avant.

- Voila ! me dit-il satisfait. On dirait une vrai Amazone.

Il se décala d'un pas et me présenta au reste du groupe.

- Et alors ? répliquai-je énervée. Je te signale que les Amazones m'ont vue. Elles me connaissent, si ce n'est à mon visage, à mon cosmos du moins. Je ne pourrais pas m'infiltrer parmi elles pour les espionner si c'est ce que tu veux.

- Les espionner ? répondit-il surpris. Non ! Pas du tout.

Puis avec un grand sourire, il rajouta

- Swann, tu vas copiner avec les Amazones.

Je levai un sourcil dans une expression de parfaite stupidité.

- Je vais quoi ?

- Tu vas copiner avec elles ! Leur parler et essayer de faire en sorte qu'elles te parlent elles aussi.

Puis voyant mon air ahuri, il ajouta lentement en me posant une main sur l'épaule l'air bienveillant, comme on parle à un enfant.

- Tu vas devenir leur amie.

Je crois qu'à ce moment là, mon cerveau marqua un temps d'arrêt. Moi, devenir leur amie ? D'accord, je ne connaissais pas grand-chose aux autres femmes, mais visiblement Aiolia non plus.

Mais à voir la réaction enthousiaste des autres chevaliers, je suppose que son idée leur avait plu. Oui, en devenant leur amie, elles pourraient me dire la raison de cette réticence. Ou du moins me la faire entrevoir.

Je n'eus pas le loisir de protester que déjà le Lion me poussait hors de la maison en m'encourageant.

- Intéresse-toi à elles. Promène-toi dans le sanctuaire. Et surtout, pour l'amour des Dieux… souris !

Sourire ! Le lion en avait de bonnes.

Je n'eus même pas le temps de consulter mon maître que déjà j'étais dehors. Je suppose que Mû était d'accord sans quoi il aurait immédiatement désapprouvé, et Camus aussi.

D'un certain côté, Lecteur Inconnu, il me coûte d'avouer que l'idée d'Aiolia n'était pas si mauvaise. Etant femme, je pouvais circuler dans le sanctuaire en toute liberté et donc parler avec les Amazones. Mais surtout, je n'avais manqué de remarquer leur curiosité envers mon statut d'enfant sacré et c'est cette carte là, plus que celle du « copinage », que je décidai de jouer. Me sachant attachée au service d'Athéna par obligation et depuis peu, les Amazones seraient peut-être plus enclines à la confidence.

Je marchais donc, ne sachant vraiment où aller vu que je ne connaissais pas les lieux. Mais la Déesse de la Lune était avec moi et bientôt, je croisai la route d'Antiope.

- Swann, me dit-elle en me reconnaissant, je vais m'entraîner au tir à l'arc. Tu te joins à moi ?

Je poussai un soupir de soulagement et acceptai volontiers sa proposition. Me prenant familièrement par le bras, elle m'entraîna vers une petite clairière où étaient postées des cibles. Je me reculai de quelques pas, et la laissai tirer. Antiope était vraiment très douée. Malgré la distance, rares étaient les flèches qui n'atteignaient pas le centre de la cible.

Je ne suis pas du genre loquace, mais me forçai à la complimenter. Visiblement ravie de mes éloges, elle se tourna vers moi, et me tendit son arc.

- Tu veux essayer ?

- Je n'ai jamais tiré à l'arc.

Cependant, je pris l'arc en main et tachai d'imiter sa position antérieure. Je tirai… à côté. Elle me sourit doucement.

- Attends...

Elle se plaça pour corriger ma position. Se mit derrière moi, entoura mes bras des siens, me positionna correctement. Je me sentis mal à l'aise de cette soudaine promiscuité. Son visage contre le mien, son corps collé à mon dos, je sentais ses cheveux me caresser les joues. Elle mit ses mains sur les miennes et arma l'arc.

- Tir !

En plein dans le mille ! Je ne pus empêcher un petit sourire de triomphe prendre place sur mes lèvres. Antiope ne m'avait pas lâché, elle resserra ses mains contre les miennes de contentement et me sourit, tournant son visage vers le mien… près, si près… elle me dévisageait ouvertement. Puis lâchant ma main droite, elle me caressa doucement le visage.

- Tu n'ouvres donc jamais les yeux ? murmura-t-elle.

Je voulus baisser la tête mais elle me retint d'un doigt posé sous mon menton.

- Non… jamais !

Je lui souris doucement, troublée par cette femme qui me tenait dans ces bras. Antiope était une très belle femme. Grande, mince, elle avait les cheveux blonds et courts qui lui encadraient le visage, les yeux en amandes, bleus, la peau très blanche. Elle doit être d'origine allemande songeais-je. Elle avait de très fines mains, des doigts longs, des mains de pianiste. Beaucoup de tendresse ressortait de chacun de ses gestes et on avait presque envie de se laisser aller contre son cœur. Elle passa sa main dans mes cheveux et j'eus un geste de recul involontaire.

- Dommage. J'aurais aimé voir tes yeux. De quel couleur sont-ils ?

Je lui souris en reculant doucement.

- Bleus, comme les tiens.

L'instant de tendresse était passé. Je l'avais volontairement éloigné, gênée par tant de promiscuité. Peut-être, pensais-je, ainsi sont les femmes entre elles. Douces et câlines. Cela ne me gênait pas, mais il me fallait un peu de temps pour m'habituer. Elle se recula.

- Essaie encore !

Après plusieurs essais, je réussis certaines fois à viser le plein centre. Au moins ma flèche ne se perdait plus dans les bois.

Après l'entrainement au tir à l'arc, elle m'entraîna vers les arènes. C'était ce que j'attendais depuis que j'avais posé les yeux sur elles… voir ce que les Amazones valent en combat. Et force m'est de l'avouer, Lecteur inconnu, que je ne fus pas déçue. Elles étaient plusieurs dans les arènes, à ce moment là, à s'entraîner. Les cosmos flamboyants, les corps tendus… les coups étaient rapides et puissants.

Soudain loin de cette tendre et douce atmosphère qui régnait dans ce sanctuaire, je me retrouvai en territoire connu. La violence ! Et les Amazones ne déméritaient pas de cette réputation de guerrières féroces acquise avec les siècles. Je pris un instant pour les observer. Consciente de ma présence, elles cessèrent immédiatement de se battre avec leurs techniques, passant à un combat au corps à corps. Elles étaient souples, rapides et félines. Femmes jusqu'au bout des ongles, même dans leur combat. Bien loin de la force brute qui primait certaines fois au sanctuaire d'Athéna, les Amazones affectionnaient la précision et la rapidité.

C'est drôle comme en voyant ces techniques, pour le moins efficaces et également très douloureuses pour l'adversaire… je réprimai un fou rire en constatant que - tout hommes qu'ils étaient - des chevaliers comme Shaka, Camus ou même mon propre maître… se battaient comme des femmes !

Contrairement à certains comme Angelo, Aldébaran ou Aiolia, avec qui les combats ressemblaient presque à de la lutte gréco-romaine… et je crois avoir déjà démontré avec le Cancer, Lecteur Inconnu, que la force brute ne gagne pas à tous les coups.

Antiope me prit à nouveau le bras et m'emmena aux arènes. Je sentis tout le long de notre marche, le regard curieux, voir même inquisiteur de ces compagnes qui me dévisageaient. Elle se plaça à trois mètres de moi et allait se mettre en position lorsqu'un cosmos fort se fit sentir dans les arènes : Miryna signalait sa présence. D'un geste, toutes les Amazones, moi y compris, se retournèrent et s'inclinèrent vers elle. Elle nous fit signe de continuer, déambulant parmi ces Amazones, corrigeant les positions de certaines, en complimentant d'autres…

Surprise, je regardai Antiope et lui demandai à voix basse.

- La Reine s'entraîne avec vous ?

- Non, me répondit-elle, visiblement surprise. Elle s'entraîne généralement avec les prêtresses majeures.

Je ne répondis rien et me mis en position. Je comprenais bien que si la Reine était venue dans les arènes à ce moment là sous prétexte de surveiller l'entrainement des gardes, c'est qu'elle voulait me voir à l'œuvre. Peut-être juger par elle-même ce que valent les chevaliers d'or… ou les enfants sacrés. Je décidai de lui donner satisfaction. Une manière de la mettre en garde, mieux valait pour elle qu'elle ne sous-estime pas les chevaliers d'or… avant de prendre sa décision finale.

Antiope avait beau être la chargée des gardes de la Reine, elle n'était pas à ma hauteur. Je n'eus aucune réelle difficulté à parer ces coups, et lorsque je sentis le regard brûlant de Miryna sur ma nuque, je décidai de passer à la vitesse supérieure. Pauvre Antiope, je la jetai à terre plus d'une fois par des coups bien placés qu'elle ne put éviter. Vraiment je ne voulais pas la blesser, je tentai autant de fois que possible d'amortir ses chutes ou de réduire mes coups. Mais surtout, je voulais que Miryna comprenne à quels adversaires elle aurait à faire si elle en venait à prendre une mauvaise décision. Un coup dans le ventre, et Antiope s'écroula à nouveau. Je me retins pour me précipiter à son aide et pour la relever. J'ai toujours donné cette image de quelqu'un de froid et de dur, et cette fois, je sentis qu'il valait mieux la conserver. Mais je stoppai le combat, m'inclinant devant mon adversaire, et lui tendant la main – une fois qu'elle se fut elle-même relevée- .

C'est alors que Miryna se décida à descendre dans l'arène pour me faire face.

- Antiope, sourit-elle, tu n'es pas à la hauteur d'une enfant sacrée.

Puis se tournant vers moi, elle ajouta :

- Laisse-moi prendre ta place.

Antiope acquiesça en s'inclinant. Je m'inclinai à mon tour en direction de la Reine. J'avais beau avoir le rang d'un chevalier d'or, Miryna, elle, avait un rang égal à celui du grand Pope. Et je me pris à penser que jamais encore, je n'avais eu l'occasion de voir Shion combattre. Mais pour ce qu'on m'avait raconté de la dernière guerre sainte, c'était un adversaire de très haut niveau. De vraiment très haut niveau. Avant de se mettre en position d'attaque, Miryna s'approcha de moi avec le regard flamboyant. Elle me sourit.

- Nous avons l'habitude entre nous de donner des sortes de gages au perdant. Cela pimente un peu les combats. Es-tu d'accord ?

Un peu surprise, je hochai néanmoins la tête.

- Annonce ton prix, me dit-elle.

Je fis mine de réfléchir. C'était là une occasion à ne pas manquer. Miryna me tendait volontairement une perche. Elle ne pouvait pas ignorer ce que j'allais lui demander. Et même si je dois avouer que je doutais de ma victoire, je devais tenter le tout pour le tout. Je m'approchai d'elle de manière à ce qu'elle seule m'entende.

- Si je gagne Majesté, vous me direz pourquoi les Amazones sont réticentes envers Athéna.

Son sourire s'accentua. Oui, elle savait ce que j'allais lui demander. Et en voyant son sourire, je compris que c'était exactement ce qu'elle voulait. Miryna jouait avec moi… mais dans quel but ?

- Quel est votre prix ?

Elle n'hésita pas une seconde. Elle s'approcha de moi, féline, me prit brusquement le bras pour me rapprocher d'elle et me murmura :

- Si je gagne… cette nuit, tu seras à moi !

Je déglutis, paralysée par cette demande pour le moins étrange. Je ne m'attendais pas à ça, mais je n'avais pas le choix. J'acceptais, me demandant ce qu'elle voulait dire par « à moi », même si j'en avais une petite idée. Mais techniquement, je ne voyais pas vraiment…

Les arènes se vidèrent, et les gradins se remplirent. Apparemment, à l'instar des chevaliers, les Amazones avaient rarement l'occasion de voir leur Reine combattre.

Placée à trois mètres l'une de l'autre, nos cosmos en alerte, je pris toutefois une petite seconde pour rassurer télépathiquement mon maître. Même si les chevaliers étaient à l'extérieur du sanctuaire, ils pourraient sentir mon cosmos se gonfler, et je ne voulais pas les inquiéter. Je déconnectais également mon lien gémellaire, le combat étant amical, je ne voulais pas courir le risque de blesser Tristan par inattention.

Le premier coup parti, et je me pris son poing en pleine poitrine. Je reculai violement. Miryna était vraiment très rapide. Je ripostai aussitôt, décollai de terre pour venir lui planter mon pied dans le dos. Elle tituba. Se retourna. Frappa. Je parai son bras. Lançai ma jambe sur son genou. Elle tomba. Se releva aussitôt un sourire sur les lèvres. Je devais avoir le même. C'était la première femme que je combattais et le combat en valait la peine. Miryna était à ma hauteur… mais étais-je à la sienne ? J'avais visé un cran plus haut que mon rang habituel. Qu'importe, je savourais ce combat, même s'il devait me mener à la défaite.

Les coups fusaient, tous plus puissants les uns que les autres et bientôt, le sang fini par jaillir de nos blessures respectives. Après un coup particulièrement violent, je sentis un filet humide couler le long de ma tempe et ma vision commença à se brouiller. Je renforçai mon cosmos et fis appel à toute mon énergie. Le temps passa, j'en perdis la notion. Un dernier coup, je l'atteignis au ventre et elle se courba violemment. Je soupirai. Mais soudain, elle se releva, vive comme l'éclair. J'admirai sa détermination. Elle était agile, puissante… son cosmos brûlait dans toute sa splendeur et faisait ressortir sa beauté bestiale. Elle était sauvage et elle était belle. Elle s'approcha vivement de moi et me décocha un direct en pleine tempe que je fus incapable d'esquiver. Ma vision se troubla à nouveau alors que mon sang coulait plus fort. Rapide, elle cisailla mes jambes d'une prise et alors que je tombai à la renverse, elle me retint, et je vis arriver son coude direct en direction de ma gorge. Elle stoppa son geste. J'étais couchée à terre, penchée au dessus de moi, elle me retenait délicatement la nuque alors que son coude était à quelques millimètre de ma gorge, prêt à m'étouffer. Elle me laissa le temps d'apprécier ma situation peu enviable. Son visage à quelques centimètres du mien, rouge à cause de l'effort, me touchait presque et sa main placée derrière ma nuque, me retenait de force. Elle me dominait complètement. Je fis un geste d'impuissance et elle se releva et me tendit la main. Je me relevai à mon tour et posai un genou à terre en signe de défaite.

- Ce soir, je serais à vous, murmurai-je.

Elle me sourit, d'un sourire victorieux.

Je pris quelques minutes pour retrouver mon souffle et ma vision et me dirigeais vers la petite maison à l'extérieur du sanctuaire. La vue de mon état sanglant inquiéta sans doute les chevaliers, mais je les rassurais, expliquant qu'il s'agissait d'un entrainement avec la Reine, me gardant de leur dévoiler le pari. Après une douche plus que mérité, je leur expliquais que la Reine m'avait invité à séjourner au sanctuaire pour la nuit. A ces mots, mon maître s'assombrit alors qu'Aiolia exultait. J'avais réussi à me lier d'amitié avec les Amazones.

Alors que je finissais de passer ma tenue d'Amazone, un léger frappement se fit entendre à la porte de la chambre que j'occupais. J'ouvris la porte et laissai passer mon maître. Il était visiblement inquiet.

- Swann, je voudrais te parler. Assieds-toi s'il-te-plait.

Surprise, je ne laissai rien paraître et m'assis sur le lit. Mû vint s'asseoir à mes côtés. Il paraissait gêné.

- Swann…

Mû prit une profonde inspiration, se tourna vers moi et me prit les mains entre les siennes. Je sentais que les mots s'étranglaient dans sa gorge.

- Swann, tu es jeune… et tu es très belle.

Je rougis violemment.

- J'ignore si tu connais… certaines choses de la vie. Je suppose que tu es très innocente mais…

Ses mains se resserrèrent sur les miennes. Je comprenais de quoi Mû parlait par « les choses de la vie ». Il l'ignorait mais c'était là un chapitre que j'avais déjà expérimenté avec Camus. Ne sachant quoi répondre et voyant que mon maître, visiblement, n'attendait aucune réponse, j'attendis.

- Mais tu dois savoir que les Amazones, étant un peuple exclusivement composé de femmes, ont d'autres mœurs…

Il rougit à son tour, mais releva la tête et planta son regard dans le mien.

- Je sais qu'Aiolia t'a demandé de te lier d'amitié avec elles pour mieux les comprendre et c'est sans doute une bonne idée… mais tu n'as pas à franchir certaines limites.

Il me sourit.

- Tu me comprends ?

Oh que oui. Je comprenais le message de mon maître. En clair, « tu n'as pas à te prostituer pour la cause ».

Je baissai la tête.

- Je comprends maître. Ne vous inquiétez pas.

Il me releva la tête et me sourit. D'un geste presque tendre, il vint replacer une mèche de cheveux derrière mon visage.

- Fais attention à toi.

Bien sur, Mû ne pouvait décemment pas m'interdire de me rendre au sanctuaire d'Artémis ce soir là. Cela aurait été très mal vu par les Amazones. Mais il avait tenu à me mettre en garde, et ce simple fait m'avait profondément touché le cœur. Je ne sais si Mû l'a fait parce qu'il était mon maître et qu'il considérait que c'était là son devoir… ou pour autre chose. Mais je lui fus grée de sa démarche.

Je me dirigeai le cœur lourd vers le temple de Diane. Les mains tremblantes et le cœur battant, je passai devant l'immense statut de la Déesse. Des gardes me conduisirent à la petite salle adjacente.

Négligemment affalée sur les coussins, Miryna me fit signe de la rejoindre. Elle me servit un verre pour me détendre.

- Parlons un peu…

Elle commença alors à me raconter sa vie au sanctuaire, parlait de tout et de rien… cherchait visiblement à me mettre à l'aise, imposant une distance physique.

A moitié couchée sur les coussins de la petite salle adjacente au temple principale, je découvrais au fur et à mesure de la conversation la reine des Amazones.

Elle me posa beaucoup de questions sur moi, insistant de manière presque gênante sur le fait, qu'avant d'être un chevalier, j'étais une enfant sacrée. Je coupai court à la conversation lorsqu'elle me demanda à qui allait en priorité ma loyauté : à Séléné ou à Athéna.

Oui de toute évidence, Miryna jouait avec moi dans un but bien précis. Peut-être cherchait-elle à me détourner d'Athéna.

Athéna !

Comment ne pourrais-je lui être fidèle ? Moi qui lui avais juré ma loyauté envers et contre tout.

Non, je n'avais pas oublié ce fameux jour, ce fameux jour où la Déesse m'avait appelé à l'aide. Ce fameux jour où je l'avais vu se débattre contre sa propre réincarnation. Je n'ai rien dit ce jour là… mais j'ai choisi ma réponse. A Athéna ! Ma fidélité, ma loyauté, ma vie… irait toute entière au service d'Athéna… et non de Saori !

J'avoue Lecteur Inconnu, je me suis mordue la lèvre plus d'une fois après cet épisode, m'empêchant in extremis de révéler aux autres chevaliers, ou bien au Pope lui-même, ce que j'avais vu. Car je n'ai jamais eu le moindre doute, j'avais vu Athéna et Saori combattre dans une lutte acharnée pour le pouvoir.

Les yeux peuvent parfois se tromper, n'est-ce pas ?

Oui ! J'en conviens. Mais mes yeux étaient fermés ce jour là. Ce n'est pas eux qui ont été les témoins de cette scène… c'est mon âme.

Cent fois j'ai voulu en parler… cent fois j'ai voulu savoir si d'autres que moi avaient ressenti cet étrange sentiment d'oppression. Mais je n'ai jamais réussi à prononcer le moindre mot, gardant obstinément bouche close.

Quelque chose me gênait. Quelque chose qui s'était passé ce soir là… Personne n'a réagit ! Que ce soit le grand Pope, les chevaliers d'or ou même Sorrente, personne n'a réagit ce soir là. Alors, je me suis mise à réfléchir…

Pourquoi Athéna m'avait-elle appelé à son secours ? Pourquoi moi ?

La réponse était sans doute simple si on prenait le problème de cette manière : Athéna m'avait appelé au secours moi, car elle n'avait pas d'autres choix. J'ai fini par le comprendre en repensant à la dévotion sans borne de Shura et à la discussion que j'avais eue avec lui quelques semaines auparavant. Et la réponse m'a sauté aux yeux.

Les chevaliers, qu'ils soient d'or, d'argent ou de bronze, avaient passé ces dernières années à combattre pour leur Déesse. La première guerre, celle opposant les bronzes aux chevaliers d'or avait fini par mettre tout le monde d'accord sur le fait que Saori Kido était bel et bien la réincarnation de la Déesse Athéna. La guerre contre Poséidon n'avait fait que réaffirmer l'amour et la foi que les chevaliers portaient à leur Déesse. Quant à la dernière guerre, la guerre sainte contre Hadès, nombreux sont ceux qui, au nom de cette même foi, y avaient laissé la vie. Pour une Déesse - et pour l'image de cette même Déesse – les chevaliers avaient combattu, souffert et étaient morts. Ils s'étaient laissés entrainer à des guerres certaines fois fratricides et destructrices. Mais ils n'ont jamais hésité… pas même devant une mort certaine au pied du mur d'Elision. Ils se sont sacrifiés sans un regret pour leur vie, hurlant le nom d'Athéna, l'image de Saori flottant dans leur cœur.

Avec le temps, les chevaliers se sont simplement habitués à Saori et à son caractère… imprévisible. Ils ne s'étonnent plus de la voir agir égoïstement, mettant sur le compte divin des caprices d'une femme humaine.

Et moi aussi, je l'ai senti cet incroyable amour que la Déesse seule, peut faire parvenir dans nos cœurs. Moi aussi, j'ai juré fidélité et je lui aurais donné ma vie, j'aurais combattu sans la moindre hésitation… mais moi, j'avais senti la différence…

Alors, après tout ça, Lecteur Inconnu… peux-tu m'imaginer venir leur faire part de mes soupçons ? Je doute fortement que j'aurais reçu une oreille attentive et compréhensive.

Oui c'était pour cela qu'Athéna m'avait appelé à l'aide moi et non un autre. Parce que moi, je n'ai pas combattu pour elle, souffert pour elle… je ne suis tout simplement pas habituée à elle.

Au sein du sanctuaire, et sous le couvert de la confidence, les critiques contre Saori ont souvent fusées, mais personne n'a jamais remis sa divinité en question pour autant.

Cependant, il me reste une interrogation en suspend… Et Sorrente alors ?

…..

Un léger sourire naquit sur mes lèvres.

- Ma loyauté ? Elle ne se départage pas. Pour mes deux Déesses, je suis prête à combattre et à perdre la vie si cela est nécessaire. Séléné et Athéna ne combattent pas dans des camps opposés, la question ne se pose donc pas.

Un regard profond me fit alors face. Myrina se rapprocha ostensiblement de moi, fixant mon visage, cherchant à y déceler le moindre trouble.

- Et si elle venait un jour à se poser... ?

(*) Le sanctuaire de Delphes est bien évidemment la demeure du Dieu Apollon. C'est là que résidait la célèbre pythie, l'oracle de Delphes.