L'Armure Sacrée

- Et si elle venait un jour à se poser ?

Je reculai vivement le visage, surprise… non, non pas surprise. Choquée ! Miryna avait-elle seulement conscience de ce qu'elle venait de me demander ?

Comment Athéna et Séléné pourraient-elles un jour être des ennemies ? Elles qui étaient alliées depuis la nuit des temps.

Séléné, je te l'ai déjà dit, Lecteur Inconnu, n'est pas une Déesse du bien ni du mal. Elle veille à la balance entre la vie et la mort… entre la douleur et la délivrance. Séléné n'est pas une Déesse guerrière. Ses enfants combattent et meurent aux noms d'autres Dieux, mais pas en le sien. Elle ne prend pas part active dans les combats ou les guerres. Séléné, ma Mère Divine, son rôle est de souffrir en silence les blessures de ses enfants sacrifiés.

Je reculais vivement.

- Que voulez-vous dire ? demandais-je brusquement.

Rapide comme l'éclair, Miryna se rapprocha de moi à nouveau et avant que je n'aie eu le loisir de protester davantage, musela mes commentaires en s'emparant vivement de mes lèvres.

Je restai interdite.

Elle en profita pour passer sa main derrière ma nuque, rapprochant nos deux visages. Surprise cette fois-ci, je me laissai néanmoins aller au baiser.

« Ce n'est guère différent qu'avec un homme. »

J'avoue la pensée me traversa l'esprit tandis qu'elle caressait doucement mes lèvres de sa langue, quémandant un passage. Sa langue avait la légère saveur du vin qu'elle buvait et cela m'enivra. Je hasardai ma main dans ses cheveux, glissant mes doigts dans l'abondante chevelure de la reine, m'abandonnant à ses lèvres.

Mais, joueuse, elle recula la tête pour poser son front contre le mien, gardant sa main contre ma nuque.

Je sentis un sourire naître sur ses lèvres.

- Tu n'es pas encore prête pour savoir cela.

Je restai interdite par sa réponse, ne réagissant même pas lorsqu'elle revint à l'assaut de mes lèvres. Mais agacée, je la repoussai vivement et me levai d'un bond pour me mettre hors de sa portée. Debout à présent, je la dominais par la taille, elle qui était restée assise. Je reculai d'un pas et tentai au mieux de dominer mon impulsivité. Si cela avait été Antiope ou n'importe quelle autre Amazone qui m'aurait fait face à ce moment précis, sans doute lui aurais-je sauté à la gorge pour exiger des explications… mais c'était la Reine que j'avais en face de moi. Je ne pouvais pas me permettre d'agir impulsivement.

Je me laissais donc quelques secondes pour me calmer. Elle ne bougea pas pendant ce temps, se contentant de me sourire doucement, jouant négligemment avec un des coussins.

Je finis par me contenir, mais son sourire m'agaçait. Je lui tournai le dos.

- Vous n'avez pas idée de la gravité des propos que vous venez de tenir.

D'un bond, elle se releva elle aussi. Je sentis sa main venir me prendre par le bras et elle me retourna assez brusquement que je lui fasse face. Elle approcha son visage du mien, et murmura à mes oreilles.

- Au contraire…

Son sourire s'accentua. De toute évidence, la situation l'amusait beaucoup.

Je ne reculai pas cette fois.

- Pourquoi jouez-vous ainsi ? demandai-je. Vous saviez, lorsque vous m'avez proposé l'affrontement… vous saviez ce que j'allais vous demander.

- Je savais, acquiesça-t-elle.

Je la regardai, troublée. Puis je compris.

- Vous n'aviez pas besoin de consulter la Déesse Artémis. Vous aviez juste besoin de nous retenir dans votre sanctuaire pour la nuit. Ce n'était qu'un prétexte pour nous garder.

- Non, je n'avais pas besoin de vous retenir.

Elle leva la main et me caressa tendrement le visage.

- J'avais besoin de te retenir, toi.

Elle marqua un temps de pause pour donner plus de contenance à ses propos.

- Comme je te l'ai déjà dit, oui, je suis parfaitement consciente de ce que je t'ai dit tout à l'heure. Et je suis également parfaitement consciente à qui je m'adresse.

D'un geste large, elle me désigna la pièce.

- J'ai fait préparer cette chambre spécialement à ton attention depuis hier.

- Depuis hier ? demandai-je surprise. Comment pouviez-vous savoir que je viendrais ? Je ne devais pas faire partie de cette expédition. Le grand Pope m'a envoyé à la dernière minute.

Je réfléchis une seconde.

- D'ailleurs, vous n'aviez même pas été prévenues de notre venue.

Je ne comprenais plus. Au vue de leur réaction de ce matin, Saori n'avait pas prévenue les Amazones de notre venue. De toute évidence, elles ne s'attendaient pas à nous voir. Et quand bien même Miryna aurait été prévenue, le Grand Pope n'aurait pas jugé nécessaire de m'envoyer avec les chevaliers. Si les Amazones avaient été au courant, ma présence n'aurait pas été indispensable. Elles auraient su que la délégation envoyée l'avait été avec une intention pacifique, même si elle était entièrement masculine.

- Je savais que tu viendrais, me répondit-elle, énigmatique.

Je la regardai sans comprendre. Elle s'éloigna de quelque pas et s'appuya contre la fenêtre. Elle laissa son regard errer dans le ciel pour rencontrer la lumière de ma Déesse. Elle lui sourit doucement. Lorsqu'elle reposa son regard sur moi, celui-ci était rempli de tendresse.

- Mi enfant sacré, mi chevalier… tu es vraiment un être exceptionnel.

Sa voix même était douce et caressante. Je ne pus m'empêcher de faire quelque pas dans sa direction et de m'appuyer à mon tour contre le rebord de la fenêtre, levant d'instinct les yeux pour y chercher la Lune.

- Je ne suis pas la seule, répondis-je dans un souffle en voyant la couleur que ma Déesse arborait ce soir là… Bronze.

- Tu as quelque chose… que ton frère ne possède pas, me dit-elle se tournant vers moi.

Puis voyant mon air surpris, elle me sourit, caressa mon visage et laissa sa main descendre le long de ma gorge pour finir sur ma poitrine.

- Un cœur de femme, me murmura-t-elle dans un souffle.

Elle appuya sa main.

- Les enfants sacrés, depuis la nuit des temps, ont toujours vécu dans des corps d'hommes. Crois-tu que ce soit une coïncidence si cette fois, l'un d'eux est né dans un corps de femme ?

Non, je ne le croyais pas. Mais je n'avais pas d'explication. Nous naissons amnésique à nos anciennes incarnations. Nous ne gardons jamais le moindre souvenir des vies précédentes. Seules quelques intuitions existent, mais comment savoir si elles sont réelles ou simplement nées de notre imagination ?

Vois-tu Lecteur Inconnu, ainsi l'ont souhaité les Dieux. Le renouveau est perpétuel et notre histoire se répète à l'infini. Souvent, je me suis prise à penser… Combien… Combien de fois avons-nous été orphelins ? Combien de larmes qui ont coulés ? Combien d'entraînements et combien de maîtres pour lesquels nous avons peut-être donné nos vies ?

Il existe des légendes, des histoires… mais comment savoir si elles sont vraies ? Et comment savoir qui était qui ? Aujourd'hui, je suis femme. Hier j'étais homme. Et demain ?... Qu'importe… demain j'aurais oublié de nouveau. Les eaux de Léthé feront office à nouveau d'anesthésiant sur ma mémoire et je me réveillerai émerveillée encore une fois d'un monde que je croirai nouveau. Je réapprendrai à connaitre ma Déesse… Enfant Sacré encore une fois…

Il n'y a pas d'écrits, pas de mémoires sur nos vies… En fait, si une… juste une. Et je suis en train de l'écrire. Peut-être la lirais-je un jour… Mais me rappellerais-je que c'est moi qui l'ai écrite ?

Ce que je fais est interdit, je le sais. Je serais punie. Mais je ne laisse pas ces mémoires à ma propre intention. Ce n'est pas à moi que je m'adresse… ce n'est pas à un enfant sacré non plus.

...

- Non, je ne le crois pas, répondis-je. La Lune avait sans doute ses raisons.

Je baissais la tête. Je n'ai jamais aimé me replonger dans ces questions existentielles. Trop de questions et pas de réponses… rien de meilleur pour avoir un bon mal de tête.

- Tu réfléchis trop, me dit Miryna tandis que sa main remontait pour se perdre dans mes cheveux. Je te dirai ce que tu veux savoir.

Je relevai vivement la tête. Elle rapprocha nos lèvres dans un baiser.

- Demain… Ce soir, je te rappelle que tu es à moi.

Et elle me prit la main pour m'emmener vers les coussins. Docile, je la suivis et me laissai faire.

Elle me fit mettre à genoux et prit le temps de laisser glisser son corset et sa jupe le long de son corps avant de s'agenouiller à son tour derrière moi.

Son corps collé au mien, je sentais ses cheveux danser sur mes épaules tandis que ses lèvres partaient à l'assaut de ma gorge. Ses mains vinrent caresser mes bras pour se refermer sur mes mains fermement. Refermant ses bras sur les miens, elle me tint serrée contre elle. Cela dura quelques minutes. Miryna était d'une douceur incroyable et sentir sa poitrine dénudée contre mon dos ne me gênait pas.

L'homosexualité est chose courante au sein des différents sanctuaires. Dépendant des Dieux qu'ils servent, les combattants sont majoritairement hommes ou femmes, il n'est donc pas rare qu'une profonde amitié dérape en amour - même si celle-ci est considérée comme « contre-nature » par le reste du monde, aveugle aux véritables sentiments -. Nos Dieux, grâce au ciel, ne sont pas obtus et bornés comme le sont nombres de religions dites modernes. Et l'amour véritable n'a pas de sexe… preuve en est à mes yeux… l'amour superbe entre Milo et mon propre frère.

Je sentis bientôt ses mains quitter les miennes pour venir défaire les liens serrés de mon corset. Il ne lui fallut pas longtemps pour en venir à bout et c'est peau nue contre peau nue que nous nous sommes serrées. Je rejetai la tête en arrière à la recherche de ses lèvres et caressai ses cheveux d'une main passé en arrière.

Une main caressant tendrement ma poitrine, une autre qui emprisonnait à nouveau mon bras et guidait ma propre main de la sienne sous ma jupe. Je poussai un soupir de soulagement sous ma propre caresse guidée de sa main experte.

Puis j'inversai les rôles, me retournant brusquement pour lui faire face, décidée de ne pas la laisser mener. Enfourchant ses genoux, je lui pris brusquement la tête pour un baiser passionné.

Dévorant de mes lèvres ses lèvres, descendant sur sa gorge offerte, laissant mes mains maladroites se promener sur sa poitrine… j'osai descendre les lèvres sur sa poitrine, me rappelant les propres baisers enflammés de Camus et qui m'avaient tant plu. Curieux parallélisme que de penser à mon frère en un moment pareille, mais je n'avais pas d'autres références, ni une autre expérience à laquelle me rattacher.

L'initiative paru lui plaire et elle se laissa tomber le corps en arrière. Assise à cheval sur elle, je relevai le torse pour la contempler. Elle était superbe dans cette presque nudité offerte à mes lèvres, se laissant aller sous mes caresses. Puis son bassin se mit à se mouvoir, déclenchant des spasmes de chaleurs dans mon corps. Elle attrapa mes poignets et me tira vers le bas, me forçant à me coucher sur elle.

Toute la nuit ne fut qu'une succession de délicieux combats et de concessions. De femme à femme, aucune ne voulait se laisser entièrement dominer par l'autre. Novice, j'imitai chacune de ses caresses qui m'avaient secoué le corps et aventurai mon corps dans un combat nouveau que j'apprenais à apprécier.

Sous mes doigts curieux, je découvris en aveugle le corps d'une femme, passant et repassant chaque contour de ses courbes. Je découvris le plaisir d'entendre sortir de ses lèvres les gémissements de plaisir que je lui procurais. Et sous ses doigts experts, je me tordais, me mordais les lèvres et réclamais davantage.

De fines gouttelettes de sueurs vinrent perler, irradiant nos deux corps enflammés. Miryna était si belle ainsi abandonnée, le corps mouillé, les lèvres entrouvertes. Un appel à la luxure auquel je me faisais fort de répondre.

La lutte fut acharnée et la nuit passa vite, si vite… délicieusement vite à découvrir son corps et découvrir le mien.

Je la suivais un pas derrière elle tandis que les prêtresses se courbaient à son passage. Miryna me conduisait dans un dédale de couloirs à travers le temple principal. A voir le visage étonné des prêtresses en me voyant marcher derrière la Reine, j'en déduisis que normalement, les étrangers n'étaient pas admis en cette partie du sanctuaire d'Artémis. Mais je suivais justement la Reine, et elles n'osèrent dire mot.

Miryna ne s'arrêta qu'une fois atteinte une pièce de moindre importance. Un bureau sans doute. En son centre était une immense table remplie de documents, et sur les côtés, d'imposantes étagères et bibliothèques. Miryna vint s'asseoir à son bureau me faisant signe de prendre place sur une des chaises face à elle.

- Dis-moi Swann, as-tu entendu parler de l'Armure Sacrée ?

L'Armure Sacrée, Lecteur Inconnu, appelée Dynamis, est une légende célèbre dans tous les sanctuaires des Dieux de l'Olympe. Il s'agirait de l'armure revêtue par Zeus lui-même lors de son premier combat contre les Titans. Originellement, l'armure aurait appartenu à Chronos mais sa création se perd dans les légendes et elle aurait existé depuis le commencement du monde. Cette armure légendaire aurait la particularité de s'adapter à la morphologie de son porteur et seul un Dieu peut la porter. La puissance dévastatrice de cette armure aurait fait que Zeus, inquiet par tant de pouvoir, l'aurait démantelé et aurait caché les différentes parties aux quatre coins du monde.

Dynamis en grec signifie la puissance, mais la puissance à l'état pure, de celle que seule les Dieux peuvent contenir. Impressionné par le pouvoir de cette Armure, Zeus l'aurait lui-même nommée. C'est la seule de toutes les protections à avoir un nom.

- Oui, répondis-je. Tout le monde connait cette légende.

Myrina eut un sourire.

- Dynamis n'est pas une légende.

Elle se leva et commença à marcher au travers la pièce.

- L'Armure Sacrée existe bel et bien. Son pouvoir et sa puissance défie les imaginations les plus folles à tel point que Zeus lui-même la craint.

Elle s'arrêta un instant et poussa un profond soupir.

- Car en réalité, si un Dieu venait à la porter… il aurait la force de dominer le monde entier.

Je ne dis mot, préférant la laisser terminer. Mais à mon sens, il me semblait très peu probable, si cette armure existait vraiment, que Zeus, le Dieu le plus puissant, n'ait pas pris toutes les précautions pour la protéger. Si vraiment cette armure était réelle, elle devait surement être très bien gardée. Je ne voyais pas pourquoi Miryna me parlait de cela.

Elle sembla comprendre mon incompréhension. Elle continua.

- Dynamis est protégée. Très bien protégée même. A la suite du combat contre les titans, elle fut démantelée et les différentes parties confiées aux Dieux en lesquels Zeus avait le plus confiance. Il est presque impossible de recréer l'Armure Sacrée de nos jours…

Elle arrêta brusquement sa lancée.

- Mais… l'encourageai-je.

- Mais… et si un Dieu essayait ?

Plantant son regard dans mes yeux clos, elle se rapprocha pour me faire face.

- D'après toi Swann, que se passerait-il si un Dieu se mettait en tête de recréer l'Armure Sacrée, violant les accords entre Dieux ?

Je retins mon souffle en imaginant les conséquences.

- Il y aurait une guerre… répondis-je.

- Une guerre terrible. Une guerre dévastatrice. Plusieurs Dieux qui se ligueraient contre un seul et unique sanctuaire.

Je ne voulais même pas imaginer. Déjà les guerres à un contre un étaient violentes et meurtrières… à plusieurs… contre un seul sanctuaire… le combat serait un véritable carnage.

Je secouai la tête sous l'horreur de cette idée. Cependant, je ne comprenais pas où Miryna voulait en venir avec cette conversation.

- Pourquoi me parlez-vous de cela ? Je ne vois pas le rapport avec Séléné et Athéna... A moins que…, ajoutai-je horrifiée. A moins qu'une des deux ne soit protectrice d'une des parties de l'Armure Sacrée…

- Et que l'autre cherche justement à la reconstituer… termina-t-elle ma pensée.

- Impossible, m'écriai-je en me levant brusquement.

Si je suivais le raisonnement de Miryna, c'était Séléné qui détenait une partie de Dynamis et Athéna qui cherchait à la reconstituer. Mais jamais les prêtres du Paradis Blanc n'avaient mentionné l'Armure Sacrée autrement que faisant partie de la légende.

J'en déduisais également que le Sanctuaire de Diane détenait aussi une partie et cela expliquait donc leur froideur à l'égard d'Athéna.

Oui tout collait parfaitement à une exception près. Athéna ne voulait pas reconstituer Dynamis, l'Armure Sacrée. Elle n'avait jamais eu l'ambition de dominer le monde et de plonger ses chevaliers dans une guerre ultime d'où pas un ne sortirait vivant.

Non Athéna ne ferait jamais une chose pareille pensais-je avec ferveur… mais Saori ?

J'avais la tête qui tournait à force de réfléchir à toute vitesse. Je me rassis et me pris la tête entre les mains.

- Sacrilège… murmurai-je en secouant la tête. Vos paroles sont sacrilèges. Comment pouvez-vous insinuer qu'Athéna ferait une chose pareille ?

Une main se posa sur mon épaule et Miryna me tendit un document roulé à la manière d'un parchemin.

- Parce qu'il existe une prophétie…

Je pris le document et le déroulait en tremblant. Le document était daté. Il avait plus de deux cents ans. Mais ce n'est pas la première chose qui me sauta aux yeux…

Non la première chose que je vis lorsque je déroulais ce document fut la signature… la prophétie était signée de la main de Shion.