Mayava : Je te remercie d'avoir pris le temps pour me laisser un encouragement. Ravie que l'histoire te plaise et de te compter parmi mes lecteurs. J'espère que la suite te plaira.

...

Suivre son étoile

- Swann !

Un regard en arrière et je vis Aphrodite courir vers moi, un bras levé dans ma direction pour attirer mon attention. Je stoppais ma descente des marches avec plaisir, un tendre sourire sur les lèvres… Aphrodite était l'un des rares chevaliers à qui j'adressais un sourire sincère à chaque fois que je le voyais. Quelques marches et il me rattrapa avec un sourire, quant à lui, franchement amusé. Sourire que je compris lorsque je vis son regard détailler de haut en bas ma tenue.

Une gestuelle théâtrale en guise de salut digne d'un héro de Shakespeare qui salut sa belle…

- Que n'ai-je les talents d'un peintre pour immortaliser cet instant miraculeux…, se moqua-t-il gentiment me prenant galamment la main pour la baiser. Notre petite sœur enfin habillée en femme. Cela vaudrait bien une esquisse…

Amusée, je lui répondis d'une révérence moqueuse.

- Et bien il te faudra faire preuve de mémoire car j'allais justement me changer. Et pour l'anecdote, les rires d'Aiolia lorsqu'il m'a vu infirment tes propos.

- Aiolia ne sait pas apprécier la beauté esthétique et je ne te laisserais pas partir aussi facilement. Voila un petit moment que je ne t'avais pas vu. Tu es partie en mission et tu n'as donc rien à me raconter ?

Un sourire charmeur et je fus vaincue. Je me laissais donc entraîner de bonne grâce en sens inverse et remontais en sa compagnie les innombrables marches en direction du douzième temple.

Attablée dans la serre du temple des Poissons, je poussais un petit soupir de détente en dégustant une limonade. Je laissais mon regard errer parmi les beautés de la flore qui faisait la fierté d'Aphrodite. Sa serre était réellement magnifique ! A l'abri des palissades de verre qui les protégeait de la pluie et du vent, les plantes se laissaient alors à dévoiler aux yeux émerveillés des rares privilégiés qui avaient la chance d'être admis ici, leur splendeur incroyable. Je relatais brièvement au douzième gardien la mission en Amazonie dans ses grandes lignes. Cependant, la confiance que j'avais en Aphrodite était telle que si je choisissais de passer sous silence la prophétie de l'Armure Sacrée, je lui racontais cependant, en termes prudes et délicats, ma nuit passée dans les bras de la Reine des Amazones.

Il sourit, touché de ma confidence.

- Et alors, quel goût a l'amour entre les bras d'une femme ?

Je rougis, gênée.

- Ce n'est guère différent d'avec un homme…

Le sourire d'Aphrodite s'accentua et je compris à ce moment là que je venais moi-même de « me griller ». Il partit d'un franc éclat de rire face à ma réaction. Puis, haussant la voix, comme intrigué par la nouvelle, il me fit un clin d'œil complice.

- Dois-je en déduire que notre petite sœur n'est plus innocente ?

Il rapprocha sa chaise de la mienne et me posa la main sur le bras, se rapprochant de moi et prenant le ton de la confidence.

- Qui était l'heureux élu ? Es-tu amoureuse de lui ? Quand cela s'est-il passé ? Et comment ?

D'un geste et les joues rouges, je stoppais le flot de questions.

- Je ne dirais rien même sous la torture. Et non, je ne suis pas amoureuse…

Mais j'arrêtais ma phrase nette et me retournais subitement pour lui faire face.

- Aphrodite, demandais-je subitement en retrouvant mon sérieux. Crois-tu en l'amour ?

…..

Lecteur Inconnu… Je vais peut-être t'étonner, mais même si j'appartiens à un monde certainement très différent du tien, je ne suis pas sans connaitre les stéréotypes que les tiens font des hommes efféminés comme le Poisson. J'avoue même que dans certains cas précis, ces clichés font offices de vérités. Mais je voudrais rendre justice à mon ami. Non, à cette question, les yeux d'Aphrodite ne se sont pas mis à briller d'un millier d'étoiles et il ne s'est pas mis à crier d'une voix hystérique tout en sautant partout dans sa serre. Aphrodite est un homme… et un chevalier d'or. Je sais l'image et le rendu de mauvaise foi que l'Histoire a tendance à donner aux clichés. Je crois l'avoir déjà dit, et je le souligne à nouveau : le Poisson était un fin psychologue et une personne de très grand cœur. Il me le prouva à nouveau ce jour là.

….

- L'amour ? me demanda-t-il, surpris.

- Oui, répondis-je en baissant la voix. Crois-tu que l'amour soit un sentiment fait pour des êtres comme nous ?

Je devais avoir dans le ton de la voix ce je-ne-sais-quoi de suppliant car il recula sa chaise et me prit doucement le visage entre ses mains et me détailla tendrement.

- Tu as beau avoir goûté aux joies de l'amour physique, les mystères de l'amour en soi te reste fermé, n'est-ce pas ?

Il me sourit tendrement. Je baissais la tête, vaincue.

- Je crois que l'amour ne nous est pas possible. Le vrai amour ne doit pas être fait pour les serviteurs des Dieux.

- Petite sœur, me dit-il me relevant le menton. Pourquoi dire de telles choses ?

- Tu sais bien, lui répondis-je amère. On ne doit jamais avoir rien à perdre…

Si mon ami fut surpris par le brusque changement de ma conversation, il n'en montra rien. Il comprit simplement… Ainsi a toujours été Aphrodite… il comprend toujours. Il ne savait pourtant rien de ma récente discussion avec le Pope et Dohko mais il n'avait pas besoin de savoir pour comprendre que mon cœur, adolescent à bien des choses, avait besoin de réponse. Besoin de comprendre…

Il réfléchit un instant, et son visage s'illumina d'un sourire.

- Dis-moi petite sœur, dis-moi sincèrement… N'aimes-tu pas ton frère ? N'aimes-tu pas ton maître ?

Je souris à mon tour.

- Bien sur que oui… mais…

- Je sais, tu ne parlais pas de cela.

Je hochais simplement la tête. Non, je ne parlais pas de cela. Bien sur que j'aimais tendrement mon frère. Je donnerais ma vie pour Sorrente… et pour Camus aussi cela allait de soi. J'aimais Mû et je remerciais les Dieux de me l'avoir donné pour maître. J'aimais la Déesse Athéna et j'aimais ma Mère Divine… Je serais prête à mourir cent fois pour elles. J'aimais Killian d'un amour dont je n'aurais jamais soupçonné l'existence il y a quelques mois encore… Mais je ne parlais pas de cela.

- Ce que je veux dire… c'est que si cet amour là est possible, alors pourquoi une autre sorte d'amour nous serait-il interdit ? Ne perdrais-tu pas quelque chose si Sorrente ou Mû venait à perdre la vie subitement ?

Je blêmis à l'évocation même de cette idée.

- Et ne penses-tu pas, continua-t-il, qu'ils perdraient tous deux un être cher s'il t'arrivait à toi quelque-chose ?

- Certes, lui concédais-je. Mais je veux parler d'un amour… différent.

- Je sais…

Il me prit la main entre la sienne et planta son regard dans le mien.

- Je n'ai pas la réponse que tu me demandes, mais je me souviens, ajouta-t-il avec un air rêveur, d'une chanson - française je crois - qui dit…

Il sourit, espiègle, et me prit la main pour me lever de mon siège. Il garda ma main dans la sienne et me rapprocha de lui dans un pas de valse.

- « L'amour est enfant de bohème…. Il n'a jamais, jamais connu de loi…* », chantonna-t-il doucement à mon oreille.

Il termina sa romance, me renversant dans ses bras dans un élan romantique.

- Dis-moi petite sœur, pourquoi devrait-il en être autrement pour nous ?

Touchée par son interprétation, je restais dans ses bras. Il planta son regard azure dans le mien et retrouvant son sérieux, il murmura.

- Je crois, murmura-t-il sincèrement, que les Dieux ont bien des droits sur nous… mais pas celui-là…

Puis me redressant doucement, il garda son bras autour de ma taille et me caressa le visage.

- Je t'aime petite sœur… n'oublie jamais ça.

Je tournais le visage vers lui et lui souris tendrement. Doucement, je pris son visage entre mes mains et déposais timidement un baiser papillonnant sur ses lèvres.

- Je t'aime aussi grand frère… n'en doute jamais, pour l'amour d'Athéna.

Il sourit, touché de ce présent.

…..

J'ai longtemps repensé à cet échange entre Aphrodite et moi, Lecteur Inconnu. Le Poisson avait mis le doigt sur un point capital. Dans le fond, me suis-je souvent dit, il avait raison. La vie quelle qu'elle soit, ne peut être dissociée de l'amour quel qu'il soit. L'amour que je portais à mes frères, à Killian, à mon maître, n'en n'était-il pas la preuve ? Je les aimais tous… Pourquoi n'aurais-je pas le droit d'aimer aussi d'une autre manière ? Pour servir les Dieux… il faut avoir le cœur sec… ne rien avoir à perdre… je crois t'avoir déjà dit que ce n'était jamais le cas… ça ne peut pas être vrai… Ça ne doit pas être vrai… J'ai repris confiance ce jour là.

Oui, il existait. Je voulais croire que les Dieux ne pouvaient pas avoir le pouvoir de tuer un cœur amoureux. Ils n'en n'avaient simplement pas le pouvoir… pas le droit.

Cependant et sans même s'en douter, Aphrodite avait mis le doigt sur un point particulier… et une phrase, juste une phrase qu'il prononça hanta mon inconscient durant bien des nuits…

….

Cependant, cet intermède ne me détourna en rien de la véritable question que je me posais. Certes, j'étais une jeune femme qui s'ouvrait à bien des tourments et dont le cœur, un jour, exigerait une réponse… mais je n'en restais pas moins un guerrier de la Lune et un chevalier d'Athéna et je sais, lorsqu'il le faut, déterminer mes priorités. Mon cœur pouvait attendre… j'avais d'autres questions en suspend dont il me fallait une réponse…

Saori… Je devais parler à Saori.

Je n'ai jamais eu pour habitude de mentir à mon maître… mais ce jour là, définitivement, je n'avais pas le choix. Comment justifier une absence, même si elle est de courte durée ? Le destin, Lecteur Inconnu, m'a souvent souri dans ces moments de complètes hésitations me fournissant l'air de rien, l'occasion qui me manquait. Je ne suis pas d'une nature patiente, Lecteur Inconnu, tu le sais, j'ai tendance à foncer d'abord et réfléchir ensuite. Ce jour là, à peine étais-je sortie du bureau du Pope que je décidais de me précipiter au Japon pour parler à Saori. La chance me sourit dès le lendemain…

Mon maître m'annonça qu'il souhaitait se rendre à Jamir pour voir comment se passait l'entrainement de Kiki.

- Je l'ai un peu négligé ces derniers temps, surtout avec notre dernière mission, me dit-il un ce matin là.

Puis se tournant vers moi…

- Swann, je voudrais que tu me secondes dans l'entrainement de Killian. Il est toujours bon de pouvoir profiter de divers points de vus et de se soumettre à des caractères différents durant l'apprentissage.

Puis son regard parti dans le vague un instant, et je vis une ombre douloureuse passer sur son visage.

- C'est une chose que j'ai appris à la mort de mon maître lorsque le vieux maître a repris mon entrainement.

- J'en serais honorée Maître, lui répondis-je.

- Très bien. Nous partirons demain dans ce cas.

J'eus un instant d'hésitation… de remords… mais Mû m'offrait là une occasion que je ne devais pas laisser passer. Et je ne suis pas fière de ce que j'ai fait ensuite, Lecteur Inconnu… vraiment pas fière. Mais je l'ai retenu par le bras alors qu'il se retournait, j'ai relevé la tête et d'un sourire… je lui ai menti. Je lui ai menti sans sourciller.

- Je dois auparavant honorer une mission de reconnaissance que la Déesse de la Lune m'a confiée. Je ne serais absente que deux ou trois jours, peut-être moins. Permettez-moi de vous rejoindre sitôt l'affaire réglée.

Il parut surpris que je ne lui en aie pas parlé plus tôt. Mais son visage resta de marbre.

- Bien sur, répondit-il. Rejoins-nous à Jamir… et sois prudente.

Je baissais la tête dans un remerciement silencieux.

A-t-il deviné que je lui mentais ? Je ne sais pas. La vérité est que notre statut d'Enfants Sacrés nous laissait à Sorrente et à moi, une relative liberté dont ne jouissent pas la plupart des chevaliers.

Il nous arrivait certaines fois, effectivement de partir en mission pour le compte de la Lune, même si généralement, ces missions se rapportaient plus au bon fonctionnement du Paradis Blanc. Mais les chevaliers d'Athéna en ignoraient toujours la teneur, et c'était là, précisément, la liberté dont à cette occasion j'avais besoin. Demi -mensonge… mais mensonge quand même… Je n'ai tiré aucune jouissance à mentir à mon maître.

Et précisément, après réflexion et me tempérant moi-même, le Paradis Blanc fut ma première destination.

J'arrivais dans le jardin principal et je tournais aussitôt le regard vers l'immense statue de ma Déesse. Mais cette fois, ce n'est pas un regard rempli d'amour et de dévotion que je posais sur elle, mais plutôt un regard curieux. Je la regardais ce jour là, et pour la première fois, la voyant pour ce qu'elle était vraiment… une statue de marbre… juste une statue de marbre. Je cherchais la partie de l'armure sacrée, partant du principe qu'elle pouvait, à l'instar du sanctuaire d'Artémis, être dissimulée quelque part parmi le marbre. Mais je déchantais vite… sur cette statue, Séléné n'était pas vêtue d'une armure. C'était logique dans le fond, la Lune n'étant pas une Déesse guerrière, il n'y avait aucune raison qu'elle soit représentée habillé d'une armure. Et je me rendis également compte en rougissant à quel point j'étais peu observatrice… Combien de fois avais-je posé les yeux sur cette statue et je n'avais même pas été capable de me souvenir de ce détail…

Je descendis rapidement les marches pour aller trouver les prêtres.

- Princesse, s'inclinèrent-ils lorsqu'ils me virent.

Je m'inclinais rapidement à mon tour, et expédiais les politesses d'usage. Décidant d'aller droit au but, je déclarais alors lorsqu'ils me demandèrent la raison de ma venue, me tournant vers le prêtre le plus âgé :

- Père… parlez-moi de l'Armure Sacrée.

La confirmation me vint clairement lorsque je vis la gêne dans leur regard.

- Où est-elle ?

D'un geste, le prêtre me conduisit à la salle de prière. Et là, sous l'autel consacré, il y avait une petite cache. Le prêtre se baissa et en ressortit la partie de Dynamis confiée à Séléné. Il me la tendit.

- Le casque…, murmurais-je en le prenant délicatement entre les mains.

Lecteur Inconnu… tu ne peux imaginer pareille merveille sans l'avoir eut sous les yeux… Pourvu de fines ailes sur les contours, chaque détail était finement ciselé à la perfection et l'on aurait cru que, vraiment, ce casque aurait pu voler.

Lentement, je me tournais vers le prêtre.

- Et la prophétie ? demandais-je à voix basse.

Il secoua la tête, visiblement navré.

- Elle s'est révélée exacte puisque tu es ici mon enfant. Je suppose que tu la connais déjà.

J'acquiesçais d'un hochement de tête.

- Pourquoi ne pas m'en avoir parlé avant ?

- Parce que c'était là ta volonté…

Je levais un sourcil… ma volonté ? Décidément... combien de décisions curieuses avais-je donc pris dans mon ancienne vie ?

- Je ne peux guère te renseigner, Princesse. Les seuls témoignages de cette époque passée que nous possédons nous ont été transmis oralement. Mais la consigne principale était de ne pas t'en parler avant que tu ne viennes toi-même chercher des informations.

Il marqua un temps de pause.

- C'est la raison pour laquelle nous ne vous avons parlé de l'Armure Sacrée qu'en tant que légende.

- Et quelles sont ces informations exactement que vous possédez ?, demandais-je, faisant un effort considérable pour rester calme.

- Simplement qu'il fallait cacher aux Enfants Sacrés la véritable existence de Dynamis jusqu'à ce que l'un d'entre vous vienne la chercher.

Puis il ajouta

- Visiblement, tu ne voulais pas que cela influe sur ta manière d'être. Nous savions que tu naîtrais dans un corps de femme, mais je ne peux pas te dire pourquoi. C'est là une chose que nous ignorons.

Puis voyant mon agacement devenir de plus en plus visible, il s'approcha de moi et me posa doucement la main sur l'épaule pour m'apaiser.

- Mon enfant, commença-t-il doucement. Je pense que tu en sais bien plus que nous sur le sujet, et toi seul décideras le moment venu, si tu dois ou non partager ce que tu sais avec nous. Mais rappelle-toi que, même si c'est une nouvelle existence, tu restes la même personne que celui qui a donné ces consignes. Tu dois avoir en toi la réponse que tu recherches…

Je lui souris faiblement et le remerciais.

- Tu as choisis ta voie, il y a bien longtemps, ajouta-t-il alors que je faisais volte face pour partir. Et même si tes raisons te restent obscures pour le moment… Tu dois suivre cette voie.

….

Je ne rentrais pas directement au sanctuaire, ni me rendis immédiatement au Japon. Je choisis de faire une halte dans un endroit désert. J'avais besoin de me poser et de réfléchir un instant. Par tous les Dieux, ma falaise me manquait, mais je ne pouvais courir le risque de me rendre au sanctuaire pour le moment. Les autres se seraient posé des questions sur ma présence alors que j'aurais dû être avec mon maître. Sorrente, curieux comme il était, aurait tout fait pour me faire avouer ma petite escapade. Et pour le moment, j'avais surtout besoin de réfléchir.

Pour être honnête, Lecteur Inconnu, je crois qu'à ce moment, ce dont j'avais surtout envie était de pouvoir me téléporter dans le passé pour aller me mettre – à mon ancien moi bien entendu – une bonne paire de claques. Quel besoin d'être si secret ?

Je me laissais choir à terre et me massais les tempes pour me calmer… Dans le fond, le prêtre avait raison… Je suis aujourd'hui la même âme que j'étais hier. Je dois sans doute raisonner de la même manière. J'essayais donc de me concentrer pour tenter d'y voir clair. Je restais des heures en concentration. J'ai bien essayé, comme Shaka nous l'avais enseigné à Sorrente et moi, de rester immobile dans un état de médiation léthargique, mais si curieusement, cela semble réussir à mon frère, à moi par contre… Sorrente n'est pas le disciple du chevalier de la Vierge pour rien. Au bout de quelques minutes à faire le ridicule en position de lotus, j'optais pour la manière « bélier ». Je me levais et tournais en rond, gesticulant et me parlant à moi-même à voix haute. Cela me réussit… je passais des heures à faire les cents pas, à me frapper le front, m'arrêtant brusquement, m'interpellant rageusement.

"Pense Swann ! Réfléchis !"

D'une hypothèse à une autre… je finis par concevoir une explication que me parut logique.

La prophétie parlait clairement d'une femme, et choisissant cette condition pour ma nouvelle réincarnation, je l'embrassais clairement. J'avais choisis mon destin… « Femme contre femme dans une lutte acharnée… ». J'avais choisis de combattre et de combattre seul. Voila la raison pour laquelle je ne voulais pas que mes frères soient mis au courant ! C'est mon combat… ce sera mon combat. Et si j'avais choisis de ne pas être mis au courant dès le départ… De toute évidence, je me connaissais bien… Si j'avais été mise au courant de cette prophétie dès le départ… aurais-je ouvert mon cœur à Athéna ? Lui aurais accordé la confiance que je lui accorde aujourd'hui ? Aurais-je seulement ressenti cet amour incroyable que je ressens pour la Déesse aujourd'hui ? Non, sans doute pas. Le jeu aurait été faussé dès le départ. Aurais-je seulement regardé les chevaliers d'or de la manière dont je les regardais hier encore… comme des frères ? Non, sans doute pas. J'aurais cherché celui pour qui j'avais pris cette décision.

Je soupirais, me prenant la tête entre les mains… De toute évidence, lorsque ce choix s'est présenté à moi lors de ma dernière vie… j'étais sans aucun doute plus âgé que je ne l'étais à ce moment là. Plus mûr ! Bien plus mûr…

…..

J'arrivais au Japon de nuit. Je n'avais pas pris en compte le décalage horaire, j'étais partie de jour.

Doucement, je me coulais entre les jardins de l'immense propriété Kido, prenant soin de choisir un emplacement tranquille et discret. Prenant soin aussi de ne pas gonfler mon cosmos. Saori le sentira et je ne voulais pas alerter les chevaliers divins qui lui faisaient bien souvent escorte. Je devais lui parler seule à seule. Elle me rejoignit bientôt, nullement étonnée de ma présence dans ce pays. Elle s'avança vers moi la démarche légère et discrète, le cosmos éteint, et je compris qu'elle ne voulait pas, elle non plus, de témoins indiscrets à cette rencontre.

Adossée contre un arbre, j'attendis simplement qu'elle prenne la parole. Elle s'avança et alla s'asseoir sur un petit banc de pierre.

- Nous avons toutes deux, soupira-t-elle, un destin exceptionnel n'est-ce pas ?

Puis levant les yeux au ciel, nostalgique, elle ajouta :

- Un destin exceptionnel pour le commun des mortels… mais pour les Dieux ?

Je fus frappée du ton de sa voix. Je m'étais attendue à la voir narquoise, hautaine comme à son habitude. Il n'en n'était rien. De femme à femme, songeais-je… de mortelle à mortelle. Le ton était donné, le combat n'allait pas encore avoir lieu.

- Personne n'est maître à part entière de son destin, lui répondis-je.

- Non, sourit-elle doucement. On ne distribue pas les cartes… mais on peut choisir de jouer.

Nous y voila, pensais-je…

- Et tu joues, n'est-ce pas ?

Elle releva brusquement la tête, une flamme dans les yeux.

- J'ai une revanche à prendre

- Sur la vie ?, demandais-je

- Sur les Dieux…

Je m'approchais d'elle lentement, d'un air de défi.

- Tu n'es pas une déesse Saori. Tu n'as aucun droit sur les vies qu'implique ton jeu.

Elle se leva à son tour, et je reconnus alors la Saori hautaine que je connaissais si bien. J'avoue que je préférais cela. Elle m'avait désarçonné au départ avec son ton triste et son air nonchalant.

- Tiens donc, sourit-elle. Te voila enfin au courant de cette prophétie. Ça commence à devenir intéressant…

- Depuis quand es-tu au courant ?

- Je l'ai appris il y a peu de temps, répondit-elle. En tant que Déesse, j'ai toujours été au courant de l'existence de l'Armure Sacrée.

Elle me tourna le dos et plongea son regard dans le noir de la nuit.

- Après la dernière guerre sainte, je me suis lassée du rôle de petite fille sage. Je me suis lassée des guerres, des combats, des morts…

Elle se retourna d'un élan rageur et haussa la voix.

- J'avais treize ans quand a commencé la première guerre. Treize ans, et j'ai vu des hommes s'entretuer pour une femme que je n'étais pas.

- …

- Pour une déesse, ajouta-t-elle dédaigneusement. J'ai pris une flèche dans le cœur… je me suis retrouvée enfermée dans un pilier à me noyer sous des tonnes d'eau… Je sais bien… la légende raconte qu'Athéna est restée sagement enfermée, à genoux et les mains jointes à prier. Mais tu peux me croire, ça ne s'est pas passé comme ça. J'avais peur enfermé la dedans. J'avais peur, j'ai crié, j'ai frappé les murs à m'en saigner les mains. Et Athéna dans tout ça ? Elle priait… Sereine et confiante… Alors j'ai compris. J'ai compris qu'on n'était pas une seule et même personne elle et moi. Pourquoi moi avais-je peur et pas elle ?

Elle s'arrêta subitement dans sa lancée. Ainsi donc, c'était à se moment là que la cassure avait commencé.

- Je suppose, lui dis-je, qu'Athéna a continué à gouverner ton corps jusqu'à la guerre sainte ?

Elle hocha la tête.

- Je réussissais de plus en plus à lui tenir tête, mais quand j'ai vu la guerre sainte commencer, les évènements m'ont dépassé. Alors je lui ai rendu les reines. Je savais qu'elle saurait gérer cette guerre bien mieux que moi et vu que je n'avais pas le choix…

Puis elle ajouta, amère.

- Mais c'était un mauvais calcul… je me suis retrouvée terrifiée et en enfer. Alors une fois cette fichue guerre finie, j'ai tenté par tous les moyens de reprendre le contrôle et j'y suis parvenue.

Je la laissais parler. Je voulais en savoir le plus possible et en même temps, je sentais que cela lui faisait du bien. Elle libérait de sa poitrine un poids qu'elle avait dû porter durant des années.

- Je me suis souvenue de la légende de l'Armure Sacrée et j'ai commencé à faire des recherches, discrètement. J'ai commencé à repérer l'emplacement des diverses parties afin de la réunir un jour…

Elle planta soudain son regard dans mes yeux clos, sachant très bien que je la regardais.

- Puis je suis tombée sur la prophétie, par hasard. Mais j'y ai vu un signe du destin. Elle ne faisait que confirmer mes intentions.

- La prophétie, lui fis-je remarquer, ne parle pas de ta victoire. Elle dit simplement que tu vas essayer de reconstituer l'Armure Sacrée.

- Et que tu vas tenter de m'en empêcher, railla-t-elle. Il semblerait que la fin de l'histoire ne soit pas encore écrite.

J'acquiesçais silencieusement.

- Tu n'as pas idée de ce que tu vas déclencher si tu mènes à bien ton projet insensé.

- Insensé ? s'emporta-t-elle. Tu ne comprends donc pas Swann ? J'ai les pouvoirs et j'ai l'armée. Pourquoi devrait-on laisser les Dieux décider pour nous… Pourquoi devrais-je encore partager avec Athéna ? J'ai tout, et j'ai souffert pour l'avoir, tu le sais bien.

- Souffert ?, m'emportais-je à mon tour. Saori, as-tu seulement idée de ce que tes chevaliers ont enduré toute leur vie ? Les entraînements ? Les guerres ? Crois-moi, ta vie sacrifiée a été sacrément édulcorée en comparaison.

- Je n'ai jamais demandé à faire le sacrifice de ma vie, ni que quiconque sacrifie sa vie pour moi, cracha-t-elle.

- Tu veux l'Armure Sacrée pour contrer les Dieux en te prenant pour une déesse toi-même, répliquais-je sur le même ton. Crois-tu que les Dieux te laisseront faire ? Tu mènes les chevaliers d'Athéna à un massacre.

Je m'approchais d'elle en proie à une colère sourde.

- Car le pire, c'est qu'ils te suivront, n'en doute pas. Pour une gamine écervelée et capricieuse, ils donneront leur vie… encore une fois. Les chevaliers d'Athéna sont devenus mes frères, et je ne te laisserais pas faire ça.

Je tentais de contenir ma colère, mais elle me sourit soudain, et perfide, elle souffla :

- Pas que tes frères apparemment…, me rappelant cruellement l'épisode d'Athènes et de Camus.

Je serrais violemment les poings à m'en blanchir les jointures, et me reculais pour m'interdire de la frapper.

- Pourquoi as-tu fais ça ? sifflais-je entre les dents.

Elle haussa les épaules d'un air indifférent.

- C'était l'idée de Shaina.

Je n'eus pas le droit à une explication plus poussée. Je lui tournais le dos et tachais de retrouver mon calme et une voix plus posée.

- Prends garde Saori, murmurais-je. Tu joues avec le feu. Les Dieux ne te laisseront pas faire.

Puis je me retournais lentement et tachais de la raisonner.

- La guerre est finie… pourquoi chercher à en provoquer une nouvelle ? Tu pourrais vivre ta vie à présent.

Elle retourna s'asseoir sur son banc et leva les yeux au ciel, redevenue soudain calme et nostalgique.

- Je crois qu'il faut savoir suivre son étoile où qu'elle nous mène.

- Même si elle te mène à la mort ? demandais-je.

Elle hocha la tête et ferma les yeux.

- Même si elle te mène encore en enfer…

Je lui tournais le dos pour partir, mais ajoutais simplement :

- Alors sache juste que je serais sur ton chemin.

- C'est écrit dans les astres, l'entendis-je murmurer.

Je m'éloignais lentement dans la nuit sachant que je n'en tirerais plus rien.

"Suis ton étoile Saori, songeais-je… je suivrais la mienne."

Lecteur Inconnu, à cette heure, je ne sais toujours pas où ces chemins nous mènent, Saori et moi… je ne sais qu'une chose… On se retrouvera au bout du chemin.

...

*Opéra de Carmen.