Mayava : Bonjour. Merci à toi de ta fidélité. C'est toujours un plaisir de voir quelqu'un suivre ma fic et laisser (à plusieurs reprises) des messages. C'est très encourageant. Je te remercie pour ton temps, autant pour lire que pour laisser un commentaire. N"hésite pas la prochaine fois à me laisser ton adresse mail pour pouvoir te répondre plus vite. Je te promets la suite pour bientôt pour rattraper mon retard. Bises

Jamir

Adossée à la balustrade qui longeait le balcon circulaire de la demeure de mon maître, je profitais tranquillement de la nuit.

Jamir… Cette montagne a quelque chose de magique, quelque chose de divin en elle. Ce n'était pas la première fois que je me retrouvais dans le château du Bélier, loin de là, et cette nuit n'avait en elle, rien d'exceptionnelle. C'était une nuit comme une autre, juste une nuit calme où mon regard se perdait dans le lointain. A cette hauteur, dans cette région, j'ai toujours eu l'impression que la montagne accomplissait cet exploit de propulser n'importe quel être un peu plus près des étoiles… juste un tout petit peu plus près.

Le château de mon maître, construit sur le rebord d'un précipice mortel, offrait aux yeux une vue à nulle autre pareille. Si on baissait le regard, du côté de la falaise, on ne pouvait distinguer aucune parcelle de terre, juste des nuages, une immense étendue de brume aveuglante et sans fin. Mais si on levait les yeux au ciel… l'ivresse prenait alors les sens, jouant avec chacune des facultés humaines et séduisait à la fois et la vue et le toucher. Parce que je maintiens qu'à cette hauteur, le ciel se laissait caresser. On pouvait tendre la main, on ne touchait jamais les étoiles, mais à chaque fois, on était sûr de réussir à les frôler. Le ciel nocturne avait quelque chose de féerique, dévoilant ses beautés aux regards avides sans aucune lumière extérieure pour l'atténuer… Ô combien j'aimais cette vue et ce calme. O combien j'aimais cette sensation qu'avait le ciel de murmurer tendrement à mon cœur que, si la folie me prenait, si je sautais… je pourrais nager dans la nuit, dans le ciel étoilé. Voler ! Un jour Gabriel m'avait dit que mourir c'était voler… voler vers le paradis… Ici, à Jamir, je pouvais le croire.

Je soupirais d'aise, les yeux rivés sur ce ciel étoilé. Au loin, je pouvais deviner, quelque part, à des centaines de kilomètres, un orage. Au loin, le ciel jouait de couleurs rouges et blanches qui éclairaient des formes étranges dans les nuages. Et je décidais de ne plus penser. Ce soir, je mettais mon cerveau en veille, je coupais le son à mes pensées.

J'aurais bien le temps de comprendre comment entrer, tête la première comme à mon habitude, dans une guerre à demi-mot et secrète. Une guerre contre Saori, qu'autant elle que moi, ferions tout pour garder dissimuler à la vue du reste des chevaliers. Oui, j'aurais bien le temps de chercher un moyen pour la contrer.

J'aurais bien le temps d'interroger mon cœur sur cet homme si discret, que même moi, je n'avais pas encore remarqué. Un homme, un amour… j'aurais bien le temps de le chercher.

Mais combien de fois pourrais-je encore admirer pareille merveille ? Ce soir, j'en faisais ma priorité.

- Maman ?

La voix était discrète, curieuse. Je tournais la tête dans la direction de l'enfant. J'esquissais un sourire. Cet après-midi encore, il m'appelait maître et le ton était solennel, respectueux. Mais l'entrainement était fini et mon propre masque s'était fissuré.

Je n'ai pas oublié la lueur de joie qui s'était allumée dans son regard lorsque Mû lui avait dit que j'allais l'entraîner pendant quelque temps. Il s'était alors tourné vers moi dans un sourire radieux. Killian était un disciple parfait, à la fois volontaire et discipliné. Et j'étais fière, si fière de ses progrès. Avec moi, il travaillait la défense. Je prenais sur moi de lui apprendre à renforcer son corps, à ne pas craindre les coups, à jeter son corps en rempart contre l'adversité. Ainsi Mû l'avait voulu. Ne pas habituer son disciple à se cacher derrière une armure, à mesurer sa force et à savoir s'arrêter. Et les montagnes de Jamir offraient un lieu d'entrainement parfait pour ce genre d'exercice. A ces hauteurs, il faut savoir se contrôler. L'oxygène est précieux, les forces se réduisent rapidement si on ne parvient pas à les doser. A ces hauteurs, s'entraîner contre une paroi de pierre peut se révéler dangereux si on ne sait pas s'arrêter. On peut ébranler la pierre, on peut la fragiliser, mais il ne faut surtout pas la briser. Un éboulement se révèle mortellement dangereux, si ce n'est pour celui qui le provoque, alors pour ceux qui sont en bas. Les populations des rares villages aux alentours ne doivent pas faire les frais d'un entrainement impétueux. Mais Killian maîtrisait ses forces et savait doser ses efforts. Oui vraiment, j'étais très fière, même si ce sourire de fierté, je le faisais disparaître de mon visage lorsqu'il me faisait face. Ce n'était de toute manière, et définitivement pas dans mes habitudes, de crier ma joie et ma fierté. Killian était un apprenti-chevalier, et j'étais un chevalier aussi. Ce genre de débordement n'a pas lieu d'être durant un entrainement. Plus tard, viendrait bien assez vite le moment où la complicité s'installerait à nouveau, comme chaque jour. Comme ce soir…

- Killian, lui reprochais-je doucement. Tu ne dors pas encore ?

L'enfant secoua la tête et s'approcha de moi. Je le détaillais de la tête au pied.

Il avait grandi, son corps était maintenant à mi-chemin entre l'enfant et l'adolescent, mais ses yeux… je prierais jusqu'à mon dernier souffle pour que les Dieux y laissent à jamais cette lueur enfantine qu'il avait retrouvé après la guerre. Jamais, non jamais, je ne veux revoir cette lueur de lucidité douloureuse que je lui avais vue la première fois que je l'ai rencontré. Et je sais que cette lueur est possible dans le regard d'un homme adulte… Lecteur Inconnu, si seulement un jour tu pouvais croiser le regard de Milo, tu comprendrais. Si seulement tu avais cette faculté qui me permet de voir le regard de Sorrente, tu comprendrais. Une lueur enfantine… dans le regard d'un homme adulte… il n'y a rien de plus beau.

- Maman, reprit l'enfant après s'être accoudé à mes côtés. Est-ce que tu cherches ton étoile ?

Je souris doucement. Ce matin même, Mû nous avait envoyé, Killian et moi, au village le plus proche chercher des provisions. Qui aurait pu imaginer que derrière l'armure du chevalier d'or du Bélier se cachait un homme capable de cuisiner ? A mon grand soulagement d'ailleurs… Pour être franche avec toi, Lecteur Inconnu, mes talents culinaires sont plus que limités. Au sanctuaire, les repas sont pris en commun et préparés par des cuisiniers. Lorsqu'on ne peut faire autrement… et bien je cède bien volontiers ma place derrière les fourneaux à Sorrente. Il n'y a pas de cours de cuisine dans le programme de formation d'un chevalier, mais certains ont un don dont je n'ai pas hérité.

Au village, les provisions sont sommaires. Des fruits et des légumes essentiellement. Mais Killian raffolait de ces expéditions. Il aimait se promener dans les petits chemins en terre battus, la tête fièrement levée à être présenté comme l'apprenti du chevalier d'or du Bélier. Et les habitants l'aimaient en retour, tout comme ils admiraient le maître. L'un et l'autre toujours prêts à aider ces gens qui se battaient à leur manière, contre la vie, contre la pauvreté. Avec moi, habituellement, ils se montraient beaucoup plus réservés. Je te l'ai déjà dit, Lecteur Inconnu, je n'attire pas aussi vite la sympathie.

J'achetais donc les légumes et remerciais la vieille vendeuse. Nous allions partir lorsqu'elle me retint par le bras, et me prit la main entre la sienne pour commencer à la détailler. Je soupirais. Je connaissais ce genre de technique. Une diseuse de bonne aventure comme on en croise à chaque coin de rue, et qui - contre une petite obole cela va de soi - vous prédit monts et merveilles pour le futur. Un regard sur les yeux curieux de Kiki et je lui laissais ma main de bonne grâce, attendant qu'elle me dévoile « ce futur insoupçonné ».

- Je vois une étoile, commença-t-elle en détaillant ma main sous toutes les coutures. Une étoile que tu as déjà vue.

De son doigt, elle retraçait une ligne à l'intérieur de ma paume.

- Cette étoile, ce n'est pas ton destin. C'est ton passé. Un lien entre passé et futur.

Je lui souris poliment avec patience attendant qu'elle continue son exploration, mais déjà, elle me refermait la main avec la sienne.

- Trouve-la cette étoile, me souffla-t-elle. Tu comprendras alors ce qui t'échappe maintenant.

Sceptique sans vouloir le montrer, je la remerciais, glissais une pièce dans sa main déjà tendue et partie avec Kiki.

- Il y a des milliers d'étoiles dans le ciel, répondis-je à Killian.

L'enfant avait été émerveillé d'entendre la prédiction de la vieille femme et je ne voulais pas le décevoir en lui disant que je ne croyais pas un mot de tout cela. Je décidais de jouer le jeu.

- Crois-tu que je la trouverais ?

Il me sourit. D'un geste souple, il s'assit sur le rebord de la balustrade et je m'empressais de le serrer contre moi par sécurité. Killian avait beau être agile, un apprenti-chevalier, on n'est jamais trop prudent.

- La dame a dit que tu l'avais déjà vue. Tu dois simplement la retrouver.

Je retins un rire sur mes lèvres. La voix du petit Bélier avait prit des intonations professorales, comme si c'était moi l'élève à présent. Il continua sa leçon.

- Tu dois faire preuve de mémoire. C'est important. Maître Mû m'a dit une fois que les Dieux nous envoyaient souvent des signes sur le chemin à suivre et qu'il n'appartient qu'à nous de les comprendre et de les suivre.

Je hochais simplement la tête en reportant mon regard vers le ciel. Mais Killian me prit la main entre la sienne, levant des yeux suppliants.

- Tu la chercheras, n'est-ce pas ?

- C'est si important ? lui demandais-je.

Il ouvrit ma main, retraça la même ligne de son doigt, puis planta son regard dans le mien.

- Oui.

Je lui caressais tendrement les cheveux, attendrie de sa détermination.

- Je la chercherais.

….

Lecteur Inconnu… elle me plait ma vie, telle que je te la raconte. Sans faux semblant, sans mensonge… mais surtout sans mesure de temps. Une vie en résumé. Peut-être t'en es-tu douté, mais cette histoire, celle de ma vie, je ne l'ai pas vécu en quelques jours. Depuis mon arrivée au sanctuaire d'Athéna, à l'heure où je te parle actuellement… il s'est écoulé des années. On pourrait croire que tout est arrivé brusquement, que plongée dans l'action, j'ai vécu en accéléré. Mais ce n'est pas vrai. Les dernières semaines peut-être, oui ces dernières semaines ont été particulièrement mouvementées. Mais je n'en suis pas encore là à ce stade de mon récit, j'en suis encore loin même. Tu me lis, et peut-être me prêteras-tu éternellement les traits d'une adolescente de seize ans, mais la vérité c'est que je suis bien plus âgée aujourd'hui. C'est surement l'avantage des mémoires, raconter sa vie en résumé. Qu'importent toutes ses longues journées vides d'intérêts ? Entre entraînements, repas et repos… la vie ne mérite pas d'être racontée. Je ne relate que ce qui, à mes yeux, a de l'importance et je m'aperçois après relecture que je ne suis pas douée en chronologie. On croirait que toute l'action s'est déroulée en quelques jours. Il est temps pour moi de remettre les pendules à l'heure. A ce stade de mon récit, cette jolie nuit à Jamir en compagnie de Kiki, j'avais dix-huit ans. Certaines fois, le temps stagne. Certaines fois, le temps s'accélère. Et certaines fois, je voulais simplement te faire profiter d'un instant magique, une petite parenthèse dans mon monde, comme ce fut le cas pour cette nuit. Ne m'en tiens pas rigueur. Je te promets à l'avenir de faire un effort sur la chronologie.

….

Ainsi s'écoulait la vie à Jamir. Calmement, tranquillement… une vie sereine dans ces montagnes. Seul le ton respectueux ou les fois où je m'agenouillais pour saluer mon maître, rappelaient qui nous étions vraiment… des chevaliers. Seuls les entraînements incessants durant la journée, cette vision incroyable de voir un enfant capable de faire exploser un mur de pierre à poings nus, me rappelait cruellement que les guerres n'étaient pas finies… jamais elles ne finiraient. Un jour, et bien plus tôt que je ne pourrais jamais le souhaiter, Killian se verrait confronter à un affrontement. La nouvelle génération se devait d'être préparée. La seule chose que je pouvais espérer était de prendre Saori de vitesse et éviter au sanctuaire un carnage dont pas un ne sortirait vivant… apprentis ou chevaliers.

Une fois encore, tard le soir et adossée au balcon, je laissais mes pensées s'évader. Mais cette fois, pas de fantaisie. Je devais coûte que coûte trouver un moyen d'empêcher la réincarnation de mener à bien son plan désastreux. Et le calme de Jamir m'aidait beaucoup pour réfléchir. J'échafaudais mille et un plans dans ma tête, aussi fous les uns que les autres… j'avais même songé à kidnapper Saori. J'ai toujours été ainsi, j'ai besoin d'un chaos complet pour y voir plus clair. J'ai toujours eu cette impression, que de plonger la main dans un sac rempli de solutions, me permettait alors d'en sortir la bonne… peut-être par chance, mais ça ne marche pas à tous les coups.

Alors quelques fois, je réfléchis. Et je réfléchis beaucoup. Je réfléchissais tellement même, que perdue dans mes pensées, sa voix me fit sursauter.

- Swann, tu ne dors pas encore ?

Je souris doucement en me retournant. La scène avait quelque chose de familier. Je secouais simplement la tête.

- Que fais-tu si tard ?

Je soupirais.

- Je cherche mon étoile, Maître, répondis-je en pensant à Kiki.

Mû s'avança doucement et vint s'adosser à mes côtés, contemplant lui aussi les splendeurs du ciel nocturne de Jamir. Nous restâmes un moment silencieux. Puis, soudain, il posa gentiment sa main sur mon bras pour capter mon attention. Je me tournais alors vers lui et vis que de son autre main tendue vers l'avant, il me désignait un point précis dans le ciel.

- Elle est là ton étoile, me dit-il en me désignant un point orangé quelque part dans les cieux.

Je tachais au mieux de suivre le parcours de son regard, curieuse, et fouillais le ciel sans comprendre. Puis je la vis, et un sourire se dessina sur mes lèvres.

- La constellation du Bélier, murmurais-je, amusée.

- Hamal, continua mon maître. L'étoile principale de la constellation du Bélier.

Mû ne tournait pas la tête vers moi à ce moment là et je ne crois pas qu'il me vit secouer la tête, incrédule.

- Cette étoile est la votre, soufflais-je, pas la mienne

- Cette étoile est celle de tous les béliers dans le monde, me dit-il sans détourner son regard du ciel. Mais pour les chevaliers, elle a une signification particulière.

- Je ne crois pas que ce soit celle que je recherche en ce moment, répondis-je dans un souffle.

A ces mots, mon maître tourna la tête de mon côté et m'interrogea du regard. Je levais ma main ouverte, paume tendue dans sa direction et entrepris alors de lui raconter ma petite histoire, lui précisant bien entendue, que je ne croyais pas à cette prédiction. Mû me prit la main dans la sienne et retraça la ligne de son doigt. Pensif…

- Maître ? l'interrogeais-je

Il releva les yeux et je vis une lueur attendrie et amusée dans son regard.

- C'est la ligne de cœur, me dit-il à voix basse.

Interpellée, je ne pus m'empêcher de détailler ma propre main. La ligne de cœur ? Mille idées se pressaient alors dans ma tête, mais je les rejetais en bloc, refusant de faire un amalgame avec ma situation du moment. Cette femme n'était pas une voyante… elle ne pouvait décemment pas connaitre les questions qui me tourmentaient le cœur en ce moment. Décidée, je relevais la tête et replongeais le regard dans les yeux de mon maître. Mû avait dans les yeux une lueur étrange. Un quelque-chose d'inhabituel d'autant que je pouvais le déceler dans l'obscurité… une lueur qui ne m'était pourtant pas étrangère. Mais j'étais incapable de me remémorer… Et je me sentis en colère contre moi-même… sentant que c'était là quelque chose d'important. Que je devais me rappeler…

Finalement, Mû me lâcha la main et reporta son regard sur le ciel.

- Peut-être, me dit-il, as-tu une autre étoile à trouver quelque part dans le ciel…

Je me tournais vers le ciel de nouveau et y plongeais mon regard.

- Une étoile de substitution, murmura-t-il.

Je relevais brusquement la tête tandis que mon maître s'éloignait lentement de la balustrade en direction de l'intérieur en me souhaitant une bonne nuit. Mais déjà je ne l'écoutais plus et mon cœur battait la chamade.

Je me répétais cent fois dans ma tête cette dernière phrase jusqu'à ce que je comprenne…

Substitution…

J'aurais voulu partir dans un grand éclat de rire de victoire.

Substitution…

Saori… Sans le vouloir, mon maître m'avait fait entrevoir la solution.