Une fois de plus, merci à Mayava pour son soutien indéfectible. Ce chapitre est plus court que les précédents et sans doute un peu plus "romantique", mais il reste nécessaire. Il ne faut pas s'attendre à voir Swann succomber du jour au lendemain^^.
Questionnements
Mû me resserra sa prise sur ma taille et me fit tourner une fois de plus, puis, dans un élan, je décollais du sol. Mû m'avait prise par la taille de ses deux mains et me faisait tourner avec lui. Riant doucement, je posais mes mains en appui sur ses épaules tandis qu'il tournait en souriant. Et alors je l'ai vu…
Cet éclat dans les yeux de mon maître… ce magnifique et si doux éclat que j'avais déjà vu il y a quelques années déjà…
Cet éclat qu'il avait déjà eu alors que je l'avais emmené au Paradis Blanc et qu'il remerciait la Déesse de la Lune…
Lecteur Inconnu… cette nuit-là, il y a eu une danse…
Lecteur Inconnu… cette nuit-là, j'ai vu briller une étoile dans les yeux de mon maître…
La valse se terminait lentement et déjà les dernières notes mourraient dans l'air mais je refusais de les entendre… J'aurais voulu que cette danse ne se finisse jamais. Les Dieux m'en sont témoins Lecteur Inconnu, jamais encore je n'avais autant eu ce désir d'arrêter le temps que ce soir-là. Mais déjà il tournait plus doucement… déjà il commençait à baisser les bras pour me faire redescendre sur terre et je resserrais mes mains sur ses épaules. Déjà le son de son rire s'estompait dans la nuit et mon sourire se figeait. Je sentis la froideur de ce sol de marbre contre la plante de mes pieds et j'en détestais le contact. En quelques secondes, j'étais montée au ciel… en quelques secondes, j'en étais redescendue. Il ne détacha pas son emprise pour autant, gardant les mains autour de ma taille, acceptant mes bras que je lui avais timidement enroulés autour du cou. Il gardait son regard ancré dans mes yeux clos, mais la magie avait fini… l'étoile était partie. Et moi… moi je restais muette, stupéfaite… émue bien plus que je ne saurais le dire lorsqu'il me sourit à nouveau. Il remarqua mon trouble et se pencha à mon oreille.
- Qu'y a-t-il ? me demanda-t-il doucement.
Émue, troublée, je ne pris même pas la peine de lui mentir. Je lui murmurais le souffle court :
- Vous aviez une étoile dans les yeux…
Et dans un geste d'innocence totalement spontanée, je lui caressais tendrement le visage de ma main. Dans un même geste, il accentua la caresse lorsqu'il me prit la main dans la sienne et la porta à ses lèvres…
Lecteur Inconnu, à ce moment-là, tout devint si clair… Une seconde, juste une seule et incroyable seconde de complète lucidité. Comment te l'expliquer, Lecteur Inconnu ? As-tu déjà ressenti cette sensation incroyable d'être transpercé de part en part par l'Univers ? C'est comme si, durant une seconde, juste une incroyable et magnifique seconde, le monde pour toi, n'a aucun secret. Tout devient clair, le chemin se dessine de lui-même devant tes yeux et… tu le vois, tu le comprends. Durant cette seconde, il n'y a pas de question, pas de réponse… tout est tellement évident. Puis la seconde passe, la magie s'efface et le noir revient en même temps que le questionnement.
La magie ? Elle s'effaça avec le discret raclement de gorge qui se fit entendre derrière nous.
- Le bal se termine et le Ministre d'Aphrodite tient à remercier ses hôtes dans la grande salle.
Le visage dénué de toute expression, Shion se contenta de tourner les talons et de repartir aussi discrètement qu'il était venu. Finie la magie… plus tard viendraient les questionnements. Pour l'heure, je me contentais de remettre – à contrecœur – mes chaussures et acceptais le bras de mon maître pour entrer dans la salle écouter le dernier discours de la soirée…
Que de belles paroles déblatérées sur un ton cérémonial et dont, pour être honnête avec toi mon Lecteur Inconnu, je me foutais royalement. J'avais l'esprit ailleurs, tu t'en doutes bien. Le dernier mot de remerciement prononcé, nous applaudîmes en chœur et nous nous tournâmes vers les autres convives pour les saluer. A nouveau, je passais de groupe en groupe, serrant des mains, souriant face aux compliments, complimentant moi-même… Camus m'avait appris les belles manières ! Je terminais enfin la soirée, mais j'avais perdu de vue mes compagnons. Rassemblant toute ma dignité et faisant appel à mes dernières forces de chevalier, je tentais d'ignorer tant bien que mal la douleur lancinante de mes pieds et de mon dos (maudit soit l'inventeur des talons aiguilles !) pour me diriger vers la sortie et je déchantais rapidement en voyant le chemin de terre battue qu'il me fallait prendre pour rejoindre notre habitation. A l'aller, je m'étais appuyée contre le bras solide de Kanon pour empêcher mes talons de s'enfoncer dans la terre… mais là… je n'avais décidément pas d'autres choix. Faisant fi de toute convenance en matière d'élégance, je décidais que je rentrerais pieds-nus. A peine avais-je commencé à arpenter le chemin, mes chaussures d'une main et le bas de ma robe relevé de l'autre que j'entendis un rire s'élever derrière moi.
- Cendrillon des temps modernes ! me dit-il en riant. N'es-tu pas censé perdre une chaussure dans l'escalier ?
Puis il s'avança vers moi pour me tendre galamment la main.
- Je ne peux pas laisser de si jolis pieds marcher nus sur des graviers.
Je pensais qu'il allait me prendre dans ses bras… me porter telle une princesse de conte de fée… mais c'était bien mal le connaitre. En riant, Kanon m'attrapa par la taille et me jeta comme un vulgaire sac de pomme de terre en travers de son épaule. Je tentais vainement de protester, ballottée d'avant en arrière tandis que mon chevalier servant continuait tranquillement sa route en riant. Et c'est ainsi que nous trouvèrent mon maître, Aphrodite et Dohko qui nous rejoignirent en cours de route. J'eus un sursaut en apercevant Mû derrière nous et tentais de me débattre furieusement pour me retrouver sur mes deux pieds à nouveau. Mais c'était peine perdue, Kanon tenait mes jambes fermement. Et il ne consentit à me remettre sur pied qu'une fois franchit le seuil de l'habitation. Et je te laisse imaginer, Lecteur Inconnu, le sourire haineux et contrit que je lançais au gémeau une fois sur mes deux pieds, pour m'enfuir à toute jambe dans ma chambre.
...
Je n'arrivais pas dormir… adossée contre le mur, assise sur le lit, je me repassais les épisodes de cette nuit dans ma tête. Un épisode en particulier… une danse… une merveilleuse danse qui, une fois achevée, m'avait laissé un goût amer dans la bouche et dans le cœur. Je n'arrivais pas à mettre un nom sur le sentiment qui s'était emparé de moi et qui ne m'avait pas lâché depuis. Bonheur ? Oui, à un certain moment, mais à présent que j'étais là, adossée dans le noir à analyser mon propre cœur, je dois plutôt avouer que ce sentiment, c'était « malaise » que j'étais tentée de l'appeler.
Bon sang ! Mû était mon maître ! Je ne pouvais décemment pas ressentir ce genre de chose pour lui. Ce genre de chaleur qui m'aurait fait supplier l'orchestre quelques heures plus tôt de ne jamais achever cette valse… ce genre de douceur qui m'avait poussé à nouer mes bras autour de son cou… ce genre de sentiment délicieux qui pour la première fois de ma vie, m'avait donné envie de me blottir contre son torse et de sentir ses bras m'entourer toute entière…
Non, j'avais du mal à comprendre cela, une fois l'euphorie du moment passée. Et dire que durant une seconde, j'avais tout compris… j'étais dans le noir le plus total à présent. Je ne comprenais simplement plus du tout.
J'étais gênée de ces sentiments contradictoires que je sentais poindre dans le fond de mon cœur, me voilant la face moi-même. Une seule idée fixe en tête : Mû est mon maître, Mû est mon maître…
Je sentais que c'était mal. Que je n'avais pas le droit d'éprouver une quelconque « chaleur » à la pensée de mon maître. Comprenons-nous bien Lecteur Inconnu… je ne vais te rejouer la scène de l'inceste… la situation était différente. Si bien des apprentis - comme Killian ou Hyoga en sont le parfait exemple - ont tendance à considérer leur maître comme un père, ça n'a jamais été mon cas. Je n'ai pas grandi avec Mû. Ce n'est pas lui qui m'a élevé. Je suis arrivée au sanctuaire à l'âge de quatorze ans avec un cosmos déjà entièrement développé et des techniques de combats propres à ma race. Mû n'a fait que m'enseigner les techniques du Bélier. Je ne l'ai jamais considéré comme un père ou un grand frère, mais comme ce qu'il a toujours été : un maître. Mon problème de conscience ne venait pas là. Mais pour moi - pour les Enfants Sacrés surtout, tu le sais bien Lecteur Inconnu - le maître est la personne la plus sacrée que nous ayons au monde. Avant même Athéna, le maître se situe sur la deuxième marche de notre piédestal. Il est intouchable. Une quelconque proximité physique me paraissait incroyable, impensable… jusqu'à ce soir… et je ne savais plus quoi penser. Mais je ne pouvais décemment pas nier que ce soir, alors qu'il me faisait valser dans ses bras, mon cœur s'était mis à battre d'un rythme que je ne lui soupçonnais pas. Et que j'avais apprécié ce moment-là… Mais Mû restait mon maître…
Puis, comme une réponse envoyée par les Dieux à mon dilemme, je l'entendis bouger dans sa chambre, voisine de la mienne. J'entendis d'abord la porte s'ouvrir discrètement et un léger bruit de pas dans le couloir fit s'arrêter et mon cœur et mon souffle. Je bloquais ma respiration, désireuse de savoir jusqu'où ces pas le mèneraient… jusqu'au salon apparemment et lorsque je n'entendis plus rien, je m'autorisais à respirer de nouveau. Très vite… trop vite pour être honnête peut-être, mon cerveau se mit en marche… « Sors, va chercher un verre d'eau me disait-il. Sors, prétends que tu n'arrives pas à dormir. Sors, prétexte avoir oublié quelque chose dans le salon… N'importe quoi, mais sors de ta chambre et va le rejoindre… »
Connais-tu Lecteur Inconnu ce besoin impérieux qui s'abat soudain sur les cœurs indécis et qui les force alors à commettre n'importe quel acte pourvu de se retrouver face à celui qui hante vos pensées ? C'est fou comme une excuse telle que : « j'avais soif » peut vous sembler un éclair de génie dans ces moment-là… même quand on a une bouteille d'eau sagement posée à côté du lit.
Jamais encore, autant que ma mémoire puisse en témoigner, mon cœur n'avait aussi fortement battu la chamade alors que je posais le premier pied hors de mon lit et que doucement je me levais pour le rejoindre. Le grincement de la porte me parut faire un boucan tel qu'il aurait pu réveiller à lui seul tout le sanctuaire d'Aphrodite et pourtant, les mains tremblantes, je continuais d'avancer dans ce petit couloir qui me séparait du salon. J'avais la respiration hachée et l'impression de faire à moi toute seule autant de bruit qu'un troupeau d'éléphant et pourtant, il ne sembla pas m'entendre.
Il était là, simplement assis sur un canapé, la tête rejetée en arrière et les yeux clos. Je le devinais malgré la pénombre… les mains sagement posées à chaque côté de son corps, les lèvres légèrement entrouvertes… je le contemplais longuement en silence et – que les Dieux me pardonnent – je le trouvais beau… si beau…
Peut-être somnolait-il ? Comment, par tous les Dieux, n'avait-t-il pas senti ma présence ? Indépendamment de ma volonté, comme dans un rêve, je me vis tendre la main pour lui toucher le bras. Il sursauta violemment. Pour une fois que je n'étais pas celle qui s'était laissée surprendre…
- Maître ? interrogeais-je à voix basse. Est-ce que tout va bien ?
Il cligna des yeux plusieurs fois puis tourna son regard vers moi.
- Swann ? Je crois bien que je me suis endormi.
J'eus un sourire indulgent. Il se redressa sur le canapé et tourna le regard en direction de la fenêtre.
- C'était une belle soirée… me dit-il, songeur.
J'acquiesçais d'un signe de tête et je lui tournai le dos pour regarder à mon tour par la fenêtre… pour qu'il ne voit pas mon trouble… pour qu'il ne voit pas que je ne savais pas quoi répondre à cela. Je me contentais de jeter mon regard au dehors et de croiser les bras autour de moi. Je l'entendis se lever derrière moi.
- Tu m'as dit que j'avais une étoile dans les yeux…
Je sentais son souffle sur ma nuque et je frissonnais violemment. Je resserrais ma propre étreinte comme un geste de défense automatique. J'acquiesçais à nouveau, incapable de prononcer la moindre parole, ne faisant pas confiance à ma voix. Il se rapprocha encore et je pouvais presque sentir les muscles de son torse contre mon dos. Puis soudain, je sentis la douceur de sa main qui venait de se perdre dans mes cheveux, doucement, si doucement. Sa main tremblait elle aussi. Il me caressait comme un on caresse un animal sauvage… craintivement, tendrement et c'est toute sa peur à lui aussi que je pouvais sentir à travers cette caresse, mais je restais sans comprends pourquoi.
- Swann… ?
J'entendis dans cette voix comme une prière, une supplique comme quand on demande à l'autre de dire quelque-chose… n'importe quoi. Je soupirais. S'il parlait d'une étoile c'est qu'il n'avait pas oublié cette conversation que nous avions eu autrefois. Je laissais ma tête partir en arrière et rencontrer la sienne et il renforça le contact.
- Oui, murmurais-je finalement après un silence qui me parut durer des heures. Oui, vous aviez une étoile dans les yeux.
Je marquais un temps de pause. Les mots semblaient ne pas vouloir sortir de ma gorge. Je les bafouillais ridiculement mais il ne sembla pas s'en rendre compte. Je serrais les paupières un peu plus fort pour me donner du courage. Il m'encouragea en me posant la main sur l'épaule.
- L'étoile la plus belle qu'il m'ait été donné de voir… Vos yeux brillaient tant…
Je baissais finalement la tête.
- Mais je ne comprends pas…
Je me retournais subitement pour lui faire face. Mes lèvres tremblaient autant que mes mains et je gardais résolument les yeux baissés vers le sol, évitant fermement son regard.
- Ce n'était qu'une danse… n'est-ce pas ?
Doucement, il me prit le menton entre ses doigts pour me forcer à remonter le visage vers lui. Sa main tremblait toujours pourtant, il se rapprocha.
- Un jour, me souffla-t-il à l'oreille, je t'ai entendu raconter une histoire à Kiki. Il y a une phrase dont je me souviens de cette histoire. Une phrase que tu lui as dit…
Il se recula légèrement pour plonger son regard sans le mien.
- « La nuit, les âmes se dévoilent vrais et les cœurs se reconnaissent… A la lueur de la Lune, si le cœur le veut…tout est permis. »
Je restais interdite un moment, ne sachant quoi répondre. Ne sachant quel sens donner à mes propres paroles dans ce nouveau contexte. Je me souvenais de cette histoire… C'était une de ces histoires fantastiques des contes des mille et une nuits. J'ignorais qu'à ce moment-là mon maître nous écoutait.
Il me prit la main dans la sienne pour la poser contre son cœur.
- N'était-ce qu'une danse pour toi ?
Je pris une profonde inspiration puis je tournai brièvement la tête vers la fenêtre. Il faisait toujours nuit. Je lui fis face à nouveau et rassemblant tout mon courage, j'osais poser mon front contre le sien.
- Non, murmurais-je dans un souffle.
Je resserrais ma main dans la sienne et il répondit à l'étreinte.
- Mais vous êtes mon maître, m'exclamais-je subitement en m'éloignant de lui dans un dernier effort de volonté.
Tout allait trop vite. Beaucoup trop vite. Il me semblait qu'en restant près de lui, je perdais tout sens des réalités. Plus de hiérarchie, plus de règles… Moi qui ai toujours suivi des règles toute ma vie, j'avais du mal à encaisser cela. J'avais trop de sentiments qui soudain m'assaillaient. La peur, l'envie, la culpabilité…
Brusquement, il me prit par les poignets pour me calmer et à mon corps défendant, il me rapprocha de lui.
- La nuit n'est pas encore finie, me murmura-t-il. Brise les règles.
Il me rapprocha encore.
- Brise-les juste une fois.
Je relevais craintivement la tête. Je croisais son regard. Je ne saurais définir ce que j'y vis à ce moment-là.
- Je ne comprends pas, soufflais-je.
Il sourit doucement. Et enfin… enfin ! il me prit dans ses bras… Il me berça tendrement. Nos deux corps cessèrent de trembler à cet instant même et au même moment, je faisais tomber mes inhibitions. J'acceptais l'étreinte, je la rendais même, m'accrochant à son corps, m'enivrant de son odeur, enfouissant mon visage dans le creux de son cou. Tout cela me paraissait tellement normal, comme si, pour la première fois de ma vie, j'étais exactement là où je devais être.
Envolées mes réticences. Oubliés mes questionnements. Juste le temps d'une étreinte… j'avais le cœur qui explosait.
- Tu ne comprends pas pour le moment… me dit-il, mais tu comprendras. J'attendrais.
Il me garda un moment encore contre lui. Je ne me souviens même pas comment nous nous sommes séparés. Je me souviens juste la sensation de ces lèvres, quand il déposa sur mon front un doux et prometteur baiser... comme un défi à l'aube qui se lève...
