La Triade Lunaire

- Quelqu'un a tenté de dérober la cuirasse de Dynamis il y a quelques jours !

Pour le coup, je relevais la tête de surprise.

- Tenté ? demandais-je interloquée.

Je me serais attendue à un vol pur et simple et non à une vaine tentative.

Evangéline acquiesça et continua le récit.

- La cuirasse est très bien gardée et nous sommes constamment en alerte. Depuis ta dernière visite à notre sanctuaire, la reine a mis un petit nombre d'entre nous dans la confidence de la prophétie et seules des amazones d'élite veillent sur la cuirasse. Auparavant, nous savions uniquement que, possédant une grande partie de l'armure sacrée, nous ne devions pas nous fier aux autres sanctuaires.

Ce qui expliquait leur froideur à notre égard lors de notre première visite, me dis-je à moi-même. Les amazones se savaient menacées mais la reine ne leur avait pas encore clairement indiqué qui était l'ennemi.

Evangéline marqua une pause, puis reprit :

- Nous savons très bien, même si nous n'avons aucune preuve, qu'il s'agit là d'un acte de la part de la réincarnation de la Déesse Athéna. Je suppose que tu comprends pourquoi nous la soupçonnons ?

Je ne répondis pas et me contentai de hocher la tête. La reine continua :

- Mais ce n'est pas là le point le plus important que tu dois savoir. Nous nous attendions à un acte de ce genre tôt ou tard. Ce qui serait susceptible de t'intéresser c'est que l'une d'entre nous – elle désigna sa compagne d'un léger mouvement de tête – a pu voir le voleur s'enfuir, ou plutôt… la voleuse.

D'un regard, elle interrogea la prêtresse qui se mit soudain à me détailler des yeux avec insistance. Je me commençai à me sentir mal à l'aise. Une fois son examen visuel terminé, elle tourna son regard vers la reine et acquiesça de la tête.

Je me retins de justesse de bondir d'indignation. Cette prêtresse venait-elle de m'accuser de tentative de vol ? L'échange explicite des regards ne laissait guère de doute quant à la nature de la conversation muette. « Est-ce elle que tu as vu ? – Oui, c'est bien elle ».

J'allais protester de mon innocence lorsqu'Evangeline reprit la parole en me faisant un geste d'apaisement.

- Oui, me dit-elle, la voleuse était ton portrait craché mais nous ne croyons pas qu'il s'agissait de toi. D'abord parce que la reine te connait… intimement et qu'elle est sûre de ton innocence. Ensuite, parce que la manière dont cette voleuse a agi pour se faire voir une fois que la tentative de vol fut avortée était trop évidente pour n'être qu'une simple maladresse. Elle s'est sciemment arrêtée à la lumière de manière à se faire reconnaître. Elle était habillée de noire et même son visage semblait sombre. Je dirais qu'elle ressemblait plus à ton ombre.

Je restais muette de stupéfaction. Mon cerveau s'était mis à réfléchir à toute vitesse. Une voleuse, qui me ressemblait en tout point, s'était introduite au sanctuaire d'Artémis pour tenter d'y voler la cuirasse de l'armure sacrée, mais voyant son plan échouer, elle s'était tout de même exposée au regard pour me compromettre… Lecteur Inconnu, à ce moment-là, le parallélisme avec la mésaventure de Sorrente au sanctuaire de Déméter était tellement évident. Comment, par tous les Dieux, Saori – car il s'agissait d'elle sans aucun doute – s'y prenait-elle pour faire apparaître les parfaits doubles des Enfants Sacrés de la Lune sur les lieux des vols ?

- Swann, me demanda soudainement Evangeline en me faisant sortir de mes pensées, as-tu une sœur jumelle ?

Une sœur jumelle ? Non. Un frère jumeau, mais je me gardais bien de le leur dire. De toute façon, et même si Tristan me ressemblait étrangement, on ne pouvait pas confondre un homme et une femme à ce point, surtout en pleine lumière. Sorrente, en revanche, avait un jumeau identique, mais je ne pouvais imaginer Virgo voler une partie de l'armure sacrée et causer du tort aussi sciemment à son frère. Non, cela ne collait pas. Il y avait forcément une autre explication.

Je fis un geste de négation de la tête. Quelque-chose dans mon esprit avait commencé à germer. Comme une petite, une toute petite idée que je n'arrivais pas encore à saisir mais qui commençait à se faire sentir. Je m'énervais contre moi-même de ne pouvoir mettre le doigt sur ce point.

Finalement, je soupirais. Je me tournais vers la Reine.

- Quel que soit le coupable, il utilise l'image des Enfants de la Lune pour nous faire du tort et je ne peux l'accepter. Je remercie son Altesse d'avoir pris la peine de m'en parler avant de formuler une accusation formelle auprès du tribunal des Dieux.

- Je n'ai jamais eu l'intention de t'inculper, sache-le, me répondit chaleureusement Miryna. Je suis consciente du combat que tu mènes et je garde foi en l'alliance qui unit les Amazones et les Enfants Sacrés dans la Triade Lunaire.

Brusquement, je relevai la tête. La Triade Lunaire… Cette vieille alliance entre trois Déesses…

C'était ça ! C'était ça l'idée que je n'arrivais pas à traduire dans des mots précis.

Très vite, tout s'enchaîna dans mon esprit : la Triade Lunaire : Séléné, Artémis et Hécate…

Hécate… déesse magicienne de l'ombre et de l'inconscient…

Puis soudain la réponse me sauta au visage : les chevaliers noirs !

Brusquement, je me relevais de ma chaise. Par tous les Dieux, c'était tellement évident… les chevaliers noirs. Ces mêmes chevaliers qu'Ikki du Phoenix avait utilisés pour dérober les différentes parties de l'armure du Sagittaire il y avait de cela des années.

Miryna et Evangéline me regardèrent faire les cents pas en silence, conscientes sans doute de la tempête intérieure qui se déchainait dans mes pensées. Tout se bousculait très vite dans ma tête et j'avais besoin de mettre de l'ordre dans mes pensées. Miryna était notre alliée. Elle connaissait le secret de la prophétie et savait le combat que je menais contre Saori. Faute de temps et ne pouvant communiquer pour le moment avec le grand Pope, je décidais de lui faire confiance.

- Majesté, lui demandais-je en m'agenouillant face à elle, puis-je vous parler en privé un instant ?

Evangéline voulut protester. Je voyais bien que malgré les dires de sa reine, elle ne me faisait pas entièrement confiance et je ne pouvais l'en blâmer mais pour le moment, ce sentiment était réciproque. D'un geste de la tête, Miryna la fit sortir de son bureau, nous laissant seules. Puis la reine me fit signe de me relever et de venir m'asseoir à ses côtés.

- Je t'écoute Swann, me dit-elle simplement.

- Altesse, lui dis-je alors, vous avez mentionné plus tôt la Triade Lunaire, cette alliance formée des Déesses Artémis, Séléné et Hécate.

Miryna acquisça sans un mot.

- Que savez-vous de la Déesse Hécate ? lui demandais-je.

Elle prit un instant de réflexion avant de me répondre.

- Et bien, commença-t-elle, l'alliance de la Triade Lunaire est millénaire et je sais que chacune des Déesses représente un versant de la Lune. Artémis symbolise le croissant de Lune qui est le signe de la naissance. Séléné symbolise la pleine Lune qui est le signe de la vie. Et Hécate quant à elle représente la Lune noire autrement dit la mort. On lui prête le pouvoir de contrôler la magie et les âmes.

Elle marqua une courte pause, comme si elle cherchait à rassembler ses souvenirs.

- Cependant, continua-t-elle, si les cultes d'Artémis et de Séléné ont perduré, il semblerait que celui d'Hécate soit tombé dans l'oubli. La Déesse n'a jamais eu, à proprement parler, de sanctuaire ou de fidèles. On la célébrait surtout dans l'ancien temps comme la Déesse de la magie et son culte fut à son apogée à la fin du Moyen-Age, mais aujourd'hui les temps sont devenus moins occultes, plus relatifs, plus scientifiques et il semblerait qu'Hécate ait été reléguée au simple rang de superstition mythologique par la plupart des Hommes.

J'acquiesçai en silence. Je connaissais ce sort commun à bien des divinités mineures et qui était considéré comme la terreur des Dieux. Les Dieux ne meurent pas, ils sont immortels comme chacun le sait, mais l'oubli est une forme de mort. Peut-être plus terrible même que la Mort elle-même. Mais je reviendrais là-dessus plus tard…

Pour le moment, je me demandais ce que Hécate venait faire dans cette histoire et quel rôle pouvait-elle y jouer ? Pour le moment, les chevaliers noirs n'étaient qu'une théorie et je n'avais aucune preuve, mais c'était une théorie plausible et je me devais de l'approfondir.

- Pourquoi me demandes-tu cela ? me demanda soudain la reine en me faisant sortir de mes pensées. Penses-tu que Saori et Hécate aient pu faire une alliance pour reformer Dynamis ?

- Je n'ai aucune preuve à cela Altesse, lui répondis-je prudemment, et je suis parfaitement consciente de la gravité qu'une telle situation provoquerait si elle était avérée.

Puis je baissai la tête humblement en me tournant vers elle.

- Ainsi que des conséquences qu'une telle accusation pourrait avoir…

- Parle librement Swann, me rassura-t-elle. Personne ne nous écoute et je ne me m'offusquerais pas de tes paroles si elles sont sensées.

Je n'avais plus le choix. J'en avais trop dit ou pas assez. Je décidais de faire confiance à Miryna. Mais auparavant…

- Altesse, lui demandais-je. Avant de continuer cette théorie, je souhaiterais aussi la partager avec mon frère. La Lune de Bronze est présent lui aussi dans votre sanctuaire et ce combat n'est plus désormais uniquement le mien, il mérite d'être tenu au courant de toute avancée concernant cette affaire.

….

Mon Lecteur Inconnu, je savais qu'en parlant à Miryna, je prenais un risque calculé. Avant de partir, le Pope nous avait enjoint à mettre la Reine au courant de notre plan, après tout nous serions sur son territoire et Miryna avait déjà prouvé qu'elle était digne de confiance… ne serait-ce qu'en nous lançant l'invitation aux Daïtis afin de nous prévenir de la tentative de vol plutôt que de lancer une accusation officielle contre moi.

De plus, le temps ne jouait pas en notre faveur. Les célébrations pour les Daïtis commençaient le lendemain et mieux valait connaitre notre adversaire plutôt que de combattre à l'aveugle.

Mais les Dieux étaient de mon côté et le temps me prouva que j'eus raison de me fier à la Reine des amazones. Miryna a toujours été une alliée fidèle et jamais elle ne nous a trahis.

A la nuit tombée, je me dirigeais donc en compagnie de Sorrente, en direction du petit temple qui se trouvait en contrebas du sanctuaire et qui servait aux amazones de temple d'accueil pour les invités masculins.

Sous couvert d'une cérémonie faisant la commémoration de la Triade Lunaire, nous avions pu nous échapper de notre petit groupe sans éveiller les soupçons. Après tout, le prétexte était parfaitement recevable puisqu'il était inédit que les deux Enfants de la Lune se retrouvent au sanctuaire d'Artémis au moment de sa célébration annuelle. Chemin faisant, je fis part de mes soupçons à la Lune de bronze et le mis au courant des événements récents. Il en fut surpris mais s'accorda avec moi pour dire que ce ne pouvait être une simple coïncidence, les faits collants parfaitement avec la théorie.

….

Installés dans une salle adjacente au temple, nous reprenions donc notre conversation là où Miryna et moi l'avions laissée quelques heures auparavant. Je pris une profonde inspiration et je me lançai :

- Altesse, demandai-je, avez-vous déjà entendu parler des chevaliers noirs ?

Surprise, la Reine releva la tête et fis un geste de négation. J'entrepris de la mettre rapidement au courant de cet épisode passé de la guerre du sanctuaire. Mon récit terminé, Miryna resta silencieuse un instant, digérant les informations.

- Je comprends mieux ta théorie Swann, finit-elle par dire après un long moment. Il serait possible, en effet que ces chevaliers noirs soient la création d'Hécate et donc si la Déesse est en mesure de créer de parfaits sosies des chevaliers d'Athéna… elle pourrait également avoir créé ton sosie pour te faire accuser toi.

- Pas uniquement le sosie de Swann, intervint Sorrente. Il y a déjà eu un précédent. Dans la même situation, un parfait sosie de moi-même a été vu en train de voler une autre partie Dynamis au sanctuaire de Déméter.

Puis il entreprit à son tour de relater cette triste aventure à la Reine.

- Nous avions pensé à une coïncidence, ajouta-t-il une fois son récit terminé, ou à une machination mais nous ne comprenions pas comment Saori s'y prenait pour faire apparaître les doubles des Enfants sacrés. Cependant les récents événements apportent de l'eau à notre moulin et je suis convaincu à présent qu'elle se sert des pouvoirs d'Hécate pour nous écarter de son chemin.

- C'est possible et même plus que probable Sorrente, répondit la Reine. Cependant, vous devez être très prudents. Tombée dans l'oubli ou non, Hécate reste une Déesse au même titre que Séléné ou Artémis. Vous ne pouvez pas l'affronter directement et encore moins sans preuve tangible.

Nous acquiesçâmes nerveusement. Miryna avait raison. Il nous fallait des preuves avant de pouvoir confronter Hécate. Et quand bien même, nous ne pourrions pas l'affronter nous directement. Il faudrait qu'Athéna en personne s'en charge.

Je soupirai et listai mentalement la liste de nos priorités.

Premièrement et puisque nous étions là pour ça, il fallait convaincre Miryna de relâcher volontairement, à l'occasion des célébrations, sa surveillance de la cuirasse pour donner ainsi à notre voleuse une occasion en or pour récidiver. Mais cette fois, nous serions sur nos gardes. Si elle intervenait de nouveau, il fallait à tout prix l'attraper.

Deuxièmement, l'un de nous devait aller parler au Phoenix. Ikki avait déjà eu affaire aux chevaliers noirs. Il avait été leur chef pendant un temps, sans doute pourrait-il nous éclairer sur leur existence. Il était admis que les chevaliers noirs étaient une sorte de « côté obscur » des chevaliers mais comment, par tous les Dieux, comment Hécate faisait-elle pour les créer ?

Troisièmement, et c'était le sujet qui me faisait le plus peur, il fallait mettre le casque en sûreté. Si les « enfants sacrés noirs » nous ressemblaient en tout point, alors il leur serait facile de pénétrer discrètement au Paradis Blanc pour dérober notre partie de l'armure sacrée. Et sans le casque… notre avantage s'envolait définitivement.

Fort heureusement, Miryna s'avéra être moins difficile à convaincre que je ne l'avais imaginé. Elle accepta notre plan et promit de diminuer- sans que cela soit flagrant - la surveillance de la cuirasse le temps des célébrations, à condition toutefois d'élargir le périmètre du cosmos sacré à une bonne partie de la forêt environnante. Le cosmos sacré, mon Lecteur Inconnu, est le cosmos divin qui baigne le sanctuaire de chaque divinité et qui interdit que l'on puisse, entre autre, se téléporter. C'était une bonne idée. De cette manière, mon double noir ne pourrait se téléporter directement en sortant du sanctuaire. Il lui faudrait courir à la frontière en traversant ainsi une bonne partie de la forêt ce qui nous donnerait la possibilité de lui courir après.

La réunion étant terminée, nous nous apprêtions à prendre congé de la Reine et regagner nos quartiers lorsque Miryna, faisant signe à Sorrente de partir, me retint auprès d'elle. J'avoue mon Lecteur inconnu que j'avais redouté ce moment. Celui où la Reine me proposerait de passer la nuit au sanctuaire et très probablement dans ses propres appartements. Je me contentai de décliner poliment et avec diplomatie son offre prétextant que je préférai rester sur mes gardes toute la nuit.

- Rester sur tes gardes, me répondit-elle malicieusement en me retenant par le bras, ou rester avec ton maître ?

Surprise, je ne répondis pas mais je pris peur. Était-ce tellement évident ?

Elle émit un petit rire et se rapprocha de moi, joueuse. Joueuse, aguicheuse, Miryna n'avait pas changé depuis notre dernière rencontre. Elle me caressa tendrement le visage, attardant son pouce sur mes lèvres.

- Je n'avais vu un homme réussir l'exploit de me sourire poliment tout en me fusillant du regard en faisant, inconsciemment sans doute, un pas dans ta direction. Il est du genre possessif.

Doucement, je me dégageai de son étreinte sans la brusquer.

- Non, répondis-je. Il est du genre amoureux.

- Et toi ? me demanda-t-elle moqueuse. Tu es du genre obéissante à ton maître ?

Cette remarque me blessa et je pense que Miryna s'en rendit compte. Elle venait de sous-entendre que je me pliai aux volontés de mon maître par pure obéissance. Que cet amour n'était pas réciproque.

- Non, rétorquai-je plus brusquement. Je n'obéis qu'à mon cœur.

Son visage se radoucit et elle me sourit tendrement.

- Je t'ai blessé par cette remarque. Pardonne-moi.

Puis elle se rapprocha à nouveau, mais cette fois, son attitude avait quelque-chose de plus maternelle.

- Et ne t'inquiète pas. Vos sentiments ne sont pas visibles, mais dis-lui tout de même d'être moins sur la défensive quand quelqu'un s'approche de toi.

Rapidement, Miryna déposa un baiser papillonnant sur mes lèvres et s'éloigna en me faisant un clin d'œil.

- Passe une bonne nuit.

Je poussais un soupir de soulagement et commençai à rentrer en direction des quartiers qui nous avaient été assignés. De toute façon, mon Lecteur inconnu, il était hors de question que je puisse passer la nuit avec Mû, pas avec cinq autres chevaliers présents dans la même maison.

Le lendemain commencèrent les célébrations en l'honneur de la Déesse Artémis. Vêtue en amazone, j'assistai à la cérémonie religieuse au temple principal tandis que mes compagnons attendaient en dehors du sanctuaire. La cérémonie fut très joyeuse et l'on me coiffa, de même que les prêtresses, d'une couronne de fleur blanche. En tant qu'invitée représentant à la fois Séléné et Athéna, j'eus l'honneur de porter le plateau d'or garni de sel, reçu des mains de la Reine, pour le déposer au pied de la statue de la Déesse. Et commença alors une entraînante musique où toutes les amazones, guidées par la Reine, se prirent par la main et entamèrent le tour du sanctuaire en dansant. Antiope m'attrapa par le bras et nous nous joignîmes à cette joyeuse farandole.

Tout l'après-midi durant, ce ne fut que fête, festin et jeux. Exceptionnellement, et pour faire honneur à Athéna et Séléné, hormis la célébration religieuse du matin dans le temple, le reste des festivités se passa en contrebas du sanctuaire pour que les hommes puissent se joindre à la fête.

On s'échangea les cadeaux des sanctuaires. On fit de beaux discours d'amitié. On se mélangeait les uns les autres et chacun parlait gaiement avec tout le monde. Et perdus parmi cette atmosphère de joie, seuls Sorrente et moi gardions tous nos sens en alerte, nous interdisant de nous abandonner complètement. Notre cosmos à la plus haute intensité que la discrétion pouvait nous le permettre, sondait et re-sondait inlassablement chaque partie du sanctuaire dans une attente pénible.

J'attendais qu'elle vienne, ma jumelle noire. Je voulais la voir. Je voulais la découvrir. Je voulais comprendre comment un tel phénomène était possible. Et en effet, au beau milieu de l'après-midi, alors que la fête battait son comble… elle vint.

Au début, je n'ai pas trop compris. Je ne la sentais même pas. C'est lorsque j'ai remarqué, en sondant une énième fois le sanctuaire, que mon propre cosmos me revenait, que j'ai commencé à suspecter quelque chose d'étrange. Sorrente était trop loin le prévenir. Et sans doute sentait-il lui aussi ce cosmos, mais il ne le différenciait pas du mien. Le cosmos s'éloignant à grand pas, je ne pris plus le temps de m'interroger davantage et m'éclipsai discrètement de la fête. Une fois hors de portée de vue, je m'élançai dans les bois, courant à en perdre haleine, me guidant sur ce cosmos si familier.

C'était tellement étrange comme sensation, mon Lecteur inconnu. C'était comme si je me pourchassais moi-même. Mais je devais la rattraper. A tout prix, je devais la rattraper. Si elle fuyait ainsi, c'est qu'elle avait réussi son forfait. La Reine avait consenti à relâcher la protection de la cuirasse par notre faute, si elle parvenait à s'échapper avec, nous en serions responsable auprès d'Artémis.

Je courais à travers le bois lorsque soudain, je sentis en deuxième cosmos se joindre au mien. Quelqu'un courait derrière moi. Mû ! Mû m'avait sans doute vu m'éclipser et il m'avait suivi. Je serrai les dents d'impuissance. Non, non, non ! Le Pope ne voulait pas mêler son disciple à cette affaire. Mais mon maître était en mesure d'exiger des explications à mon comportement pour le moins étrange. Je pressai le pas. Je devais la devancer avant qu'elle n'atteigne les limites du cosmos sacré. Tant pis pour mon maître, je trouverai une explication plus tard, je n'avais pas le temps de l'attendre. Brusquement, je bifurquai pour couper la route à ce double maléfique. Elle était proche, je pouvais le sentir, alors je gonflais mon cosmos, me retournai brusquement, et lançai le crystal wall devant moi. Elle s'arrêta brusquement puis fut violemment rejetée en arrière par mon mur de cristal. La cuirasse tomba à mes pieds. Elle avait dû la lâcher sous la violence de l'impact. Je m'empressai de la ramasser alors que Mû me rejoignait. Surpris, son regard passa sur la cuirasse que je tenais serrée dans mes bras et il m'interrogea du regard. Je lui fis de se taire. Passée la violence du choc, ma jumelle avait eu la présence d'esprit d'éteindre son cosmos. Je ne la voyais pas, je ne la sentais plus.

Je me demandai si, elle aussi, souffrait de la malédiction du regard des Enfants sacrés. Autrement dit, je me demandai si, cosmos éteint, elle était aveugle puisqu'elle ne pouvait pas ouvrir les yeux. Elle devait sans doute se terrer tout près, cachée quelque part entre les arbres, prête à fuir ou attaquer.

Elle prit la mauvaise décision. Elle attaqua.

Brusquement, elle sortit de derrière un arbre… et je sentis le temps se ralentir. Je la vis apparaître devant moi comme dans un rêve. Plongée dans un état second, je me vis moi-même face à moi-même. Oui, elle était noire. Ses cheveux étaient noirs, et ses yeux, répondant à la question que je m'étais posée quelques secondes auparavant, étaient grands ouverts et ils étaient d'un noir profond. Même sa peau, pâle et grise, semblait n'avoir jamais connu autre chose que le soleil des enfers. Elle enflamma son cosmos, il était identique au mien. Et subitement, sans comprendre, je sentis des bras qui m'enveloppèrent, je sentis un corps qui se colla au mien et qui pivota pour prendre le coup à ma place. Je ressenti l'impact du choc à travers cette enveloppe protectrice et je compris brusquement :

Mû venait de me protéger de son corps !