La grotte de Pottenstein
- Et je savais que ce n'était pas un bon signe…
Les derniers mots de Mû ce soir-là résonne encore dans mon esprit comme une funeste prophétie… Mû avait raison. Recevoir un présent de la part d'un Dieu n'a jamais signifié qu'une seule chose dans toute l'Histoire : malédiction.
Les Dieux ne nous donnent, à nous autres pauvres mortels, des armes que pour mieux nous envoyer au combat. Un cadeau, certes, mais aussi et surtout, un pardon. Désolé de t'envoyer à la mort… Et cela, mon maître l'avait fort bien compris.
…...
Force m'est de devoir avouer, mon Lecteur Inconnu, que je m'étais attendue à voir Mû chercher à prendre la tête des opérations. Etant mon maître (et accessoirement mon amant…) et étant quant à moi, la cible principale, je pensais qu'il allait chercher par tous les moyens à diminuer ma visibilité auprès de Saori. Mais il n'en fut rien. Mû s'aperçut bien vite que je n'étais dans cette guerre qu'un soldat obéissant aux ordres, et les ordres, dans l'ombre, c'était Shion qui les donnait.
Je ne suis pas ce que tu appellerais aujourd'hui un leader, mon Lecteur Inconnu. Je ne prends pas les décisions. J'exécute les ordres. Je suis un bon soldat. Et cela me convient parfaitement. Dès l'instant où Shion est apparu dans l'équation de cette guerre, je me suis placée sous son commandement. Certes, les rôles traditionnels sont inversés. Généralement, c'est le leader qui est dans la lumière et celui qui obéi qui est dans l'ombre. Ici, seul le bras est visible, le cerveau, lui, reste tapi dans l'obscurité. Et le cerveau, en l'occurrence, le véritable cerveau derrière tout ça… c'était Athéna.
…...
La visite au Phoenix pour en savoir plus sur les chevaliers noirs ne nous avait, malheureusement, rien appris. Ikki, de ses propres dires, s'était contenté de prendre leur tête sans chercher à connaitre leur origine. A ce moment-là, avait-il avoué à Sorrente et Dohko qui étaient partis l'interroger, obsédé par son idée de vengeance et de destruction, il ne s'était pas posé de questions. Une explication difficile à accepter maintenant et pour nous, mais qui, prise dans le contexte, tenait la route, il nous fallut bien l'admettre.
Quoi qu'il en soit, nous n'étions pas plus avancés. Le temps jouait contre nous, il nous fallait à tout prix découvrir l'origine de ces doubles maléfiques.
Des jours durant, Mû et Shion ont écumé la bibliothèque du sanctuaire pour tâcher d'en apprendre davantage sur ce phénomène, en vain malheureusement. Et Dohko se pencha sur le sujet à travers d'autres ouvrages asiatiques.
Tous, nous rongions notre frein. Mais en attendant, Sorrente et moi avions toujours une tâche des plus importantes à accomplir. Pris dans les recherches sur nos jumeaux noirs, nous avions laissé de côté le casque. Pour le moment, les ordres avaient été donnés aux prêtres du Paradis Blanc, mais ce n'était pas suffisant.
Nos doubles noirs étaient toujours dans la nature, et ils pourraient leur suffire d'agir avec ruse, ou avec force, pour s'en emparer. Je te l'ai déjà dit, Lecteur Inconnu, et je le répète, les prêtres du Paradis Blanc ont toute notre confiance… mais ce ne sont pas des guerriers. Nous profitâmes donc d'une réunion pour demander au Pope un congé de quelques jours.
- Altesse, nous devons nous absenter pour un jour ou deux. Le Paradis Blanc, comme vous le savez, possède également une partie de l'armure divine. Il est impératif de la mettre à l'abri.
- Mais qu'allez-vous en faire ? nous demanda Dokho avec curiosité.
Nous nous sommes contentés de secouer simplement la tête et de lui sourire avec confiance.
- La mettre en sécurité, répondit Sorrente.
Shion acquiesça, se contentant de nous laisser partir. Je le soupçonnais de vouloir profiter de notre absence pour s'occuper à son tour du bouclier, confié à Athéna et le mettre également en sécurité.
Avant notre départ, et une fois seuls dans notre petite maison avec la Lune d'argent, à l'abri des regards, nous nous livrâmes à un bien étrange rituel pour qui ne connait pas les Enfants Sacrés. Armés d'un couteau, nous avons entrepris de nous ouvrir la paume de la main droite. Une longue entaille partant de la base de l'index et qui suivait la ligne de cœur. Un signe de reconnaissance pour les cas d'urgences destiné à communiquer avec nos jumeaux.
Je t'explique, Lecteur Inconnu. Rappelle-toi que même par le biais de nos cosmos, nous ne pouvions pas communiquer avec Tristan et Virgo. Même si nos cosmos ressemblent à si méprendre à ceux de nos jumeaux, le risque qu'un des spectres d'Hadès ne l'intercepte était trop grand. Il ne faut pas sous-estimer les juges de l'Enfer. Lors de notre précédente rencontre, il y avait de cela bien des années, nous avions alors décidé d'un signal pour nous permettre de nous contacter les uns les autres en toute discrétion. Puisque le cosmos ne nous était pas autorisé, nous avions dû convenir d'un moyen plus « physique ». L'entaille les blesserait eux aussi, sans toutefois les handicaper. Et ils comprendraient le message. Ils viendraient au rendez-vous.
Je passais une dernière fois par le temple du bélier avant mon départ pour aller voir Mû. Pour cette fois, il n'était pas inquiet. Je ne partais que quelques jours et je me rendais au Paradis Blanc. Cependant, son regard s'assombrit lorsqu'il décela la coupure à ma main.
- Que t'es-tu fait à la main ? me demanda-t-il en toute logique.
- Ce n'est qu'une petite coupure sans importance… répondis-je.
Tendrement, il me prit la main et la porta à ses lèvres.
- Il y a encore des secrets que tu ne me dis pas, n'est-ce pas ? me demanda-t-il doucement.
- Il y a encore des secrets que même le Pope ne sait pas, soupirai-je. Je n'ai pas le droit de trahir la confiance de la Déesse de la Lune.
Je le rassurais d'un baiser. Il me sourit simplement, me laissant partir sans me poser plus de questions.
Nous arrivâmes bien vite au Paradis Blanc. Tristan et Virgo nous y attendaient déjà.
Quelle joie, mon Lecteur Inconnu, que de pouvoir serrer à nouveau contre nos cœurs nos jumeaux. Il y avait tellement longtemps que nous ne les avions pas vus. Ils avaient changé… quoique pour Virgo, il me suffisait d'un regard à Sorrente pour savoir à quoi il devait ressembler à tout moment. Tout de même… sept ans ! Il s'était écoulé sept ans depuis la dernière fois. Que de choses s'étaient produites durant ces années… que de choses dont, ni les uns, ni les autres, ne pouvions parler.
Il parait que sept années représentent un cycle… comme le tour d'une horloge. Je tremblais secrètement de savoir ce que le cycle suivant pourrait bien nous apporter et je dois avouer, que j'en étais plutôt pessimiste.
Mais pour ce soir, pour quelques heures volées à la destinée, nous avons mis nos Dieux respectifs de côté, et nous avons simplement savouré nos retrouvailles dans une ambiance de fête chaleureuse. Une fête, juste une fête pour quelques heures...
Malheureusement toute fête, à un moment ou un autre doit arriver à sa fin. Il vient forcément un moment où les rires, même les plus joyeux finissent par s'estomper et ils se dispersent dans le vent. Un moment où les regards se font soudain plus curieux, les visages redeviennent plus graves, et où les questions muettes deviennent alors une criante évidence.
Tristan et Virgo n'avaient pas manqué, malgré toute l'allégresse des retrouvailles, de remarquer la légère méfiance des prêtres envers Sorrente et moi. Et à juste titre… quand on connait l'histoire. Ils réclamaient une explication. Nous la leur donnâmes, ainsi qu'aux prêtres. Tous, dans les grandes lignes, avaient le droit de connaitre la vérité. Et les prêtres, non plus, ne la connaissaient pas. Sorrente leur avait simplement dit de garder le casque éloigné de lui-même et de moi, sans leur fournir plus de détails.
Nous inspirâmes profondément avant de commencer notre récit. Les chevaliers d'Athéna ne sont pas censés parler des affaires du Sanctuaire avec les spectres, mais nous n'avions pas le choix. Il nous fallait des alliés insoupçonnables et en qui nous pouvions avoir une confiance absolue. Personne, pas même Saori, ne pourrait débusquer ces alliés-là.
…..
Ô mon Lecteur Inconnu… si tu savais à quel point, aujourd'hui que je t'écris ces lignes, je me félicite d'avoir pris une telle décision. Les Moires ont, pour tous les êtres, un dessin particulier. Et au moment de faire ces révélations, je ne savais pas encore combien mes frères, allaient m'être de précieux alliés. Ils allaient avoir dans cette affaire, un rôle que je ne pouvais même pas encore imaginer…
…..
Pour commencer, je me contentais de leur poser une simple question.
- Vous souvenez-vous de la légende de l'armure sacrée ?
Surpris, ils acquiescèrent néanmoins. Sorrente alors se tourna vers le prêtre gardien.
- Père, montrez-leur !
Et voyant son air méfiant, il hocha la tête pour le rassurer.
- Swann et moi restons ici.
Ils partirent tous ensemble. Nous restâmes sans bouger, attendant sagement leur retour, sans chercher à savoir dans quel endroit les prêtres avaient dissimulé le casque. De toute manière, l'artefact ne resterait pas bien longtemps au Paradis Blanc.
Et ils revinrent, quelques minutes plus tard, visiblement émus. Je les comprends. On ne peut admirer pareille splendeur sans être touché par sa beauté. Ils reprirent tous place à nos côtés, prêts à entendre notre récit.
L'histoire ne fut pas longue et elle ne fut pas détaillée. Nous nous en sommes tenus au strict minimum pour leur permettre de comprendre. En gros, Saori avait échappé au contrôle d'Athéna, elle cherchait par tous les moyens à récréer l'armure sacrée pour s'approprier son pouvoir et ainsi s'affranchir du dictât divin. Elle avait dans l'ombre des alliés surnaturels et puissants : nos doubles noirs et c'était la raison pour laquelle il nous fallait à tout prix conserver notre avantage et mettre le casque à l'abri. Tous comprirent parfaitement l'équation : pas de casque… pas de victoire.
Un grand silence vint accueillir ses révélations. Tristan et Virgo nous détaillaient du regard mais ne disaient rien. Il sentait que l'histoire avait été abrégée, simplifiée… peut-être trop simplifiée pensais-je en mettant le point final au récit. Censurée serait un mot plus juste pour être honnête. Je n'aimais pas cette manière de raconter cette histoire qui dans le fond, était surtout la mienne. Bâclée, résumée, ce n'est pas ainsi que je l'avais vécue… mais c'est ainsi que je me devais de la raconter.
Nous n'avions pas prononcé la moindre parole quant à Shion, Dohko ou Mû, ni même parlé du présent d'Athéna ou encore mentionné la prophétie. Pourtant, les prêtres connaissaient cette prophétie, mais Sorrente lui-même n'en connaissait pas les détails.
«… Femme contre femme dans une lutte acharnée,
Sera le choix d'une âme au cœur blessé. »
Ce fut mon choix également de passer certaines strophes sous silence… même pour mes propres frères.
Sorrente vint rompre le silence, se tournant vers nos jumeaux, il appuya son regard dans un avertissement.
- Hadès ne doit jamais rien savoir de cette histoire, les prévint-il. Trop de vies en dépendent…
Virgo se contenta de lever sa main pour le faire taire et nous rassurer. L'avertissement était inutile. Tous, nous ne savions que trop bien quelles seraient les conséquences si l'ennemi juré d'Athéna venait à apprendre une telle nouvelle. Une guerre… une nouvelle guerre ferait son apparition, et nous nous retrouverions propulsés dans des camps ennemis, forcés à nous combattre les uns les autres.
- Nous vous faisons serment, sur Séléné notre mère, que pas un mot de tout cela ne franchira nos lèvres, jamais !
Le serment était scellé même s'il n'était pas nécessaire. Si nous avions, Sorrente ou moi-même, eu le moindre doute quant à la loyauté de nos jumeaux, jamais nous ne leur aurions parlé.
- Cependant, continua Tristan, je ne vois pas bien quel est le rôle que vous souhaitez nous faire jouer dans cette histoire.
- Pas un rôle, répondit Sorrente. Mais une aide.
- Géographique, précisais-je. Comme nous vous l'avons mentionné plus tôt, Saori a réussi, on ne sait pas encore comment, à créer nos doubles noirs. La ressemblance est à s'y méprendre.
- Moi-même, enchaina Sorrente, je n'ai pas été capable de différencier le cosmos de Swann de celui de sa jumelle.
Virgo poussa une exclamation de stupeur. Sorrente continua.
- Alors imaginez, avec quelle facilité nos doubles noirs pourraient s'introduire au Paradis Blanc et dérober le casque. Au nez et à la barbe de tous ! L'enjeu est trop dangereux pour prendre ce risque. Il faut impérativement sortir le casque du Paradis Blanc.
Virgo et Tristan acquiescèrent en chœur.
Le grand prêtre, qui jusque-là était resté silencieux, se manifesta soudain. Il s'approcha de nous, solennel.
- Le casque fut autrefois confié à la garde de la Déesse de la Lune par le Dieu des Dieux, déclara-t-il. Il est de votre devoir, en tant qu'Enfants Sacrés, de le protéger s'il s'avère être menacé.
Il marqua un instant de silence et reprit d'une voix tremblante.
- Tous unis, pour défendre l'honneur de votre mère…
Il laissa un regard empli de fierté et d'émotion courir parmi nous puis, inopinément, il attrapa brusquement le bras de Virgo, qui était le plus proche de lui, et le serra avec émoi.
- Mes enfants… ! termina-t-il la voix hachée.
Nous ne pûmes retenir un instant de surprise à voir le grand prêtre de la Lune serrer contre son cœur un Virgo tout aussi stupéfait que nous.
Il est pourtant vrai que les prêtres nous avaient toujours, tous, considérés comme leurs propres enfants, mais jamais encore, aucun d'entre eux ne nous en avaient fait une démonstration aussi… émouvante et spontanée.
…..
Le lendemain, nous quittâmes les prêtres. Nos jumeaux avaient eu la nuit pour réfléchir à notre demande et ils avaient trouvé, selon eux, l'endroit idéal. Le casque, bien dissimulé et protégé sous plusieurs couches de linge, était en sécurité dans les bras de Tristan. Une invitation à les suivre, et nous nous téléportâmes sans perdre plus de temps.
A notre arrivée, nous découvrîmes un étroit sentier de terre battue serpentant au milieu d'une montagne verdoyante. Le cadre était vraiment charmant, peu propice à nous faire deviner ce que nous allions y trouver.
- Où sommes-nous ? demandais-je.
- En Allemagne, me répondit Tristan, dans la région de Bavière.
Puis, pointant du doigt une partie intérieure de la montagne, il continua :
- Au sein de cette montagne se trouve une grotte célèbre. On l'appelle la grotte de Pottenstein, en référence au village dont elle dépend.
Nous continuâmes d'avancer sur quelques mètres. Je dois reconnaître que la densité de la végétation ainsi que l'étroitesse du sentier qui suivait les flancs de la montagne ne nous préparèrent pas, Sorrente et moi, à la découverte que nous allions faire quelques pas plus tard.
C'était une magnifique et chaude journée de printemps. Le soleil brillait de toutes ses forces dans le ciel et les arbres de la montagne ainsi que les parois de celle-ci offraient une très agréable protection face aux assauts des rayons d'Hélios. Une légère brise venait alors faire chanter les feuillages, offrant un peu de fraîcheur aux voyageurs et apaisant étrangement les esprits. C'était là un paysage vraiment idyllique et nous nous surprîmes tous, Sorrente et moi en particulier, à ralentir quelque peu la marche pour en profiter davantage et respirer un peu plus profondément. Quelques mètres encore, puis un dernier virage sec et nous nous retrouvâmes face à un spectacle qui nous laissa bouche bée de surprise…
Face à nous s'étendait un immense parking, remplis de voitures de toutes les formes et de toutes les couleurs. Des centaines de touristes allaient et venaient entre les véhicules, montaient et descendaient de bus immenses. Les quelques coins d'herbes encore disponibles étaient pris d'assaut par des familles entières armées de paniers de pique-nique et quelques mètres plus haut, sur une terrasse artificielle dominant les flancs de la montagne s'étendait un vaste restaurant qui n'affichait pas une seule table de libre. Partout, des cris, des enfants qui couraient, des personnes qui se prenaient en photo devant un long escalier noir de monde et qui menait à l'entrée d'une grotte dont la visite promettait d'être spectaculaire.
Je restais un instant sous le choc de cette vision. Le contraste entre le sentier de montagne si calme, si tranquille et cette atmosphère touristique et chaotique, était d'autant plus grand que la végétation avait couvert les bruits qui nous assaillaient à présent. Les gens ne parlaient pas… non ! Ils hurlaient. En allemand, en anglais, en espagnol, en chinois…
Furieuse, je me tournai brusquement vers mes frères.
- Vous vous foutez de nous ? C'est au milieu des touristes que vous comptez dissimuler l'un des artefacts les plus précieux au monde ?
Virgo leva les mains vers moi dans un geste d'apaisement avec un petit sourire mutin.
- En quelque sorte… oui, me répondit-il.
Et voyant que la moutarde commençait à me monter au nez et connaissant mon caractère impétueux, il s'empressa de m'enjoindre au calme et surtout à baisser la voix. Il est vrai qu'il est très rare de croiser des touristes parlant grec en Allemagne, mais prudence est mère de sûreté. Les spectres nous firent signe de les suivre en silence.
Au milieu de cette cohue de spéléologues amateurs, nous passâmes fort heureusement inaperçus. Après tout, nous n'étions évidemment pas vêtus de nos armures / surplis, et nos tuniques d'entrainement nous faisaient paraître, tout au plus, quelque peu excentriques aux yeux du monde extérieur.
Franchissant tant bien que mal les hordes de barbares touristiques, Virgo nous entraîna vers un panneau explicatif écrit en allemand au pied des escaliers. Il prit alors un ton de voix professoral.
- La grotte de Pottenstein est également appelée « la grotte du Diable ». La légende raconte que c'est l'une des entrées au royaume des Enfers. On prétend qu'aux temps anciens, nombres de voyageurs s'y seraient aventurés mais qu'aucun n'en est jamais ressorti vivant et plusieurs témoignages auraient affirmé avoir entendu des lamentations d'outre-tombe sortir de ce lieu.
Il étaya ses dires en nous montrant plusieurs photos de salles obscures prises dans cette même grotte et que le panneau montrait fièrement. Au vue des photos, il faut avouer que la grotte, effectivement, bien que très belle, pouvait s'avérer terrifiante. Puis il nous fit signe de le suivre et nous conduisit dans un autre sentier à quelques mètres de l'entrée principale. Puis nous retournâmes nous perdre dans la forêt.
Je dois avouer, mon Lecteur Inconnu, qu'à présent loin du monde moderne et « ordinaire », je respirais beaucoup mieux. Nous parcourûmes ainsi plusieurs kilomètres, nous éloignant du sentier, nous frayant un chemin au milieu de la montagne en pente pour aboutir alors vers ce qui était, vraisemblablement, l'autre versant. Le chemin, je dois bien l'admettre, avait été relativement facile pour nous, mais devait constituer une difficulté majeure pour la plupart des personnes. De l'autre côté, le contraste avec la vision enchanteresse d'une montagne verdoyante et paisible était saisissant. Ici une abrupte falaise dont le moindre faux pas tuait à coup sûr le randonneur téméraire qui aurait la mauvaise idée de s'y aventurer. Le sol était poreux, instable sous les pieds et menaçait à tout moment de faire rouler sous les pieds une pierre traîtresse qui vous enverrait directement dans la gueule du précipice. Pourtant, c'est justement dans cette gueule-là que nous nous dirigions. Après quelques acrobaties en descente, que Tristan effectua s'aidant d'une seule main – l'autre main tenant fermement le casque – nous arrivâmes en vue d'une vaste terrasse, naturelle cette fois.
Le paysage était à la fois désolé et magnifique. De ce côté de la montagne, pas de soleil, pas de verdure. Juste une très grande étendue de pierre, une vertigineuse falaise, et une ligne d'horizon qui se perdait au loin. Et au pied de la montagne, une autre entrée, plus modeste cette fois-ci mais plus inquiétante également.
- Voici la véritable porte des Enfers, nous désigna Tristan d'un geste de la main en se dirigeant vers l'entrée.
Et nous pouvions clairement sentir que l'atmosphère avait changé. Plus lourde, plus oppressante. Jamais encore, ni Sorrente, ni moi, n'avions été aussi près du royaume d'Hadès. A la suite des deux spectres, nous pénétrâmes dans la grotte. Elle était obscure, sinistre. Après quelques mètres d'un couloir dessiné par des stalactites et des stalagmites noires, nous débouchâmes dans une salle plus spacieuse et aux allures cauchemardesques.
Virgo nous fit signe de nous arrêter-là et nous désigna une autre « porte » marquée du sceau d'Hadès.
- Nous sommes dans l'une des entrées du royaume des Enfers. Pour le moment, votre cosmos n'est pas détectable par les spectres mais si vous franchissez cette porte, vous serez surement repérés.
- Comment se fait-il que cette entrée ne soit pas gardée ? demanda Sorrente.
- L'Enfer possède beaucoup d'entrées à travers le monde, répondit Tristan. Celle-ci est l'une des plus difficiles d'accès et les autres sanctuaires ne connaissent pas son existence.
Virgo nous jeta un regard d'avertissement.
- Si Athéna venait à apprendre l'existence de cette entrée et qu'elle s'en servait pour envahir notre royaume…
Ce fut à notre tour de lever les mains en signe d'apaisement.
- Athéna entendra parler de cette entrée, lui répondis-je.
Et voyant qu'ils s'apprêtaient à protester tous les deux, je me hâtai de continuer :
- Mais je vous donne ma parole qu'elle ne s'en servira pas pour envahir le royaume d'Hadès. Dans cette partie de la grotte, le cosmos d'Hadès n'est pas omniprésent. Nous ne lui dirons simplement pas où mène cette entrée.
Puis Sorrente et moi levâmes les mains devant nous en forme de serment.
- Nous vous donnons notre parole, sur Séléné notre mère, que nous ne révélerons jamais à quel lieu mène cet endroit.
Nos frères se contentèrent de hocher la tête, rassurés.
- Cependant, reprit Sorrente, je ne comprends pas. Pourquoi ne pas nous être téléportés directement de ce côté ? Pourquoi nous avoir fait passer par l'entrée touristique ?
- L'entrée de l'autre versant, répondit Virgo, n'est rien d'autre qu'une grotte naturelle dont la légende a alimenté la célébrité. C'est une très belle grotte, certes, mais elle ne mène pas au royaume des Enfers. La véritable porte est ici. C'est un portail menant à la dimension infernale.
- Les Hommes, continua Tristan, s'imagine que pour accéder aux Enfers, il faut descendre aux tréfonds de la Terre, or ce n'est pas ainsi que ça marche.
J'acquiesçais d'un signe de tête. En effet, pour entrer aux Enfers, il ne suffit pas descendre un très long escalier comme la croyance populaire se plait à le croire. Preuve en est simplement, l'attaque d'Angelo avec les cercles d'Hadès, ou encore, les pouvoirs de Shaka qui pouvaient envoyer un ennemi directement dans l'un des Enfers.
- Nous avons voulu vous faire voir l'autre versant de la montagne pour vous donner des armes pour tromper Saori si besoin est, continua Virgo. Elle ne pourrait imaginer, si elle venait à le découvrir, que vous avez caché le casque de Dynamis dans un endroit aussi fréquenté.
Ainsi donc le casque fut dissimulé. Caché dans une paroi dans une grotte à la frontière du monde des vivants et de celui des morts. Pas exactement au royaume d'Hadès, mais plus tout à fait sur Terre non plus. Placé sous la protection de deux gardiens spectres dont Athéna, et par conséquent Saori aussi, ignorait l'existence.
En sortant de cette grotte, je me sentis plus libre de respirer. Le casque était à l'abri.
Cependant…
Mon Lecteur Inconnu… les Moires ont un sens de l'humour particulier. Nous avions demandé à Virgo et à Tristan une cachette pour le casque. Un endroit que même Saori ne pourrait pas trouver.
Aujourd'hui et avec le recul… prête à vivre ce que je suis sur le point de vivre… je crois bien qu'en plus d'une cachette sûre et insoupçonnable… peut-être – sans le vouloir – m'ont-ils également offert un tombeau.
