Le frère et l'amant

Mon Lecteur Inconnu… L'instant était purement délicieux. Une simple petite escapade durant laquelle on a tous deux oublié le lieu et les personnes qui nous entouraient. Un instant charmant.

Nous marchions en direction de la plage, parlant à voix basse, échangeant les informations que nous avions glanées ici et là. Simplement un maître et sa disciple dans l'enceinte du sanctuaire, rien de plus. Puis arrivés à la plage, il a relevé la tête, regardé autour de lui et il m'a pris par la main.

A ce moment-là, tout a changé. Plus de disciple, plus de maître, plus de discussion stratégique. Une simple promenade romantique, sur une plage déserte. Une main qui cherche sa jumelle, un homme qui sourit amoureusement, un rire qui s'estompe dans le vent, des mots doux murmurés… Quelques pas encore pour arriver à une petite crique cachée des regards indiscrets et les pas se firent plus pressant…

Il m'a emmené au cœur de cette crique. Il m'a poussé gentiment contre les rochers. Il a emprisonné mes bras de sa main dans mon dos. Il m'a plaqué contre son corps. Il a commencé à dévorer mes lèvres et ma gorge de ses baisers. Il a attrapé mes cheveux de son autre main pour me faire basculer la tête en arrière…

Franchement, comment, à ce moment-là, Camus aurait-il pu comprendre ?

La position était délicieuse, vraiment délectable… mais je peux comprendre qu'elle portait à confusion pour un regard extérieur.

...

Vois-tu, Mû est un dominant en amour. Il aime avoir le contrôle sur moi. Et moi, je me soumets bien volontiers. J'adore quand il me prend de cette manière, passionnée ! Mû n'a jamais, jamais été violent ou contraignant. Ce sont ses gestes.

Pour n'importe quel regard extérieur, pour qui ne le connait pas, Mû est un froid, indifférent. En public, il est distant, détaché, sévère. Mais en privé... à l'abri des regards, il est protecteur, tendre et surtout… il est passionné !

Alors je peux comprendre que pour un regard extérieur… surtout celui de Camus, la passion ait été interprétée comme une menace… Le délectable moment… peut-être comme une tentative de soumission forcée.

...

- Mû !

Le cri de rage avait surgi de nulle part, nous surprenant tous deux.

J'ai réagi brusquement. Attrapant Mû par le bras, me plaçant devant lui, parant l'attaque qui lui était destinée.

- Camus arrête ! m'écriais-je en le voyant foncer droit vers nous. Ce n'est pas ce que tu crois.

Mais il ne m'écoutait pas. Derrière lui, Milo semblait plus raisonnable, plus enclin à comprendre la situation avant de la juger. Moins impulsif, moins guidé par ses sentiments. Il tenta de retenir son amant qui le repoussa durement. Prudente, je m'avançai face à mon frère, un bras tendu devant moi pour l'inciter au calme.

- Ecarte-toi Swann ! me cria-t-il en tentant de m'esquiver et de lancer une nouvelle attaque sur Mû.

Attaque que je parai à nouveau évidemment.

- Comment oses-tu, s'exclama-t-il la voix hachée par la colère, profiter ainsi de la disciple qui t'a été confiée ?

- Camus, répliquai-je à nouveau. Tu te trompes !

Mais il ne me laissa pas continuer. Vivement, il me prit par le poignet pour me rapprocher de lui en un geste protecteur. Et cette fois, ce fut Mû qui mal-interpréta ce geste, gonflant son cosmos à son tour.

- Camus lâche-la !

- Mû, non ! m'écriai-je.

Brusquement, Camus m'envoya valser dans les bras de Milo pour tenir tête à son frère d'arme. Les deux hommes se faisaient face, visiblement en colère.

- Je t'interdis de la toucher ! s'exclama Mû.

- Tu n'as pas à m'interdire quoi que ce soit ! répliqua mon frère furieux.

- De quoi te mêles-tu ? Elle n'est pas à toi !

- Tu profites de ton statut de maître d'une façon ignoble.

Face à l'insulte, le Bélier pâlit de colère. Il avança de quelques pas, gonflant son cosmos et envoya une décharge sur le Verseau qui esquiva et répliqua immédiatement.

Mon Lecteur Inconnu, crois-le ou non, mais à ce moment-là, ni Milo ni moi-même n'avons esquissé le moindre mouvement, abasourdis tous deux par l'étrangeté de la situation. Voir les deux chevaliers, réputés comme étant les plus calmes du sanctuaire, perdre ainsi leur sang-froid et le sens des réalités avaient quelque-chose d'absolument irréel.

- Je ne me permettrais jamais d'abuser de Swann d'une quelconque façon, répondit Mû en détachant chacun de ses mots sous l'effet de la colère.

- Bien sûr que non, se moqua Camus. C'est pour cela que tu lui tenais les mains dans le dos ?

Un regard à Milo et nous décidâmes que c'en était assez. Je me précipitai entre les deux pour les empêcher d'avancer davantage tandis qu'il vint se placer derrière son amant pour le retenir.

- Camus, l'exhorta-t-il, écoute au moins leurs explications.

- Je n'ai rien à écouter, s'écria ce dernier en se débattant furieusement. Il manipule sa disciple pour profiter d'elle !

Et je me précipitai sur Mû qui poussa un cri d'indignation à la suite de ses accusations. Rapidement, je lui pris les mains pour museler une autre attaque et l'enjoindre au calme et je me tournai vers mon frère.

- Ça suffit !

Je me retournai ensuite vers Mû et serrai ses mains dans les miennes, puis je me blotti délibérément contre lui, entourant son visage de mes mains pour le calmer et muselant ses protestations d'un long baiser. Puis je me retournai à nouveau pour faire face à mon frère.

- Tu as mal-interprété la situation… lui dis-je doucement.

Mû me garda serrée contre lui un moment. Je le sentais respirer profondément pour se calmer tandis que mon baiser avait quelque peu douché la fureur de Camus.

- Je ne comprends pas, continua Mû faisant des efforts visibles pour tâcher de rester calme. Pourquoi es-tu en colère ?

- Pourquoi ? s'étrangla Camus qui se refusait de comprendre. Tu as poussé le vice à la manipuler !

- Gabriel ! m'écriai-je.

Je secouai la tête en poussant un soupir et me dégageai doucement de l'étreinte. Je fis quelques pas en direction de Camus.

- Gabriel ? me fit écho Mû déconcerté.

- Ce n'est rien, répondis-je doucement en tournant la tête vers Mû tout en continuant à m'avancer vers Camus. Ce n'est rien d'autre que la réaction viscérale d'un frère qui cherche à protéger sa petite sœur…

Puis je pris le visage de Camus entre mes mains et posai mon front sur le sien.

- Mais tu n'as pas à me protéger de l'homme que j'aime…

Un long silence vint en réponse à mes mots. Puis après :

- Sa petite sœur… ? murmura Mû

- L'homme que j'aime… ? souffla Camus.

J'étouffai un petit rire face à leur perplexité. Je pris Camus par la main et je nous rapprochai de Mû.

- Je crois que nous avons deux histoires à raconter…

Et je les racontai ces deux histoires… celle d'une petite fille qui avait grandi dans un château de la Bourgogne et celle d'une femme qui avait finalement ouvert les yeux pour ouvrir son cœur.

Une histoire d'amour et une histoire de fraternité… Même si, pour la première, il y eut certains passages que Mû et moi passâmes sous silence, celui de Saori par exemple; et pour la seconde, il y eut une nuit en particulier que Camus et moi ne dévoilâmes pas.

….

Mon Lecteur Inconnu, je reconnais bien volontiers que la situation à ce moment-là, à force de mensonge ou de dissimulation, devenait de jour en jour plus compliquée.

Certes, je le confesse… J'ai souvent tendance à être le parfait exemple de ces héros de roman que je déteste. Tu sais… ces héros qui, pour protéger les autres, ne dévoilent jamais rien. Ces personnages qui, quand on lit le roman, vous donnent juste envie de rentrer dans l'histoire pour leur mettre une paire de baffes. Toute la trame, toute l'histoire et bien souvent tous les problèmes, pourraient se régler en deux pages si le personnage principal communiquait avec les autres… C'est agaçant n'est-ce pas ?

Et ne me dis pas, Lecteur Inconnu, que c'est une envie que tu n'as pas eu au cours de cette lecture… Sinon, c'est que tu n'as pas bien lu mon histoire…

….

Le voile sur les relations avec mes deux hommes se levaient, et les tensions se dissipaient peu à peu. L'atmosphère commençait à se faire plus légère lorsque Camus fut soudain prit d'un doute…

- Mais dis-moi, demanda-t-il soudain en se tournant vers Mû, à quelle stade en êtes-vous dans cette relation ?

- Camus, s'indigna Milo, ne penses-tu pas que cela ne te concerne pas ?

Camus rejeta l'objection d'un revers de la main, scrutant le Bélier d'un œil acéré, évitant délibérément tout contact visuel avec moi. Il se rapprocha de Mû et détacha chacune de ses syllabes.

- As-tu couché avec ma sœur ?

J'esquissai un léger sourire face au désarroi de mon amant, prit au dépourvu par la question et qui commençait à rougir des pieds à la tête au souvenir sans doute de nos derniers ébats. Puis je décidai de lui venir en aide. D'un pas, je me plaçai face à mon frère, le visage provocateur.

- Non, lui répondis-je en un souffle crâne. Non, il n'a pas « couché » avec moi. Il m'a fait l'amour d'une façon extatique comme seul un homme passionné et amoureux sait le faire.

Camus soutint mon regard dans une froide colère et un gémissement d'exaspération se fit soudain entendre derrière lui.

- Swann…, se lamenta Milo en se frappant le front de sa main. Je ne suis pas sûr que c'était vraiment la réponse à donner…

… Alors que derrière moi, Mû n'avait pu s'empêcher, inconsciemment sans doute, de se gonfler de fierté tel un coq.

Ma sœur inconnue… les hommes…

Je me mordis la lèvre pour ne pas rire. Je savais parfaitement bien que je soufflai sur les braises d'un feu encore chaud.

Camus retint un geste de colère et attrapa Mû par le bras.

- Il faut qu'on parle…

Je les laissai partir avec un haussement d'épaule résigné. Ils s'éloignèrent.

Quelques secondes après qu'ils eurent disparus derrière la crique, Milo se laissa tomber à mes pieds.

- Tu es consciente, j'espère, que ta réponse n'a fait qu'envenimer les choses ?

Je me laissai choir à mon tour à ses côtés.

- Bien sûr ! Mais il fallait crever l'abcès. Camus et Mû sont tous deux des êtres dominants. Laissons-les discuter.

Milo esquissa un sourire en se tournant vers moi.

- Et ça ne te gêne vraiment pas d'être l'objet de leur domination ? Ça ne te ressemble pas de te laisser dominer.

- Me laisser dominer ? murmurais-je avec amusement.

Je secouai légèrement la tête et laissai échapper un petit rire.

- Ils ne me dominent pas Milo. Ils m'aiment, c'est tout. Chacun à sa manière. C'est pour cela qu'ils ont besoin de discuter entre eux. Camus connait parfaitement Mû et une grande confiance règne entre eux. Il a simplement besoin de faire quelque-chose qu'il n'aurait jamais cru pouvoir faire un jour…

Milo tourna la tête vers moi dans un élan de curiosité.

- Et c'est… ? demanda-t-il.

- Un discours de grand frère, répondis-je dans un éclat de rire.

Et Milo joignit son hilarité à la mienne.

...

Mon Lecteur Inconnu, cet après-midi-là nous avons ri de bon cœur le Scorpion et moi. Mais je pense que cela n'en restait pas moins une vérité. Camus avait besoin de faire son discours. Oui, il y avait entre Mû et lui une confiance absolue. Oui, tous deux se connaissaient et se respectaient depuis de nombreuses années. Ils avaient combattu ensembles. Ils étaient morts ensembles. Mais si confier sa vie à un frère d'arme est une chose… c'en est une autre que de lui confier sa petite sœur…

Après tout, quand on y pense… Shion lui-même ne m'avait-il pas, en quelque sorte, fait le coup du père protecteur ?

...

Puis je repris mon sérieux.

- Je vais peut-être te surprendre Milo, murmurai-je en laissant mon regard clos errer vers l'horizon, mais je ne suis pas une dominatrice. Je suis un chevalier… certes, mais tu n'as pas idée à quelle point j'ai besoin qu'on me contrôle.

Voyant son regard d'interrogation peser sur moi, je m'expliquai.

- J'ai besoin de cet amour Milo… J'ai besoin de sentir qu'on me bride de temps en temps. J'ai besoin de sentir qu'on a besoin de moi…

Le Scorpion se contenta de hocher simplement la tête. Je pense qu'il comprenait.

Nous sommes des chevaliers, des guerriers… les Dieux ont besoin de nous. Mais peut-être était-ce humain, certaines fois, de vouloir sentir que les Hommes aussi pouvaient avoir besoin de nous. Que nous pouvions être aimé, simplement aimé, pour ce que nous sommes et non pour ce que nous représentons.

- Et Mû, me demanda-t-il, de quoi penses-tu qu'il ait besoin de la part de Camus ?

Je haussai les épaules dans un sourire.

- Peut-être d'une bénédiction…

Oui, peut-être bien… Athéna, le grand-Pope et même la Déesse Aphrodite m'avait donnés tour à tour leur permission d'aimer mon maître. Peut-être Mû, lui aussi, avait-il simplement besoin d'une permission à son tour. Peut-être avait-il besoin, lui aussi, de défendre son amour…

- Alors tu l'aimes vraiment ?

Je souris face à l'innocence de cette question.

- Et plus même… !

Et Milo ne dit plus rien. Il se limita à passer son bras autour de mon épaule et à me rapprocher de lui. C'était bien plus que suffisant.

….

Ils revinrent, bien plus tard cet après-midi-là… Alors que déjà le soleil entamait sa descente dans le ciel. Je n'ai jamais su ce qu'il s'était dit entre eux et je n'ai jamais cherché à savoir. C'était-là quelque qui devait se faire uniquement entre eux.

Mais ils revinrent leur esprit apaisé et la hache de guerre enterrée. Mes deux hommes, amis comme auparavant.

Après cet épisode, nous fûmes invités à passer plus de temps dans la maison du Verseau ou dans celle du Scorpion et je dois dire que Mû et moi adorions les intermèdes de ces soirées complices passées à quatre où nous pouvions nous permettre d'être simplement un couple normal. Dans l'enceinte même du sanctuaire, il existait un lieu qui nous permettait d'étaler au grand jour cette relation que nous nous devions de dissimuler hors des murs de quelques temples privilégiés.

...

Vois-tu mon Lecteur Inconnu… ce n'était rien. Rien d'autre qu'une petite parenthèse que je voulais partager avec toi. Juste un petit moment pour te conter des anecdotes du quotidien.

Car malgré tout... malgré la guerre secrète contre Saori, malgré les pièges à éviter et les questions qui ne trouvaient pas de réponses... et bien il y avait tout de même une vie...

Une très jolie vie...