Maudite sois-tu !

Maudite sois-tu Swann ! Tu récoltes ce que tu as semé !

A quoi te servent aujourd'hui, ce maudit orgueil, ce foutu combat ?

A quoi dis-moi ? Qu'est-ce que tu y as gagné ?

Tu as tout perdu…

Regarde-toi maintenant… Regarde-toi ! Pitoyable, à pleurer contre un mur de cristal.

Les chevaliers ne te connaissent plus. Les Dieux ont fait de toi un simple pantin pour mieux servir leurs intérêts égoïstes et tu te surprends à penser certaines fois que, dans le fond, d'une certaine manière… Saori avait peut-être raison… Personne n'est maître de son destin. Mais elle au moins, elle a eu un courage que toi, tu n'as pas eu. Elle a joué. Tu as perdu.

Comment crois-tu que les Dieux récompenseront ta loyauté aveugle ? Ils te prendront tout, même la vie… C'est comme ça.

Tu aurais pu, une fois dans ta vie, courber le front, baisser la tête. Peut-être aurais-tu dû, oui… peut-être…

Mais non ! Tu as traversé le couloir qui menait à la grande salle, le visage levé, les poings serrés de peur et de colère et tu es entrée. Ton orgueil est entré avec toi dans cette salle. Tu as fièrement fait face à Saori.

….

Mon Lecteur Inconnu… nous sommes entrés tous les deux, la tête fièrement relevée dans cette grande salle du trône. Hormis Saori, elle était vide. Ni le grand Pope, ni aucun garde. Pas une âme n'allait être témoin de cet échange qui allait marquer notre déchéance. Nous nous sommes avancés à quelques mètres du trône où elle était sagement assise à nous attendre, un petit sourire sur les lèvres.

Sorrente, moins rompu à l'exercice du tête à tête avec la réincarnation que moi, était sur le point de s'agenouiller comme à l'accoutumé. Il a toujours posé un genou à terre face à Saori parce qu'il ne s'est jamais retrouvé seul, sans témoin, avec elle. Mais pas cette fois… Je l'ai pris par le bras juste à temps pour l'en empêcher. Et j'ai vu avec satisfaction le sourire de Saori se figer.

Au début, je voulais jouer la surprise. J'avais l'intention de faire comme si je ne savais pas ce qui allait se passer. Mais je me suis vite rendue compte que c'était inutile. Son cosmos parlait pour elle.

- Alors, c'est fini Saori ? lui ai-je calmement demandé

Elle a hoché la tête d'une façon presque nostalgique.

- C'est fini Swann.

- Pourquoi maintenant ?

- Parce que j'ai l'épée… Tu ne m'es plus utile à présent.

- Tu n'as pas encore le casque, lui ai-je fait remarquer.

Son sourire est revenu.

- Ce n'est qu'une question de temps…

Puis elle s'est levée et est venue se planter devant moi.

- Swann, je veux que tu fasses une chose pour moi…

Intriguée, je me contentai de lui faire un signe de tête pour qu'elle continue.

- Je veux te voir poser un genou à terre devant moi !

….

Maudite sois-tu Saori ! Tout le temps de cet échange, tu n'as pas daigné tourner le regard vers mon frère. A tes yeux, la Lune de Bronze n'était là que par accident. Tu étais sur le point de détruire sa vie à lui aussi, et tu n'as même pas, ne serait-ce que, posé les yeux sur lui. Toute ton attention, toute ta haine, se concentrait sur moi. Mais de toute façon, les dés étaient déjà jetés, n'est-ce pas ? Tu n'aurais pas pu l'épargner. Plus maintenant.

- Poser un genou devant toi ? répliquais-je moqueusement. Non Saori. Tu n'es pas une Déesse. Je ne m'abaisserai pas à ça.

Face à cette réaction, et brusquement, je sentis le cosmos divin se révéler comme jamais je ne l'avais senti auparavant. Saori avait beau être la réincarnation d'Athéna, jamais encore elle n'avait laissé éclater sa puissance de cette manière, avec tant de force, avec tant de colère. Elle n'était pas une Déesse, mais elle en avait le cosmos. Athéna m'avait prévenue pourtant. Saori avait bien appris d'elle. Elle savait comment puiser dans les réserves divines.

…..

Maudite sois-tu Swann ! Tu aurais encore pu, peut-être, calmer le jeu. Empêcher cela. Mais non, tu as souris, moqueuse… tu as souris. Tu n'aurais pas dû…

Et toi non plus, tu n'as pas daigné tourner le regard vers ton frère… Trop orgueilleuse pour détourner le visage de ce regard haineux qui te faisait face. Trop arrogante pour baisser les yeux la première. Trop fière pour, ne serait-ce que, prendre la main de Sorrente et la serrer. Ça aurait été un signe de faiblesse pour toi…

…..

- Je ne suis pas une Déesse ? me répliqua-t-elle haineusement. Nous allons voir ça.

L'intensité du cosmos augmenta dangereusement alors qu'elle tendait les mains dans notre direction, et je vis soudain Sorrente tomber à genoux, poussé par une force invisible qui le contraignit à courber l'échine. Cette même force vint me prendre violemment à la gorge et me fit décoller à plusieurs mètres du sol, me maintenant totalement à sa merci.

Une main baissée pour maintenir Sorrente à terre, et une autre levée pour me maintenir dans les airs, Saori gardait les yeux fixés sur moi. J'y voyais brûler des flammes de rage et de défi.

- Combats-moi Swann, puisque je ne suis pas une Déesse, me cria-t-elle soudain tout en renforçant sa prise sur ma gorge. Combats-moi !

Étouffée à plusieurs mètres du sol, j'étais bien en peine de lui répondre quoi que ce soit. Je concentrai mes forces pour garder un semblant de respiration. Cette colère avait été si soudaine. Saori avait toujours eu l'art de souffler le chaud sur le froid, mais jamais encore elle n'avait fait preuve de violence. Et quelle violence !

- Tu ne peux pas ? continua-t-elle moqueuse. Je le savais bien ! Selon les lois de Zeus, les Enfants Sacrés ne peuvent pas combattre contre des Dieux.

Puis brusquement, elle lâcha ma gorge et d'un geste de la main, m'envoya valser contre une colonne. Un autre geste, et Sorrente vint me rejoindre brutalement. Un geste encore, et nous étions tous deux maintenus à terre, les genoux et les mains sur le sol dans une position de totale soumission. Je trouvai cependant la force pour relever la tête et lui faire face rageusement tandis qu'elle s'avançait vers nous.

- Pourtant, pour toi, je ne suis pas une Déesse, n'est-ce pas ? Tu devrais pouvoir me combattre sans difficultés.

Je sentais la force de sa colère nous écraser de sa puissance, de sa rancune, de sa haine. J'avais toutes les peines du monde à garder la tête relevée face à elle, mais je luttais de toutes mes forces, refusant l'humiliation suprême de courber le front.

Elle m'observait, les yeux flamboyants, les mains tremblantes sous l'effort nous jetant toute sa force à la figure comme si elle cherchait ainsi à se vider de toute sa haine.

En effet, subitement, elle suspendit sa rage tout en nous gardant sous son contrôle. Son visage perdit peu à peu toute cette agressivité qui l'animait quelques secondes auparavant. Le chaud sur le froid, le froid sur le chaud… En un instant, elle était redevenue nostalgique, presque blessée de me voir si peu combative. Elle resta immobile un moment, comme ne sachant pas quoi faire, puis elle se rapprocha de moi, s'agenouilla pour être à ma hauteur, tendit une main pour me caresser presque tendrement la joue.

- Tu m'as affrontée dans l'ombre pendant si longtemps, murmura-t-elle. Pourquoi Swann ? Pourquoi maintenant que je t'offre l'occasion d'un combat, tu ne la saisis pas ?

Je la vis baisser la tête et serrer les poings, respirer profondément. Lorsqu'elle releva les yeux, je les vis remplis de larmes. Elle avait un sourire mélancolique sur les lèvres.

- Tu auras dû te joindre à moi… Quelle équipe nous aurions formé…

J'avais beau être immobilisée par son cosmos, la restriction ne m'empêchait pas de parler, mais je m'obstinais à garder bouche close. A quoi bon chercher à négocier un destin qui est déjà scellé ? Nous avions déjà eu cette conversation. Aucune de nous n'avait réussi à convaincre l'autre, et ce n'était certainement pas maintenant que cela allait changer. Je me contentai de secouer la tête tristement.

De guerre lasse face à mon mutisme, elle se releva et leva la restriction. Nous nous relevâmes à notre tour alors qu'elle nous tournait le dos pour rejoindre son trône. Lentement, elle se retourna et son cosmos se mit à brûler de nouveau. Le cosmos de ma Némésis dans toute sa splendeur. Mais cette fois cependant, il n'y avait pas la rage qu'elle avait déployée tantôt, non… juste de la volonté, de la puissance… j'y sentis juste la force d'un devoir à accomplir.

Le moment était en train de venir… Je me surpris à baisser la tête, à serrer les poings, mais pas de rage… juste de tristesse, moi aussi. Je pensai à Killian. Fassent les Dieux qu'il ait le collier sur lui… Je pensai à Mû… et je serrai les poings davantage, le cœur meurtri.

Le cosmos de Saori vint nous entourer dans une sorte de douceur et je le sentis alors se propager à grande vitesse à travers tout le sanctuaire. La peur commença à me monter à la gorge. « C'est fini » pensais-je… La Damnatio Memoriae, en ce moment même, était en train de se propager dans le cœur et la mémoire de tous les chevaliers telle une épidémie et je n'avais pas fait un geste pour tenter de l'en empêcher… Je m'en étonnais moi-même. J'avais monté les marches avec tant de combativité… Mais c'était le plan d'Athéna. Ne pas combattre. Pas encore. Serrer les poings… et encaisser. Pour les Dieux…

Mais brusquement, je relevai la tête.

- Saori…

Le cri m'était sorti soudainement du cœur. Le reste de ma phrase se bloqua dans le fond de ma gorge. Elle ancra son regard dans mes yeux clos et se contenta de me sourire doucement, mélancolique.

- Je sais…

Puis elle nous téléporta hors du sanctuaire.

…..

Nous nous réveillâmes quelques heures plus tard. Nous étions aux limites du sanctuaire d'Athéna, là où s'arrêtait le cosmos sacré. Juste à cet endroit où termine le monde réel et commence le monde divin. Juste à cette frontière que le commun des mortels ne peut pas franchir… seuls les chevaliers. Mais nous n'étions plus des chevaliers… Bannis, expulsés, les frontières nous étaient désormais fermées. Je m'y précipitai malgré tout, portée par un espoir que je savais pourtant vain. Je m'y précipitai une fois, deux fois… et me trouvai systématiquement repoussée par un mur invisible. A la fin, découragée, je m'appuyai sur ce mur de verre et me mis à le frapper du poing en laissant mes larmes couler.

….

Maudite sois-tu Swann ! Pourquoi n'est-ce qu'à ce moment dérisoire que tu as retrouvé ta combativité ?

Tu t'es acharnée à faire face à cet ennemi de cristal quand tu as refusé l'affrontement que t'offrait un adversaire fait de chair et d'os. Tu pleures, misérable, contre cette barrière infranchissable mais tu n'as pas bougé quand tu en as eu l'opportunité.

Tu peux bien être fière de ta loyauté aux Dieux… Tu viens de la payer très chère. Oui, pleure Swann, pleure. Ton cœur à présent est rempli d'amertume contre les Dieux.

…..

Maudite sois-tu ma rancune… tu n'as rien compris à ce moment-là.

Mon Lecteur Inconnu, c'est mon amertume qui a pris le relais de ma plume pour te relater cet épisode. Je t'avouerai sans honte que, adossée contre ce mur qui me refusait cruellement son accès, ce sont des pensées bien noires contre les Dieux qui ont empli mon cœur. C'est un élan de rage et de colère qui m'a fait écrire ces mots tels qu'en cet instant, vraiment, je les pensais. Oui, à ce moment-là, expulsée du sanctuaire, bannie de la mémoire et du cœur de mes frères, je ruminais des idées sombres et rancunières contre les Dieux, contre moi-même et contre ma foutue loyauté.

Mais une fois calmée… une fois les idées plus claires, je me suis alors rappelée…

Le collier... la lettre... La fin de cette prophétie n'était pas encore écrite.

Le leitmotiv premier de cette guerre… ça n'a jamais été les Dieux.

Si j'ai fait tout ça, si j'ai tout enduré… c'est pour les chevaliers.