Doutes
- Le Paradis Blanc… répéta Camus d'une voix blessée. Gabrielle… Ce n'est pas un hasard que tu aies voulu me voir aujourd'hui, n'est-ce pas ?
Je n'eus pas le loisir de répondre. Je n'eus même pas le loisir de comprendre l'implication de cette question que brusquement je sentis le cosmos de Mû venir m'envelopper avec violence, et je sombrai dans le noir.
Encore sonnée de cette attaque, je reprenais petit à petit mes esprits. Un terrible mal de crâne me martelait la tête et j'avais des difficultés à récupérer mon cosmos. Tremblante et faible, je tâchais dans un premier lieu de rassembler mes souvenirs. Ils me vinrent en masse.
Je me revoyais pleurant, martelant un mur de cristal de mes poings, Sorrente à mes côtés. Nous étions allés dans un premier temps, panser nos blessures au Paradis Blanc. C'est là que pour la première fois, et dans le plus grand secret, j'ai pris la plume. C'est là, mon Lecteur Inconnu, que j'ai commencé ce récit que tu lis à présent.
….
Je repensais à Sorrente. Quelques jours avant de partir pour la Bourgogne, je l'avais accompagné jusqu'au seuil d'un temple qui bordait le Gange. Sorrente voulait revoir son maître, anonymement. Je n'essayai pas de l'en empêcher. Qui étais-je pour venir lui faire une leçon de morale et de prudence alors que de mon côté, je bouillais intérieurement de revoir le mien ? Je comprenais son désir. Shaka était une part très importante dans la vie de mon frère, comme tout maître doit l'être dans la vie d'un enfant sacré. Le chevalier de la Vierge restait malgré tout un pilier dans son existence. Jamais il n'avait douté de son disciple, jamais il ne l'avait trahi ou bafoué. Sorrente savait qu'il ne pouvait en attendre aucune aide. Il savait que Shaka ne le reconnaîtrait pas. Il ne cherchait pas d'aide. Il voulait simplement le revoir, peut-être méditer à ses côtés pendant quelques instants comme tous deux l'avaient fait de très nombreuses fois durant des années. Pour Sorrente, et contrairement à moi, son maître avait fini par revêtir une importance presque paternaliste, un père spirituel. L'amour que nous portions à nos maîtres respectifs avait divergé sur ce point, mais ce n'est jamais qu'une question de sentiments qui avaient évolué différemment.
Je ne lui en avais pas parlé, mais la Lune de bronze n'est pas stupide. Il avait parfaitement compris quels sentiments me liaient à mon propre maître. On ne peut cacher les troubles de son cœur à une partie de son âme. Il avait senti mon déchirement devant ce mur de cristal alors que nous nous étions retrouvés propulsés du mauvais côté du sanctuaire. Un déchirement amoureux. Et j'avais senti de mon côté cet amour filial qui se fissurait pour devenir au fur de la malédiction, un sentiment à sens unique. Sans un mot, nous en étions désolés l'un pour l'autre.
Je l'avais regardé entrer dans ce temple, devinant son cœur qui battait un peu plus fort dans sa poitrine à mesure qu'il s'avançait vers cet homme qui méditait profondément.
…
Nouveau souvenir… Jamir. Dans le petit village tibétain, légèrement en retrait de l'activité des habitants, j'attendais, le cœur impatient, la venue de Killian. Je faisais le scénario dans ma tête. A l'heure qu'il était, il avait déjà dû donner la lettre à Camus. Je l'imaginais montant les interminables marches du sanctuaire jusqu'au onzième temple, tenant cachée contre lui la lettre que je lui avais donnée. Je l'imaginais tendre cette lettre à Camus sans aucune explication et redescendre aussi vite que possible, courant jusqu'au limite du cosmos sacré pour se téléporter et venir me rejoindre. Je l'attendais, impatiente et le cœur prêt à exploser dès que je poserai le regard sur lui. Aurait-il changé ? En un mois j'en doutais fort, mais je ne me lasserai jamais de le regarder grandir. Nerveuse, je repassais mon discours dans ma tête. Comment lui expliquer les événements sans le blesser ? Le regard meurtri de Mû lorsqu'il avait appris la vérité me poignardait encore le cœur, je ne voulais pas infliger cela à Killian. J'avais cherché mille et une phrases, plus douces et atténuées les unes que les autres. J'avais listé toutes les excuses que je pouvais trouver à Saori pour adoucir ses actes, du moins aux yeux de Killian. J'en serais presque venue à me rejeter tout le blâme pour ne pas le faire souffrir lui. Mais j'ai attendu en vain ce jour-là. Killian n'est pas venu…
Angoissée, j'avais passé en revue toutes les raisons qui auraient pu l'empêcher de me rejoindre. Je me rongeais les sangs, cherchant par tous les moyens à me persuader qu'une intrusion au sanctuaire n'était pas une bonne idée.
…
Dernier souvenir, je me revoyais m'avançant dans l'allée d'un château délabré de la Bourgogne. Camus… Milo… Mû… Tu connais déjà ce moment lecteur inconnu.
…..
Je reprenais petit à petit mes esprits et remarquais que je me trouvais couchée sur un lit, dans une chambre obscure. Doucement, je faisais revenir mon cosmos ainsi que ma perception. Mû m'avait pris en traître. Je n'avais pas vu venir son attaque. Je ne m'y attendais même pas. Elle m'avait blessé cette attaque, et pas juste physiquement. Jamais, en plus de huit ans qu'il était mon maître, Mû n'avait porté la main sur moi. Il y avait eu des combats en entraînements, mais cela restait des exercices. Aujourd'hui tout avait changé. Nous n'étions pas en entrainement et Mû m'avait traité en ennemi. Et en ennemi il m'avait attaqué. J'avais beau me dire que c'était logique, que sa réaction était normale… par tous les Dieux, ça n'en faisait pas moins mal.
- Tu es réveillée ?
La voix de Milo était sortie de l'obscurité et je le devinais plus que je ne le voyais, assis dans le noir, dans un coin de cette pièce. Je me redressai précautionneusement et m'assis en tailleur sur le lit, encore nauséeuse. A tâtons, j'acceptai le verre d'eau qu'il me tendit, surprise néanmoins par cette amabilité et par le constat que j'avais fait de ne pas être enchaînée.
- Où sommes-nous ?
- A Kouklia, Paphos, me répondit-il sobrement.
- Kouklia ? m'étonnai-je. À Chypre ?
Il se contenta d'acquiescer d'un mouvement de tête. Kouklia abritait les ruines de l'un des plus anciens temples d'Aphrodite. La légende raconte que la Déesse serait née sur les plages de Paphos. C'était une bien belle légende mais je ne comprenais pas ce que nous faisions ici.
Milo se leva et commença à marcher dans la pièce sans me quitter des yeux. Je souris intérieurement. Je connaissais bien Milo. Il devait se sentir comme un lion en cage, enfermé dans cette pièce avec moi.
- Je suis restée inconsciente combien de temps ?
- Environ cinq heures.
- Où sont Camus et Mû ?
- Ils sont retournés au sanctuaire.
…
A cette information, mon cerveau se mit à tourner à toute allure. J'essayai de faire le point dans ma tête. Je tâchai de me rassurer. Le Verseau et le Bélier n'étaient sans doute pas rentrés au sanctuaire dans le but de me dénoncer à Saori. Certes, leur réaction avait été plutôt brutale en apprenant le nom du sanctuaire des enfants sacrés, ce qui me laissait à penser que Saori avait déjà émis l'idée que le Paradis Blanc était un sanctuaire ennemi. Cependant, s'ils avaient vraiment voulu me traiter en ennemi, je me serais réveillée dans les geôles du treizième temple, voir pas réveillée du tout. Mais en aucun cas, s'ils avaient vu en moi une menace, je ne me serais réveillée dans une chambre secrète aux alentours d'un temple appartenant à une autre divinité. Car, vois-tu mon Lecteur Inconnu, le lieu où je me trouvais n'avait rien d'anodin. Que Camus, Milo et Mû, chevaliers d'or de la Déesse Athéna, aient choisi de m'emmener dans un lieu gardé par le cosmos sacré d'une autre Déesse, et que donc Athéna - et Saori par extension – ne pouvait pas surveiller, n'était pas un acte innocent. Je connaissais bien mes chevaliers. Le sentiment de justice primait en eux. J'en déduisais que mon plan avait marché. Saori avait dû réunir les chevaliers d'or et leur annoncer qu'elle comptait déclarer la guerre au Paradis Blanc, un sanctuaire qui, depuis des siècles, était considéré comme un allié fiable, semant ainsi la confusion dans l'esprit de ses fidèles serviteurs. Oui, tel que je le voulais et tel que je l'ai forcée à le faire, Saori nous déclarait la guerre et les chevaliers d'or ne comprenaient pas pourquoi. Visiblement, elle n'avait pas dû être convaincante dans ses explications.
Je ne voyais pas d'autres motifs.
…
- Pourquoi ne suis-je pas enchaînée ? demandai-je toutefois à Milo qui continuait à déambuler devant moi.
- Es-tu une menace pour nous Gabrielle ? me demanda-t-il dans un sourire narquois.
- Je ne le suis pas, répondis-je lentement. Mais votre réaction en entendant le nom de mon sanctuaire m'avait laissé croire que vous pensiez le contraire.
- C'est une longue histoire, l'entendis-je soupirer. Nous avons des questions et je pense que, en partie peut-être, tu as les réponses.
Soudain il immobilisa ses pas et vint se planter devant moi. Brusquement, comme seul le Scorpion sait le faire, il m'attrapa par la gorge, enflamma son cosmos et ses yeux rétrécirent de moitié. Je ne résistai pas. C'est une tactique que je connaissais, intimider l'adversaire. Je me contentai de lever les mains devant moi pour lui montrer ma soumission. Sa voix se fit plus dure.
- Soyons clairs, me dit-il. Je ne doute pas de ton identité. Je pense qu'effectivement tu es Gabrielle, la petite sœur de Camus mais cela ne te donne pas notre confiance entière pour autant. Il y a trop de questions qui restent en suspens, à commencer par la première : pourquoi ? Pourquoi avoir choisi de reprendre contact avec ton frère maintenant ? Pourquoi l'avoir fait par le biais de l'apprenti du Bélier ?
- Et surtout pourquoi Athéna a-t-elle décidé de déclarer ennemi un sanctuaire allié ?
Je lui avais coupé la parole pour la dernière question. Je voulais voir sa réaction. Je ne fus pas déçue. Il se recula comme si je l'avais giflé et son cosmos se gonfla davantage.
- Tu le savais, siffla-t-il. Ce n'est donc pas un hasard si tu as choisi de revoir Camus aujourd'hui.
- C'est une histoire compliquée, soupirai-je à mon tour.
- Garde-la pour le moment, me répondit-il. Bientôt Camus et Mû seront de retour. Tu n'auras pas besoin de te répéter.
Effectivement, quelques heures plus tard Mû arriva le premier, suivi de Camus peu de temps après. A présent tous réunis, l'ambiance était pesante et la pression palpable. J'étais assise sur le lit où je m'étais réveillée, les trois chevaliers d'or, debout quant à eux, me faisaient face en me regardant fixement. J'avais cette désagréable impression d'être au tribunal des Enfers face aux trois juges d'Hadès.
…..
Mon Lecteur Inconnu, je te dois une précision. Certes la première partie de mon plan avait visiblement marché. Je voulais forcer Saori à nous déclarer la guerre pour qu'elle dévoile enfin son visage délétère à ses chevaliers.
La deuxième partie de ce plan était d'amener Saori vers la grotte de Pottenstein. Vois-tu, à l'origine la grotte de Pottenstein n'était rien d'autre qu'une habile cachette pour empêcher Saori de mettre la main sur le casque et de compléter ainsi l'armure sacrée. Mais en y réfléchissant, il nous était apparu que ce casque pouvait également nous servir d'appât pour attirer Saori dans un piège. Et c'est là que Camus entrait en scène. Camus, le seul qui me connaissait, le seul qui accepterait de m'écouter. Celui qui pouvait souffler le nom de la grotte à Saori. Je ne pouvais pas confier cette tâche à Killian. Camus est un espion. Saori, ignorant les liens fraternels qui nous unissaient lui et moi, serait plus encline à lui prêter attention qu'à un apprenti chevalier. Quant à confier cette tâche à Mû, à Dohko ou au Pope, ce n'était même pas envisageable. Il fallait un chevalier « neutre » aux yeux de Saori.
Mais pour être tout à fait honnête avec toi, du moment où j'avais écrit cette lettre, au moment où je m'étais avancée dans cette allée en Bourgogne, je n'avais aucune idée de la manière dont j'allais m'y prendre pour convaincre Camus. J'improvisais au fur et à mesure de la situation. Rappelle-toi que le chaos a toujours été ma spécialité.
…..
Camus prit la parole le premier. S'avançant vers moi, il mit un genou à terre pour être à ma hauteur et me prit les mains dans les siennes. Relevant le visage, il se mit à me détailler avec un curieux regard où se mêlait étrangement inquisition et espoir.
- Jure-moi, murmura-t-il en resserrant son étreinte, que tu n'as pas menti sur ton identité. Que tu es bien Gabrielle. Que tu es bien la petite sœur que j'ai perdue.
- Tu en doutes encore ? répondis-je doucement.
- Les preuves que tu m'as données me sont suffisantes, mais je veux t'entendre me le jurer sur ton honneur.
Émue, je détachai mes mains des siennes pour lui prendre le visage et ouvris les yeux à nouveau.
- Gabriel, je te jure, sur mon honneur et sur tous les Dieux, que je ne t'ai pas menti. Je suis Gabrielle et je suis ta sœur.
Puis je posai mon front contre le sien en refermant les yeux et m'autorisai un répit pour savourer cet instant, glissant une main à l'arrière de sa tête pour renforcer le contact, cherchant de mon autre main la sienne pour la serrer contre mon cœur. Lorsque je me reculai, nous avions tous deux le même sourire heureux mais un peu gêné sur le visage.
- Es-tu vraiment un Enfant Sacré ? me demanda Milo.
Je hochai la tête et pris un moment pour leur raconter une partie de mon histoire. Comment j'avais fui de l'incendie par la porte arrière. Comment j'avais été recueillie par un paysan. Comment mon maître était venu me chercher trois ans plus tard pour m'emmener au Paradis Blanc. J'arrêtai là le récit. Ils n'avaient pas besoin d'en savoir davantage. Camus buvait mes paroles, se gorgeant de ces étapes de ma vie qu'il n'avait pas connue.
- Est-il vrai que les Enfants Sacrés ont un cosmos supérieur à celui des chevaliers d'or ?
Mû semblait fasciné par ce point. Je me permis un petit sourire modeste. Je me relevai et m'éloignai de quelques pas.
- Quelqu'un pourrait-il s'étonner de sentir mon cosmos ? demandai-je tout de même par prudence.
Camus secoua la tête en négation.
- Nous avons un accord avec Aphrodite, me répondit-il simplement.
Rassurée, je décidai de leur montrer ma puissance.
- N'ayez pas peur, les avertis-je doucement.
Je laissai graduellement mon cosmos augmenter sans la moindre trace d'agressivité jusqu'à son paroxysme.
Je sais. Les Enfants Sacrés ne sont pas censés montrer l'étendue de leur puissance aux chevaliers d'or, mais cette règle était surtout valable lorsque nous étions au sanctuaire. Aujourd'hui, ces mêmes chevaliers d'or n'étaient plus mes pairs. Mais j'avoue que je trichais un peu avec le règlement. De toi à moi, Lecteur Inconnu, c'était loin d'être la première fois.
Je maintins la puissance durant quelques secondes puis la laissai retomber doucement. Face à moi, les trois chevaliers semblaient impressionnés par la force dévoilée et Mû, le visage pâle, s'était légèrement reculé contre la paroi, une main contre le mur, une autre contre son cœur. Il leur fallu à tous trois quelques secondes pour reprendre leurs esprits.
Finalement, vint le moment pour Camus de commencer son récit.
- Il y a environ trois semaines, le grand Pope a convoqué tous les chevaliers d'or pour un état d'alerte. Il nous a déclaré qu'une relique sacrée avait été dérobée au sanctuaire.
Pour le coup, je restais bouche bée. Trois semaines ? Saori n'avait pas perdu de temps. J'avais pensé qu'elle allait laisser couler de l'eau sous les ponts, raison pour laquelle je n'avais prévu de parler à Camus qu'un mois après notre bannissement. J'étais persuadée qu'elle resterait sur ses gardes, attendant une riposte de notre part avant de bouger ses prochains pions. Sans doute avait-elle cherché à me prendre de vitesse.
- Il nous a annoncé, continua-t-il, qu'Athéna avait décidé de prendre personnellement en main cette enquête et qu'elle nous demandait simplement de renforcer la sécurité autour du sanctuaire, sans nous donner plus d'informations.
- Ce qui est assez inhabituelle, me hasardai-je à lancer. La Déesse n'a donc pas désigné l'un d'entre vous pour enquêter ?
L'accusation de vol était donc lancée, mais Saori restait prudente. Elle avançait graduellement, laissant monter la pression et le mystère. Voilà qui était rusée.
Milo secoua la tête et continua.
- Le sanctuaire en entier est resté en alerte pendant plusieurs jours sans résultat. Puis le Pope nous convoqua de nouveau. Athéna lui avait fait savoir que la relique volée était un casque faisant partie de l'armure sacrée.
- As-tu entendu parler de la légende de Dynamis, Gabrielle ?
Il me fallut quelques secondes pour comprendre que Mû s'adressait à moi. Je n'étais pas habituée à l'entendre m'appeler ainsi.
- Dynamis n'est pas une légende, répondis-je finalement. L'armure sacrée existe réellement et elle est divisée entre plusieurs sanctuaires.
- Comment peux-tu le savoir ? me demanda Milo, méfiant.
Je cherchai mes mots. Même s'il était à présent reconnu que j'étais la sœur de Camus, la confiance n'était pas totale pour autant, Milo me l'avait très clairement fait comprendre quelques heures auparavant.
- Une partie de cette même armure sacrée a été confiée au Paradis Blanc, avançai-je prudemment.
- Quelle partie ? interrogea-t-il, une pointe de suspicion dans la voix.
Je secouai simplement la tête. Puisque la confiance n'était pas totale de leur côté, je n'avais aucun intérêt à abattre toutes mes cartes en même temps.
- Et les autres parties de l'armure sacrée ?
- Dans d'autres sanctuaires. Je ne sais pas lesquels, mentis-je.
Leurs regards se firent pénétrants. Ils ne me croyaient pas… du moins pas totalement.
- Continue ton histoire, fis-je en me tournant vers Camus.
- Quelques jours plus tard, ce fut la Déesse Athéna en personne qui nous convoqua. Durant cette assemblée, elle nous révéla le nom du sanctuaire responsable de ce vol.
- Le Paradis Blanc, conclus-je naturellement.
Il acquiesça sans un mot. Je gardai le silence.
- Il y a quelques jours, reprit Mû, la Déesse nous a annoncé avoir tenté une approche pacifique envers ce sanctuaire dans le but de récupérer le casque et de comprendre pourquoi un tel agissement.
- Laissez-moi deviner, soupirai-je. Quelques jours plus tard, elle annonce des difficultés dans les tractations. Puis quelques jours encore, et elle se plaint que nous refusons toute communication, voir même que nous devenons agressifs.
Camus souleva un sourcil mais ne s'indigna pas du sarcasme.
- Tu prétends qu'Athéna a menti ? demanda-t-il calmement.
- Je pense que vous n'y croyez pas vous-même.
Silence.
- Et pour finir, continuais-je, elle vous annonce qu'elle n'a pas d'autres choix. Face à notre mystérieux entêtement de nous rendre à la raison, elle va devoir nous déclarer la guerre.
- N'est-ce pas ainsi que cela s'est passé ? m'interrogea Camus.
- Non. Et toi-même, je me répète, tu n'y crois pas.
Je vins me planter devant Camus, levant le visage pour le regarder dans les yeux.
- Pourquoi ?
Il gardait bouche close, étudiant visiblement ce qu'il pouvait me dévoiler ou non. La confiance n'était vraiment pas de mise.
- Qui te dit, me répondit-il finalement, que je ne la crois pas ? Athéna est ma Déesse. Quelle raison aurais-je de douter de sa parole ?
- Les raisons, répondis-je, je ne les connais pas et j'aimerais les connaitre. Mais la conséquence est que je suis là devant toi. Je ne suis pas stupide Gabriel. Sœur ou pas sœur, si tu n'avais pas douté, à l'heure qu'il est, nous ne serions pas dans le sanctuaire d'une autre divinité, là où Athéna ne peut ni nous atteindre, ni nous écouter.
Je fis un large geste de la main pour les désigner tous les trois.
- Si aucun de vous n'avait douté, l'attaque de Mû m'aurait été fatale.
- Je n'avais aucune intention de te tuer, se défendit promptement le Bélier. Et si tu veux vraiment savoir… j'ai été le premier à douter.
Étonnée, je me tournai vers lui et attendis patiemment. Il semblait débattre avec lui-même sur ce qu'il pouvait ou non me révéler, puis finalement il abdiqua.
- Parce que le jour même où l'accusation contre le Paradis Blanc a été lancée… mon disciple est venu me parler.
Je restais muette, encaissant la nouvelle sans bouger un muscle. Je te l'ai déjà expliqué, Lecteur Inconnu, j'avais choisi Killian pour remettre la lettre à Camus parce que j'étais persuadée qu'il serait le seul à exécuter mon plan à lettre. Pour Mû, Shion ou Dohko, il y avait un facteur d'incertitude que je m'étais refusé à jouer. Avec le recul, j'ai eu beaucoup de chance de m'être trompée…
…
- Que t'a-t-il dit ?
- Il m'a demandé de te laisser une chance et de t'écouter.
J'aurais voulu savoir exactement ce que Killian lui avait dit, comment le lui avait-il dit et comment Mû avait réagi. Mais il n'étaya pas davantage. Je me tournai vers lui. Je le sentais réticent à parler.
- Que sais-tu des Enfants Sacrés, Mû ?
- Qu'ils sont les guerriers de la Lune, me répondit-il en faisant un pas dans ma direction. Qu'ils sont extrêmement puissants… plus puissants même que les chevaliers d'or.
Il s'avançait vers moi. Je ne bougeai pas. Je pouvais sentir comme un ressentiment dans son attitude.
J'acquiesçai avec compréhension.
- Je comprends mieux la raison de ta présence ici, murmurai-je en baissant la tête.
Et je comprenais également pourquoi Killian ne s'était pas présenté à notre rendez-vous…
- J'ai fait mes propres recherches, continua-t-il. Il existe très peu de documents mentionnant le Paradis Blanc alors que nous sommes supposés être alliés depuis des siècles. Je n'ai réussi à trouver que quelques bribes ici et là mentionnant votre existence. Insuffisant pour savoir si vous êtes dignes de confiance… mais suffisant pour confirmer que vous n'étiez pas des légendes.
C'en fut assez pour Camus qui se retourna brusquement vers le Bélier.
- Peut-on savoir pourquoi, siffla-t-il entre ses dents visiblement agacé, tu ne nous avais jamais mentionné cela avant ?
Pris par surprise, Mû resta muet quelques secondes. Ce furent quelques secondes de trop pour le Verseau qui explosa :
- Tu savais, mieux que moi, qui suis son propre frère, qui nous allions rencontrer ! Dès le départ, tu savais que c'était un Enfant Sacré ! Au risque de nous faire passer pour des traitres aux yeux d'Athéna, tu as préféré te taire plutôt que de nous partager tes informations !
Déconcerté, Mû tenta de se justifier en raisonnant le Verseau.
- Camus, aurais-tu seulement accepté de la rencontrer si tu avais su avant ce que tu sais maintenant ? demanda-t-il.
- Ce n'était pas à toi d'en décider, explosa Camus.
- Voyons Camus, tenta de concilier Mû, toi-même n'as-tu pas trouvé étrange le discours de la Déesse concernant les vols commis par les guerriers du Paradis Blanc ? Ces accusations n'avaient aucun sens.
- CE N'ÉTAIT PAS À TOI D'EN DÉCIDER !
Puissante, la voix de Camus avait fusé dans un cri de colère enragée. Camus n'eut pas besoin de détailler son ressentiment envers le Bélier. Je pouvais le comprendre parfaitement… C'est assez désagréable d'avoir cette impression d'être traité comme une marionnette à laquelle on ne donne pas toutes les informations. L'important est qu'on soit placé au bon endroit au bon moment…, oui mon frère, je connais ça moi aussi.
Cependant, lorsque moi je me suis retrouvée dans ce genre de situation, j'étais en présence d'une reine pour l'une et d'un sage pour l'autre. Je ne pouvais pas, dans ces conditions, laisser éclater ma rage et ma frustration d'avoir été manipulée. Camus, lui, était en présence d'un de ses pairs… L'alarme rouge du danger se mit à sonner avec virulence dans ma tête.
Mon Lecteur Inconnu, à ce moment-là, je n'ai pas réfléchi, j'ai agi par instinct. J'ai vu que la conversation commençait à dégénérer, j'ai vu que les cosmos commençaient à gonfler, alors je n'ai pas réfléchi. J'étais de nouveau assise sur le lit. Ils se tenaient debout devant moi, un à ma droite, l'autre à ma gauche, se faisant face.
D'un bond, je me suis levée et je me suis placée entre eux. Mon frère et mon maître… instinctivement, je me suis placée entre eux pour les séparer.
Mon Lecteur Inconnu, on ne peut prétendre effacer des années de réflexes en quelques jours. Il y a des automatismes qui restent quelle que soit la situation. C'en est un tel conditionnement que je ne m'en rends même plus compte. Ce ne sont rien d'autres que des réflexes. Des réflexes de combat. Des réflexes de défense. Et celui-ci ne fit pas exception. C'était un pur réflexe… celui de me placer naturellement devant mon maître pour le protéger d'une menace.
Instinctivement, je me suis placée entre eux pour les séparer… Devant Mû… et face à Camus. Une main lancée devant moi pour parer une attaque, une autre avec laquelle j'étais prête à pousser le Bélier en arrière pour le protéger. La posture ne permettait aucune équivoque.
Le cosmos de Camus retomba aussi soudainement qu'il s'était enflammé.
Réalisant mon erreur, je changeai immédiatement ma posture, me plaçant à distance équivalente entre les deux. Médiatrice, les bras tendus pour leur imposer de rester éloigner l'un de l'autre.
Trop tard... Ils avaient tous vu que l'espace d'une seconde, la petite sœur de Gabriel avait, sans la moindre hésitation, fait face à son frère pour protéger un chevalier d'or qu'elle n'avait jamais rencontré auparavant.
