3 : Seul dans la nuit

Il m'était totalement impossible de demeurer à Los Angeles sans XO. Los Angeles sans XO n'était plus la ville que j'avais connu et aimé. Et il fallait que je m'éloigne le plus possible de ma famille. Je pris le bateau pour Londres avec l'argent de mon salaire que je n'avais quasiment pas dépensé.

Je ne vais pas vous raconter mes premières semaines à Londres. J'étais totalement désemparé encore plus qu'après ma fuite de Salt Lake City et cette fois je n'avais personne comme XO pour me soutenir. J'avais perdu espoir de jamais retrouver quelqu'un qui puisse me rendre heureux.

En fait, si je m'étais rendu en Angleterre plutôt que dans un autre pays, c'était uniquement parce que mon père m'avait dit que c'était là-bas qu'il avait expédié Angel. Dans une école avait-il dit. Or Poudlard était la seule école de sorcellerie de Grande-Bretagne. Mais je n'étais absolument pas sûr que mon père ait dit la vérité ou qu'Angel y soit resté. Et je n'avais aucun moyen de la vérifier.

Je ne savais pas où se trouvait Poudlard et, même si je le savais, comment pourrais-je ne serait-ce que rentrer dans l'école ? Les gens de là-bas voudraient-ils bien m'aider si je parvenais à leur parler d'Angel ? Si je me montrais dans cette école, mon père retrouverait-il ma trace ?

Des points d'interrogations… Beaucoup trop d'hypothèse incertaines et surtout rien que je ne puisse tenter, rien qui soit en mon pouvoir.

Même quand j'avais fui de ma maison, pendant toutes ses heures de bus en plein milieu de l'arrière pays américain, je ne m'étais pas senti impuissant à ce point. Je m'étais choisi une destination : Los Angeles, et m'était arrangé pour vivoter sans trop penser à Angel. Mais après avoir perdu XO, j'étais vraiment désespéré au point de me tourner une fois encore vers le premier de mes protecteurs, celui qui avait réussi à échapper à ma famille.

Cette fois, il n'était plus question de survivre dans un niveau milieu au risque de m'attacher aux gens. Je ne voulais pas de second drame comme celui de XO.

Seul, sans espoir, dans les rues de Londres, le but que je m'étais fixé me semblant irréalisable et n'ayant plus la force de me battre pour me reconstruire un avenir radieux, de peur de le voir se briser, j'ai fait beaucoup de bêtises.

J'ai touché à l'alcool, j'ai touché à la drogue. J'ai touché à toutes les cochonneries que vous pouvez imaginer et même certaine dont vous n'avez pas idée. Et je n'ai pas fait qu'y toucher. Je me suis carrément plongé dedans. J'ai eu des relations d'un soir. Des blancs incroyablement long dans ma mémoire.

Ce récit n'est pas un roman sordide et je n'ai aucune envie de vous faire le récit détaillé de toutes ses « aventures ». L'histoire de ces jours sombres passés dans les rues mal famées de la capitale londonienne restera à jamais tue même si rien ne pourra jamais l'effacer de ma mémoire.

Je pourrais être encore à Londres en ce moment si je n'avais fait une rencontre assez étrange et inattendue. Elle a réussi à me libérer de ce cocon de tristesse, de désespoir et d'addiction qui me maintenait là.

Je me souviens, c'était une nuit comme les autres. Il faisait froid et l'air pollué des rues londoniennes malfamées me piquaient désagréablement les narines. Soudain, une voix m'interpella :

« Hé mon prince ! »

C'était une prostituée autant que je puisse en juger. Il y a quelques mois j'aurais été absolument horrifié d'être apostrophé en pleine rue, mais pas là. Je ne valais guère mieux que cette pauvre fille. Alors je dis très poliment :

« Désolé, madame. Je n'aime pas les femmes. »

Elle fut apparemment très surprise de ma réponse polie et s'exclama :

« C'est la première fois qu'un client potentiel m'appelle « madame » et s'excuse comme ça. Tu es un vrai noble. »

Je devins rouge. Je n'aimais pas qu'on me rappelle mes appartenances à une soi-disant « noble famille ». J'avais la très désagréable impression que mon appartenance au gotha était marqué sur mon front, ou tout du moins visible dans mon attitude et mes manières. Je ne pourrais donc jamais me mêler aux gens normaux ?

« Approche un ch'tit peu que je te vois mieux. », chevrota la prostituée.

J'obtempérais. Elle me jaugea en silence avant de dire :

« Tu es bien jeune. Mais qu'est-ce qu'un fils de bonne famille comme toi fait ici ? Tu fais le trottoir ? »

« Oh non ! C'est une très longue histoire… »

Voyant qu'elle était avide de quelques détails, je rajoutais :

« Ma famille et moi avons eu quelques…. différents. »

« Ce n'est pas un endroit pour les gens bien ici surtout quand ils sont distingués., dit mon interlocutrice en allumant une cigarette. Tu ferais mieux de ne pas traîner ici. »

« Je ne suis pas distingué. Et vous ne pouvez pas savoir si je suis quelqu'un de bien. »

« Tu m'as parlé poliment alors que tu ne me connaissais de moi que ma profession. Ca me suffit.

Et ne me dis pas que tu n'es pas distingué. Regarde donc tes boucles, tes airs ingénus et tes bonnes manières. »

Mes cheveux auburn bouclaient naturellement. Ils me donnaient un air sophistiqué. Si je voulais avoir l'air normal un jour il faudrait que je me résolve à les sacrifier.

« Je suis là parce que je n'ai nulle part où aller. », dis-je comme pour me justifier.

Elle me regarda dans les yeux :

« Il est évident que tu as souffert. Mais quelle que soit la blessure qu'on a reçu, il existe toujours dans l'univers une personne capable de soulager nos souffrances. »

« Oui, certainement, mais ces personnes, je les ai perdu par deux fois. »

« En si peu de temps ? Tu n'as pas eu de chance. Mais justement il te reste beaucoup d'années devant toi. Comment veux tu les retrouver en restant ici ? Fuis cet endroit sordide avant que l'éclat de la jeunesse quitte ton regard et le rose de la beauté, tes joues. »

« Vous ne parlez pas non plus comme une prostituée. »

Cependant, ses conseils me troublaient. C'étaient presque les même que ceux de XO. Et surtout, même si je décernait mal ses traits dans la pénombre, elle avait l'air de quelqu'un qui a souffert mais qui peut rire et sourire encore.

Dans cet endroit, je ne profite pas de ma jeunesse, je la brûle comme un chiffon imbibé d'alcool. Dans cet endroit, je ne vis pas pleinement, je meurs à petit feu. Dans cet endroit, je ne ris et ne souris plus.

Il faut donc que je parte, que je m'enfuis d'ici.

« Je partirai. Et vous ? »

« Il est trop tard pour moi, mon p'tit. »

« Vous n'appliquez pas sur vous même vos propres préceptes ! »

« il existe un lieu. Un endroit où j'aime aller. Mais il me faut de l'argent pour cela. Et je suis pauvre. Je n'ai plus que mon corps à vendre alors je le fais. »

Elle avait prononcé ces mots les yeux baissés mais quand elle continua elle me regarda droit dans les yeux.

« C'est mon destin. Pas le tien. »

Elle eut un petit rire :

« Et puis je ne te conseille pas ce métier avec l'invasion du marché par les pays de l'Est. »

Le lendemain, je quittais Londres.

Mais avant de faire quoi que ce soit, je devais me débarrasser des mauvaises habitudes que j'avais pris à Londres. Je ne pouvais pas me lancer dans une action de grande envergure avant cela.

J'ai donc pris la décision de m'enfermer moi-même dans un centre de désintoxication.

L'institut Richard Kelley était assez réputé. En tant que patient volontaire, je reçus un topo assez endormant du directeur du centre et quelques questions gênantes que j'esquivais du mieux que je pouvais.

Ce n'était pas dangereux tant que ça restait dans le domaine de l'administration Moldue. Je doutais que mon père sache ce qu'était un passeport. Par chance, j'avais étudié les Moldus en cachette bien sûr et je savais qu'est-ce que je devais répondre.

« Je suis un citoyen américain résidant en Angleterre. J'ai fait des erreurs… de jeunesse. Je veux m'amender. »

On me demanda bien quelques justificatifs mais un bon sortilège convainquit le directeur de ma bonne foi.

« Vous êtes venu de votre plein gré ? Ca prouve que vous êtes un jeune homme sensé. Vous êtes un exemple pour les forcenés qu'on nous amène tous les jours ici. Qu'est-ce qui vous a ramené dans le droit chemin ? »

« Ma rencontre avec… »

Je compris qu'il était dans mon intérêt de mentir à cet homme. La version certes authentique de la prostituée rencontrée dans la rue ne lui plairait sûrement pas.

« Dieu. »

« La religion, évidemment ! Dieu vous a montré la bonne voie. »

Je sortis avec sa bénédiction. J'avais du forcer un peu sur le sortilège.

Mais il n'était plus question d'utiliser la magie désormais. Je devais me comporter comme un patient Moldu si je voulais guérir.

« Toi, le dirlo t'a à la bonne. »

C'était un jeune homme qui venait de parler. Ses cheveux étaient longs et d'un noir de jais. Il avait de grands yeux bleus délavés. Plutôt beau mais visiblement fatigué par les épreuves qu'il était en train de traverser. Une idée de ce qui m'attendait.

J'appris au déjeuner qu'il s'appelait Jay et qu'il vivait à Londres.

« Si tu viens d'une famille riche, c'est normal qu'il soit à tes pieds. Nous avons aidé le fils de la famille Machin, ça donne une bonne réputation pour son institut. »

J'acquiesçais en silence, un peu énervé. Pourquoi tout le monde comprenait immédiatement que ma famille était riche ? Même les inconnu le plus complets n'avaient aucun mal à le deviner.

J'appris au déjeuner que mon interlocuteur s'appelait Jay et vivait à Londres.

Je lui expliquais que ce n'était pas ma famille qui m'avait envoyé ici mais moi qui était venu de mon plein gré.

« Ah je vois ! Tu es en conflit avec tes vieux ! Ca m'est arrivé à moi aussi ! »

« En conflit avec mes quoi ? »

« Christian, tu es une jeune fille de bonne famille. », conclut Jay.

Jay était le genre de type que tout le monde trouve sympathique, qui peut se lier d'amitié avec n'importe qui. Il était l'exemple parfait d'une personne qui même après avoir vécu des expériences douloureuses peut toujours sourire et plaisanter joyeusement. Je le pris en quelque sorte pour modèle. Si il arrivait à ne pas désespérer, je devais y arriver aussi. J'avais même moins de problème que lui vu qu'il avait apparemment des années de drogues dures derrière lui.

Pour me donner du courage, je pensais aux gens que j'aimais : à ma sœur que je n'avais pas revu depuis longtemps (j'espérais qu'elle avait pu s'en tirer elle aussi), à Angel, qui était quelque part sur le sol anglais, à XO et Amina même si ils étaient morts tous les deux.

J'avais raconté mon histoire ou tout du moins une partie à Jay. J'avais besoin de me confier à quelqu'un et il m'inspirait particulièrement confiance. Evidemment, je ne pouvais pas tout lui dire. Voilà un peu près ce que je lui avais raconté :

« Je viens d'Utah. Salt Lake City. Une famille très ancienne et religieuse. J'ai eu une éducation très stricte. A 18 ans, j'ai fui ma famille. Mais ils n'ont pas cessé de me pourchasser et dès que je m'attachais à un lieu ou à des personnes, il s'arrangeait pour leur nuire. Je me suis enfui en Angleterre pour leur échapper et aussi un peu pour retrouver une personne que j'aime. Jusque là, j'ai fait choux blanc. J'étais très déprimé et j'ai fait pas mal de bêtises, qui me valent d'être ici. Dès que je serais guéri, je reprendrais mes recherches. »

Je m'en rendais compte, en y repensant, je m'étais pas mal confié à Jay alors que je ne savais rien de lui. Il ne répugnait pas à se confier. En fait, c'était moi qui ne lui avait jamais posé de questions. C'était assez égoïste de ma part de lui confier mes problèmes et de ne pas me poser de questions à propos des siens. Mais je ne savais pas bien comment aborder ça. C'était sans doute douloureux.

Un jour où il me demanda à quoi je pensais, je trouvais un moyen prudent de lancer le sujet :

« A ma grande sœur. Et toi, Jay, tu as des frères et sœurs ? »

Il parut soudain s'illuminer.

« Oui, j'ai une petite sœur ! Elle s'appelle Nikki et elle a 5 ans. Elle me ressemble beaucoup ! Moi je le trouve trop mignonne ! »

Il s'empressa de fouiller dans ses affaires et insista pour me montrer une photo. En effet, la petite était très mignonne. Elle avait les cheveux noirs de Jay et ses grands yeux bleus.

« C'est vrai qu'elle est jolie. Mais elle n'a pas l'air d'avoir cinq ans. »

« Le photo date un peu. Ca fait longtemps que je ne l'ai pas vu. »

Je me souvins que Jay avait dit s'être brouillé avec ses parents. C'était sans doute pour ça qu'il n'avait pas vu sa sœur depuis longtemps.

« C'est dommage que tu ne puisses pas la voir souvent. »

« Oh mais je la verrais souvent si je sors d'ici ! Je m'occuperais d'elle tous les jours ! », dit-il joyeusement.

« Tes parents seront d'accord ? », demandai-je surpris.

« Mes parents sont morts. Je me suis brouillé mortellement avec eux l'année dernière et je suis parti vivre à Londres. La dernière fois que je les ai vu, c'était pour identifier leur cadavre.

Nikki est à l'assistance publique à leur qu'il est.

J'ai 19 ans, Christian, mais il n'allait pas la confier à un drogué. Si je sors d'ici et que j'offre à la société un visage souriant, même si le sourire est hypocrite, j'obtiendrais peut-être sa garde. »

J'avais mis les pieds dans le plat. Evidemment.

« Je suis… je suis désolé. »

« Tu n'as pas à l'être. J'ai été puni pour mes erreurs passées. Si je ne peux pas récupérer ma petite sœur pour l'instant, c'est entièrement de ma faute.

Qui sème le vent récolte la tempête.»

Qui sème le vent récolte la tempête est un proverbe bien connu qui signifie que quelqu'un qui provoque la colère et la haine en recevra les fruits et ici, par extension, qu'on finit toujours par subir les conséquences de ces actions, surtout si elles sont désastreuses.

Les conséquences d'une action sont variables et souvent imprévisibles. Dans le cas de Jay, ses déboires lui avait valu de ne pas pouvoir s'occuper de sa sœur, qu'il adorait. J'avais trop longtemps agi inconsidérément et j'allais récolter ce que j'avais semé. Je vais utiliser l'expression Qui sème le vent récolte la tempête encore une fois en plus des deux fois où je viens de la mentionner et à partir de ce moment, ce récit deviendra détestable à un tel point que je préférerais ne l'avoir jamais commencé.

La vie au centre était dur et monotone. Ce n'est pas la peine que je vous raconte chaque journée individuellement tant elles se ressemblaient. Nous n'avions strictement rien à faire en dehors des horaires et règlements à respecter. De toute façon, le manque de drogue nous rendait incapable de faire quoi que ce soit. J'avais de la chance dans mon malheur, de ne pas être intoxiqué au même point que la plupart des patients du centre. Examens médicaux, repas, couvre-feu rythmaient notre quotidien.

Vint enfin le jour où je pus sortir. Le jour de ma sortie, le directeur me convoqua. Il avait un air mortuaire, caractéristique de quelqu'un qui va vous annoncer la mort d'un proche.

Je ne comprenais pas. Qu'est-ce qui se passait ? Je ne pouvais pas sortir ?

J'entamais la conversation, même si ce n'était pas très poli.

« Alors, monsieur, je peux quitter le centre ? Je suis tiré d'affaire ? »

Le directeur renifla.

« Vous pouvez vous en aller. Vous n'avez plus aucun problème avec les drogues. »

Mais je voyais qu'il ne me disait pas tout.

« Et ? »

« Nous avons reçu le résultat de vos examens médicaux. Vous êtes séropositif. »

Qui sème le vent récolte la tempête. A Londres, je m'étais laissé dépasser. Résultat : il m'était arrivé malheur. Grand et funeste malheur.