Merci beaucoup à tous les lecteurs qui prennent le temps de laisser un petit mot d'encouragement ! J'espère que cette suite vous plaira.
Merci en particulier à Libellule, Elise Lecue, et HayliaMani.
Le plan
- A Jamir, me répondit Mû avec un petit sourire, j'ai rencontré une gitane dans un marché…
Je souris de connivence. Il n'eut pas besoin d'en dire plus. Je supposais, à juste titre, que l'explication avait alors déjà été donnée au sanctuaire.
Mon Lecteur Inconnu... je comprenais mieux "l'accord avec Aphrodite" dont m'avait parlé Camus...
Mû avait fini son histoire... Le silence se fit dans cette petite chambre où nous étions. Les chevaliers ne bougeaient pas. À présent, c'était à mon tour de parler... Je pris une profonde inspiration et débutai mon récit.
Mon lecteur inconnu, je leur ai tout dit. Tout... Saori, la prophétie, les trahisons, l'Armure Sacrée... Par tous les Dieux, je ne reconnaissais que trop bien toutes les expressions qui passaient par leur visage. Mû redécouvrait une réalité parallèle que la Damnatio Memoriae lui avait provisoirement fait oublier. Quant à Camus et Milo, je pus voir leur visage se fendre d'une odieuse compréhension des faits à certains moments de mon récit. Ils comprenaient... C'était comme si, à certains moments, j'éclairai leur lanterne pour leur permettre de comprendre enfin des zones d'ombre dans le scénario du sanctuaire. Ils comprenaient. Ils comprenaient le pourquoi du comment. Pourquoi certaines réactions de la part de Saori... Pourquoi une telle violence. Pourquoi un tel acharnement.
Mû, dont la mémoire commençait à se réveiller, venait à certains points lui aussi étayer et confirmer mes dires de ses propres souvenirs.
…...
Mon lecteur inconnu, à mesure que je parlais, à mesure que je racontais, je sentis remonter dans ma bouche ce goût de cendres amères que j'avais déjà expérimenté. Une première fois, lors de ma confession à Sorrente ; lorsque assise sur une chaise dans notre petite maison, je lui avais tout révélé. La Lune d'Argent n'avait pas eu besoin de preuves, ayant été lui-même la victime de Saori. La deuxième fois, cette terrible nuit où, à genoux dans le bureau du Pope, j'avais raconté cette même odieuse vérité à mon maître. À ce moment-là, c'était Sorrente, c'était le Pope lui-même, et c'était le chevalier de la Balance, qui avaient corroboré mon histoire. Aujourd'hui encore le scénario se répétait. Aujourd'hui encore, je regardais des cœurs se briser au fil de mon histoire, mais cette fois... c'était mon propre maître qui venait confirmer mon récit.
…...
Mon lecteur inconnu, les temps changent, les cœurs ne changent pas. On ne peut demander à un chevalier de ne plus croire en la Déesse qu'il est supposé protéger. On ne peut demander à un chevalier d'accepter si vite une si atroce vérité. Camus et Milo ne firent pas exception. Milo le premier, se leva brusquement et sorti sans mot dire. Camus, pour sa part, resta un moment prostré sur le lit, puis il finit par se lever et sortir à son tour. Ni Mû, ni moi ne tentâmes quoi que ce soit pour les retenir. Nous ne savions que trop bien l'état d'esprit dans lequel ils étaient. Ils avaient besoin de temps. Nous le leur laissâmes.
Je restais seule... seule avec Mû. Conscients, l'un comme l'autre, que les chevaliers du Scorpion et du Verseau pouvaient rentrer d'un moment à l'autre. Il se contenta de me prendre la main et de s'assoir à côté de moi sur le lit. Il me regarda avec tendresse et baissa un instant les yeux.
- Après avoir parlé avec Aphrodite, j'étais encore plutôt perdu, me dit-il dans un sourire d'excuse. La Déesse ne m'a pas parlé de manière très claire. Elle s'est simplement contentée de me dire qu'à Kouklia, il existait un ancien monastère et que celui-ci pourrait bien m'être utile.
J'acquiesçais doucement, compréhensive du désarroi dans lequel Mû devait être plongé à ce moment-là. Il est vrai, rappelle-toi mon lecteur inconnu, que la Déesse Aphrodite n'est pas des plus explicite lorsqu'il s'agit d'éclairer un cœur pris dans la tourmente.
La « gitane » lui avait alors assuré que ce temple pourrait, si besoin est, servir de refuge. Curieux, Mû était allé, quelques jours plus tard, vérifier par lui-même l'existence du monastère à Chypre et il était tombé nez à nez avec un gardien d'Aphrodite qui l'attendait… un gardien premier… celui-là même qui avait été mon voisin de table lors d'un repas que je n'avais pas oublié… La Déesse avait un humour bien particulier.
Saori, en jetant la Damnatio Memoriae, n'avait été en mesure de ne nous effacer que de la mémoire de ses propres chevaliers. Le reste du monde quant à lui, ne nous avait pas oubliés. Elle n'avait sans doute pas prévu un scénario dans lequel l'un de ses chevaliers rencontrerait le représentant d'un autre sanctuaire et que les deux en viennent à parler des Enfants Sacrés. Pauvre Saori… combien de chance, sur des millions, y avait-il pour qu'un tel événement se produise ?
Après cette rencontre et même si la méfiance était toujours présente, Mû ne douta plus du tout de mon existence. Ma présence d'une manière ou d'une autre dans sa vie venait de lui être confirmée.
….
Nous restâmes ainsi, quelque temps à discuter, puis la porte s'ouvrit brusquement sur Camus et Milo. Un coup d'œil à travers le seuil du temple et je vis le soleil qui commençait à décliner. Je me sentis soudain extrêmement fatiguée. Depuis combien de temps étais-je dans cette petite chambre de ce monastère ? J'avais perdu la notion du temps mais voilà que soudainement mon corps se rappelait à moi. J'avais faim. J'avais sommeil. Le contrecoup de l'attaque de Mû se faisait à présent violemment sentir. Je fis un effort pour n'en laisser rien paraitre.
Camus se dirigea vers moi d'un pas déterminé.
- Tu m'as dit, me dit-il en me prenant les mains alors qu'il posait un genou à terre pour être à ma hauteur, que ce n'était pas un hasard si tu avais choisi de me rencontrer aujourd'hui...
Il laissa sa phrase en suspens. Je me contentai de hocher la tête, peu fière de mon plan initial pour venir en dire plus. Mais la suite tomba tel un couperet.
- Quel était ton plan ?
Honteuse, je baissai les yeux vers le sol mais répondis néanmoins sincèrement.
- Je pensais te manipuler afin que tu révèles à Saori l'emplacement du casque pour lui tendre un piège.
Mon Lecteur Inconnu... un silence de mort vint accueillir cette déclaration pourtant sincère.
- Où se trouve le casque ? demanda finalement Camus d'une voix dénuée de toute émotion.
- Dans la grotte de Pottenstein en Allemagne, répondis-je.
- Qu'attends-tu de moi ?
- Je veux que tu dises à Saori où se trouve le casque...
Je marquai un léger temps de pause, cherchant au mieux les mots justes.
- Tu es un espion Camus, continuai-je. Il serait normal que tu puisses obtenir d'une manière ou d'une autre ce genre d'information.
Il réfléchit quelques secondes.
- Si je dévoile à... Saori où se trouve le casque, elle viendra le chercher, mais elle ne viendra pas seule.
- Je sais, concédais-je. Elle viendra avec ses chevaliers d'or. Vous serez treize, nous ne serons que deux... cela suffit-il à te rassurer quant à sa sécurité ?
- Cela ne me rassure pas quant à la tienne... murmura-t-il en baissant les yeux.
Je lui souris tendrement mais ne relevai pas cette partie... incertaine pour moi aussi.
Camus se leva et commença à faire les cent pas à travers la pièce. À ses côtés Mû et Milo le regardaient faire sans un mot, tous deux conscients que la décision finale viendrait du Verseau. C'était lui que j'étais venu chercher, c'était lui que, à l'origine, je voulais manipuler.
- J'ai besoin d'une preuve, me dit il subitement en se tournant vers moi. Je suis désolé mais j'ai besoin d'une preuve. J'admets que le comportement d'Athéna ces derniers temps a été plus qu'étrange, mais cela ne suffit pas à faire d'elle une conspirationniste cherchant à recréer l'Armure Sacrée pour défier les Dieux.
Je hochai la tête, me relevai pour lui faire face.
- D'après tes dires, la Déesse Athéna, Saori donc, nous accuse du vol du casque de l'Armure Sacrée. Mais savais-tu que le casque et le bouclier sont en réalité les deux dernières parties de l'armure qui n'ont pas été dérobées ?
Je laissais volontairement planer plusieurs secondes pour appuyer mes dires
- Du sanctuaire de Déméter, commençai-je à énumérer avec mes doigts, ont disparu les jambières. Du sanctuaire d'Artémis, la cuirasse. Et du sanctuaire d'Aphrodite, les brassards.
Je levai effrontément trois doigts devant son visage, puis je continuai :
- Le bouclier, pour sa part, a toujours fait partie du sanctuaire d'Athéna. Quant au casque... il a toujours été, et il reste aujourd'hui encore, sous la protection des Enfants Sacrés.
- Et toi qui prétendais ne rien savoir sur Dynamis..., remarqua Camus d'une voix amère.
J'avalai les couleuvres sans un mot. C'était mérité.
- Gabriel, soupirai-je en lui prenant la main. Nous ne sommes pas des voleurs.
Je me reculais de quelques pas afin de mieux leur faire face à tous les trois.
- Ce casque, leur dis-je en relevant fièrement la tête, que Saori nous accuse de lui avoir volé, a été confié au paradis blanc il y a des siècles par le roi des Dieux. Nous n'avons jamais failli à le protéger et ce n'est pas maintenant que ça va arriver.
Je savais Mû de mon côté mais Camus et Milo ne bougeaient pas, se contentant de rester de marbre. Ils me demandaient des preuves, pour le moment je ne leur en avais pas fourni. Je ne pouvais pas leur en fournir. Saori n'était pas assez stupide comme pour exhiber le reste de l'armure Sacrée devant les chevaliers. Elle ne le serait que si je la poussai à la faute et je savais comment faire.
Je me tournai à nouveau vers Camus.
- Tu veux une preuve ? Je te propose mieux. Un pari.
Intrigué, il me fit signe de continuer.
- Je n'en veux pas à la vie de Saori, les rassurai-je. De ce piège, elle n'en sortira pas meurtrie, je t'en donne ma parole. Je veux simplement créer une opportunité pour permettre à Athéna - à la véritable Athéna - de reprendre le contrôle et d'empêcher ce désastre.
Camus tourna légèrement la tête sur le côté et je le vis interroger Mû du regard. Ce dernier hocha la tête en confirmation. Il reconcentra son attention sur moi.
- Saori viendra à la grotte escortée de ses chevaliers certes, repris-je. Mais elle prendra aussi avec elle, une épée...
Je vis Milo ouvrir la bouche de stupeur, comme s'il anticipait mes prochains mots mais aucun son ne sortit de sa gorge.
- L'épée de Dynamis, dévoilai-je. Celle-là même qui est sous la protection de Zeus.
La nouvelle leur fit l'effet d'une bombe.
- Impossible ! s'exclama Milo. Il est impossible que Saori ait pu voler l'épée Sacrée dans le sein même de la forteresse de Zeus !
J'éclatai alors de rire en me tournant vers le Scorpion.
- Je l'ai volée moi-même !
Une lueur de respect passa dans les yeux de chacun et je me gardai de leur expliquer certains détails.
- Faites-moi confiance sur ce point. Saori prendra l'épée avec elle. Une épée qui n'est pas supposée être en sa possession. Une épée que personne ne peut avoir volé puisque je n'ai jamais fait partie du sanctuaire. Une épée que la Déesse Athéna ne devrait donc pas avoir.
- Le voilà donc, le pari... sourit Camus.
J'acquiesçai d'un signe de tête.
- Si Saori prend l'épée - et crois-moi elle le fera – tu sauras alors que je t'ai dit la vérité. Mais si elle ne le fait pas, alors tu n'y perdras rien. Treize chevaliers d'or pour récupérer un casque... les Enfants Sacrés sont puissants mais pas à ce point.
Camus soupira et Mû esquissa un geste de négation. Je pouvais voir que l'idée ne leur plaisait pas mais je ne leur laissais pas le choix.
- Et le piège ? demanda Milo.
- Je ne sais pas encore, répondis-je sincèrement. Je sais juste que je dois lui faire peur pour qu'Athéna puisse en profiter et reprendre le contrôle.
Je me tournai vers lui et pris un instant pour rassurer chacun d'entre eux. Je n'en voulais nullement à la vie de Saori et mon but n'était en aucun cas de la tuer. Détestable ou non, Saori n'en restait pas moins le corps de réincarnation de la Déesse Athéna et pour cela, je ne pouvais me permettre de lui faire le moindre mal. Le but de cette mission était de forcer Saori à courber l'échine, de lui donner une leçon, de briser définitivement en elle toutes velléités de rébellion...
…...
Mon Lecteur Inconnu... je me suis entendue parler à cet instant précis... Crois-le ou non, mais je te garantis que j'ai détesté chacun des mots que j'ai prononcés. J'étais consciente par tous les Dieux, que je parlais de tuer l'esprit d'une femme dont la seule faute aux yeux des Dieux, était de ne pas vouloir courber le front. Saori m'a fait beaucoup de mal... mérite-t-elle une telle punition pour autant ?
Mon Lecteur Inconnu, c'est peut-être un peu facile me diras-tu et je n'en suis pas particulièrement fière... mais ce n'est pas à moi qu'incombe la réponse à cette question. Je suis un soldat. Les Dieux ordonnent, j'exécute. J'ai essayé de la raisonner, le ciel m'en est témoin. Mais à présent, et même si je ne peux m'empêcher d'éprouver à son égard de la pitié, le prix serait bien trop cher à payer si je la laissais agir à sa guise, mon Lecteur Inconnu tu le sais bien.
Je leur ai expliqué toute la situation. Je leur ai détaillé par A + B ce qui se passerait si l'on laissait Saori mener son plan à bien. La balle n'était plus dans mon camp. Ils étaient conscients des enjeux. Si pour Killian, j'aurais été capable d'en diminuer l'importance pour ne pas lui briser le cœur, à eux au contraire, je ne cachais rien et ne minimisais pas mon vocabulaire. Non, si Saori recréait Dynamis, ce ne serait pas le début d'une nouvelle guerre mais bien un pur massacre. Les autres sanctuaires se ligueraient contre eux. Les chevaliers d'or bien que puissants, n'étaient pas de taille à affronter les anges de Zeus... Je voulais vraiment qu'ils en soient conscients.
...
Je vis Camus réfléchir pendant quelques secondes. Il était clair que cette idée ne le séduisait pas du tout. Ce fut le moment que Mû choisit pour intervenir.
- Dans cette autre vie, expliqua-t-il, celle qui nous a été effacée, j'ai rencontré la Déesse Athéna.
Il se tourna vers ses pairs, ses yeux brillants d'émotions à revivre sa rencontre fortuite avec la Déesse à laquelle il avait choisi de vouer sa vie.
- Saori ne lui ressemble pas ! Je veux retrouver la véritable Déesse. Celle qui inonde le cœur d'un amour inconditionnel, celle dont le cosmos vous réchauffe l'âme toute entière...
Puis il se tourna vers moi.
- Comment pourrait-on être sûr que Saori tombera dans ton piège ?
Je souris avec confiance.
- Avant que vous ne lui dévoiliez l'emplacement du casque, je vais aller lui rendre une petite visite au Japon.
Une idée venait de germer dans ma tête. Le meilleur moyen pour que Saori prenne l'épée avec elle était encore d'aller la défier moi-même. Un nouveau voyage au Japon s'ouvrait à moi...
…...
Mon Lecteur Inconnu, je dois t'avouer que je suis un peu perdue depuis ce jour-là. J'ai du mal à comprendre les desseins des Dieux et celui des Déesses en particulier.
Il avait été convenu que les Déesses ne devaient pas se mêler de cette partie du plan… mais je ne peux m'empêcher de m'interroger. Athéna avait-elle prévu que son geste aurait de telle conséquence lorsqu'elle a touché le front de Mû dans le temple d'Hécate ? Et Aphrodite pour sa part, comment savait-elle que Mû ne m'avait pas oublié ? Comment savait-elle qu'il aurait besoin d'un endroit sûr ?
Par tous les Dieux mon Lecteur Inconnu, tu n'as pas idée à quel point j'ai envie de hurler de frustration… tant de choses que je ne comprends pas.
Mais je dois bien reconnaitre une chose néanmoins. Si Athéna et si Aphrodite n'étaient pas intervenues dans mes plans, j'aurais menti à Camus et je l'aurais délibérément manipulé. Les Déesses m'ont empêché de faire une énorme erreur. Elles nous ont garanti de nouveaux alliés là où Sorrente et moi étions seuls. Je ne sais pas si c'était vraiment volontaire ou intentionnel de leur part mais, ne serait-ce que pour quelques jours, elles m'ont rendu les personnes que j'aime !
C'est incroyable de se rendre compte que dans le fond, on ne maitrise rien. On n'est jamais maître à part entière de son destin. On a un plan. On croit qu'on est seul à l'exécuter et finalement rien ne va comme prévu, pour le meilleur comme pour le pire. C'est l'histoire de ma vie...
Alors je me surprends à espérer... Peut-être y-a-t 'il un autre plan ?
Mon Lecteur Inconnu, penses-tu que j'ai tort d'y croire ?
Je me dis que les Dieux ont peut-être un plan pour me sauver la vie finalement...
