4 : Repose en paix
Si vous vouliez avoir une idée du lieu le moins accueillant du monde, je vous conseille de faire un tour au secrétariat de l'hôpital Sainte-Mangouste.
Après que le directeur m'ai appris ma séropositivité, j'avais quitté son établissement, comme, prévu, et avait fait quelque chose que je ne m'étais promis de ne pas faire : j'avais repris contact avec le monde des sorciers.
Je savais que les Moldus n'avaient pas de véritable remède au Sida. Leur traitement prolongeait la vie du malade, mais le prix à payer était lourd, très lourd. Si je devais subir ce genre de traitement, il valait mieux que je meure.
Par contre, j'ignorais totalement si les sorciers étaient plus avancé, en fait, je n'avais jamais entendu le mot « Sida » dans la bouche d'un sorcier. Je suis donc allé dans le plus grand hôpital sorcier d'Angleterre, Ste Mangouste.
Quand j'ai expliqué mon problème à la sorcière d'accueil, j'ai eu l'impression d'avoir lâché un mot grossier. En fait, la sorcière m'a regardé comme si je lui avais craché au visage avant de me dire d'un ton sec.
« Notre hôpital ne soigne pas les maladies de Moldus. Partez. »
« Les maladies de Moldus ? Je suis sorcier et pourtant, je l'ai attrapé ! »
« Il n'y a que les Moldus qui l'attrapent. Nous, nous sommes des gens plus convenables. »
« Convenable ? », dis-je interloqué.
Je fus incapable de dire quelque chose d'autre tellement j'étais écœuré. A bout d'un moment, je dus libérer ma place car les suivants de la file commençaient à grogner de mécontentement.
« Ce n'est pas la peine de discuter avec eux. », dit une voix.
Derrière moi, se tenait la personne la plus étrange que j'ai jamais vu. C'était une femme, grande, aux cheveux blonds sales très mal coiffés. Elle avait de grands yeux écartés, une paire de lunettes à écaille et fait encore plus étrange, portait un navet en sautoir.
« Pardon ? », demandai-je poliment.
« Vous n'avez pas entendu ? Je disais qu'il n'était pas la peine de discuter avec eux. Moi, je peux vous aider. »
« Vraiment ? »
« Puisque je vous le dis. Mais on va en discuter dehors. »
Elle m'attrapa par le bras (ses ongles était longs mais au lieu d'être effilés, comme on aurait pu s'y attendre, rongés au bout) et m'entraîna vers la sortie.
« Qui êtes vous ? », demandai-je.
« Mon nom est Louisa Lovegood et je suis chercheuse. »
« Je suis Christian Smith et personne en particulier. Vous cherchez quoi ? »
« La même chose que vous. Un remède contre le Sida. »
« Et vous avez trouvé ? »
« Peut-être. Venez avec moi. »
Je la suivis. Quelqu'un qui avait une apparence aussi loufoque que Mrs Lovegood ne pouvait être vraiment dangereuse. Les gens dangereux ont l'air parfaitement normaux car ils souhaitent passer inaperçu. Au contrairement, le navet en sautoir de Mrs Lovegood attirait beaucoup de regards surpris.
Mrs Lovegood s'arrêta finalement devant une voiture jaune moutarde qui était assez étrange pour être la sienne.
« Je ne sais pas si j'ai réussi, reprit-elle. J'ai besoin d'un cobaye pour tester mon traitement. »
« C'est pour ça que vous étiez à Sainte-Mangouste ? »
« Entre autre. Je vous expliquerai dans la voiture, si vous acceptez. », dit-elle gentiment.
Je n'avais pas vraiment le choix. Les autres sorciers ne m'aideraient pas, vu le comportement de la sorcière de Sainte-Mangouste. Et si elle avait une apparence plutôt étrange, Louisa Lovegood m'avait proposé son aide, avec gentillesse.
« C'est d'accord. »
Le visage de Mrs Lovegood s'éclaira d'un grand sourire.
« Alors c'est parfait. Monte, je vais t'emmener chez moi. »
L'intérieur du tacot sentait un parfum de femme et les frites à emporter. Sur le tableau de bord était suspendu une photo d'un homme large et convivial et d'une petite fille d'une dizaine d'année qui ressemblait beaucoup à Mrs Lovegood. Ils faisaient de grands gestes amicaux au spectateur.
« C'est votre famille ? »
« Oui, c'est mon mari, Robert et ma fille, Luna. Tu vas les rencontrer. »
Mrs Lovegood s'escrima pendant cinq minutes à faire démarrer la vieille voiture. Quand le moteur se mit enfin en marche, la voiture crachota hors de sa place de parking
« Vous savez pourquoi il sont comme ça ? A Sainte-Mangouste, je veux dire ? »
« Ce n'est pas le personnel de Sainte-Mangouste qui ne va pas mais la communauté sorcière entière. Dis moi, Christian, es tu un Sang-Pur ? »
Je fus surpris par sa question. Mrs Lovegood n'avait vraiment pas l'air préoccupé par des choses comme la pureté du sang.
« Je suis un Sang-Pur. », dis-je avec une pointe de honte.
« Alors tu vas très bien comprendre ce que je vais te dire.
La plupart des sorciers se fichent complètement des Moldus. Ils les considèrent comme des gens inintéressants et inférieurs avec eux. Et je ne parle pas que des Sang-Pur, c'est vrai que c'est chez eux que c'est le plus flagrant, mais il y a un racisme latent dans toutes les classes de sorciers envers les Moldus. Même ceux qui se prétendent tolérants se moquent bien de tous ce que les Moldus peuvent faire.
Mais c'est nous les sorciers qui sommes arriérés. »
« Qu'est-ce que vous voulez dire ? »
« Notre magie, nos baguette, tous cela datent de des siècles. A côté des progrès fulgurants qu'on fait les Moldus, nous n'avons rien inventé, rien découvert. Nous sommes encore au Moyen-Âge, Christian.
Pour en revenir à Sainte-Mangouste, les maladies aux causes non-magiques sont assez peu souvent attrapés par des sorciers. Elles ne sont pas traités à Sainte-Mangouste. »
« Et quand un sorcier tombe tout de même malade ? »
« Il se fait soigner par les Moldus. Le Ministère considère qu'il y a des maladies de sorcier et de Moldu et que chacun doit se soigner de son côté.
Mais toi, Christian, tu n'as pas eu n'importe quelle maladie mais le Sida. La maladie tabou par excellence. Celle qui s'attrape par le sang ou par un rapport sexuel non protégé. Or, pour la communauté sorcière, le simple fait d'admettre que des gens puissent se droguer ou avoir des relations d'une nuit, est impossible. Ils sont bien trop « convenables ».
Je ne dis pas que ce genre de problème n'existe pas, mais tout le monde se met la tête dans le sable plutôt que de le voir. La libération sexuelle n'a jamais eu lieu dans notre monde. Les Moldus ont admis depuis longtemps que la drogue et le Sida était un danger mais les sorciers ne le feront jamais. Ils préfèrent croire que tout le monde reste vierge jusqu'au mariage. Je leur ai parlé de mon traitement et ils m'ont ri au nez.
Voilà, on arrive. »
Elle arrêta la voiture devant une grande maison assez branlante. Une petite fille en sortit en courant :
« Maman ! Maman ! C'est qui ? »
« Luna chérie, voici mon nouveau cobaye, Christian. Où est ton papa ? »
« Il écrit son nouvel article sur les Ronflaks Cornus. »
Luna et Robert était exactement comme je l'imaginais. La petite était adorable, intelligente et croyait toutes les idées farfelus de son père et de sa mère. Son père était très sympathique et travaillait apparemment dans un magazine comique. Ils m'accueillirent sans poser de questions et me traitèrent comme si j'étais un ami perdu de vue qui débarquait pour les vacances.
D'après ce que je compris du peu qu'elle m'expliqua, le traitement de Mrs Lovegood était basé sur ceux des Moldus, auquel était ajouté diverses techniques magiques.
« Je suis sûre que si il avait connu notre monde, les Moldus auraient trouvé depuis longtemps. Je regrette que le Ministère continue à leur cacher la vérité comme si il était encore au temps de la crémation des sorcières. »
Finalement au bout d'un mois, Mrs Lovegood m'apprit les résultats :
« Je l'ai fait ! J'ai réussi ! Foi de Joncheruine, ils vont être obligé de me prendre au sérieux au Ministère ! »
« C'est formidable ! Je suis vraiment guéri ! Et c'est grâce à vous ! Comment puis-je vous remercier… »
« Moi aussi, je dois te remercier. Peu de gens auraient eu le courage de tenter un traitement qui auraient pu être inefficace, voire dangereux. »
La soirée fut consacré à fêter la réussite de Mrs Lovegood, autour d'un bon repas. Encore aujourd'hui, si je dois citer un exemple de famille heureuse, c'est celle là que je choisirais. Moi qui n'ai eu qu'une famille morcelé, j'aurais aimé être le frère de Luna et avoir un père et une mère comme Mr et Mrs Lovegood.
Le lendemain, Mrs Lovegood partit de bonne heure au ministère apporter la conclusion de ses expériences. Elle revint dans la matinée très dépitée :
« Ils ne m'ont toujours pas écouté. Quand j'ai évoqué le fait de soigner des Moldus, ils m'ont même menacés. Mais je ne vais pas renoncer ! Je révélerai l'existence du monde de la magie moi-même si il le faut ! »
Les jours suivants, j'eus de plus en plus l'impression que Mrs Lovegood s'acharnait et le Ministère commençait à s'inquiéter. Finalement, nous reçûmes une visite de la part de la personne la plus inattendu qu'on aurait pu imaginer dans une maison comme celle des Lovegood. Ce fut Luna qui me prévint :
« Christian, Christian, le Ministre de la Magie parle avec maman. »
« Le Ministre de la Magie ? »
Je laissais la petite et rejoignit le couloir qui donnait sur la salle des expériences de Mrs Lovegood. En tendant l'oreille, je pourrais entendre sa conversation avec le Ministre.
« Si encore, il ne s'agissait que des malades sorciers, je pourrais peut-être faire quelque chose. Mais là c'est impossible… Mon mandat… L'opinion public…
Je vous prie de ne pas vous entêter… Je n'aimerais pas être obligé de… »
« Obligé de quoi ? »
Pour ce que je pouvais voir du Ministre par le trou de la serrure, il avait l'air extrêmement mal à l'aise et ne cessait de faire tourner son chapeau melon dans ses mains.
« Très bien… Venez Macnair. »
J'eus juste le temps de me plaquer contre le mur d'en face avant que le Ministre n'ouvrit la porte, suivi par un colosse à la mine patibulaire. Il avait remis son chapeau melon mais était toujours très pâle. Alors que je n'avais pas ouvert la bouche, il me dit précipitamment :
« Bonjour, jeune homme. Vous êtes celui qui avait testé la technique du professeur Lovegood. J'aurais bien aimé bavardé mais je suis un homme très occupé… »
Je ne l'arrêtai pas. J'aurais du.
De regrettables accidents arrivent tous les jours. Surtout quand ils sont programmés. Deux jours après cette petite visite, Mrs Lovegood a été victime d'une de ses redoutables accidents. Et j'ai le regret de vous dire qu'elle n'a pas survécu.
Ca s'est passé pendant une belle après-midi. Mr et Mrs Lovegood travaillaient et Luna regardait par la vitre du laboratoire. Je passais par la couloir et je lui dis :
« Viens, Luna, il ne faut pas rester ici. »
Une seconde après, l'explosion fit trembler les murs.
Lorsque le Ministre de la Magie vint présenter ses condoléances à la famille endeuillée, je le pris à partie :
« Vous l'avez tuée ! Vous l'avez tuée ! Parce qu'elle préférait sauver des vies plutôt que préserver le secret de notre existence ! Vous êtes un monstre… »
« Ce n'est qu'un… regrettable accident, dit le Ministre mais son regard était fuyant, puis il continua d'un ton faussement enjoué. Je crois que vous êtes Américain. Je pourrais vous obtenir la citoyenneté anglaise si vous le désirez… »
« Essayez vous de me soudoyer ? »
« Je vais juste preuve de générosité. Vous ne pouvez demeurer ici pour toujours. »
Puis il reprit plus bas :
« Vous ne pouvez rien prouver. L'explosion a détruit toutes les notes et seule feu Mrs Lovegood savait le contenu du remède. Je pourrais prétendre que ses recherches n'avaient jamais abouti et que vous n'avez jamais été malade.
C'est votre parole contre celle du Ministre de la Magie. Réfléchissez mon garçon. Vous ne réussiriez qu'à salir la mémoire de votre amie. »
Je me mordis amèrement la lèvre. Il avait raison.
« Alors tout ce qu'elle a fait… n'a servi à rien. »
« Non. Vous êtes un homme libre et en bonne santé maintenant. Tâchez d'en profiter. »
FIN
Epilogue : The beginning
A la terrasse d'un café londonien, je viens d'achever le manuscrit qui racontait l'histoire d'une vie déjà bien remplie, depuis son enfance dans l'Utah jusqu'au meurtre d'une obscure scientifique de la banlieue de Londres.
Fudge, le Ministre, m'a obtenu la nationalité anglaise comme il l'avait promis, ainsi qu'une quantité substantielle d'argent sans que j'en fasse la demande, histoire d'acheter mon silence.
Je vais peut-être réussir à retrouver Angel.
Je vais travailler, mais sûrement pas dans un bar.
« On ne te demandera pas de réciter du Platon en servant des verres… » Ca me ferait presque rire aujourd'hui.
J'ai trouvé un appartement et me suis acheté un téléphone portable car je n'ai pas de ligne fixe.
J'ai arrêté de fumer. Je n'ai pas échappé au Sida pour avoir un cancer des poumons à trente ans.
Dire que j'avais commencé à cause d'Angel. Où est-il aujourd'hui ? Quelque part sur le même bout de continent ?
Je vais vivre, avec ou sans raison, parce qu'une femme bonne et intelligente a sacrifié sa vie pour que moi, et tant d'autre, puisse vivre.
Soudain, mon téléphone sonne. Qui peut m'appeler en pleine après-midi ?
« Christian, c'est toi ? »
Comme un fantôme tout droit sorti du passé, je reconnais la voix de ma sœur Laura.
« Laura ? »
« Oh, Christian, je suis tellement contente de t'entendre ! Tu sais, quand tu as fui la maison, j'ai cru que je pourrais plus jamais te parler. Moi aussi, je suis partie. J'ai épouse Rinaldo et maintenant, on est ensemble sur la côte est, et ça va beaucoup mieux… »
J'interrompis son flot de paroles :
« Comment tu m'as retrouvé ? »
Elle rit :
« Mais je ne t'ai pas retrouvé ! C'est Angel. »
Je manque de m'étouffer.
« Angel ? Il me cherchait ? »
« Angel ne t'a jamais laissé tomber. Quand Père a appris pour vous deux, ils l'ont balancé de force dans le premier cargo en partance pour l'Angleterre. Je l'ai entendu, il hurlait comme un dément et… Je ne sais pas ce que Père t'a raconté, mais n'oublie pas qu'il cherchait à te faire du mal. »
« Et comment il m'a retrouvé ? »
« Il a gardé contact avec moi (c'est d'ailleurs lui qui m'a conseillé de m'enfuir) mais il pensait que tu étais aux Etats-Unis. Ce n'est que récemment qu'il a appris que tu étais aussi en Angleterre par un de tes amis… Jay je crois. »
« Angel a parlé avec Jay ? »
« Si je sors d'ici et que j'offre à la société un visage souriant, même si le sourire est hypocrite, j'obtiendrais peut-être sa garde. » Si Angel a pu le rencontrer, ça veut dire qu'il est sorti du centre. Je me demande si il a récupéré la garde de sa petite sœur…
« Oui, et il lui a dit que tu étais sorti de désintox' mais que tu devais être encore à Londres. Angel a fini par te trouver parmi les personnes nouvellement régularisés et il m'a donné ton numéro… Tu es anglais, maintenant ? »
« Oui d'ailleurs je…. Attends une seconde, si Angel a retrouvé mon numéro, il doit connaître l'adresse de mon appartement… »
« Ben oui ! D'ailleurs, tu devrais y aller. Il doit t'attendre. »
Je lui dis au revoir et raccroche. Je vais revoir Angel. Je devrais être content mais je me sens perdu. Je pensais au fait de revoir Angel comme un évènement lointain auquel je pourrais me préparer mais voilà que cela arrive maintenant. Est-ce qu'il a changé ? Est-ce que j'ai changé ?
L'odeur de la fumée de cigarette m'empêche de me concentrer. Pourquoi faut-il qu'il y ait dans ce café quelqu'un qui fume les même clopes que moi ?
Angel… et le parfum sucré des Black Stones…
Je lève les yeux, et il est là. Il m'attendait, en m'observant, se disant sans doute « Lève, les yeux, Christian, lève les yeux ! »
« Bonjour, Christian. »
C'est bizarre, je sens qu'arrêter de fumer va être plus dur que prévu…
