4 – Docteur Jekyll et Mister Hyde
« Rodney, stop. »
Pourquoi, ai-je l'impression de commencer toutes mes phrases par la même chose ? Je suis devenu « mono »glotte, mon vocabulaire s'est soudainement raréfié, limité à l'utilisation de synonymes pour « non » : stop, arrête, pas question, dans tes rêves …
Rodney arrête, juste le temps de me lancer un regard qui en dit long sur les persécutions que je lui fais subir, et recommence.
Nous sommes à la cafétéria, il est 9 heures et dix minutes, j'ai un briefing pré-mission dans quinze minutes et lui un rendez vous avec Kate. Nous sommes là depuis bientôt une demi-heure et il n'a toujours rien mangé. Il fait semblant de boire son café, le sirotant bruyamment, faisant des bulles avec une paille …
Je soupire.
Carson a accepté qu'il puisse continuer à boire du café, à condition que ce ne soit pas plus de deux fois par jour et avec du lait, ou de la crème, et un seul sucre. Mais ne croyez pas que notre résident écossais ait cédé si facilement … la menace de prendre des douches froides jusqu'à la fin de son séjour sur Atlantisn'y a rien fait et je crois que c'est la promesse de Rodney de le nommer officiellement comme mon remplaçant dans les tests concernant la Chaise qui l'a emporté. Carson a vraiment une peur bleue de cette Chaise depuis cette malheureuse expérience en Antarctique et bien entendu, la petite peste le sait pertinemment … son sourire lorsque Carson lui a annoncé la bonne nouvelle m'a rappelé celui de notre ami Kolya …
Seulement, Carson n'a pas tout à fait dit son dernier mot, Ok pour du café au lait, mais pas moyen de le faire renoncer à la visite hebdomadaire chez Kate Heightmeyer, notre psychiatre attitrée.
J'ai envie de dire que Kate en a vu d'autres depuis que nous sommes ici mais, à voir sa tête lorsque je lui amène monstrum 1er toutes les semaines, je ne suis pas sûr que c'est un cadeau à lui faire … elle aurait certainement aimé elle aussi que Carson annule ces séances. Je suis sûr que maintenant la pauvre femme n'aura jamais d'enfants … S'il y a des traumatismes qui sont insurmontables, Rodney en est un …
« Arrête de jouer avec ton café, bois le et mange. »
« J'pas faim. »
« Force toi. »
Il soupire et prend un biscuit … avec lequel il se met à jouer et qui finit en miettes sur la table.
Les nombres premiers défilent dans ma tête … en tchèque … yep, j'ai perfectionné ma technique. Lorsque je rouvre les yeux, je constate que Teyla nous a rejoints.
Encore quelque chose que je ne pige pas.
Teyla est complètement fascinée par Rodney. Gaga. Je veux dire, pour elle, c'est la huitième merveille du monde … personnellement, je pencherais plutôt pour un croisement wraith/goaoul'd …
Elle lui sourit, se penche vers lui et dépose un baiser rapide sur son front. Il lui rend son sourire. Je peux lire sur le visage de Teyla que les moustaches de crème donne à Rodney un côté « siiiii chou », ouais, c'est ça …
Teyla jette un coup d'œil au plateau du petit chou en question, hausse un sourcil et prend un ton faussement sévère.
« Rodney, il faut que tu manges ! Et quelque chose d'un peu plus équilibré que ça … »
Elle me jette un regard réprobateur. Et me voilà dans la peau du parent indigne.
Quelqu'un pourrait-il me dire pourquoi j'ai accepté de signer ces foutus papiers de « tuteur légal » ? Je devais être sous influence extraterrestre … d'autant que si je me souviens bien, personne d'autre ne voulait prendre cette charge … bande de lâches ! Facile de critiquer maintenant …
Teyla lui tend un fruit, une sorte de petite banane que les athosiens cultivent sur le Continent, le goût est plus proche de la poire que de la banane mais c'est mangeable, plutôt sympa en fait et justement … mon sourire s'élargit … je sais que Rodney lui, déteste ce fruit. J'attends de voir comment il va se sortir de ce mauvais pas sans vexer sa groupie … le coup du signal radio avec « urgence, question de vie ou de mort » ? Une leçon sur les mérites de la farine et du beurre versus fruits et légumes ?
Rodney sourit toujours. Il tend la main et prend le fruit.
« Merci Teyla. »
Je lève les yeux au ciel. Le ton qu'il prend pour parler à Teyla est à la fois mielleux et si … si … gamin ! Il le fait exprès et après c'est moi qui passe pour un ignoble tyran, peut-être même pour quelqu'un d'un peu dérangé … qu'ils viennent vivre avec le docteur Rodney McKay, petite chose adooooooorable de sept ans, et on verra s'ils arrivent à rester sain d'esprit longtemps !
Rodney épluche soigneusement le fruit, dépose la pelure sur la table, me regarde … et avale le fruit, comme ça, en une seule fois ! Il sourit à Teyla et reprend son mug de café au lait.
La petite peste …
Nous discutons quelques minutes avec Teyla de notre prochaine mission, puis elle se lève, dépose un autre baiser sur les cheveux de Rodney cette fois, puis sort de la cafétéria. Nous avons rendez vous dans moins de cinq minutes avec Elisabeth et Ronon.
Je me tourne vers Rodney, les bras croisés sur ma poitrine et j'attends.
Pas bien longtemps.
Il relève la tête de son mug et me sourit … un sourire à la banane.
Le petit malin a réussi à coincer le fruit entier entre ses gencives et ses dents ... Je me demande si je dois parler de ça à Kate … ou à qui que ce soit en fait.
oOo
J'ai déposé Rodney chez Kate et nous sommes dans le bureau d'Elisabeth en pleine discussion sur l'opportunité de nous immiscer dans la mini guerre civile qui sévit entre les Vélatiens et leurs voisins, et néanmoins lointains cousins, les Rulvus, lorsque ma radio se met en marche.
/Colonel, pourriez vous nous rejoindre Rodney et moi dans mon bureau … maintenant./
oOo
Lorsque j'arrive, Rodney est assis sur le divan, face au bureau de Kate. Il serre Chucky dans les bras …
Oho.
Mauvais signe, très mauvais signe.
Durant les deux premières semaines de sa petite cure de jouvence forcée, il n'y a pas eu une seule nuit sans cauchemar … Il en fait encore, de temps en temps … ce que le Rodney de 38 ans arrivait à analyser et à accepter, les wraiths, les géniis, la mort de ceux qui lui étaient proches … tout ce que nous avons traversé de pire depuis les deux ans que nous sommes dans la galaxie de Pégase … tout ce qu'il a vécu de traumatisant revient comme un boomerang … un boomerang qu'un gamin de 7 ans est incapable de maîtriser. Résultat : cauchemars à répétition et visites hebdomadaires chez Kate.
C'est pour ça que Junto, le fils d'Halling lui a offert ce jouet, mi peluche mi poupée, à l'effigie d'un wraith. J'ai d'abord hésité à accepter cet étrange cadeau … jusqu'à ce que je retrouve Rodney endormi, serrant l'horrible poupée dans ses bras, suçant son index, son autre main enfouie dans les longues tresses argentées.
Je devrais peut-être demander au Colonel Carter de lui ramener une peluche Goaoul'd à son prochain voyage.
Bref … c'est comme ça que nous avons adopté Chucky.
Mais il y a une règle … Bien qu'il se trimballe partout avec la poupée dans son sac à dos, Rodney ne la sort que pour les occasions « spéciales » : la nuit bien sûr, et … et bien, lorsqu'il pense qu'il s'agit d'une occasion « spéciale ». Ce qui semble être le cas maintenant …
Kate m'adresse un regard désolé … ce n'est pas la première fois qu'une séance se termine, disons, un peu difficilement … Elle me fait signe qu'elle va nous laisser seuls quelques instants et sort discrètement …
Je m'installe sur le divan près de Rodney … et j'attends. Il finit par rompre le silence.
« Je déteste ça » dit-il dans un soupir.
« Je sais. »
« Je voudrais … je voudrais être grand. »
« Ca va venir. »
« Non … je voudrais être grand maintenant … comme avant. Je voudrais être moi.»
Je crois que si Epimétheus se trouvait juste en face de moi, là maintenant, Ancien ou pas, je l'étranglerais volontiers. Il n'avait aucun droit de faire ça à Rodney, aucun… Je serre les poings et ma mâchoire en prend encore un coup … ma venue sur Atlantis a eu un effet catastrophique sur ma dentition …
Et puis, je sens une petite main se poser sur la mienne.
Rodney ne me regarde pas, il a enfoui sa tête dans la chevelure de Chucky, mais le message est clair … je le prend dans mes bras, ses bras s'enroulent automatiquement autour de mon cou, ses jambes autour de ma taille, Chucky finit écrasé entre nos deux poitrines … fin plutôt ironique pour un wraith …
Je le berce doucement, je lui dit qu'il est toujours lui, mais en différent … Il produit un petit ricanement à cette dernière affirmation, il est vrai, légèrement contradictoire … je berce, je continue à raconter un peu n'importe quoi, je lui parle de la rivalité entre les Vélatiens et les Rulvus, de la pluie et du beau temps, j'énonce tour à tour banalités et grandes vérités … Je lui dit que je l'aime, que j'aime le Rodney de 7 ans comme j'aime le Rodney de 38 ans, que tout va bien se passer …
Il finit par s'endormir … Je caresse ses cheveux … Et je me rends compte que pour rien au monde je ne renierais l'engagement que j'ai pris de veiller sur lui. Il est ma responsabilité … j'ai accepté de l'accompagner dans cet étrange voyage qui valui permettre de redevenir lui … et qui sait, peut-être même un peu plus que ça ...
Fin de la quatrième partie …
