Aria ouvrit péniblement les yeux. La pénombre de son dortoir vide lui indiqua que soit le soleil ne s'était pas encore levé, soit le temps à l'extérieur était extrêmement maussade. Mais elle comptait rarement sur la luminosité de la pièce pour deviner le temps ou l'heure de la journée : son dortoir se situant sous le Lac Noir, les fenêtres étaient généralement très sombres, même si les jours de grand soleil l'eau verdâtre lui laissait parfois entrevoir une tentacule du calamar géant, ou des strangulots nageant avec paresse. Elle s'assit dans son lit, et prit le temps de s'étirer. Elle était d'excellente humeur.

C'était la première fois qu'elle dormait seule dans son dortoir; ses trois camarades de chambre étant toutes rentrées chez elles pour les vacances. Peu de Serpentards étaient restés au château : quelques septième années dont deux filles qui dormaient dans le dortoir en face du sien et quelques autres garçons, et très peu d'élèves des années inférieures. Aria supposait que ceux de son âge avaient voulu profiter au maximum de Poudlard pour leur dernière année. Profitant d'être en vacances et de ne pas avoir à porter d'uniforme, Aria s'habilla avec ce qui lui passait sous la main, un pull indigo qui portait un écusson aux armoiries des Justice, et une jupe noire avec d'épais collants de laine. Elle portait exclusivement des robes ou des jupes, fidèle aux traditions sorcières, et se demanda si elle oserait un jour porter un pantalon. Si jamais cela lui arrivait, il ne fallait surtout pas que ce fut en présence de ses grands-parents Justice. Elle esquissa un sourire en imaginant sa grand-mère paternelle piquer une crise devant un jean moldu.

Elle remonta les escaliers des cachots afin de se rendre à la Grande Salle où une seule table avait été dressée, au milieu de la pièce : c'était généralement là que les Gryffondors s'asseyaient, mais comme Dumbledore leur avait précisé la veille, il était inutile de garder la séparation entre les maisons alors que tout le monde pouvait tenir sur une seule table, et cela facilitait le travail des elfes de maisons oeuvrant aux cuisines. Elle rejoignit Will vers le milieu de la tablée, qui semblait avoir beaucoup de difficultés à se réveiller et regardait son thé d'un air morne, ses boucles brunes plus désordonnées que jamais. Comme Aria, elle avait délaissé son uniforme mais portait des vêtements typiquement moldus : un jean, un gros pull en laine rouge et des baskets.

- Eh, Will, ça va ? lui demanda Aria en s'asseyant près d'elle et en se servant un grand verre de jus de citrouille.
- Mmmph, grogna sa cousine.
- C'est si agréable d'avoir mon dortoir pour moi seule, se réjouit Aria. Je ne sais pas si j'ai déjà aussi bien dormi en plus de six ans ici.

Will grogna à nouveau, la tête entre ses bras. Elle marmonna quelque chose d'inintelligible. Aria porta une main à son oreille, théâtrale.

- Ah, je crois que Miss Justice vient d'effectuer une tentative de communication. Plaît-il ?

Les deux Pouffsouffles qui étaient attablées face à elles sourirent à la blague d'Aria.

- J'ai pas beaucoup dormi, râla Will.
- Pourquoi ?
- On a fait un tournoi de bataille explosive jusqu'à trois heures du matin, répondit-elle d'une petite voix.
- Tu as gagné, au moins ? lui demanda sa cousine, amusée.
- Même pas, maugréa-t-elle en levant les bras au ciel. James m'a battue, au dernier moment. J'étais à deux doigts de la victoire, à deux doigts du trophée !

Aria rit de bon cœur.

- Et quel était ce trophée ?
- Une bouteille de Whisky Pur-Feu de trente ans d'âge.

Aria la regarda, étonnée.

- Me regarde pas comme ça, je sais pas d'où ils la sortaient. Je l'aurais gardée pour la remise des diplômes en juin. Mais c'est James qui l'a eue, et je suis sûre qu'elle sera terminée à l'anniversaire de Sirius jeudi.
- M'a-t-on appelé ? Aurais-je entendu mon merveilleux prénom sortir d'une de ces petites bouches endormies ?
- Ma douce Will, ne me dis pas que tu noies ta défaite dans le thé, tout de même !

Potter venait de s'installer aux côtés de Will, Black s'asseyant face à lui.

- Bonjour, mesdemoiselles, glissa-t-il aux Pouffsouffles qui gloussèrent en réponse. Toi, je ne te souhaite pas le bonjour, je te souhaite même un mauvais jour.

Aria n'eut pas besoin de lever la tête du toast qu'elle était en train de beurrer pour savoir qu'il s'adressait à elle. Mais qu'importe, il n'allait certainement pas lui gâcher sa journée.

- Mauvais jour à toi aussi, Black, lui répondit-elle, son sourire toujours présent sur ses lèvres.

Ce dernier n'eut pas le temps de lui répondre que Will, qui souhaitait éviter une énième dispute de si bon matin, lança un sujet de conversation.

- Où sont Remus et Peter ?
- Ça, c'est top secret, Will, lui répondit Black en lui faisant un clin d'oeil.
- Arrête, Patmol, rit Potter. Remus est toujours malade, il est encore à l'infirmerie, et Peter est allé lui amener des chocogrenouilles.

La conversation s'arrêta net lorsque les hiboux et chouettes distribuant le courrier entrèrent par les fenêtres de la Grande Salle. Plusieurs d'entre eux déposèrent sur la table des exemplaires de la Gazette du Sorcier, dont la chouette hulotte d'Aria. Elle commença à décacheter une lettre qu'elle avait reçue de sa mère, mais plusieurs cris se firent entendre autour d'elle. Les quelques élèves ayant ouvert leur journal contemplaient la première page, horrifiés. Alarmée, Aria prit son propre exemplaire et eut le souffle coupé : les nouvelles étaient terribles. Une famille de sorciers, les Gucknoff, avait été retrouvée assassinée ce matin-là, dans leur domicile familial. Les deux parents étaient des Aurors, et leurs enfants étaient deux Serdaigles de troisième et quatrième année. Will, qui avait lu la première page en même temps que sa cousine, la regarda d'un air grave. Aria jeta un œil du côté d'un groupe de Serdaigles plus jeunes qu'elles, un peu plus loin, qui semblaient dévastés.

- Pas besoin de chercher bien loin pour savoir qui a fait ça, déclara soudainement Black, l'air sombre.
- Des mangemorts, ajouta Potter avec tristesse.
- Ouais, et on a même un membre de leur belle famille de connards juste ici !

Il désigna Aria d'un geste de la main. Elle leva la tête vers lui confuse.

- Pardon ?!
- Joue pas les innocentes Justice, tout le monde sait bien d'où viennent les Mangemorts, des sang-purs Serpentards !

Aria ne l'avait jamais vu la regarder avec tant de haine et de mépris. Elle ne savait même pas quoi lui répondre tant elle était choquée par cette accusation.

- Et tu insinues que moi j'en serais une ?!
- Pas besoin d'insinuer, c'est sûr et certain ! Il n'y a de juste que votre nom, dans ta famille !
- Eh ! protesta Will, énervée.
- Tu es sûr de ça, Black ?! vociféra Aria. Parce qu'aux dernières nouvelles, c'est en grande partie des membres de ta famille les sang-purs Serpentards qui sont soupçonnés être des Mangemorts !
- Ces ramassis de sous-humains ne sont pas ma famille !

Aria et Black s'étaient levés, baguettes en main.

- Ce n'est pas parce que tu te réveilles un beau matin en décidant que tu n'es plus un Black que tu cesses d'en être un ! C'est toujours leur sang qui coule dans tes veines !
- Forcément que tu t'y connais en sang, vu que c'est tout ce qui compte pour ta famille de dégénérés !
- EH ! cria Will, qui s'était levée aussi. C'est aussi de ma famille dont tu parles !

Le silence s'était peu à peu installé dans la salle, tous les regards s'étaient tournés vers la source du chahut. Black parut déstabilisé pendant quelques secondes par les mots de Will, puis haussa les épaules.

- J'y peux rien si t'en fais partie.

Elle recula d'un pas, assommée par les propos durs qui sortaient de la bouche de son ami de longue date.

- Euh, Patmol... commença Potter en fronçant les sourcils.
- Je t'interdis de lui parler comme ça ! tonna Aria en ignorant Potter, hors d'elle.

Il pouvait lui dire tout ce qu'il voulait, mais il n'avait pas à s'en prendre à Will.

- Je lui parle comme je veux ! C'est pas toi qui vas me dire ce que je dois faire !
- C'est vraiment comme ça que tu me considères, Sirius ?! demanda Will, la voix vacillante.

Il haussa à nouveau les épaules, le visage fermé. Will retenait visiblement ses larmes, mais ne perdit pas la face.

- Et il est où, ton frère en ce moment, Sirius ?

Il fronça les sourcils.

- Parce qu'aux dernières nouvelles, lui aussi s'amusait bien avec ses petits potes Mangemorts.
- C'est pas mon frère, répondit-il, tremblant de rage.

Il serrait si fort sa baguette qu'elle crachait des étincelles rouges. Les Justice n'eurent pas le temps de lui répondre : la professeure McGonagall était arrivée près d'eux, furieuse.

- Monsieur Black, Mesdemoiselles Justice ! Dois-je réellement vous rappeler que certains de vos camarades sont en deuil ? Tout ce tapage est inadmissible ! Je retire trente points à chacun d'entre vous, et je veux que vous sortiez de la Grande Salle immédiatement ! Oui, vous aussi, Potter !

Elle les escorta jusqu'à la sortie, visiblement outrée par leur comportement.

- Vous avez de la chance que je ne vous mette pas en retenue, vous auriez bien besoin de réfléchir à vos actes ! Maintenant, déguerpissez, que je ne vous revoie plus !

Elle s'éloigna pour rejoindre la table des professeurs. Tous les élèves regardaient encore leurs quatre camarades, et la double porte se referma sur eux en un coup de vent.

- Il faudrait vraiment arrêter de vous sauter à la gorge pour n'importe quelle raison, vous deux, soupira Potter en se pinçant l'arête du nez.

Alors qu'Aria et Black commençaient à protester, Potter les fit taire en leur lançant un silencio.

- Bon, j'ai pas d'autre solution pour vous qu'un duel. Demain soir, minuit, à l'entrée de la Forêt Interdite. Patmol, je serai ton second, et Will, tu seras celle d'Aria.
- Avec plaisir, maugréa Will, visiblement très remontée contre Black.
- Quiconque perdra devra laisser l'autre tranquille pour le reste de l'année, et devra lui présenter ses excuses pour toutes les choses horribles qu'il ou elle lui a dites depuis toutes ces années. Votre petite guerre a assez duré, vous croyez pas ?

Aria et Black ne pouvaient pas répondre, toujours sous le charme du silencio, mais hochèrent lentement la tête en évitant de se regarder.

- En plus, vous commencez à entraîner des gens qui n'ont rien à voir avec tout ça avec vous. Ça devient ridicule.

Il prit son meilleur ami par le bras et le tira vers lui alors qu'il s'éloignait des Justice.

- Je vais demander à Lunard d'établir les règles du duel dès maintenant. Finite !

Aria sentit sa langue se délier, mais garda le silence alors qu'elle regardait les deux Gryffondors se diriger vers les escaliers. Elle se tourna vers Will, qui avait de grandes difficultés à retenir ses larmes.

- Je veux pas en parler, lui dit-elle d'une voix étouffée avant que sa cousine n'ouvre la bouche. Pas tout de suite.

Aria, le cœur serré, entraîna Will vers la cour intérieure de leur école. Elle ne l'avait jamais vue aussi démunie.