Chapitre 8 : La vie que l'on décide de mener

A la suite de cette révélation, le Marine resta silencieux pendant quelques instants. Malorie se demandait ce qu'il pouvait bien en penser. Elle lui avait dit la stricte vérité, puisque telle était l'une de ses dettes.

-Quel âge as-tu ?

La question intrigua Malorie. Qu'est-ce que cela pouvait-il bien lui faire ?!

-17 ans.

-Si jeune.

Elle perçut une sorte de tristesse dans la voix de l'homme, ce qui la frustra légèrement. Elle n'était pas ici pour recevoir de la pitié. Elle allait démanteler ce camp et puisque le Marine y tenait tant, elle le ferait juste un peu plus tôt que ce qu'elle avait planifié.

Ils attendirent la fin de la nuit, en silence avant de défaire le camp et de commencer à avancer.

La jambe de Malorie ne la lançait plus autant que la veille. Même si cela lui arrachait la bouche et lui comprimait l'égo, elle devant avouer que le gradé l'avait bien aidé sur ce coup-là. Le gradé qui, d'ailleurs, continuait sa route dans la forêt, loin devant elle alors qu'il ne savait pas où il se dirigeait.

S'il lui avait un peu semblé ouvert près du petit lagon, elle avait l'impression que depuis sa dernière révélation, il s'était complètement fermé et plongé dans le silence. Mais ce qui dérangea la jeune fille fut que cela la frustra. Pour une raison qui lui était inconnue, le fait que cet homme se braque l'énervait.

Ils continuèrent cependant pendant quelques heures à gravir la montagne. Malorie était passé en tête lorsque l'Amiral se rappela qu'il ne savait pas où se trouvait le campement. Malgré sa puissance, son intuition et son sens de la réflexion aiguisé, il était tout de même assez atypique.

Puis l'homme s'arrêta soudainement, le visage toujours aussi froid. Ne comprenant pas, Malorie l'observait, le souffle court à cause de la montée, attendant qu'il fasse une quelconque action.

-Vivre une vie de servitude ne te dérange donc pas ?

Malorie fut déstabilisée. Ils arrivaient près du camp, proche d'enfin en finir et il posait cette question, comme ça, alors qu'ils ne se connaissaient même pas. Face au silence de l'assassin, le gradé continua.

-N'as-tu jamais rêvé d'une autre vie ?

-Je n'ai connu que cela, maintenant avançons.

Malorie continua donc à avancer mais l'homme ne bougeait pas, restait en retrait, ce qui commençait à agacer la jeune fille. Les phrases de l'Amiral lui firent mal mais elle passa outre, parce qu'on lui avait appris à ne plus écouter ses sentiments, à ne plus rien ressentir.

-Il y a tellement d'autre chose à voir.

-Vous commencez à me faire chier !

Vive, tranchante, elle avait dit cela sans réfléchir, sous le coup de l'émotion. Cela faisait des années que Malorie ne s'était pas laissé emporter. Parler et ouvrir de vieilles blessures ne servait à rien. Le clan, les épreuves, la torture, les morts, elle n'avait connu que cela et cela l'avait fait devenir plus forte. Sa loyauté allait envers son maître, c'était tout, point final. Ou du moins se forçait-elle à le croire.

Alors elle continua à avancer, le visage crispé par la colère.

-Tu vas donner ta vie à un homme qui t'as fait subir les pires sévices, qui t'as enlevé ta personnalité, qui t'as complètement formaté, qui t'as fait souffrir, qui t'as torturé, uniquement parce que tu penses que tu n'es faite que pour cela ? Et tu comptes faire subir ces mêmes atrocités à d'autres jeunes ?

Malorie arrêta de marcher. Elle serra les poings et une boule se forma dans sa gorge. Elle savait déjà tout cela. Elle avait appris à l'accepter. Mais elle ne comprenait pas pourquoi cet homme arrivait tant à la déstabiliser.

-La vie t'offre tant de possibilités. Tu le sais. Au fond de toi, tu veux quitter tout ça.

-La ferme !

-Je l'ai lu dans tes yeux. Tes yeux hurlent de douleur. Ton aura est spéciale Malorie, elle est tourmentée, elle se fend en deux, comme si deux loups se battaient entre eux à l'intérieur. Cela démontre bien que tu n'es pas encore perdue, il reste encore un espoir, infime.

Il venait de l'appeler par son prénom. Cela lui coupa le souffle. Elle prit une grande inspiration. Sa loyauté allait envers son maître. Lui qui lui avait tout donné. Tout appris. Cet homme-ci, elle ne lui devait rien.

Alors elle continua à avancer.

-Tu n'as jamais eu envie de connaître le mot « liberté » Malorie ?

-Fermez-là !

Elle se retourna, le visage crispé par la douleur, le regret et le doute.

-Pour qui vous prenez-vous ?! La Marine a fait ce que je suis aujourd'hui ! Où étiez-vous lorsque l'on a tué mes parents ?! Que le village était en flamme ?! Vous n'avez rien fait ! Parce que la Marine n'attaque pas les Dragons célestes ! Alors vous nous avez laissé crever ! Et aujourd'hui pour apaiser votre peine, votre culpabilité, vous débarquez en vous disant que vous allez effectuer une bonne action ?! Je suis une Husunu ! Je suis la mort ! Je suis ce pour quoi on m'a formé, élevée, éduquée ! Alors allez-vous faire foutre avec vos remises en question ! La seule raison pour laquelle je ne vous ai pas tué et que j'ai encore plusieurs dettes envers vous !

Malorie explosa comme jamais elle ne l'avait fait. Mais malgré la violence de ses mots, son manque de respect et la douleur qui perçait l'atmosphère, l'Amiral restait insondable face à elle. Il se contentait de la toiser, sans rien dire.

-Tu es celle que l'on t'a fait devenir. Ce n'est pas ton passé qui te définit, ce sont tes choix.

Une larme coula sur la joue de la jeune fille mais elle se retourna et continua son chemin. Cet homme était vraiment étrange mais Malorie ne comprenait pas pourquoi il arrivait à la percer à jour, elle qui n'avait jamais été influencé par personne.

L'Amiral incisa en un instant devant elle. Elle s'arrêta, lui disant de dégager le passage. Mais il continuait de la fixer sans rien dire, une expression grave au visage. Et après quelques secondes, il se contenta de lui tendre sa main.

Malorie le regarda incrédule. Son expression grave laissait paraître une colère sourde, une détermination inébranlable dans ses yeux. Malorie observa, presque tremblante, l'Amiral Aokiji lui tendre sa main.

-Laisses-moi t'aider.

Il avait dit cela sans ton particulier. Comme si cela était un fait établi. La boule présente dans la gorge de la jeune fille se serra fortement, accompagnée d'une certaine douleur dans le cœur.

-Deviens libre. Suis-moi Malorie D. Husunu.

Malorie fut horrifiée de se rendre compte qu'elle venait de douter. Même pas une minute, presqu'une demi-seconde. Mais elle venait de douter. Son corps venait d'être parcouru d'un frisson.

Il est rare que deux étincelles se rencontrent en ce bas monde, mais lorsque cela se produit, le brasier qu'elles créent devient inarrêtable.

-Parcours les mers à mes côtés. Tu hais la Marine mais je saurais te guider vers une Justice que tu défendras. Suis-moi et changeons ce monde.

Les larmes coulaient à présent sur les joues de la jeune fille. Jamais personne ne lui avait parlé avec autant de prévenance, jamais personne ne lui avait donné autant d'attention. Pourquoi une voix intérieure lui hurlait de le suivre.

-Je suis Husunu, se contenta-t-elle de répondre.

-Viens avec moi. Personne ne te fera de mal. Je combattrais tes ennemis.

-Je ne peux pas, mon maître est …

-Prends ta liberté Malorie, elle t'appartient.

Elle ne sut jamais quelle folie la prit. Toutes ses années d'endoctrinements, d'entraînement, de loyauté, de meurtres, de combats, de ténèbres, tout cela disparu à l'instant où elle posa sa main dans la sienne. Elle venait de faire le premier choix de sa vie. Et quelque chose lui hurlait de ne jamais perdre cet homme.

Pour la première fois de sa vie, Malorie respira.