Sibel marche rapidement vers les arènes. En huit mois, elle a récupéré toutes ses capacités. Elle peut désormais aller où bon lui semble. Elle va récupérer Lénaïc qui est parti s'amuser aux arènes. Elle croise Aiola et Ayoros. Elle s'arrête et ils parlent pendant un moment. Les deux frères lui racontent les exploits de son fils, qui n'a pas arrêté de lancer des petits sacs d'eau froide à ceux qui s'entraînaient. Elle ne peut s'empêcher de rire.
«- Lénaïc est ma grande fierté.
- Il ressemble à Dorian. Physiquement, du moins.
- Il a les yeux de son père, et son esprit farceur. Mais c'est vrai. Il a nos cheveux, nos manières, notre visage.
- Nos ? Notre ?
- Dorian a les même, et moi aussi. C'est de famille.
- Camus n'a pas l'air d'être enchanté d'avoir un neveu et d'avoir retrouvé sa sœur.
- C'est parce que vous n'avez pas l'habitude.
- Et toi tu l'as ?
- Je connais Dorian et puis … Le père de Lénaïc était pareil.»
Son visage se ferme, se fait fuyant. La tristesse qui réside continuellement dans ses yeux s'accentue.
«- Tu veux nous en parler ?» propose gentiment Ayoros.
Elle refuse de la tête. Elle sait que ça ne sert à rien. Elle a toujours refusé de parler de ce qui leur était arrivé, et Eléa ne peut tout savoir. Enfin, c'est ce qu'ils croient.
Les deux frères se regardent, gênés. Sibel leur est sympathique. Elle a conquis le Sanctuaire avec sa gentillesse et sa beauté mélancolique. De taille moyenne, elle a de longs cheveux noirs bleutés toujours détachés qui lui descendent jusqu'à mi-cuisse, des yeux bleus où la tristesse a une place constante. Un voile recouvre son visage en permanence, seule Eléa a le droit de la voir sans. Elle est toujours prête à aider les autres, réconforte les apprentis et conseille ceux qui lui demandent. Mais même avec toute la vie qu'il y a au Sanctuaire, rien ne semble pouvoir la détourner de sa tristesse.
Elle les salue et continue son chemin. Ayoros observe son frère.
«- J'ai l'impression que tu deviens bizarre avec elle.
- Je déteste la voir pleurer.
- … Et ?
- Et quoi ? J'aimerais qu'elle fasse un vrai sourire et qu'il y ai moins de tristesse dans ses yeux. C'est tout.
- Si tu le dis.
- Je te l'assure, même. Tu viens manger à mon temple, ce soir ? Il y aura aussi Marine, Milo et Aldébaran.
- Ca va avec Marine ?
- Elle parle déjà mariage.
- C'est une bonne chose, non ?
- Je sais pas. Je suis pas prêt pour le mariage.»
Ayoros éclate de rire.
«- Personne n'est prêt pour le mariage.»
Continuant de parler, ils remontent vers le temple du lion.
La nuit est tombée sur le Sanctuaire. Assise à l'entrée du onzième temple, Sibel regarde les étoiles. Son frère lui a souvent dit que lorsqu'elle a des problèmes, il faut qu'elle en parle aux étoiles, que celles-ci sont les seules constantes à espérer dans une vie. Après un an d'observation des étoiles en Grèce, elle peut assurer que tout dépend de la luminosité autour. Elle arrive beaucoup mieux à les voir au Sanctuaire, du fait de l'absence d'électricité et de lampadaires.
Elle sait que la nuit est son seul moment de répit. Le seul moment où elle peut laisser apercevoir toute la tristesse qui lui étreint le cœur. Son frère lui a déjà dit, elle devrait tourner la page, mais elle ne peut pas, pas aussi rapidement. Elle aimerait d'abord pouvoir pleurer.
Qu'elle est donc bête ! Elle ne peut pas pleurer. Elle n'en a pas le droit ! Tant pis. Elle ne pleurerait pas, donc elle ne rirait pas. Malgré Eléa. Malgré son frère. Malgré les chevaliers qui s'inquiètent.
Les chevaliers l'intéressent. Elle se demande comment ils font pour vivre encore, malgré tout ce qu'ils ont vécu. Les bronzes sont plus jeunes qu'elle, mais ils se réjouissent de chaque moment. Les chevaliers d'or, tout en continuant leur entraînement, passent leur temps à s'inviter les uns les autres. Ils ne font pas grand cas de ce qu'ils ont vécu, préférant s'orienter vers le futur. Ca doit beaucoup plaire à son frère, ça.
Elle repense à l'invitation qui a été lancée au dîner. Aïola a enfin mis ses doutes de côté et a accepté d'épouser Marine. Mariage dans six mois. Elle est heureuse pour eux, mais sent son cœur se serrer à cette pensée. Six mois. Les six derniers mois où elle pourra voir son ami librement. Les derniers mois de célibataire d'Aiola. Après … après elle partira sûrement. Elle sait qu'elle n'aime pas Aiola d'amour. Mais une chaleur s'insinue en elle à chaque fois qu'elle lui parle. Enfin, de toute façon, Aiola est à Marine, et elle ne ferait rien pour l'empêcher d'être heureux avec la personne qu'il a choisie.
Mais où partirait-elle ? Elle sait ne pas avoir de maison qui l'attende. Elle pourrait demander à Dorian. Lui, il saurait. Il lui trouverait une maison, en France, où elle pourrait s'installer. Elle lui parlerait dès le lendemain.
Son regard plonge vers la maison du scorpion. Elle sourit. Si elle ne se trompe pas, il y a anguille sous roche entre son amie et un cornu aux cheveux mauves. Tant mieux. Eléa le mérite. Et elle va informer Mu que s'il lui fait le moindre mal, il devra s'attendre à avoir des problèmes de santé importants, qu'elle y veillerait personnellement.
Encore plus bas, elle peut voir une maison aménagée pour les invitées, en particulier Shunrei, Miho, Seïka, Flamme et June. Seïka a l'air de s'entendre avec son frère. Elle soupçonne aussi quelque chose entre eux. Seika n'a pas encore prouvé qu'elle est digne de pouvoir s'occuper de son frère, à son avis, mais Sibel n'a pas trop de doutes. Si elle a ne serait-ce que la moitié du caractère de son frère –et d'après ses observations, elle est bien servie du côté là-, ça ira.
Elle se décide enfin à se lever. Quitte à parler à Dorian pour la maison le lendemain, autant que ce soit le matin, avant qu'il parte aux arènes. Elle lui dira de se presser. Tout, pour éviter de faire saigner son cœur encore plus en voyant Aiola. Qu'il soit heureux, oui, mais qu'on ne l'oblige pas à souffrir en restant. Elle n'arrive plus à supporter les gens heureux.
