Aiola regarde la plage qui s'étend devant lui. Une maison dont les porte-fenêtres sont ouvertes est la seule habitation visible. Un petit garçon court sur la plage. Il a deux ans et son rire s'envole dans les rafales de vent. Il court pour faire s'envoler les mouettes avant de retourner vers sa mère.

«- MAMAAAAANNNNNNN !»

Sibel le prend dans ses bras. Le petit babille joyeusement.

«- Dis maman, je peux voir ton visage ?

- Pas dehors, mon chéri. Ce soir, quand je viendrai te border, d'accord ?

- Oui ! J'aime bien voir ton visage, pourquoi tu le caches ?

- C'est … à cause de quelqu'un. Je n'ai pas eu le choix..

- Mais il est joli ton visage.

- Ce soir, mon chéri. »

Elle repose son fils à terre, et il repart effrayer les oiseaux. Eléa sort de la maison, un plateau dans les mains. Elle et Sibel s'installent sur le sable. Lénaïc vient prendre son goûter. Les deux jeunes filles parlent avec animation.

Aiola observe Sibel. Ses gestes sont gracieux, harmonieux. Elle semble devenir une autre en face de Lénaïc et d'Eléa, plus libre, plus joyeuse. Comme si elle se cachait en société. Il comprend que cette manière d'être lui a manqué, cette manière de vivre, calme, douce.

Il comprend que cette jeune fille qui l'a toujours écouté depuis qu'elle est au Sanctuaire a pris une très grande place dans son cœur, d'où son refus de la voir partir comme une voleuse, sans avertir et sans adresse où la joindre. Oui, son amie lui manque. Il va la faire revenir au Sanctuaire avant le mariage. Il lui reste deux mois.

Il observe jusqu'au soir, caché dans les dunes. A travers les fenêtres, il voit Sibel préparer le repas, jouer avec son fils, lui lire une histoire, le préparer au coucher (oui, il s'est mis loin et il a une bonne vue, parce que la chambre du petit, elle est au premier). Il voit Camus arriver, et se téléporter avec Eléa, sûrement pour la ramener au Sanctuaire. Il voit Sibel, dos à la fenêtre, enlever son voile et le poser à côté d'elle, sur le lit. Lénaïc passe ses mains sur son visage.

Il pense qu'il a de la chance. Lui aussi aimerait voir ce visage, qu'elle cache à tout le monde.

«- Es-tu satisfait, Aiola du Lion ?» fait une voix derrière lui.

Sursautant, il se retourne. Devant lui se tient la personne qu'il voulait le moins rencontrer ici. Il relève la tête, fièrement.

«- Non, mais je ne doute pas que tu vas tout m'expliquer, Camus du Verseau.

- Ne rêve pas. C'est à elle d'expliquer ce qui lui passe par la tête. Je ne suis pas son attaché de presse.

- Mais bon sang, Camus, qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi, du jour au lendemain, Sibel déménage à l'autre bout de l'Europe, sans aucune raison apparente ? Pourquoi ne peut-on jamais la faire rire sincèrement ? Pourquoi garde t-elle ce voile sur son visage, alors que son fils a dit qu'elle avait un beau visage ? POURQUOI !

- Parce que je l'ai décidé ainsi» répond une troisième voix.

Sibel se trouve en haut de la dune, semblable à une apparition avec sa robe de coton clair. Aiola retient les jurons qui lui montent à la bouche. Il ne l'a pas entendue arriver.

«- Parce que je ne voulais pas que l'on me retrouve, pas qu'on me pose des questions, pas que l'on me rappelle ce que j'ai vécu. Est-ce trop demander, Aiola ? Est-ce trop demander de me laisser tranquille ?

- Non, ce n'est pas trop demander. Mais tu ne résous rien à te cacher comme ça.

- Repars au Sanctuaire avec mon frère. Vous vous entendrez bien, vous avez les mêmes réflexions.

- Sibel …

- Non. Je ne veux plus rien entendre. Je suis lasse. Bonne nuit.»

Sibel fait demi-tour et rentre. Elle ferme toutes les issus de la maison. Bientôt, toutes les lumières sont éteintes dans cette maison au bord de mer. Camus s'avance et pose une main sur l'épaule d'Aiola.

«- Elle a choisi. Ne cherche pas à la rendre plus malheureuse.

- J'aurais tellement voulu …

- Moi aussi. Même si vous méritez tous de savoir, ne serait-ce que parce que vous avez été là pour elle, Sibel est une sacré tête de mule. Rentrons.»

Les deux chevaliers s'enfoncent dans la nuit. De sa fenêtre, Sibel les regarde partir.

Une silhouette engoncée dans une cape noire avance le long d'un étroit pont de pierre. Un faux pas et elle tombe sur les pics en contrebas. Un squelette se lève, en position de défense, lui barrant le chemin. D'autres le rejoignent. La silhouette s'arrête.

«- Etranger, nul n'est autorisé à pénétrer dans ce domaine. Bas-toi, étranger, meurs et rejoins-nous, fantômes des chevaliers qui ont voulu avancer.

- Je n'ai ni le temps ni l'envie de me battre. Je ne sais d'ailleurs pas, répond une voix féminine. Le maître de ce domaine m'attend, laisse-moi passer.

- Jamais. Meurs, étranger !»

Les squelettes s'élancent. La silhouette recule d'un pas. Elle tend le dos, prête à encaisser les coups. Qui ne viennent pas. Un mur invisible retient les squelettes. Un homme apparaît à côté de l'inconnue.

«- J'arrive au bon moment. Il vient juste de me prévenir. Viens, je t'emmène à Jamir.»

Mu prend la main de l'inconnue et les téléporte de l'autre côté du pont, dans la tour même. Il prépare un thé pendant qu'elle s'assoit à une table. Mu la rejoint avec le thé et s'assoit à son tour. Tout en les servant, il demande.

«- Alors, que me vaut l'honneur de ta visite, Sibel ?»

Celle-ci ôte sa cape.

«- Tu m'as dit que tu étais alchimiste …

- Je le suis encore.

- … et que tu avais des pouvoirs psy importants …

- C'est toujours valable.

- … alors je suis venue te demander quelque chose.

- Je t'écoute, sourit gentiment Mu.

- Voilà, il me faudrait …»

La discussion dure le reste de la journée et un grande partie de la nuit. Sibel explique à Mu dans la soirée qu'elle a envoyé Lénaïc chez Eléa, au Sanctuaire, pour quelques jours de vacances. Ils rient en imaginant la joie de Celiano (ou Masque de Mort, c'est selon les préférences).

Trois jours plus tard, ils sont près à retourner au Sanctuaire. Entre Sibel et Mu se tient un objet aussi haut qu'eux, recouvert d'un voile.