Die Nachtigall und der Seidelbast
-Prologue-
« Ignorant le nom de la fleur qu'il a piétinée,
l'oiseau cloué au sol se lasse d'attendre le lever du vent »
- Guren no Yumiya
Les lignes qui striaient le plafond se dérobaient à son regard, s'enfonçaient dans l'obscurité, et plus il insistait, plus ses propres pupilles le retenaient, jetant devant ses yeux des images distordues et une couche d'humidité. Les paupières d'Eren se refermèrent, brièvement, avant de se rouvrir, pour reprendre leur tâche. Il voyait déjà jusqu'à l'armoire, qu'il discernait plus grâce à la force de l'habitude que par la lumière quasi absente.
Quatre coups sonnèrent sur sa porte et le tirèrent hors de sa couverture avant même que la voix de Mikasa ne retentisse.
-Eren, c'est l'heure... oh, tu es déjà debout. »
Il lui tournait le dos, occupé à ouvrir les volets de bois. Le soleil n'était toujours pas levé, et seule une faible ligne grise indiquait qu'on était plus proche du matin que du milieu de la nuit.
-J'arrive. »
Mikasa acquiesça et repartit. Il fixa l'extérieur encore quelques secondes, fit volte-face pour enfiler un gilet de plus et descendit à la cuisine. La pièce était enveloppée dans l'odeur résiduelle des chèvrefeuilles que sa mère faisait sécher depuis hier. Son père était penché sur les fleurs, en train d'examiner leur progrès. Machinalement, Eren se dirigea vers le coin de la pièce où reposaient les hottes que Mikasa et lui utilisaient pour ramasser le bois.
-Qu'est-ce que tu fais, Eren ? » l'arrêta sa mère.
La main sur la sangle, il s'arrêta net en se rappelant de la date. C'était la première chose à laquelle il avait pensé au réveil, mais les muscles avaient leur propre mémoire, plus bornée.
-Vous allez vous inscrire, ce matin, rappelle-toi, dit-elle alors qu'elle tirait de l'eau du robinet pour servir Mikasa et lui-même.
-Je sais, je sais, grommela-t-il. Armin est déjà là ? »
Mikasa secoua la tête alors que leur mère leur tendait des tranches de pain de seigle. La jeune fille le trempa dans son verre d'eau, mais Eren s'échina à la mâcher sans le ramollir, comme tous les matins.
-Il y aura du monde au marché aujourd'hui. Eren, Mikasa, est-ce que vous pourrez jeter un œil aux brocanteurs ? Il y aura bientôt une nouvelle ration de viande, et on ne peut pas continuer à éternellement emprunter son couteau à viande à M. Arlelt. Regardez s'ils en ont qui ne sont pas trop cher.
-Compte sur nous ! » répondit Eren, l'eau à la bouche (de la viande!). Une main passa sur ses cheveux en remerciement.
Son père se releva de son inspection et de ses arrangements et récupéra sa mallette. Il y avait celle qu'il utilisait pour aller voir ses patients, et celle-ci. Eren ne savait pas à quoi elle servait.
-Passez une bonne journée, les enfants, souhaita-t-il en guise de salut. Et ne traînez pas dans les environs quand vous avez fini. »
Ils hochèrent la tête en le regardant partir.
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-Il est en retard... » déclara Eren, adossé au mur de leur maison, les mains dans les poches pour leur éviter l'humidité du petit matin.
Comme invoquée par la prise de parole, la silhouette du jeune blond apparut au bout de la rue, agitée et essoufflée.
-Désolé ! s'écria-t-il avant même d'arriver à leur hauteur. Papi s'est fait mal à la hanche, et il fallait que je l'aide à se lever ce matin.
-Il a besoin de voir le docteur Jäger ? suggéra aussitôt Mikasa.
-Non, pas la peine ! On a toujours l'onguent de la dernière fois.
-Allons-y alors. »
ooo
Le grondement de la foule leur parvenait avant même d'arriver sur la grande place surplombée par le centre districtuel. Les rues du marché serpentaient autour, et le grand écran du bâtiment affichait le compte à rebours avant la fin des inscriptions en chiffres colorés. Des lignes et des lignes s'étiraient depuis les différentes entrées, et les trois enfants se placèrent derrière un duo de jeunes filles qui se tenaient la main. Quelques minutes plus tard, un petit garçon accompagné d'un homme mûr s'installait derrière eux.
-Les gens vont t'installer sur un lit, et te mettre une petite aiguille dans le bras, expliquait-il au gamin qui avait l'air terrifié. Et prendre un petit peu de ton sang. Mais ne t'inquiète pas, ça va très vite, et ça ne fait même pas mal. »
Armin déglutit visiblement à côté d'eux, et Eren dut se retenir de faire de même.
-Ils peuvent pas faire autrement qu'en prélevant du sang !? chuchota Eren. Ils en font un peu trop, non ? On pourrait, je sais pas, noter notre nom sur un bout de papier !
-Ce serait pas très efficace, argua Armin. Tu aurais juste à mettre le nom de quelqu'un d'autre pour ne jamais être choisi.
-Je mettrais ''Hannes'' sur le mien alors. » ricana Eren.
Mikasa laissa échapper un reniflement amusé dont le jeune homme ne s'offusqua pas. Il avait beau se moquer souvent du pochtron, il l'appréciait beaucoup. Sans lui, il se serait probablement fait tabasser beaucoup plus souvent.
-Si jamais vous êtes choisis, commença-t-il les yeux fixés sur le grand écran, vous ferez quoi ?
-Si tu étais choisi, tu mourrais dès le premier tour, déclara Mikasa.
-Hey !
-Sauf si je suis avec toi. » acheva-t-elle avec sérieux.
Eren souffla bruyamment, lassé qu'elle le considère toujours aussi faible. Il savait se battre ! Il rendait autant de coup qu'il prenait quand des abrutis venaient le provoquer ! Et ce n'était qu'une question d'échelle, la mentalité était la même. Le District Douze était dangereux, ils avaient déjà eu à repousser un loup en forêt. Même famélique, c'était un prédateur. Si Eren pouvait abattre un loup, il pouvait abattre un Titan. Il lui fallait juste le bon entraînement et les bons outils.
Quant aux humains... ils seraient tous lâchés dans un champ de bataille. Chacun avec les mêmes circonstances que lui. Il ne pourrait pas se permettre d'avoir le cœur tendre. Il devrait être capable de tuer. Il entendait beaucoup de jeunes adultes narguer les plus petits en affirmant que s'ils avaient été choisis, ils auraient fait un carnage sans merci. Eren en doutait franchement. Les carnages, c'était pour les psychopathes. Mais tuer, une ou deux personnes, parce qu'il le fallait... il pensait pouvoir le faire. Il devait pouvoir le faire.
-Moi... fit Armin en interrompant son fil de pensée. Je préfère pas y penser. De toute façon, j'y survivrais pas. »
…
À l'aube, Marco fut réveillé par un boulet de canon directement lâché sur son estomac. Un boulet de canon avec des petites mains déterminées à lui ouvrir les paupières de forces.
-Marco, debout ! C'est l'heure ! Maman a dit qu'il fallait se lever ! Debout, debout !
-Ow ! Manie, arrête, je t'en prie ! »
Il lutta quelques secondes avec sa petite sœur pour l'écarter de son visage avant qu'elle ne le rende borgne.
-Tu crois pas que t'en profites un peu trop ? protesta-t-il alors qu'elle grimpait sur son dos.
-Tu te réveilles jamais après moi, qui sait quand je pourrais le refaire ?! »
Un lourd soupir lui permit de recouvrir le sourire qui s'épanouissait sur son visage. La petite fille toujours juchée sur son dos, il enfila ses bottes et se dirigea vers la cuisine.
-Pas encore habillé, Marco ? dit sa mère en guise de bonjour.
-J'irai quand Manie aura décidé de me lâcher. » sourit-il alors qu'elle lui serrait la gorge.
Il sentit des petites mains agripper ses épaules alors que la fille en question se retrouvait arrachée de force par Mario.
-Nooon ! protesta-t-elle. Mario, t'es pas drôle !
-Et Marco et moi sommes pressés, rétorqua l'aîné en la déposant au sol. Papa est déjà aux champs.
-Alors, où sont les trois autres ? demanda leur mère.
-Introuvables, répondit Mario en secouant la tête. File, je te garde de quoi pour le petit déjeuner, ajouta-t-il à l'adresse de son cadet.
-Max et Milo sont probablement partis en forêt pour continuer leur cabane, suggéra Marco en repartant. Quant à Matteo... aucune idée. »
Il eut tout juste le temps de voir Manie détourner le regard avec obstination avant de s'éclipser.
ooo
Il achevait tout juste sa pomme lorsque Mario et lui arrivèrent devant l'entrepôt. La saison était aux pâturages, il n'avait donc pas à venir nourrir les animaux dans leurs enclos. En revanche, le gros de son travail consistait à déplacer les bottes de foins préparées par son père et ses collègues des champs jusqu'à la grange, un travail de longue haleine. Il le trouva à l'intérieur, déjà absorbé dans sa tâche, ainsi que plusieurs autres.
-Bonjour Papa !
-Oh, salut fiston ! Au boulot, on a du pain sur la planche, surtout si on veut que tu ailles te faire enregistrer au centre cette après midi !
-Les trois autres aussi doivent se faire enregistrer, mais on les voit pas se bouger les fesses. Surtout Matteo. » grommela Mario.
Marco lâcha un bref rire mal à l'aise. Il comprenait ses frères : lui non plus n'avait aucune envie d'y aller.
-Peut-être que cette fois, tu vas te faire sélectionné, plaisanta un de ses collègues en lui assénant une claque dans le dos.
-Parle pas de malheurs, bougonna son père. J'ai déjà pas beaucoup de fistons, alors s'il faut que je les envoie à la boucherie, non merci !
-T'inquiète pas, papa, le rassura Marco avec un petit sourire. Vu le nombre de candidats, il y a peu de chances qu'on soit sélectionnés, même si on est quatre.
-M'enfin quand même ! fit son père en passant un bras autour de ses épaules. C't'une drôle d'idée qu'ils se mettent en tête, les gens du premier !
-Mmmh... en fait, c'est pas le Premier District qui se charge de ça, Papa.
-Ah bon ?
-Non, c'est le Capitole, il y a une différence.
-Je croyais que c'était la même chose. »
Avec un soupir, Marco se tourna vers Mario, qui lui adressa un regard compatissant.
-Le Capitole, c'est la zone tout au centre, Papa, commença-t-il à expliquer le plus clairement possible. C'est une cité, pas un district. Les districts sont spécialisés dans des domaines, mais pas le Capitole. Et la spécialité du District Un, c'est les produits de luxe. Le District Deux, c'est l'armement, le District Trois, c'est l'électronique, le District Quatre, c'est la pêche, le District Cinq, c'est l'électricité et l'énergie, le District Six, c'est le trans...
-J'ai compris, j'ai compris ! l'arrêta son père. Dans tous les cas, ça ne nous concerne pas, de toute façon. Tout ce qui nous concerne, c'est le District Neuf, nos céréales, et pour toi, la ferme. »
Le dernier commentaire laissa Marco muet. Dans quelques années, lorsque son père estimerait que son apprentissage serait fini, il reprendrait la ferme que Mario avait préféré quitter pour établir sa propre exploitation. C'était un futur bien établi, où il pourrait rester avec sa famille même une fois adulte, et il aimait son métier. Il sentait bien que la vie était dure, et que peu de Districts pouvaient se targuer d'avoir un niveau de vie convenable. Mais grâce aux grands champs du District Neuf, sa famille pouvait subvenir à ses besoins immédiats.
Il avait juste hâte d'en avoir fini avec ses années d'inscription. À chaque fois, il ressentait cette angoisse pinçante qui rendait le sommeil difficile. Et s'il était pris ? S'il devait aller s'entre-tuer avec d'autres jeunes ? C'était une drôle d'idée qu'ils avaient en tête, les gens du Capitole.
-Ah, faites gaffe, le proprio est là ! »
La troupe fut aussitôt plongée dans la frénésie alors que les hommes s'éparpillaient pour accomplir leurs tâches. Marco suivit son père tout en jetant un œil vers la route qui bordait le champ, à une bonne dizaine de mètres de distance. Effectivement, Monsieur D. Kline passait à pied avec sa fille, Ruth. Marco l'avait vue quelques fois, quand son père venait s'entretenir avec son employeur et l'emmenait pour lui apprendre le métier. Il croisa son regard et sursauta, avant de retourner à ses propres préoccupations. Elle n'avait pas l'air commode.
…
À l'aube, la porte de la chambre de Jean claqua dans un fracas assourdissant alors que la voix de sa mère retentissait encore plus fort :
-JEAN ! Debout ! Holzfäller est là ! »
Le jeune homme avait déjà l'oreiller fermement appliqué sur ses oreilles et répondit par un grognement guttural qui exprimait, de son avis, assez bien son manque d'enthousiasme. Le réveil brutal faisait battre la chamade à son cœur.
-Allez, Jeanbo ! » insista sa mère en arrachant la couette.
-M'man ! C'est bon, j'me lève ! » s'écria-t-il en tirant son précieux bien vers lui.
Elle le relâcha, satisfaite de le voir bien réveillé, et retourna en bas alors que Jean soupirait, soudainement de très mauvaise humeur. Il était beaucoup plus tôt que d'habitude.
-Ah oui, ce machin, marmonna-t-il. Ils en ont toujours pas marre ? »
Il se leva en traînant des pieds et enfila les vêtements qu'il avait posés distraitement par dessus son carnet de dessin la veille, les sourcils toujours froncés. Dans la cuisine, sa mère touillait dans une casserole de ratatouille, et Holzfäller patientait à côté de la porte. Une tasse de café attendait le jeune homme sur la table, et il la vida en trois gorgées.
-Salut Jeanbo ! (Jean grinça des dents au surnom)
-Bonjour, Holzfäller, répondit Jean en récupérant une assiette creuse dans le placard.
-T'es prêt ? On commence tôt aujourd'hui ! »
Jean haussa les épaules et piocha des morceaux de viande crue dans le petit réfrigérateur, avant de se diriger vers la porte arrière, écoutant d'une oreille la discussion des deux adultes.
-Vous devriez vous en trouvez un plus grand ! Il est plein à craquer.
-Oh, pas la pei... On s'en sortait quand son... encore là. »
Jean les ignora et déposa l'assiette au sol, fouillant les environs du regard, dans l'espoir d'apercevoir un éclair blanc avec une tête et des chaussettes noires. En vain. Légèrement dépité, il retourna à l'intérieur.
-On peut y aller, déclara-t-il en empoignant l'étui de sa hache.
-Eh bien c'est parti ! Bonne journée à vous, Madame Kirschtein ! enchaîna Holzfäller en ouvrant la porte, Jean sur ses talons.
-Jeanbo ! Ce soir, c'est omelette ! »
Le jeune homme sourit et adressa un pouce en l'air à sa mère avant de se retourner.
-Tu devrais lui dire au revoir proprement, tu sais, gamin.
-C'est pas comme si j'allais pas la voir ce soir. C'est pas la peine de faire demi-tour pour ça non plus. »
Holzfäller haussa les épaules.
ooo
Quand ils arrivèrent au bâtiment de la guilde, le hall fourmillait déjà d'activité. Les agents enregistraient les demandes des charpentiers, relayaient les missions des bûcherons et prenaient garde à ce que personne n'empiète sur les zones de qui que ce soit. Jean se fit héler presque immédiatement par un groupe de jeunes gens de son âge, des futurs collègues.
-Hey, mec ! T'es le dernier de la bande ! Tu t'es déjà enregistré ou quoi ? demanda Ulrich, le plus grand du lot.
-Pas encore. J'y vais après le travail.
-Ouais, je crois que tout le monde ici va faire comme ça. Oubliez pas, hein, surtout toi, Lex, t'es tellement dans ta lune des fois.
-Oh, ça va, hein. C'est pas le genre de truc que j'oublie. »
Ils gravitèrent naturellement vers un des coins de la grande salle, un contingent bien visible pour tous les tuteurs à la recherche de leurs tire-au-flanc d'apprentis. Jean préférait penser que c'était son tuteur à lui, le tire-au-flanc.
-T'façon, qui manquerait une occasion d'aller vivre au Capitole, hein ? »
La déclaration le fit hausser un sourcil.
-Vivre au Capitole ? intervint Jean. T'es sur quel planète ? Tu t'inscris pour aller te faire charcuter par des gens.
-Ouais, mais si tu réussis, tu peux vivre au Capitole, t'sais ? C'est ça qui rend le truc sympa ! Même si les risques sont super élevés, si tu réussis, c'est le jackpot !
-Et tu te sentirais prêt à tuer pour aller vivre au Capitole ?
-… pourquoi pas. Hey, arrête de souffler trente secondes, c'est pas ça l'important ! L'important, c'est l'objectif final. Imagine vivre là-bas ! Ce serait le rêve ! T'as même plus besoin de bosser et tu as tout ce que tu veux ! Si ça en vaut la peine, moi j'hésiterais pas.
-Ta vie ici te satisfait pas ? interrogea Jean. T'as de quoi te nourrir, t'habiller, te laver, dormir, te protéger, te distraire... Pourquoi tu lâcherais tout ça pour faire un pari aussi risqué ?! Y a quand même vingt-trois autres personnes après tes miches ! Et des Titans !
-Je sais pas, ça fait pas d'mal de rêver à mieux, non ?! »
Jean inspira fortement, le bruit véhiculé par le silence tendu du groupe.
-Ouais, ça fait pas de mal, je suppose, admit-il au bout d'un moment. Au moins t'as pas en tête de te porter volontaire, c'est déjà ça.
-C'est vrai que ça craint, ça. » renchérit Ulrich.
Ils fixèrent Lex avec un regarde acerbe et menaçant, mais le jeune homme leva aussitôt les mains en l'air.
-Ouais, nan, surtout pas ! Chuis pas débile à ce point !
-T'as intérêt, reprit Jean. Personne va à l'abattoir de sa propre volonté, surtout avec ces atrocités qui se baladent. À part des psychopathes avides de sang et des allumés suicidaires.
-Puisque que je te dis que je compte pas faire ça !
-Jean ! »
L'appel lui fit tourner la tête : Holzfäller agita le bras dans sa direction, lui ordonnant de le rejoindre.
-J'vous laisse, c'est l'heure. » dit-il en leur adressant en bref signe de tête.
Juste à côté de Holzfäller se tenait Carolina, un des charpentiers, et sa fille.
-Je finis avec Carolina et on peut y aller ! »
Jean hocha la tête, pas prêt de souligner la tendance de Holzfäller à faire ses propres arrangements sans faire de rapports. Pas que du bois illicite soit vraiment dangereux, mais les forêts étaient tellement exploitées que leur gestion requérait le plus grand soin.
-Salut, Jean, fit la jeune fille avec un sourire.
-Salut Minha.
-Tu vas aller t'inscrire à quelle heure ? demanda-t-elle en repoussant les petits cheveux qui s'échappaient de ses couettes derrière ses oreilles.
-Vu l'heure qu'il est, on va finir le boulot vachement plus tôt, donc juste après, je pense. Et toi ?
-J'y vais juste après manger, cette après-midi. »
Jean hocha la tête et la conversation mourut. Heureusement, Holzfäller n'était pas la plus bavarde des pipelettes, et très vite une main guida Jean hors des lieux par l'épaule.
-Alors, gamin ? Qu'est-ce que tu comptes faire si jamais t'es pris ?
-Ma parole, vous vous êtes passés le mot ? Déjà, dans le District Sept, on est à peu près neuf mille jeunes entre douze et dix-huit ans. Donc à peu près cinq milles garçons. J'ai une chance sur cinq mille d'être pris. Tu te rends compte ?
-Oh, tous ces chiffres, tu t'es renseigné dis donc !
-Urgh... »
Il soupira et accéléra le pas, ignorant la moue surprise du maître bûcheron. Il avait besoin de taper sur quelque chose pour se défouler et sortir toute son anxiété de son système. Il avait besoin du chtak familier de la hache sur le bois et du piaillement des rossignols et des pinsons autour de lui.
…
Peu de temps après le lever du soleil, à sept heures tapantes, Reiner était levé et traversait le long couloir qui menait à la salle à manger, le bruit de ses pas étouffé par le tapis. Les quelques portraits accompagnaient ses pas, les cadres presque aussi larges que les tableaux. À la longue table où le petit déjeuner familial était servi, il n'y avait qu'une seule autre personne, absorbée dans son journal.
-Bonjour, père.
-Bonjour, Reiner. Après ton entraînement, tu viendras me voir dans mon bureau.
-Entendu. »
Reiner hocha la tête. Le nœud autour de sa gorge qui s'était délié au cours de la nuit revint serré de plus belle. Il mangea peu, mais sain, et ne perdit pas plus de temps dans la pièce, se dirigeant très vite vers ses quartiers pour récupérer ses affaires. Il avait besoin de dénouer le nœud à nouveau, et rien de tel que de l'exercice en bonne compagnie pour ça.
ooo
-Bien joué ! »
Reiner sourit au commentaire de Marcel. Après étirements, renforcements de base, musculation et un peu de course, il avait à peine eu le temps de dire bonjour que le jeune homme était venu le défier au lancer de javelot, une des rares disciplines qui leur permettait de s'entraîner à la manipulation d'arme, un impératif à leur devoir de sentinelles. Reiner avait accepté de bon gré, comme toujours. Ils étaient maintenant depuis vingt minutes sous le soleil, personne hormis leur petit groupe sur le terrain. Son père l'avait probablement réservé pour l'après-midi, car il n'avait croisé personne d'autre que ses camarades, qui avaient eux aussi des passe-droits.
-Mon tour ! » s'exclama Porco en bondissant pour prendre sa place.
Reiner le laissa faire et s'assit sur le banc à côté de Marcel et Peak, à l'ombre. Tous ses muscles étaient confortablement déliés.
-Il faut que j'y aille, annonça Marcel en jetant un œil à son portable. Ulklin a bientôt fini.
-C'est quand même dingue que tu continues à le suivre d'aussi près alors qu'il a passé ses dix-huit ans ! fit remarquer Porco depuis son cercle. Tu me vois pas courir toute la journée après le derrière de Dirk.
-Où tu veux en venir ? demanda Marcel en rassemblant ses affaires, mi-amusé mi-agacé.
-Tu devrais le planter là où il est de temps en temps ! renchérit Peak. Il apprendra peut-être quelques bonnes leçons…
-Malheureusement, ça me vaudrait de perdre mon travail. Et celui de Porco par la même occasion, probablement. »
Porco souffla bruyamment et retourna à ses lancers alors que Reiner adressait un signe de la main au plus âgé.
-Peak, il y a quelqu'un pour toi ! héla une personne depuis l'autre côté du terrain.
-Awww, elle est venue me chercher ! Je vous laisse à votre sueur, messieurs, le devoir m'appelle. »
Et elle disparut dans un tourbillon léger. Reiner et Porco échangèrent un regard, et Reiner se leva, les mains sur les genoux.
-Elle vaut pas beaucoup mieux que Marcel, celle-là, renifla Porco.
-Je vais y aller aussi. » annonça Reiner en toussotant.
Porco approuva avec maladresse et ils se séparèrent aussi vite qu'ils s'étaient retrouvés.
ooo
Reiner toqua quatre fois et poussa le bois verni pour entrer dans le bureau de son père.
-Assieds-toi. » ordonna son père, absorbé dans ses papiers.
Reiner obtempéra, se laissant avaler par le cuir, et patienta. Une dernière ratification de sa plume et l'homme tourna vers lui son fauteuil et son regard acéré.
-Bien. Je ne me répète que très rarement, j'espère donc que tu feras bon usage de ce rappel. Monsieur l'a exigé. »
Un mauvais pressentiment remonta le long de la colonne vertébrale du jeune homme et il serra son poing gauche dans sa main.
-Il veut s'assurer que tu as bien l'intention de te porter volontaire si jamais sa fille est sélectionnée. La situation n'est pas idéale, comme tu es un homme et que tu es né deux ans avant elle... »
Il s'autorisa à se détendre très légèrement sur son fauteuil. Ce n'était rien de nouveau, tant mieux. Il savait déjà ce qu'il avait à faire. Il releva les yeux qu'il avait baissés quand il entendit le ton de son paternel se durcir brusquement.
-J'espère que tu réalises, Reiner. C'est la première fois que Monsieur me demande de te rappeler à l'ordre. »
Oh. Il s'était détendu trop vite. Aussitôt, tout son corps se verrouilla docilement pour montrer la rigidité dont il devait faire preuve. Il garda son regard fixé sur son père, la tête orientée dans cet angle exact qu'il lui avait appris à maintenir pour avoir l'air à la fois attentif et respectueux.
-C'est inacceptable quand c'est déjà ta troisième fois, Reiner. Fais preuve de plus de zèle : va voir la demoiselle cette après-midi, accompagne-la à son inscription. Plie-toi à ses moindres désirs, et assure-toi qu'elle dise du bien de toi à son père ensuite.
-Oui, père.
-Tu peux disposer. »
''La demoiselle''. Il ne disait jamais son nom. Reiner s'arracha du cuir froid et se retira.
…
-Bertholt ? Debout mon chou. »
La petite voix amusée et le tapotement sur sa joue suffirent à Bertholt pour s'extirper paresseusement du sommeil qu'il avait eu tant de mal à trouver. Il tourna légèrement la tête, partiellement surpris de sentir le monde tourner. Ah. Il avait dormi en travers de son lit, la tête pendante. Avec effort, il écarta les bras et se faufila hors des draps entortillés, le tout en peinant à détacher ses paupières. Il faisait jour. Il sortit de son lit et s'étira, satisfait de sentir sa colonne vertébrale craquer sous la pression. Un ultime bâillement lui échappa et il s'empressa de faire son lit.
-Quel heure est-il ? demanda-t-il alors qu'il entrait dans la petite salle à manger.
-Neuf heure. » chantonna sa grand-mère depuis la cuisine.
Il se servit distraitement une tasse de thé, tourné vers le poste de télévision qui grésillait les nouvelles :
-...gré cela, aujourd'hui demeure un jour festif ! Les marchés foisonnent, les gens sont dans les rues et les villes sont rarement aussi animées qu'en ce jour ! Après tout, il ne faut pas oublier que c'est aussi un jour de commémoration : la cause que les tributs servent est celle du Capitole, d'une paix imperturbée et imperturbable depuis plus de cent ans! »
À l'écran, des images des éditions précédentes défilaient : les tributs en uniforme, alignés au milieu du gigantesque gymnase d'entraînement, face à la vitre des sponsors qui les toisaient. Retenant brièvement son souffle, Bertholt les regarda se redresser sur leurs appuis, lever le menton et abattre leur poing droit sur leur poitrine. Un zoom montra la main de l'un d'entre eux, recroquevillée comme une spirale, les doigts serrés et blanchis.
-Offrez votre cœur ! » tonna une voix inconnue et vaguement familière à travers le poste.
Puis les images reprirent leur enchaînement agité. Alors que sa grand-mère revenait et déposait une assiette devant lui, des tributs frappaient des mannequins, lançaient des couteaux, voltigeaient dans les airs, brandissaient leur lames…
… L'écran s'éteignit quelques secondes avant que le sang ne gicle.
-Ils n'en finissent pas avec ça, grommela sa grand-mère alors que Bertholt se reconcentrait. On devrait pouvoir éviter d'avoir à regarder. »
Bertholt hocha la tête. Il ne ressentait pas le besoin d'ajouter quoi que ce soit, vu le nombre de fois où sa grand-mère s'était plainte du manque de tact des médias. Il baissa les yeux vers son assiette et les écarquilla.
-Il fallait pas, mamie ! »
La vieille dame éclata de rire alors qu'il la regardait avec des yeux aussi ronds que l'œuf au plat qui se trouvait devant lui, garni de saucisses, toast et pancakes couverts de sirop, le tout débordant presque du récipient. Il ne comprenait pas comment l'odeur lui avait échappé.
-Il te faut bien ça pour attaquer la journée ! gloussa-t-elle. Mange donc. »
Il constata avec soulagement qu'elle s'était servie le même petit déjeuner, en quantité relativement plus limitée.
-J'attaque tous les autres jours avec moins que ça, fit-il remarquer.
-Peut-être, mais je te connais, mon garçon : tu vas me brûler tout ça en quelques heures à force de te ronger les sangs. »
Bertholt rougit, embarrassé. Elle avait très malheureusement raison.
-Je n'en ai plus que pour deux ans après aujourd'hui.
-Oh, je continuerais à t'en faire tous les ans, ne t'inquiète pas. Je suis sûre que tu serais capable de t'inquiéter pour les autres. Pour la petite voisine aussi, par exem...
-Mamie ! Ce n'est pas ce que je voulais dire. »
Il soupira et prit une grosse bouchée alors qu'elle riait à nouveau.
-Je sais bien, mon chou, je sais bien. »
Le ton attendri les calma tous les deux, et Bertholt savoura chaque bouchée.
ooo
Sa grand-mère le héla depuis le salon alors qu'il finissait la vaisselle :
-Bertholt ? J'ai fait de la confiture de bergamote en trop avant-hier, tu voudrais bien aller en donner aux voisins ? Je suis sûre que ça leur plaira.
-D'accord, je m'en occupe. »
Il s'essuya les mains, prit le sac qu'elle lui tendait et sortit. Il ne fallait même pas dix pas pour arriver devant la porte de l'appartement voisin. Il toqua, et attendit un peu. Puis, après une brève hésitation, toqua plus fort. Ça lui arrivait souvent de ne pas se faire entendre.
La porte s'ouvrit presque brutalement sur Annie, la fille du voisin. Bertholt devait baisser la tête pour la regarder dans les yeux, mais son expression était toujours aussi insondable. Il avait beau la côtoyer depuis des années, il ne s'y faisait pas. Il rougit.
-Oh, euh, bonjour Annie… Mamie m'a… donné de la confiture pour vous. De la bergamote. Elle en a encore fait trop.
-Oh. Merci. »
Son expression ne changea presque pas quand elle prit le sac, mais derrière ses yeux un chouïa plus écarquillés, Bertholt se prit à voir du contentement.
-Voilà, c'est tout ce que… Enfin bref. À cette après midi ! »
Il s'éclipsa en vitesse alors qu'Annie lui faisait un rapide signe de main avant de refermer la porte.
…
-Mademoiselle, c'est l'heure. »
Quelques secondes plus tard, la gouvernante tirait les lourds rideaux pour laisser entrer la lumière. Les fenêtres qui montaient jusqu'au plafond ne laissaient pas un seul recoin de la pièce dans l'obscurité, et Christa leva le bras pour se protéger des rayons agressifs. Lentement, elle se redressa sur ses oreillers alors qu'une des bonnes lui apportait sa robe de chambre.
-Comment avez-vous dormi ? demanda Marie, les mains croisées sur son tablier.
-Comme d'habitude. »
Marie acquiesça, les yeux soigneusement fermés sur les cernes de Christa et ses cheveux presque ébouriffés (ils étaient trop fins pour vraiment s'emmêler). Christa sortit du lit, qui lui avait paru trois fois trop grand au cours de la nuit.
-Votre mère vous attend pour le petit déjeuner.
-Entendu. »
Tout autre jour, elle aurait eu faim, après avoir passé la nuit à s'agiter dans les draps sans parvenir à dormir. Mais son estomac était déjà rempli de pierres. Elle se laissa habiller, coiffer, guider le long des couloirs jusqu'à la salle à manger. Sa mère y lisait le journal, les rideaux tirés et le grand lustre allumé malgré la lumière qui gorgeait le jardin. Christa s'assit sans un bruit.
-Bien dormi, Christa ?
-Mal, je l'avoue.
-Ça se voit, tu as une mine affreuse. Tu demanderas à Marie de s'occuper de ton visage avant de sortir. Et invite Reiner à prendre le thé avant d'aller t'inscrire.
-Reiner ? Pourquoi ? »
Que sa mère se préoccupe de sa relation avec Reiner, sa sentinelle, c'était inhabituel. De toutes les années qu'ils avaient passées ensemble, sa mère était celle qui avait toujours royalement ignoré le garçon dans son ombre.
-Allons, ne sois pas sotte. Assure-toi qu'il se portera volontaire si tu es choisie. Ton père a déjà rappelé Braun à l'ordre, mais si tu lui demandes personnellement, il t'écoutera plus facilement. Reste subtile, cependant, autant que tu le peux.
-Maman ! »
La chaise racla avec un couinement sur le parquet ciré. Immédiatement, le regard glacé de sa mère se darda sur elle. Elle déglutit, puis se rassit, et exprima son accord. Sa mère était une cause perdue, ce n'était plus la peine de s'en mordre les doigts.
ooo
Reiner passa sous la tonnelle de roses et rejoignit Christa à la petite table à l'abri du soleil, les sourcils très légèrement froncés.
-Bonjour Reiner, le salua Christa avec un sourire.
-Bonjour, Christa. »
Elle le regarda s'asseoir, et se détendre très subtilement après que Marie eut disparu de leur champ de vision, théière vide en main. Christa laissa son sourire s'élargir juste un petit peu plus, satisfaite. Il n'y avait vraiment que quand ils étaient tous les deux qu'il se permettait de respirer.
-Comment ça se passe, ton entraînement ? commença-t-elle. On te laisse aujourd'hui de libre, ou bien tu ne dois pas manquer une seule journée ?
-Que j'ai un jour de repos ou pas, répondit Reiner avec un petit sourire, je m'entraîne de toute façon. Et puis les autres y sont aussi, c'est l'occasion de les voir. »
Christa hocha la tête. L'atmosphère était embaumée par des gazouillis d'oiseaux et des parfums de fleurs, un endroit calme et coupé du monde où elle pouvait prendre le temps de se préparer. Elle inspira, bloqua l'air dans sa cage thoracique pendant quelques secondes, puis se dégonfla complètement en expirant, appuyant sa joue sur sa main, le coude sur la table. Reiner se tourna vers elle en haussant un sourcil interrogateur.
-Je suis désolée, mais je ne vais pas finir d'en entendre parler si je ne te pose pas la question : si je suis choisie, tu te porteras volontaire pour m'accompagner ? »
Elle avait tout dit à voix basse, en un seul souffle. Reiner se contenta de sourire doucement et de prendre une gorgée de thé.
-Bien sûr. J'irais partout où tu iras. »
Elle pouvait se laisser sourire à nouveau. Avec un soupir de soulagement, elle se redressa et l'imita.
-Parfait. Parle-moi de ce matin, alors. Tu as croisé tout le monde ?
-Presque. Porco, Marcel et Peak étaient là. »
C'était mieux ainsi. Elle ne voulait pas y penser.
ooo
-Entrez. » déclara la voix posée.
Christa poussa la porte pour découvrir son aînée à son bureau, plume en main, des piles soigneusement arrangées de documents à chaque extrémité, dos à la fenêtre. Au moment où Frieda leva les yeux vers elle, son regard fatigué s'éclaira et ses épaules se redressèrent. La satisfaction se lova dans un creux de la conscience de Christa.
-Christa ! Tu tombes très bien, je commençais à voir flou à force d'avoir le nez collé dans ces papiers. »
Elle se leva de sa chaise et s'empressa de venir prendre la plus jeune dans ses bras. Christa passa ses mains autour de la taille fine de sa grande sœur et se blottit contre elle.
-Ah oui ? Qu'est-ce que Papa t'as refilé ?
-Les négociations avec les familles... et les autres. Mais je crois qu'il a trop de foi en mes capacités, ajouta-t-elle avec un soupir en frottant sa joue contre le crâne de Christa. Ils sont de plus en plus insistants, au Capitole. Je ne sais pas combien de fêtes je vais devoir organiser pour qu'ils aient l'occasion de faire leur petite inspection discrètement. »
Un nouveau lourd soupir lui échappa.
-Désolée, je ne devrais pas t'embêter avec ça, ajouta-t-elle en remarquant que Christa avait resserré son emprise. Tu n'auras pas à t'en occuper, de toute façon, et c'est moi l'héritière. Il faudrait que j'en parle à Ulklin, peut-être, mais il est toujours fourré je ne sais où. »
Christa laissa échapper un petit gloussement amusé, un peu étranglé. Immédiatement, Frieda s'écarta et prit son visage entre ses mains. Elle sonda ses yeux une poignée de secondes, avant de la serrer plus fort.
-Ça va aller, ma bichette. Ça va aller. »
…
Peu de choses étaient capables de réveiller Ymir quand elle avait trouvé un endroit confortable où dormir. Les gargouillis de son ventre affamé étaient de celles-là.
Elle ouvrit les yeux et les referma aussitôt. Son visage faisait directement face à la fenêtre du grenier, qui ne comprenait pas de rideaux ou de volets, et le soleil lui faisait déjà mal aux yeux. Elle se releva en s'étirant, la bouche pâteuse, déjà en train de regretter le confort de l'énorme tas de couvertures qu'elle avait transformé en matelas. Dehors, il y avait plus d'agitation que d'habitude.
Une fois la fenêtre ouverte, le bruit s'engouffra dans la pièce et dans ses oreilles. Les gens circulaient dans les rues, bavardaient, criaient, s'engueulaient et s'appelaient. Des odeurs de pains sur les étals et de fruits gorgés lui parvenaient, et elle enjamba le rebord pour grimper sur le toit. Il était temps de se dégoter de quoi se remplir l'estomac.
Elle circula sur les tuiles, accroupie, loin du bord pour éviter de se faire repérer. Les maisons du District Six étaient toutes à peu près au même niveau, et les gens levaient rarement le nez au-dessus de leur tête, mais il valait mieux ne rien risquer. Il y avait un bon nombre de gardes dans les rues aujourd'hui, et ils n'essayaient même pas de faire illusion, brandissant les décorations de leurs uniformes avec enthousiasme. Elle trouva un coin rêvé pour glisser au sol sans être vue et atterrit souplement à terre, avant de se mêler à la population.
-Dans quelques heures, mon chéri, sois patient.
-Sérieux, t'y es pas encore allé ? Dépêche, mec, on t'attend pas !
-C'est bon, vous vous en êtes bien occupés ?
-Mince, je sais pas si j'aurais le temps avec cette queue. Tu veux bien garder ma place ? J'y file et je te rejoins après.
-Mais oui, c'est fini, allez. Un beignet comme promis. »
La tension les entortillait progressivement, et elle laissa échapper un ricanement. Ils avaient tant à perdre, contrairement à elle. D'une démarche vive et tranquille, elle plongea dans la foule du marché et se dirigea vers le centre districtuel. Au passage, elle chaparda un pain d'un tour de main, et réussit à glisser une poignée de fraises dans sa manche. Elle aurait rarement un aussi bon petit déjeuner.
Malgré sa bonne humeur, elle gardait les sens au aguets, et entendit l'appel :
-Ymir ! Ymir ! »
Lentement, elle dériva sa trajectoire et se dirigea vers la petite ruelle d'où provenait le son.
-Annerose ? Frederik ? Bah alors, qu'est-ce qu'ils vous arrivent ? »
Les deux gamins étaient en train de geindre dans leurs manches, et elle leur tapota la tête pour les encourager à parler.
-Ils ont emmené Julia ! Ils... ! »
Elle n'avait pas besoin de plus pour comprendre. Avec un soupir, elle sépara le pain en quatre parts et leur en confia trois.
-Je vais voir ce que je peux faire, gardez ça pour elle. Mais vous faites pas trop de mouron. Ils vont la relâcher de toute façon, vous la reverrez ce soir. »
Ils levèrent vers elle de grands yeux, et leur éclat se crocheta à l'espoir qu'elle leur offrait. Elle attendit qu'ils aient calmé leurs sanglots, puis s'éclipsa en les laissant mâchouiller leur morceaux de pain humide. Elle accéléra le pas vers le centre, et arriva juste à temps pour entendre les murmures.
-Ils ont encore emmené une de ces gamines des rues.
-Faudrait abréger leurs souffrances plutôt que les laisser vivre dans cette misère.
-Ils restent des habitants de la ville, le Capitole va pas les abandonner à ce point.
-Quand ils sont inscrits, il paraît qu'ils sont envoyés dans des centres éducatifs, pour revenir dans la société.
-Mouais, je sais pas s'ils méritent. »
Il lui suffit d'un coup d'œil pour voir l'entrée par où Julia avait été emmenée. Une petite porte sur le côté, bien cachée de la grande place. Ymir avait passé la même il y a quelques années, en était ressortie avec le bras douloureux et livrée à elle-même. Mais depuis, s'il y avait un jour où elle n'était pas oubliée, c'était ce jour-là. De toutes les invitations qu'elle avait reçu, l'inscription était celle à laquelle elle répondrait toujours.
Elle passa devant la porte sans un regard et se dirigea vers la file ininterrompue. Elle avait rendez-vous avec la seule preuve de son existence.
…
-Mesdames et Messieurs, pour cette cent-quatrième édition des Hunger Games, les tributs de votre district sont… les demoiselles d'abord : Christa Lenz !
-Je me porte volontaire !
-… et Reiner Braun !
….
-Annie Leonhardt !
-Bertholt Hoover !
….
-Hitch Dreyse !
-Marlow Freudenberg !
….
-Floch Forster !
-Sandra Schutzschild !
….
-Samuel Linke-Jackson !
-Ursula Drosselvene !
….
-Tom Ksaver !
-...Ymir !
….
-Jean Kirschtein !
-Minha Carolina !
….
-Conny Springer !
-Laura Schulter !
….
-Marco Bodt !
-Ruth D. Kline !
….
-Thomas Wagner !
-Sasha Braus !
….
-Franz Kefka !
-Hannah Diamant !
….
-Armin Arlelt !
-Volontaire ! Je suis volontaire !
-Je me porte volontaire !
….()...
Prologue réécrit parce que vous méritez mieux.
Et parce qu'on voulait caser nos headcanons sur la famille de Marco.
Et parce qu'on avait des indices à disséminer pour la ''suite''.
(réécrit le 07/04/2021, parce qu'il y avait un anniversaire à fêter)
