On a tous besoin d'une obsession

OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance =

- Aots3-3Spens / 21seki –

- Shingeki St – Hrn – Egt 20130629 Kyojin –

- Call Your Name (Gv) Instrumental –

- Symphonicsuite Historia –

- 7-B $ -

…( )…

Le trio d'Eren se dirigeait droit vers la forêt, mais le jeune garçon était bien moins enthousiaste que les autres fois. Le poids des gaines à ses hanches et le frottement du cuir du harnais lui manquaient, et il se sentait plus léger, presque nu sans équipement. Si Mikasa avait eu vent de ce qui lui passait par la tête, elle aurait rétorqué que c'était parce qu'il avait plus souvent porté son équipement qu'il n'avait dormi. Mais elle ne pouvait pas lire dans sa tête, et il en était bien content.

Très vite, ils s'arrêtèrent à l'orée de la forêt, et Eren leva la tête vers les hauteurs imposantes des arbres qui le surplombaient de leur ombre, courbés par la perspective. Sans son équipement tridimensionnel, ils lui paraissaient beaucoup plus massifs. Il baissa la tête quand Mike prit la parole :

-On va faire comme au tout premier entraînement. Vous avez cinq minutes pour partir vous cacher le plus loin possible.

-Hein ? Encore ? s'étonna Eren. Mais on a déjà fait ça !

-Justement. »

Mike lui adressait un petit sourire en coin amusé, les commissures de sa bouche relevées par la malice. Eren fronça les sourcils, intrigué et un peu vexé. Qu'est-ce qu'il voulait dire ?

-C'est l'occasion pour vous de mesurer les progrès que vous avez fait. »

Mikasa hocha assidûment la tête, et Eren eut l'impression que quelque chose lui échappait. Il la chassa très vite lorsque Mike appuya ostensiblement sur le chronomètre, et fonça vers les bois. D'accord. Du camouflage, donc ? On va voir ce qu'on va voir. Un rictus de défi se fraya un chemin jusqu'à son visage, et il s'engagea sur une piste au hasard, loin de Mikasa qui commençait déjà à disparaître de son champ de vision.

Il avait envie de prouver à Mike qu'il avait progressé. Il avait envie de lui montrer qu'il n'était plus le gamin brailleur qu'il avait jaugé avec dédain le premier jour. Même s'il ne savait pas encore comment.

Il ne voulait surtout pas reproduire ses erreurs précédentes, et prit soin de fouler les sols les plus fermes, et de ne pas marcher sur les branches susceptibles de craquer sous son poids. Et c'était bien plus facile que ce à quoi il s'attendait. Son pas était leste, porté par sa détermination. Le vent lui fouettait presque autant le visage que lorsqu'il portait son équipement. C'était peut-être dû au fait que le temps était particulièrement venteux, mais il se plaisait à l'imaginer.

Maintenant qu'il y songeait, Mike avait un odorat hors norme. Est ce qu'il serait capable de les traquer avec ce vent ? Eren se maudit brutalement d'avoir pris à gauche, là d'où le vent venait, alors que Mikasa avait pris la droite, c'est-à-dire l'angle le plus sûr.

-Pff, n'importe quoi, c'est pas un chien de chasse non plus. » marmonna-t-il entre ses dents.

Il sautilla entre quelques flaques avec un sourire, et laissa son esprit s'extirper de ses pensées pour se focaliser entièrement sur son corps et sur ses mouvements. Il s'imagina qu'une sorte d'énergie jaillissait de son cerveau pour se répandre dans tous ses nerfs et venir crépiter jusqu'à la pulpe de ses doigts. Il sentait tous ses poils se hérisser, en réponse à l'électricité qui frôlait tous ses pores. Il essayait de ressentir chaque muscle, chaque tendon, chaque artère qui vibrait et se mouvait par la seule puissance de sa volonté. Il sondait ses entrailles, cherchant à retrouver la vitalité qui l'habitait lorsqu'il voltigeait dans les airs.

Et il la trouva. Même avec les deux pieds sur terre et la gravité qui l'entravait, il sentait cette vitalité circuler dans ses veines. Elle était plus accessible qu'elle ne l'avait été au tout début de l'entraînement, et il commençait à comprendre où Mike voulait en venir. Il n'aurait jamais cherché à estimer ses propres forces de cette manière auparavant. Mais depuis ce moment où il avait dû observer Mike en plein vol, il comprenait beaucoup de choses sur lui-même.

Il comprenait que les entraînements avaient portés leur fruit. Il était plus souple, grâce aux exercices physiques que Mike leur avait imposés. Il avait un meilleur équilibre, sans lequel il n'aurait jamais pu commencer la manœuvre tridimensionnelle. Il était plus agile, car il savait jusqu'où il pouvait pousser ses articulations. Il avait de meilleurs réflexes, et il savait où regarder pour trouver un chemin clair. Pas à plus de cinq mètres devant lui, mais c'était suffisant. Il n'avait pas besoin de plus.

Tout en songeant à tout ce qu'il était capable de faire, il se demanda comment il pouvait le prouver à Mike. Aux yeux de son mentor, de Mikasa, des autres tributs, des sponsors, il était probablement encore un gamin incompétent. Il allait changer ça.

Une idée se fraya un chemin dans son esprit, comme un feu follet ou une luciole qui voletait à l'arrière de son crâne et venait subitement se poser directement sur son front. Il l'écrasa en plaquant une main sur son crâne, sans s'arrêter de courir.

-Mais oui ! C'est pas mal ça ! »

Il allait feinter Mike ! Aussitôt, il scanna les environs, et trouva sans peine ce qu'il cherchait. Il sauta à pied joint dans la flaque de boue, et repartit à belle allure, un sourire malicieux aux lèvres. Très vite, il trouva un arbre aux branches basses, et commença à grimper avec ardeur. Arrivé à bonne hauteur, il racla de son mieux ses bottes sur les branches, impatient de mettre son plan à exécution.

Une fois qu'il fut satisfait du résultat, il s'agrippa fermement à une grosse branche et mesura la distance qui le séparait d'un autre arbre. Pas grand-chose, il s'était dirigé sans trop faire attention vers la zone dense de la forêt.

Les traits figés par la détermination, il saisit la branche à deux mains et se balança brièvement dessus pour en tester l'élasticité et la résistance. Satisfait, il recula de quelques pas et, sans hésiter une seconde de plus, courut pour bondir jusqu'à l'arbre suivant. Il glissa sur la branche mais se rattrapa aisément au même instant, le cœur battant à tout rompre.

-Wouhou ! »

Ça pouvait marcher ! Il répéta le processus trois ou quatre fois, jusqu'à parvenir à un arbre particulièrement touffu, et s'assit sur la plus grosse branche. Il avait des échardes dans les mains, sa manche droite était déchirée et il s'était griffé le visage, mais cette fois, il le sentait bien.

Il était trop pressé de voir si son plan avait marché pour se sentir capable de mesurer le temps qui s'était écoulé. Il se contenta donc d'attendre patiemment, se retenant de battre du pied en rythme avec ses battements de cœur.

Au bout d'un certain temps qui lui parut très long, alors qu'il tendait attentivement l'oreille, il perçut des bruits de pas. Ils étaient très faibles, et irréguliers, de sorte qu'avec le sifflement du vent, il fallait véritablement faire attention pour les entendre. Pas étonnant qu'il se soit complètement fait avoir la première fois !

Il se déplaça imperceptiblement pour observer depuis son perchoir, et manqua sursauter en voyant la chevelure blonde de Mike. Il était plus près que ce à quoi il s'attendait ! Il retint inconsciemment son souffle, et attendit de le voir passer.

Une fois qu'il fût bien sûr que son mentor était loin, il plaqua une main sur sa bouche et laissa échapper un ricanement. Et se rembrunit aussitôt en se rappelant qu'il avait vraiment l'impression de jouer à cache-cache. Il ressentait exactement la même excitation que celle qu'il laissait échapper par bulles d'éclats de rire lorsqu'il jouait avec Armin et Mikasa dans la forêt.

La pensée d'Armin parvint à le distraire un moment. Son ami lui manquait. Il s'en voulait terriblement, mais il avait l'impression de l'oublier, et ce, presque intentionnellement. S'il pensait à Armin, il pensait à sa mère, son père, sa maison, leur enfance, et il voulait rentrer chez lui. Mais ça faisait de lui un lâche, et c'était tout ce qu'il ne voulait pas être. Alors il essayait d'y penser le moins possible. Mais il avait connu Armin d'aussi loin qu'il s'en souvienne, peut-être même plus longtemps que Mikasa, et parfois, il ne pouvait s'empêcher d'y repenser.

Il se redressa brutalement lorsqu'un bruissement inattendu retentit sur sa droite. Il leva la tête, sondant frénétiquement le feuillage, aux aguets. Était-ce Mike ? Mais il venait de lui passer devant ! Il ne pouvait pas prendre le risque de croire à un animal. Il s'appuya sur ses mains et sauta de sa position assise à une position accroupie, sans quitter la provenance du son des yeux, et déglutit.

Il devait partir. S'agrippant à une branche, il largua tout son poids dessus pour se balancer plus bas, atterrissant sur la branche d'en dessous. Mais à partir de là, il allait faire du bruit s'il allait plus loin. Il n'avait pas pensé à un chemin de retraite ! Il scruta ses environs avec agitation, les sourcils froncés. Les bruissements étaient plus insistants, plus distincts, et il était désormais certain qu'il s'agissait de Mike.

Il se mordit nerveusement les phalanges de l'index, mais devait admettre qu'il était coincé. Est-ce qu'il pouvait sauter à terre et se tailler en vitesse ? Il pouvait toujours tenter. Il n'était pas sûr de pouvoir se cacher ailleurs, mais il pourrait peut-être grappiller quelques minutes. Mais au moment même où il prenait position et se préparait à sauter, il sentit un étau de fer se refermer sur son bras le déséquilibrer, et son pied dérapa sur son appui.

-Ah ! »

Il se retrouva suspendu en l'air à la seule force de la poigne de Mike.

-Où est-ce que tu croyais aller ? »

Il n'était pas sûr, mais il crut entendre un soupçon de sourire dans sa voix. Son mentor le tira vers lui pour lui permettre de remonter, et Eren retrouva très vite des prises.

-Comment vous avez fait ? Je vous ai vu passer juste à côté ! »

-Il y a un meilleur accès par là-bas. » répondit laconiquement Mike en pointant dans la direction générale, nonchalamment accroupi sur la branche, un genou sur le bois.

Il fit signe à Eren de descendre et ce dernier obtempéra, un peu confus. Mike avait un léger sourire lointain aux lèvres, ce qu'il n'avait pas du tout l'habitude de voir. Il atterrit non loin de son premier point de départ, et se rembrunit en remarquant les traces de boues qu'il avait ostensiblement laissées. Son plan avait complètement échoué !

Mais lorsque Mike apparut à côté de lui, il lui tapota tranquillement l'épaule, l'air satisfait :

-C'était très bien pensé.

-Pourquoi ça n'a pas marché, alors ? »

Non, il n'avait pas gémi. Pas du tout.

-Parce que je commence à te connaître. »

Décontenancé, Eren eut un temps d'arrêt avant de rejoindre son mentor, qui reprenait déjà sa route, probablement pour trouver Mikasa. Il commençait à le connaître ? Quel genre de réponse c'était ça ?! Ça n'allait pas l'aider à s'améliorer ! Il ne pouvait pas faire en sorte que Mike le dé-connaisse.

-Avouez, vous m'avez traqué avec votre odorat, marmonna-t-il. Je parie que c'est comme ça que vous avez gagné les jeux aussi. »

Il ne voyait pas d'autres explications plausibles, et il ne voulait pas en voir d'autres pour l'instant.

Il entendit une rapide expiration provenir de son instructeur, et il se demanda si c'était bien la première fois qu'il l'entendait rire.

Au signal de Hansi, Jean se mit en position face à Minha, la concentration peignant ses traits : les jambes fermement plantées dans le sol avec un pied plus en avant, les hanches complètement tournées vers son adversaire, les mains relâchées mais prêtes à saisir. Minha en faisait autant, peut-être un peu plus crispée. Et plus rouge. Aucun des deux ne bougeait.

-Vas-y, le provoqua Minha avec un petit rictus.

-Après toi. » répliqua Jean avec un sourire en secouant la tête.

Moins tendue, elle se jeta sur lui avec énergie, brandissant son poing gauche dans sa direction. Elle était rapide, et allait droit au but. Juste avant de se le manger dans la mâchoire, il se déporta sur le côté et laissa glisser le poing pour venir saisir son coude de sa main gauche, avant de presser pour venir au contact de la jeune fille et la déséquilibrer. Le bras en l'air, elle continua à tourner et son coude fusa vers son visage. Elle tenait vraiment à lui en mettre une dans le nez ! Il se baissa pour l'esquiver et donna un coup d'épaule dans sa côte pour la repousser. D'un pas leste, elle revint en position, les sourcils terriblement froncés.

Il sentait qu'elle avait vraiment envie de réussir cet exercice. Mais il savait que si il la laissait gagner, elle viendrait lui poignarder les flancs dans son sommeil. Il fonça droit sur elle en prenant soin de ne pas indiquer par où il comptait attaquer, et dès qu'il fut sûr d'être assez près, sa main droite fouetta l'air vers sa carotide. Minha réagit immédiatement en reculant d'un pas au moment même où elle venait frapper son coude de sa paume pour interrompre son mouvement. Il profita de la diversion pour frapper son menton de sa paume et repousser sa tête en arrière.

La jeune fille tomba à terre, mais se réceptionna aussitôt en roulant sur son épaule pour se relever avec un bond. Jean reprit position, les veines frémissantes. L'adrénaline du combat était grisante, chaque coup esquivé était une nouvelle victoire mais un nouvel obstacle, mais une nouvelle opportunité. Il n'aimait pas spécialement se battre, mais il devait avouer que quand il y était, il y mettait du cœur.

-Fourbe. » entendit-il dans un murmure.

Sa tête cingla vers Minha pour découvrir son sourire un peu provocateur, et il laissa échapper un petit ricanement. Elle trouvait que cette main dans le menton était fourbe ? Elle allait avoir du fourbe. Il tendit la main droite vers elle, comme pour proposer de lui serrer la main, et elle se figea, brièvement interpellée. Ses sourcils se froncèrent de suspicion alors qu'elle plissait les yeux vers lui. Il laissa son expression aussi ouverte que possible, un sourire naturel et des yeux innocents.

Elle sembla avoir pris une décision, car elle vint à sa rencontre, sa démarche confiante. Peu importe ce qu'elle avait l'intention de faire, il était prêt. Elle saisit son poignet, et au même moment Jean fit un pas vers elle pour la déstabiliser. Il saisit lui aussi le poignet de la jeune fille et le tordit pour l'envoyer vers la droite, avec la ferme intention de l'emmener vers le sol en pressant sur son articulation.

Mais Minha était trop rapide et se retourna pour tirer violemment sur son bras, le poing prêt à recueillir son visage. Jean planta ses deux pieds au sol pour retrouver son équilibre et leva les bras, aussi bien pour se protéger que pour intercepter le poing de Minha et le guider vers le haut sans interrompre son mouvement. L'élan de la jeune fille la déséquilibra et elle se retrouva les deux bras en l'air l'espace d'une seconde. Sans hésiter, Jean les fit glisser sur le côté et les verrouilla dans une prise sous son aisselle, avant de balayer le pied de Minha. La jeune fille tomba et il l'accompagna avec un genou sur son ventre pour la maintenir au sol.

-Noon ! s'écria-t-elle aussitôt alors que Jean éclatait de rire. C'est pas juste, j'y étais presque !

-C'est pas encore fini Minha ! répliqua Hansi. Tu as dix secondes pour essayer de te libérer !

-Hé, c'est un délit de partialité, ça ! » protesta Jean.

Minha se débattit et il se retint de dire à voix haute qu'elle lui évoquait un poisson hors de l'eau. En tout cas, il devait rester très concentré pour la maintenir au sol, car la jeune fille avait une sacrée envie de vaincre. Quand les dix secondes furent écoulées (il était à peu près sûr que Hansi en avait laissé cinq de plus), leur instructeur appuya sur le chronomètre et déclara dramatiquement :

-Victoire de Jean. »

Le jeune homme relâcha sa prise et se laissa tomber au sol, la respiration lourde, alors que Minha se redressait vivement et prenait une longue inspiration. Il jeta un coup d'œil mauvais à Hansi.

-Pourquoi vous essayez de l'aider comme ça ?

-Mmh...parce que ce n'est pas drôle de te voir toujours gagner ? répondit Hansi sur un ton léger.

-Minha n'a pas besoin de ça. » assura-t-il.

Hansi interrompit ce qu'iel faisait et se tourna vers lui avec un sérieux renouvelé, et il se sentit pris au dépourvu. Puis un large sourire fendit son visage et son instructeur vint sans cérémonie lui administrer une vigoureuse claque dans le dos avec un rire.

-Bien dit, Jean !

-Aïe ! »

Il s'apprêtait à protester mais Hansi était déjà reparti vers l'ombre du bâtiment à côté duquel ils avaient posé un banc pour il ne savait quoi. Il se tourna vers la jeune fille et vit qu'elle lui adressait un sourire reconnaissant.

-Merci.

-Quoi ? fit-il, embarrassé. J'ai raison : tu progresses bien assez vite sans avoir besoin que Hansi te donne un coup de pouce. »

Il détourna le regard avec un grommellement, et se leva pour rejoindre leur banc à l'ombre. Il avait raison. Au début de leurs entraînements au combat à mains nues, elle était même embarrassée à l'idée de le toucher ! Alors que maintenant, elle avait l'air d'avoir pris la décision irrévocable de lui péter le cartilage nasal. Elle avait définitivement progressé dans ses techniques également. Elle était beaucoup plus mobile et faisait attention à conserver son équilibre.

-Au fait, intervint-elle en ouvrant sa bouteille d'eau, j'ai parlé à Sandra, Samuel et Thomas. »

Jean fit la grimace, inquiet, en avalant une gorgée de sa propre bouteille. Il avait vraiment merdé sur ce coup-là.

-J'ai réussi à sécuriser une alliance avec eux.

-Sérieux ?! »

Il fit volte face vers elle alors qu'elle se fendait d'un large sourire fier, pas peu impressionné.

-Comment est-ce que t'as fait ? Ils l'avaient mauvaise après moi, pourtant.

-J'ai réussi à les convaincre de ta bonne foi, on va dire. Je leur ai dit qu'en parlant des types d'armes qu'on recevrait, tu essayais de leur faire comprendre sur quoi ils devaient se concentrer, pas juste les enfoncer. D'ailleurs… j'espère que ça ne te dérange pas que j'ai tourné tes paroles comme ça ? C'était peut-être pas du tout ton intention ? ajouta-t-elle en se mordant la lèvre, hésitante.

-Non, t'inquiète pas, la rassura Jean immédiatement en se laissant tomber sur le banc. C'était super bien pensé. Et du coup ils sont d'accord pour une alliance ?

-Un pacte de non-agression au début des jeux, et potentiellement une alliance si leurs partenaires ne survivent pas. C'est pas exactement une alliance sûre, mais on sait qu'on ne se fera pas embêtés par eux.

-C'est génial, Minha ! s'enthousiasma Jean. Un pacte de non-agression avec trois groupes, c'est déjà carrément bien.

-Tout à fait d'accord ! s'écria Hansi en manquant de le faire sursauter. Bon travail, Minha. Tu progresses très vite ! »

Minha rougit sous les compliments, timide mais fière, et Jean sourit. La jeune fille était coriace. Malgré ses accès de mauvaise humeur, elle le remettait à sa place quand il le fallait. Elle s'entraînait d'arrache-pied pour rejoindre son niveau en tridimensionnalité, et elle se battait toujours avec hargne. Et maintenant, elle avait des penchants de diplomate ! Après le fiasco de la bibliothèque, Jean se serait attendu à tout sauf à ça.

-Hansi a raison. » affirma-t-il résolument.

La jeune fille rougit encore davantage, mais Jean l'ignora.

-Il faut fêter ça ! déclara Hansi. Ne bougez pas, je reviens. »

Les deux jeunes regardèrent Hansi partir d'un pas pressé, intrigués. Puis Minha prit la parole, d'une voix plus douce qu'à l'accoutumée, et Jean se tourna vers elle :

-Je suis contente de progresser, et d'être meilleure au combat et tout ça... »

Il y avait un « mais ». Déconcerté, il hocha la tête.

-Mais ça m'inquiète un peu.

-Mhm ? »

Il s'adossa en arrière sur son bras tendu, sa bouteille ouverte reposant sur sa cuisse. Minha regardait l'horizon, les joues un peu rouges et triturant ses mains.

-J'ai pris beaucoup plus de muscles que ce à quoi je m'attendais. Je pensais pas que je pouvais avoir des bras aussi épais, ou autant de lignes sur les abdos, et ça fait un peu bizarre... »

S'il s'attendait à ça... Minha leva un pied pour le poser sur le banc où elle était assise et enroula ses bras autour, l'air inconfortable. Jean se tritura le cerveau, paniqué par la situation délicate. Il voulait rassurer Minha mais il ne savait pas exactement ce qu'elle voulait entendre, et il avait peur de faire une gaffe. La cervelle en ébullition, il finit par griller et lâcher le premier truc qui lui était passé par la tête en l'entendant :

-Moi, je trouve ça stylé, les abdos saillants. »

Minha fit volte-face vers lui, le visage écarlate.

-Ah...ah bon ? »

Jean hocha lentement la tête, un peu gêné. Il était en terrain glissant. Il appréciait beaucoup Minha, et il avait remarqué les sentiments qu'elle avait pour lui. Il ne voulait pas lui donner de faux espoir, mais en même temps il voulait lui montrer qu'elle pouvait au moins compter sur lui en tant que partenaire. Il voulait la remercier.

-Oui, c'est carrément stylé ! Ça veut dire aussi que tu as de l'énergie à revendre. Et ça, c'était déjà le cas avant, c'est juste une preuve de plus que tu as travaillé dur. »

Le sourire qui s'épanouit sur le visage de la jeune fille était timide mais chaleureux, reconnaissant. Jean laissa échapper un léger soupir de soulagement, juste avant que Hansi ne revienne dans un tourbillon d'énergie, en brandissant trois cônes :

-Tenez, mes fidèles apprentis ! Une récompense pour vos durs efforts !

-Des glaces ? fit Minha. Merci Hansi !

-Attention, les goûts sont un peu spéciaux, déclara leur instructeur en les leur tendant. Mais bon, vous êtes des guerriers maintenant ! »

Hansi avait ce sourire impatient des moments où iel attendait avec excitation leurs réactions. Sceptique mais peu susceptible de refuser ce genre de friandise, Jean ouvrit le sien et en contempla la couleur mauve avec hésitation.

-À la violette ? essaya-t-il de deviner.

-Lavande ! » répondit Hansi.

Il étira la langue avec précaution et lécha un petit morceau. Le goût était...fleuri. De la fleur sucrée. C'était un peu déstabilisant, mais pas mauvais. Il se tourna vers Minha, qui n'avait pas l'air dérangée le moins du monde par sa glace, qui avait une couleur café. Ce n'était très certainement pas du café.

-Réglisse. » répondit-elle à sa question silencieuse en continuant à déguster.

En tout cas, la fraîcheur était agréable, avec la température qui augmentait régulièrement. Avec un sourire, il croqua un morceau entier et sentit ses dents frissonner avec satisfaction alors que Hansi commençait à discuter avec Minha sur un sujet quelconque. La glace de Hansi était noire, et il ne voulait même pas se poser la question.

Comme le soleil qui capitulait et rentrait bredouille vers l'horizon, comme les jours qui le rapprochaient du début des jeux, les pas de Bertholt l'amenaient vers la bibliothèque.

Il avait beau faire de son mieux pour décoller la plante de ses pieds du sol, les semelles de ses chaussures raclaient le chemin dans un frottement las. Ses reins, son coccyx et ses cuisses lui faisaient souffrir le martyr. Alors il se replongea dans ses pensées, qui le torturaient moins… ou presque. Il était ravi à l'idée que Pixis leur donne d'autres cours que des séances de stratégie militaire aux allures de questionnements botaniques fondamentaux, mais même face à ces cours pratiques, le grand brun se retrouvait confronté à un mur !

Franchissant le perron de la bibliothèque, Bertholt songea aux livres qu'il avait besoin de consulter. Il espérait trouver des manuels détaillés sur la manœuvre tridimensionnelle, notamment sur la question du gaz, car il devait en peaufiner son utilisation. Il avait tendance à toujours s'en servir à court régime dans un souci d'économie, quelque soit la situation. C'était parce qu'il craignait de ne plus avoir assez de gaz pour rattraper de potentielles erreurs, et alors d'échouer lamentablement, s'il en consommait un petit peu plus, rien que pour se propulser.

Bertholt gérait mal sa consommation de gaz et s'endolorissait les muscles. Sur le plan théorique, ça, il l'avait compris. Ce n'était pas les « Fie-toi à ton instinct. » encourageants, mais un peu creux, d'Annie ou les fréquents « Plus de gaz, monsieur Hoover ! » de Pixis qui l'avaient aidé. La tridimensionnalité devait être inné chez eux, il pouvait le concevoir. Mais, lui, il lui fallait d'abord se familiariser à la pratique afin de développer les bons réflexes par la suite.

Bertholt avait toujours été comme ça : améliorer la pratique par la théorie. Beaucoup de théorie. Des montagnes de théorie. Tellement qu'il finissait par connaître un sujet donné sur le bout des doigts, et était ainsi plus apte à le comprendre, à l'appliquer. C'était comme ça qu'il avait appris à cuisiner et à coudre, il n'y avait pas de raisons que cela se passe autrement avec la tridimensionnalité !

Il menait les choses à bien en suivant un exemple clair ou un objectif précis, voilà comment il faisait.

Il monta les escaliers (si ses souvenirs étaient bons, les ouvrages qui l'aideraient le mieux étaient rangés au premier étage, près des archives), s'agrippa le coude et le serra fort. Bertholt désirait du fond du cœur mettre toutes les chances de son côté pour survivre aux jeux. Il lui manquait juste le bon angle sous lequel les aborder : son objectif à suivre. Pour lui permettre de donner le meilleur de lui-même et d'avancer, quelque chose qui le fasse tenir la pression.

Le nez bien plus dans ses considérations que rivé sur les étagères qu'il parcourait, Bertholt se figura Annie. Il pourrait faire de sa protection son objectif, un peu comme Reiner et Christa. Cela donnait de la détermination et de la force au blond, c'était clair comme de l'eau de roche ! Néanmoins, Annie n'avait pas besoin d'être protégée, cela tombait sous le sens… Peut-être qu'en parvenant à mieux décrypter les sentiments énigmatiques de sa partenaire, il trouverait ce ruisseau transparent, d'une évidence rassurante, qui guidait Reiner à travers les jeux et qui le guiderait alors, lui aussi.

Le discret salut émis par une main familière stoppa Bertholt. Marco et une jeune fille étaient tous deux assis à une table, que le pas songeur du grand brun se préparait à dépasser. Bertholt lâcha son coude pour rendre son salut à Marco, d'un signe plus hésitant que le garçon du District Neuf.

Il appréciait Marco, avait beaucoup de respect pour sa bienveillance même. Mais il ne connaissait pas bien la fille aux cheveux noirs noués en couettes qui était avec lui. À bien y regarder, il devait s'agir de Minha Carolina, le tribut féminin du District Sept. Elle avait l'air très avenante, et devait souvent en voir des vertes et des pas mûres avec Jean comme acolyte. En tout cas, le camarade de Minha, s'il ne gênait pas sa partenaire, avait intimidé Bertholt la veille. Il voyait en Jean quelqu'un qui amenait la tension tout en s'en excusant, conscient -voire honteux- de ses contradictions, comme s'il faisait converger de grands courants d'eau tumultueux vers lui. Rester près de Jean, c'était s'exposer à un tourbillon, redoutable et surtout imprévisible. Peut-être que Minha avait la clé pour apaiser Jean, ce qui expliquerait pourquoi elle n'avait pas encore craqué… En tout cas, Bertholt ne pouvait s'empêcher de plaindre un peu la jeune fille. De plus, elle avait Hansi comme instructeur et cette personne était pour le moins… excentrique. Un peu comme Pixis…

Même si cela ne le dérangeait pas de se faire aborder, Bertholt préférait ne jamais faire le premier pas avec les inconnus comme Minha. Il s'était habitué à la présence d'autres tributs qu'Annie, mais il ne souhaitait pas non plus nouer de grandes amitiés avec tous les candidats. Sinon, il aggraverait trop la difficulté de sa situation.

Cela le dissuada de s'approcher. De toute façon, il devait trouver l'ouvrage qui lui fallait avant la fermeture de la bibliothèque ! Il jeta un regard désolé à Marco, mais l'intéressé répliqua par un sourire entendu. Se sentant excusé de ne pas s'être assis aux côtés du jeune homme pour étudier, Bertholt maintînt le cap. Il se réjouit de sentir ses pieds un peu plus légers.

Maintenant qu'il s'approchait de la section des archives, il allait pouvoir commencer à chercher activement ce qu'il lui fallait. Encore trop peu familier avec l'organisation de la bibliothèque, il se hasarda dans un rayon pour entamer ses recherches et releva la tête… et son cœur manqua un battement ! Ses yeux défilèrent sur le vieux bois sombre des étagères, ainsi que sur les couvertures fades et poussiéreuses des livres qu'elles abritaient, ils sursautèrent sur la chevelure blonde de Reiner, et les couleurs de la bibliothèque lui apparurent soudainement plus ternes. Peut-être à cause du contraste criant que ses cheveux provoquaient.

Le tribut du District Un se trouvait dans le même rayon que Bertholt, affairé à étudier les quatrièmes de couverture de plusieurs ouvrages, il en tenait déjà certains contre lui par le pli de son coude. Il tourna son regard sérieux, concentré et bienveillant vers Bertholt, reposa le livre qu'il tenait et alla à la rencontre du grand brun. Bertholt était resté immobile. À quelques pas du grand brun, le front plissé, Reiner lança dans un murmure calme, mais intrigué :

-Hé, Bertholt, ça va ? »

Bertholt prit alors conscience de la raideur de ses muscles et de la moiteur de ses paumes : croiser le favori des sponsors par le plus pur des hasards, seul à seul, l'avait bien plus surpris que ce à quoi il s'attendait.

-Oh, oui, ne t'en fais pas, le rassura-t-il après s'être raclé la gorge.

-À ta tête, j'ai cru que tu étais en train de frôler l'arrêt cardiaque…

-Non, pas du tout, j'étais juste surpris de te voir ! annonça Bertholt d'un ton riant.

-C'est vrai que c'est le deuxième jour d'affilée qu'on se croise ici. Tu devais penser que tu t'étais enfin débarrassé de moi, désolé. »

Sur ces paroles, Reiner fit mine de tourner les talons. Bertholt s'empressa de le retenir, oubliant un peu de chuchoter au passage :

-Quoi ?! Oh, non, non, attends, c'est pas ça ! »

Le grand brun se rendit alors compte que tout le monde l'avait probablement entendu dans le silence studieux et enveloppant des lieux. Les joues brûlantes, il porta la main à sa bouche pour se forcer, s'il le fallait, à étouffer ses cris. Reiner était resté devant lui et éclata de rire, les épaules agitées par l'hilarité : plusieurs chauds et légers gloussements qu'il comprimait, mais qui restaient communicatifs et libéraient des bribes de sa voix, s'acheminant vers les oreilles du brun. Cela suffit à le détendre et il libéra sa bouche, soulagé que Reiner ne semble pas vouloir l'éviter.

-Navré, je te charrie, c'est tout, s'expliqua Reiner, son calme retrouvé, dans un clin d'œil. Qu'est-ce qui t'amène ici, alors ?

-Je cherchais des ouvrages théoriques sur la tridimensionnalité. » chuchota le grand brun.

Le blond acquiesça à l'information, puis pointa du menton un rayon qui se trouvait un peu plus à gauche, derrière lui.

-C'est par ici, viens, je te montre. » lâcha-t-il en entamant sa marche.

Bertholt se pressa de lui emboîter le pas, bafouillant des remerciements. Reiner devait suivre des cours de tridimensionnalité aussi, sinon il n'aurait certainement pas eu connaissance de l'emplacement exact des ouvrages. Pour l'heure, le jeune homme se réjouit d'avoir un sujet de conversation tout trouvé.

Il suivit le pas assuré de Reiner, et baissa les yeux vers les quatre livres qu'il tenait d'une main ferme et décidée. Des livres d'anatomie. Selon toute vraisemblance, il s'agissait d'une des matières abordées par son mentor, Erwin. De tous les instructeurs, il devait être le plus réputé pour son enseignement impeccable de la théorie des jeux, et l'anatomie devait faire partie de son programme pédagogique. Et malgré ces leçons qui abondaient de richesse et de contenu, Reiner prenait le temps d'approfondir ! Le sérieux était une des plus grandes qualités du tribut blond. Pour Bertholt, c'était aussi clair que l'eau du ruisseau qui alimentait sa détermination à protéger Christa et l'orientait à travers les jeux.

La chaleur aussi. Lorsqu'il l'avait rencontré pour la première fois, et lors des autres fois où ils s'étaient parlés, Bertholt s'était étonné de la douceur du tribut, bien cachée derrière sa carrure imposante et son regard de faucon. Le courant de son devoir avait beau être fort, il ne refroidissait pas Reiner et c'était là la marque d'une grande gentillesse. Ainsi, Bertholt n'avait jamais besoin de prendre la température ni d'être sur ses gardes, il se sentait toujours en confiance avec lui.

Les lames croisées qui ornaient le dos du blond firent halte et Bertholt remercia en silence la réactivité de ses pieds qui venaient de lui éviter une collision dans le dos du tribut. Du bout des doigts, Reiner saisit la tranche au carmin effacé d'un des livres, l'ouvrit, puis se retourna vers Bertholt pour lui montrer.

-Je te recommande celui-là, il est vraiment bien pensé et très renseigné. »

Bertholt se pencha vers les pages colorées que Reiner lui présentait. Le blond avait pivoté à côté de lui et lui pointait du doigt des images, des légendes, des schémas ou encore des sous-titres en gras. Le grand brun suivait l'index de Reiner comme un chat envoûté par un faisceau lumineux.

-Les chapitres sont organisés par pièces du harnais, donc c'est parfait si tu veux approfondir ton utilisation d'un mécanisme précis. T'as plein de schémas et d'explications. Et c'est très varié au niveau des combinaisons possibles : de quoi te donner plein d'idées de techniques tridimensionnelles à développer ! »

Bertholt hochait la tête, concentré sur le mouvement du doigt de Reiner. Son épais index tournait les pages avec délicatesse et glissait sur les feuilles du livre sans ne laisser aucune trace de froissure, filait sur les images sans les graisser, dans une déférence admirable. Le clapotis du souple papier empli de sagesse faisait écho dans ses oreilles. Bertholt ne trouvait rien d'autre à dire que de timides « Je vois. ».

Reiner agita l'ouvrage en face de Bertholt. Le grand brun le prit en le remerciant et regarda Reiner repartir de plus belle pour lui dénicher d'autres manuels. Le blond était très appliqué à sa recherche, le menton entre deux doigts, il semblait mettre beaucoup de cœur à aider Bertholt, ce qui fit sourire le grand brun. Il lui rappelait Annie comme ça : blond, fier, fort et sûr de lui, toujours prêt à donner de son temps pour l'aider alors que lui ne faisait rien.

Il y avait quand même des différences évidentes avec Annie. Tout d'abord, Reiner était plus bavard. Et le blond de leur chevelure n'était pas le même : Annie était de vanille, tandis que ceux de Reiner lui rappelaient le soleil. Il évoquait décidément beaucoup la chaleur à Bertholt. Sûrement grâce à sa nature avenante, désireux d'aider, très protecteur : il devait être un excellent confident.

Le grand brun mit le nez dans le livre qu'il lui avait conseillé afin de recentrer un peu ses pensées : il était là pour la tridimensionnalité, pas pour digresser sur les qualités de ses futurs adversaires, même ceux qu'il respectait le plus ! Il noya ses observations de Reiner dans les couleurs au gris métallique terne des images représentant les gaînes du harnais tridimensionnel, offertes par le manuel. Un courant de satisfaction doux et agréable le réchauffa. Alors qu'il parcourait les pages, une note de bois fleuri enivra ses narines.

Il ne manquait plus qu'une tasse de thé vert à la menthe et le moment serait parfait ! Il reporta son attention sur Reiner, qui était toujours occupé à inspecter les livres sur la tridimensionnalité, silencieux. Il n'avait pas pris la peine de demander à Bertholt quel genre de livres il cherchait, il avait juste présumé (avec justesse, même) ce qui lui fallait. Bertholt n'était pas capable de faire preuve d'une telle spontanéité, il préférait toujours s'assurer qu'il ne se méprenait pas avant d'agir auprès des autres.

L'autre tribut feuilleta un manuel avant de le redéposer, puis ses prunelles dorées percèrent Bertholt un court instant. Dans un réflexe surhumain et paniqué, le jeune homme leva les avants-bras afin de cacher son visage derrière le livre ouvert. Reiner avait dû se rendre compte qu'il le scrutait depuis un moment ! Le grand brun attacha ses yeux à un schéma des bonbonnes de gaz, espérant les tenir sages quelques minutes.

Il essaya de se concentrer sur autre chose, mais il ne pouvait penser qu'à son admiration pour Reiner et l'écart entre leur deux personnalités. Il aurait aimé être comme lui : confiant, fort et responsable. S'il était comme Reiner, il rendrait sûrement Annie bien plus fière, lui montrerait bien mieux que ses efforts n'étaient pas vains, la créditerait comme elle le méritait. Car Annie méritait quelqu'un comme Reiner, mais Bertholt n'était pas Reiner. Au moins, dans sa compagnie, Bertholt pouvait aspirer à s'améliorer et s'inspirer de l'exemple qu'il était pour lui. Il pouvait même espérer passer suffisamment de temps avec lui pour mieux sécuriser une alliance !

Fort de ces considérations, il baissa le livre (qu'il avait à peine regarder), bien décidé à discuter à nouveau avec Reiner. Pour lui-même et pour Annie !

-Erwin te donne des cours d'anatomie, non ? Ils sont bien ou… ? » demanda-t-il en pointant du doigt les livres que Reiner tenait depuis le début.

Reiner se tourna vers lui, les yeux écarquillés. Il les baissa vers ses manuels et redressa la tête, un demi-sourire aux lèvres.

-Oh, oui, ils sont très bien, (Reiner s'arrêta le temps de ce qui ressemblait à un soupir) c'est juste que je veux donner le meilleur de moi-même pour Christa. »

À peine avait-il fini de prononcer « Christa », qu'il s'était retourné vers les livres. Il s'était justifié dans un ton qu'il avait modulé de la manière la plus douce et enjouée possible, mais le poids de ses paroles avait pris le dessus et, visiblement, Reiner n'osait pas affronter le regard du grand tribut brun.

« Pour Christa » c'était « pour faire gagner Christa », un rappel que, même si Reiner était en train d'aider Bertholt, ils étaient censés être ennemis. Qu'ils étaient peut-être en bon terme pour l'instant, mais que, d'ici bientôt deux semaines, ils allaient devoir se sauter à la gorge.

Et que Bertholt était un obstacle à l'accomplissement de la mission de Reiner.

Le grand brun voyait les muscles du blond se raidir devant lui. La tension était palpable mais Bertholt refusait qu'elle entache sa discussion avec Reiner. Il prit une inspiration et répliqua, toujours en chuchotant afin de ne pas brusquer la sérénité de la bibliothèque :

-C'est super ça : tu dois être l'élève rêvé pour Erwin ! »

Reiner refit face à Bertholt, un nouveau livre à la couverture vert forêt dans la main, il hocha la tête avec révérence, affichant un sourire triste. Il lui tendit le livre.

-Héhé, merci. Tiens, celui-là aussi est plutôt bien… moins digeste que l'autre, mais j'ai cru voir que c'était la question du gaz qui t'intéressait, et elle est très développée dedans.

-Euh, oui, exactement ! Merci beaucoup.

-Je t'en prie, ça me fait plaisir. »

Le grand brun saisit le livre. L'électricité de la tension parcourut son corps quand il le toucha, mais il sentit aussi un peu de la chaleur amicale de Reiner.

-Vraiment. » ajouta le blond dans un souffle presque imperceptible.

Bertholt lui adressa un sourire et le remercia une dernière fois, avant de quitter les lieux pour bachoter la théorie tridimensionnelle dans sa chambre. Reiner l'accompagna en silence jusqu'aux escaliers et ils se séparèrent d'un signe de la main.

Les bras croisés, et serrant les manuels conseillés par Reiner contre son torse, Bertholt repensa aux paroles du tribut blond. Reiner s'en était voulu de les avoir dites, mais il avait certainement désiré se confier en toute honnêteté à Bertholt. Le grand brun avait donc fait les frais d'une autre piqûre de rappel : c'était les Hunger Games, c'était la demi-certitude d'y rendre son dernier soupir. S'il voulait protéger Annie, il en mourrait.

Ce qui l'angoissait le plus au fond, c'était surtout de se dire qu'il n'était qu'un obstacle comme un autre, placé sur la route du courant puissant et résolu de Reiner. Et qu'il allait falloir qu'il se trouve un objectif en béton, s'il ne voulait pas être fendu par l'eau tranchante de la détermination du blond.

La rivière de Reiner était claire et robuste. Tandis que Bertholt, lui, se noyait encore dans des eaux noires, écartelé par une multitude de courants divergents.

En sortant de la bibliothèque, il s'aperçut qu'il faisait nuit.

L'aisance avec laquelle la louche en bois malmenait les nouilles indiquait qu'elles se ramollissaient à souhait. Un frisson de satisfaction grimpa jusqu'aux lèvres de Marco, qui affichèrent un sourire fier. Le repas était bientôt prêt. Ness (et Ruth, il l'espérait) et lui allaient se régaler. Il avait fait de son mieux pour leur présenter sa version à lui des nouilles aux légumes.

Il se pencha au-dessus de la casserole pour s'enivrer un peu du parfum des épices. Ness et Ruth étaient assez sensibles, alors il avait veillé à agrémenter le plat des plus douces qu'il connaissait. Longeant le comptoir, il se rendit en quelques pas jusqu'au salon pour signaler à son mentor et à sa partenaire que le repas allait être servi.

Ness lisait le seul journal quotidien disponible sur le campus, supervisé de long en large par le Capitole, les sourcils froncés et la main sur son bandana. Marco en conclut que quelque chose le contrariait : son instructeur faisait souvent ce geste lorsqu'il luttait pour garder son calme. Le jeune garçon ne voulait pas mettre plus d'huile sur le feu. Il adressa à Ness un petit geste de la main. Afin qu'il comprenne bien où il voulait en venir, Marco commença à dresser la table. Après une poignée de secondes d'hésitation, il opta pour trois couverts. Il irait trouver Ruth dans sa chambre pour lui proposer de se joindre à eux. Le repas était une occasion en or pour sociabiliser, mais Ruth manquait rarement de l'esquiver.

Il saisit deux verres de ses mains et, pivotant vers l'emplacement de la table, se retrouva nez-à-nez avec Ness. L'ancien tribut lui sourit de toutes ses dents et sa franchise en lui prenant les verres des mains :

-Laisse, p'tit gars, je m'en charge. T'en as déjà fait assez. »

Marco le remercia et Ness lui fit un clin d'œil avant de s'exécuter.

Le jeune garçon retourna se poster à la cuisinière pour remuer encore un peu le plat de nouilles en sauce. Le mouvement circulaire et régulier de la louche hypnotisait son esprit. Il aimait ces moments où la simplicité de sa tâche lui permettait de songer, sans le moindre scrupule, aux mouches qui volaient. Ainsi, il pouvait s'échapper le temps de quelques battements de cœur sans pour autant être complètement inutile au monde qu'il fuyait.

-Qu'est-ce que c'est ? »

La question était tranchante. Elle fendit le pont que l'esprit de Marco avait emprunté et le ramena avec fracas à la réalité. À la réalité de Ruth qui se penchait au-dessus du plat, le reniflant.

-Des nouilles aux légumes. J'ai mis du tofu pour garantir l'apport en protéines, et l'ai agrémenté d'un peu d'épices. Mais rien de trop piquant ! » s'enthousiasma Marco, ravi que Ruth soit venue d'elle-même.

Sa partenaire étouffa un son qui semblait traduire sa bonne compréhension de l'information, ainsi que le peu d'intérêt qu'elle y portait vraiment. Marco se raidit, incertain de ce qu'il devait faire. Ruth était l'une des seules personnes avec lesquelles il ressentait une obligation pressante de se justifier et il souhaitait qu'elle en reste là avec ses questions. Il se réjouissait de la voir venir pour le repas, mais était-ce trop demander qu'elle ne lui fasse aucune remarque désobligeante ?

Les coudes sur le plan de travail et la tête dans les paumes de ses mains, Ruth le regardait remuer le plat qui finissait de cuire. Sans dire un mot. Sa respiration sifflante pratiquait des incisions dans l'air ambiant. Marco réprima un tremblement. Il craignait que les nouilles ne refroidissent.

-Ça t'as pris longtemps ? »

Ça y était, une nouvelle question. Une nouvelle angoisse. Ruth essayait-elle de briser la glace qu'elle avait amenée avec elle ou préparait-elle une nouvelle réprimande ?

-Non, pas du tout. C'est plutôt rapide à cuisiner vu que les nouilles cuisent très vite. Tout dépend de comment tu les veux : douces ou gluantes.

-Mmh, mmh…

-Ça ne va pas ? osa Marco, retenant son souffle.

-Oh, si, ça va. C'est plutôt toi qui m'inquiètes. » lâcha-t-elle.

Marco aurait dû s'en douter. Une nouvelle réprimande. Il serra la louche et choisit de feindre l'ignorance. Si cela pouvait convaincre Ruth d'être plus aimable et leur éviter une dispute, c'était toujours un moment de paix de gagné.

-Ah bon ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ? s'enquit-il, sans la regarder.

-L'ordre de tes priorités, par exemple. »

Marco avait été trop naïf, elle n'allait pas passer par quatre chemins. Ruth était franche, cassante dans ses accusations, c'était ainsi qu'elle supportait la pression. Et elle avait fait de Marco son bouc émissaire. Au début, il ne s'y était pas opposé, mais la situation atteignait des proportions que Marco ne cautionnait plus. Il serra la louche et choisit de feindre l'ignorance. Il s'était promis qu'il tiendrait bon. Il réglerait cela sans recours à la violence, en restant lui-même.

-Comment ça ? »

Il scrutait le contenu de la casserole et entendit un soupir aiguisé manquer de lui découper les oreilles.

-Arrête de me jouer le coup du gros naïf, tu veux ?! J'y crois pas une seule seconde ! Et, pour ta gouverne de petit ange, je le prends assez mal !

-Où veux-tu en venir, alors ? la pressa-t-il, sans la regarder.

-Qu'est-ce que tu fais à cuisiner au lieu d'aller t'entraîner ou te documenter ?! T'as cru qu'on était où ? »

Marco pouvait se figurer le feu des reproches dans les iris marron de sa partenaire. Il serra la louche et choisit de garder son calme.

-Je pense que s'entraîner à cuisiner est aussi vital pour les jeux que la stratégie militaire ou le combat, et j'ai déjà passé l'après-midi à étudier la botanique à la bibliothèque, lui sourit Marco.

-Parce que tu vas nous concocter des nouilles aux Hunger Games, peut-être ? Ah, j'oubliais ! Avec les sponsors du tonnerre que tu t'es dégoté, tu dois pas trop t'en faire !

-Laisse-moi tranquille, s'il te plaît. » la somma-t-il d'une voix fatiguée, qui brûlait de hausser le ton et de ne pas avoir à prier Ruth.

Sur ces mots, Marco se tourna vers Ruth. Elle le dévisagea, les yeux écarquillés, elle avait délogé sa tête de ses paumes. Le temps de deux battements de cils, elle retrouva le pli inquisiteur de ses sourcils, qu'elle prenait toujours quand elle parlait à Marco, et se redressa, les mains sur les hanches. Après quelques secondes, les yeux fermés, elle joignit les doigts de ses deux mains et soutînt le centre de son visage dans le creux de ses pouces et index liés. Un nouveau soupir transperçant.

-Des fois, je me demande si ta niaiserie n'est pas un moyen pour toi de cacher autre chose. Comme la peur de constater ton impuissance ou l'éventualité de ton échec, par exemple, Marco. »

Une fois de plus, son propre prénom lui inspirait tant de dégoût dans la bouche de sa coéquipière. Il serra la louche, ses jointures étaient plus livides qu'un cadavre. Il n'emploierait pas la violence. Il tiendrait tête à Ruth avec respect. Mais sa dernière observation l'avait laissé sans voix. Il serra la louche. Il était à court d'arguments. Il serra la louche. Il avait envie de pleurer de rage. Il serra la louche afin d'empêcher son poing de s'abattre sur le visage de Ruth.

-Dîtes donc, les jeunes, tout se passe bien ? J'vous attends, moi. » demanda Ness en sortant de la salle bain, les rejoignant à grandes foulées jusqu'à l'espace de cuisine.

Ruth jeta un coup d'œil glacé à Marco, avant de tourner les talons et de se justifier auprès de Ness :

-Je disais juste à Marco que je n'avais pas faim ce soir. Bon appétit.

-Encore ? Bon, d'accord, mais t'as intérêt à prendre un bon petit-déjeuner demain, ma grande. » répliqua Ness.

Marco lâcha la louche. Sa main était blanche de frustration.

J-18

…( )…

Eren qui pense à Armin dans les arbres : deuxième opus

Actuellement en train de regarder la S4 et de célébrer la véracité de nos headcanons

ALERTE SPOILER :

'Yay le père de Reiner est un connard !'