On compte vraiment sur toi !

!TRIGGER WARNING : Crise d'Angoisse !

OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance =

- DOA -

- E. M. A -

- } } ←Titan -

- Eye Water -

- Attack on D -

… ( ) ...

Bertholt cambra les abdominaux et se remit en position. D'une pression de l'annulaire plus douce qu'une caresse, il progressa au gaz à travers les branches. L'un d'entre elles se dressa face à lui avec la ferme intention de choquer contre ses côtes ! Bertholt rembobina un peu ses câbles et éleva sa hanche hors de l'atteinte du bois. Le mouvement fut brusque, sec, impitoyable.

Il serra les dents et tordit le bassin pour mieux esquiver. La silhouette droite et menaçante de la branche, immobile, disparut de son champ de vision et il continua de tracer vers la fin de son parcours.

Il aperçut Eren debout sur une large branche basse, à quelques mètres en dessous de Bertholt. Le jeune tribut envoya ses grappins se planter dans une branche plus haute et laissa le balancement des câbles le déposer juste à côté d'Eren. Il freina et se réceptionna, un genou sur le bois pour s'empêcher de partir en avant.

Une douleur éclair traversa son genou et lui arracha une grimace. Il aurait dû freiner encore plus ! Il avait eu trop peur de manquer d'élan et d'avoir à utiliser plus de gaz pour atteindre sa piste d'atterrissage… Au final, il avait déboulé sur la branche dans un semblant de geste maîtrisé ! Sa mauvaise utilisation du gaz persistait. Il s'en servait mieux qu'avant, certes, mais il avait encore trop de douleurs musculaires pour se permettre de penser que le problème était réglé. Et pour circuler dans les zones les plus touffues de la forêt, comme Eren voulait leur apprendre, ses lacunes étaient évidentes !

Eren jeta un coup d'œil professionnel au chronomètre et déclara, en relevant la tête dans la direction d'où Bertholt était venu :

-Trois minutes vingt-six. »

Bertholt reprenait son souffle, en se massant ses abdominaux endoloris par les acrobaties, quand il entendit le sifflement du gaz et le rembobinage métallique des câbles. Un souple son d'atterrissage, un murmure ferme sur la branche, et il tourna la tête pour voir Annie se redresser et branler du chef afin de remettre sa chevelure en place. Elle semblait revenir d'une promenade de santé ! Elle regarda Eren, et Bertholt entendit la réponse à la question silencieuse de sa partenaire venir de derrière lui.

-Trois minutes vingt-neuf. »

Bertholt se leva et scruta la fin du parcours, Reiner ne devrait plus tarder.

Annie s'était adossée au tronc. Elle venait de réussir avec brio son exercice. Le grand brun sentit une goutte de sueur froide perler sur son dos. Eren n'avait peut-être tout bonnement rien à leur apprendre ? Il déglutit. C'était lui qui avait incité Annie à faire confiance au tribut adverse, mais il n'était pas impossible qu'il ait eu tort !

Du coin de l'œil, il observa Eren. Le jeune homme cramponnait le chronomètre d'une poigne ferme et tendue, l'autre main sur la hanche. Il fronçait les sourcils à les faire basculer jusque dans le blanc de ses yeux. Et il changeait tout le temps d'appui.

Tout son corps hurlait l'inconfort, et Annie avait dû s'en rendre compte. D'où l'humeur maussade de la jeune fille. Bertholt se retint de soupirer et préféra déglutir en silence à nouveau. Annie n'allait pas être satisfaite… Eren allait être remercié pour son seul et unique cours, et elle lui indiquerait calmement où se trouvait la porte… le tribut brun serait probablement atterré. Et Bertholt, lui, n'apprendrait jamais rien des astuces tridimensionnelles de Mike Zacharias ! Avec un peu de chance, les manuels qu'il avait empruntés lui suffiraient à peaufiner son utilisation encore défaillante du gaz.

Reiner se posa près de lui dans une bourrasque de pression, de gaz et de soudaineté. Il avait une main sur la branche, l'autre sur un de ses genoux pliés et il s'appuya dessus pour se mettre debout. Tout comme Annie avant lui, il ne regardait même pas Bertholt, les yeux plutôt rivés sur Eren, dans l'expectative.

-Quatre minutes vingt-cinq. »

Reiner hocha la tête et s'assit en tailleur. Il se passa la main sur la bouche en vitesse, détendit ses yeux en fixant un point dans le vide, puis les leva vers Bertholt.

-Ç'a été, toi ? lui demanda-t-il en attrapant ses genoux pour occuper ses mains.

-Oui, même si j'ai des progrès à faire, merci. J'ai juste... »

Reiner haussa un sourcil interrogateur, et Bertholt acheva avec embarras, une main sur l'épaule :

-J'ai un peu mal au dos, à force. »

Reiner s'esclaffa en se levant et frappa le creux des omoplates de Bertholt avec un claquement sonore et satisfaisant.

-Tiens-toi plus droit, ça devrait faire l'affaire.

-Oh merci, hésita Bertholt, un peu surpris avant de détourner la conversation. Et toi, comment ça s'est passsé ?

Reiner détourna le regard un instant et pinça ses lèvres entre elles.

-Je suis trop lent. »

Des mots à renchérir restèrent bloqués dans la trachée de Bertholt. La fatigue et l'appréhension s'engorgeaient dans sa voie de communication et le laissaient muet, impuissant.

Eren se racla la gorge. Bertholt se raidit et pivota vers leur entraîneur. Le tribut brun s'était avancé vers eux deux.

-Bon, Reiner tu gères plutôt bien ton énergie. En fait, ce qui t'empêche d'être encore plus rapide, c'est justement que tu veuilles aller à fond la caisse. »

Il parlait suffisamment fort pour qu'Annie entende. Intrigué, Reiner croisa les bras devant leur hargneux entraîneur.

-Tu fais plein d'à-coups parce que t'accélères dès que le champ est un peu dégagé. Mais c'est clairement pas suffisant pour aller aussi vite ! En plus tu gaspilles du gaz, comme ça… »

Le blond hocha la tête aux paroles du plus petit brun. Bertholt sentit un nœud autour de sa poitrine se desserrer. Eren les avait évalués au cours des exercices qu'il leur avait imposé ! Il pouvait faire progresser Reiner ! Annie scrutait Eren d'un œil, l'autre était fermé. Les deux sourcils relevés avec intérêt. Reiner fit un pas en avant.

-T'as un tuyau pour aller vite en gardant du gaz alors ?

-Garde une jambe en avant. Histoire de te réceptionner sur des branches durant ton parcours. (Il fléchit les genoux et les déplia pour illustrer ses propos.) Comme ça, tu te sers de l'élan, et de ta propre force, pour accélérer dans un rythme naturel pour ton corps, et facile à gérer. En gros, moins d'à-coups et plus de gaz dans tes réserves ! »

Reiner enveloppa son menton de trois doigts, ses pupilles dorées semblaient voir autre chose que l'épaisse branche sur laquelle ils étaient posés, car elles crépitaient de diligence et de volonté.

-Et ça, ça vaut pour toi aussi, Bertholt. » ajouta Eren.

À la mention de son nom, le grand brun détacha son regard de Reiner pour se focaliser sur celui de son entraîneur. Il écarquilla les yeux pour indiquer qu'il était toute ouïe et Eren poursuivit :

-De ce que j'ai vu, t'anticipes bien mais t'essaies de garder le plus de gaz possible. Donc t'en utilises jamais assez et tu te fatigues pour rien. Là, par exemple, t'as fini premier mais t'as été le dernier à récupérer ton souffle ! Alors que Reiner avait quasiment une minute de retard sur toi ! »

Une main sur la bouche, Bertholt dissimula à Eren qu'elle était grande ouverte. D'un coup d'oeil furtif, il remarqua qu'Annie avait entrebâillé les fenêtres de ses deux yeux.

-Donc… il faut que je mette une jambe en avant ? Comme Reiner ?

-Ouais… ça réajustera ton équilibre et ça te repropulsera un peu. Te connaissant, c'est ce qu'il te faut pour que tu continues à avancer en gardant ton gaz, et sans te faire un mal de chien à tendre tes muscles à tout bout de champ !

-D-D'accord, je vais essayer. »

Eren lâcha un soupir satisfait qui dégonfla la tension qu'il avait accumulée jusqu'ici. De même, Bertholt se sentait bien plus léger.

-Okay, j'vais vous montrer comment on fait, les gars. Après, c'est à votre tour ! lança Eren en décochant un de ses grappins, prêt à bondir.

-Eren, tu me montres aussi ? »

Le garçon fit volte-face et manqua de s'emmêler dans son câble. Il le rétracta, et Reiner et Bertholt détournèrent leur regard vers Annie. La jeune fille s'était avancée vers eux et fixait Eren.

-Ah… euh… oui, bien s-… J'veux dire… Oui ! »

Bertholt échangea un regard amusé avec Reiner. Le blond laissa même un ricanement nasal échapper et remonta les commissures de ses lèvres avec tranquillité. Le grand brun se laissa donc discrètement sourire, lui aussi.

Après tout, en une fraction de seconde, Annie avait laissé la dynamique professeur/élève s'inverser entre elle et Eren comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle au monde. Cependant pour Eren, c'était comme si le soleil venait de se lever à l'Ouest pour la première fois. Bertholt s'empêcha de pouffer quand il repensa au « Te connaissant » qu'Eren venait de lui adresser du même ton qu'Erwin l'aurait certainement destiné à Reiner… Pixis n'étant pas un exemple de comparaison très adéquat.

-Hahem… Bon bah, j'y vais ! On se déploie, vous me suivez en regardant bien, et on s'arrête dans cinq cent mètres si vous avez des questions ! »

Son chamboulement maquillé sous la détermination de passer à l'action, Eren lança ses grappins et se jeta dans le vide verdoyant de la forêt, Annie sur ses talons.

Bertholt prit le temps de bien observer le genou constamment fléchi en avant d'Eren, puis il s'éjecta en direction des arbres à la suite d'Eren et d'Annie.

Reiner entra dans l'extrémité de son champ de vision : il le flanquait sur la droite, circulant d'arbres en arbres avec puissance. À la gauche de Bertholt, se trouvait Annie qui glissait dans les airs. Eren, lui, était encore plus au devant que la jeune fille, il traçait, agile et dynamique entre Annie et son partenaire. Bien au centre comme ça, le grand brun se sentait en sécurité et s'appliqua à son exercice.

Dans des mouvements si vifs qu'ils paraissaient calculés à la dernière seconde, et pourtant si contrôlés, Eren progressait entre les arbres. Il manœuvrait juste au dessus de leurs branches et Bertholt le vit bondir sur certaines d'entre elles. À chaque saut, Eren repartait avec plus de vitesse, mais surtout avec plus de maîtrise encore ! Ses mouvements étaient moins brusques, plus relâchés, il avait l'air plus stable.

Ainsi, l'écart se creusait de plus en plus entre son hargneux entraîneur et le grand brun.

Bertholt baissa les yeux vers ses jambes, et se regarda plier le genou droit, le rapprocher de son torse. Il vira ses yeux sur le côté : Reiner disparaissait désormais de son champ de vision. Comme le tribut du District Un économisait ses mouvements, sa manœuvre tridimensionnelle était très précise, ample et efficace. Il lui évoquait le vol planant de l'albatros, imposant et imperturbable dans les airs grâce à son habileté.

Mais Reiner n'en était encore qu'à ses débuts en tridimensionnalité, à l'inverse des trois autres. Ainsi, malgré son talent indéniable, ils n'avaient pas fait quarante mètres qu'ils commençaient à le distancer.

Bertholt entendit un sifflement strident et retourna la tête. Son intuition était juste, il s'agissait bien de Reiner. Il venait d'accélérer pour traverser plus vite un espace de quatre ou cinq mètres moins garni en arbres et points d'appui. Bertholt aurait dû se dire qu'il était mauvais pour son partenaire d'entraînement d'utiliser frénétiquement son gaz ainsi, c'était ce qu'Eren lui avait reproché après tout ! Mais l'impulsion de la vitesse lui conférait une distinction captivante, plaisante à voir alors qu'il fendait les airs avec acharnement.

Le grand brun se força à arrêter de tourniller entre les arbres devant lui et Reiner. Il était là pour mettre en pratique ce que Eren venait de lui montrer ! Il fallait toujours qu'il se laisse distraire ! Il releva le menton et discerna la figure d'Annie qui s'éloignait de lui. Elle allait bien plus vite que lors de leur parcours chronométré ! Elle suivait l'exemple d'Eren en s'appuyant sur les branches qui ponctuaient son chemin, se frayant un passage fluide, gracieux, discret dans la forêt, à son image.

Le moment de passer à l'action pratique venait de surgir sur la route de Bertholt, sous la forme d'une branche ! De l'index, il rétracta ses câbles, puis les renvoya un peu plus haut. Il s'éleva, sa jambe directement dans l'axe de la branche. Il la survola. Juste avant de passer comme un fantôme au dessus, il y pesa son pied. Il s'enivra de la force immobile du bois. Et il poussa sur son mollet.

S'envola.

Un rire d'exaltation fit son chemin du plus profond de sa poitrine et éclata. Ce simple geste venait de lui redonner tout son équilibre sans consommer le moindre gaz au moment de franchir l'obstacle ! Il pouvait désormais profiter de l'élan d'aisance donné pour mieux observer ce qui l'entourait : un arbre bien moins haut qui dressait ses plus fins et irritants branchages sur lui. Bertholt visa le tronc d'un arbre massif sur sa droite et se laissa piquer vers le sol. Il évita l'embranchement et se propulsa plus en l'air, en appuyant de l'annulaire sur la commande du gaz.

Ravi d'en avoir économisé un peu auparavant, il avait moins de scrupules à s'en servir.

Fort des progrès fulgurants qu'il se sentait faire avec cette nouvelle technique, il repartit à l'assaut d'autres branches.

Après plus d'une centaine de mètres et d'autres essais d'appui sur les arbres, certains moins fructueux car il avait encore un problème de timing (et accessoirement très mal aux muscles à cause du mauvais pli qu'il avait pris en tridimensionnalité jusqu'ici), il identifia Eren, posé sur une fine branche en contrebas. Bertholt freina. Cela faisait déjà cinq cent mètres !

Son sang se glaça instantanément quand il remarqua qu'Annie n'était pas avec leur entraîneur. Elle était bien devant Bertholt, quelque chose avait dû lui arriver et la retarder ! Son cœur accélérait le rythme quand Eren le héla en agitant les bras :

-Continue encore soixante mètres !

-Ouf… »

Annie était soixante mètres plus loin. Eren devait vouloir les analyser avec justesse sur les derniers mètres, d'où ce prolongement du parcours. Bertholt avait tout intérêt de montrer à son professeur, d'un an son cadet, ce qu'il avait travaillé durant l'exercice !

Une belle branche bien droite et large se trouvait quatre mètres au dessus de lui. À l'aide d'une pression de gaz, il se hissa jusqu'à elle et y apposa son pied. Il bondit à nouveau dans le vide et reprit sa course.

Il reconnut Annie qui attendait, les bras croisés, sur un tronc d'arbre coupé. Il se laissa tomber vers sa partenaire et accompagna son atterrissage d'un franc coup de gaz final qui lui éviterait de se ruiner le bassin. Bertholt se réceptionna debout et se pencha, les mains sur les genoux, pour respirer un peu de calme et faire redescendre l'adrénaline.

Il salua sa partenaire de la main en se redressant et elle lui hocha la tête. Bertholt se retourna, désireux de voir l'arrivée de Reiner. Il discerna le blond au bout d'une quarantaine de secondes. Sa manœuvre était toujours aussi admirable, mais son économie du gaz n'avait pas encore l'air au point. Dans des gestes larges et robustes, il contournait beaucoup plus les obstacles qu'il ne s'en servait. En soi, sa tridimensionnalité n'avait rien d'aberrant. Mais avec une approche pareille, il serait le premier à arriver à court de gaz.

Bertholt se décala pour leur laisser, à lui et Eren, toute la place dont ils pouvaient avoir besoin pour atterrir. À l'instar de leur dernier exercice, Reiner se posa agenouillé, une main sur le bois. Eren, lui, arriva debout, un peu chancelant, et il se raffermit aussitôt devant ses « élèves ». Bertholt décida de faire comme s'il n'avait rien vu afin de ne pas risquer de l'embarrasser.

-Je suis assez étonné que tu aies chopé la technique aussi vite, Annie… commença leur entraîneur en se frottant la nuque. Bertholt, tu te débrouilles bien aussi. Fais juste gaffe à ton rythme ! Tu devrais poser ton pied plus tôt, ça te donnera encore plus d'élan, tu verras ! »

Annie et Bertholt acquiescèrent, le jeune homme sentait son cœur se remettre à battre la chamade. C'était la seule mesure qu'il avait trouvé pour faire exploser sa joie ! Eren pivota de trois-quart vers Reiner, l'air moins enjoué. Il ouvrit la bouche.

-Tu veux bien me laisser réessayer ? »

Reiner l'avait coupé, les poings serrés le long de ses hanches et le regard grave, intense. Eren referma sa bouche, le temps de considérer la question, puis il ricana.

-Okay, on y retourne pendant qu'Annie et Bertholt font une pause ! À deux, ce sera plus facile de t'indiquer quoi faire ! »

Bertholt n'avait rien contre une bonne pause ! Sur les paroles d'Eren, il s'assit sur le bois et fut suivi dans sa démarche par Annie. Reiner, lui, leva les mains et les agita devant Eren en précisant qu'il n'avait pas à le suivre en manœuvrant lui aussi, et qu'il pouvait se reposer avec les tributs du District Deux.

-Qu'est-ce que tu crois ? Que je suis déjà rouillé ? Navré, mon pauvre, mais je vais pas déjà sur mes dix-sept ans, moi ! rétorqua Eren d'un ton railleur, décochant ses grappins.

-T'as bien raison de profiter de ton avantage là-dessus pour me charrier… sinon t'aurais plus assez de dents pour prendre la peine de te les brosser tous les soirs ! »

Bertholt gloussa, Eren décolla et Reiner se lança à sa suite. Le grand brun entendit encore quelques uns de leurs échanges cinglants :

-Ah ouais ?! On en reparlera quand j'aurai atteint le niveau d'Annie, si tu veux bien !

-Si tel est votre désir, Monsieur, se conforma Reiner d'un ton mielleux.

-J't'arrête tout de suite ! Y a pas de « Monsieur » qui tienne ! »

Les cris de leurs camarades s'évanouirent dans les sons métalliques des harnais et le bruissement vert enveloppant de la forêt. Bertholt changea d'équilibre et plaça ses bras derrière lui. Il fit tomber un peu sa tête en arrière pour pleinement se remettre de ses émotions et la redressa. Il n'avait pas beaucoup parlé à Annie de la journée.

-T-t'as été beaucoup plus rapide là… C'est génial que tu aies progressé à ce point ! »

Elle avait mis sa capuche. Sa petite bulle blanche qui la protégeait plus que n'importe quelle côte de maille tout en la montrant sous un jour plus vulnérable. Bertholt adorait quand elle la mettait. Car il était la seule personne à qui elle voulait bien parler encore quand elle en recouvrait sa tête. Annie pencha lentement son menton vers lui et le considéra quelques secondes avant de répondre d'une voix neutre et calme :

-Je connaissais déjà le paysage donc j'ai filé.

-Ah, tu admires le paysage quand tu manœuvres ? »

Elle hocha la tête et Bertholt ne savait plus lequel, de la capuche ou de l'attitude d'Annie en pleine manœuvre, était le plus adorable ! Il ramena ses genoux à son torse et les entoura de ses bras, décidé à continuer la discussion.

-Qu'est-ce que tu penses des entraînements d'Eren ? »

Il se tendit un peu aux sérieuses implications d'une telle question, et retint son souffle en attendant la réponse de sa partenaire.

-Ils me conviennent. On peut lui faire confiance, et ça nous permettra de nous rapprocher de lui et de Reiner pour les jeux.

-Oui. » acquiesça-t-il, incapable de dissimuler le sourire de sa voix.

Comme s'il avait attendu qu'ils terminent leur échange, Reiner passa en trombe devant eux ! Eren était un peu derrière lui et le suivait sur le côté en lui hurlant des indications. Bertholt se leva et se posta au bord du tronc pour mieux regarder.

Avec une agilité féroce et un acharnement épatant, Reiner s'appliquait à utiliser l'environnement qui l'entourait pour mieux se diriger. Il peinait encore, ne cherchant même pas à se reposer sur certaines surfaces qui, pourtant, lui tendaient les bras. Cependant, il avait déjà l'air un peu plus détendu et rayonnant. Un sourire de concentration teintait son expression. Tous les efforts alimentés par sa ténacité, son aplomb face à la difficulté, et la pure satisfaction de se sentir devenir fort, toutes ces nuances étaient dessinées sur son visage.

En quelques secondes, Reiner et Eren étaient déjà repartis.

Des cafés aux devantures de bois sombre, des petits restaurants aux formules accrocheuses, l'odeur humide et étouffante du gras qui cuisait, les couleurs pimpantes des boutiques de vêtements, les mannequins blanchâtres, la dysharmonie entre toutes les différentes teintes de la pléthore de tissus à disposition une illusion de vie occupée, qui ne dépendait pas de sa seule personne, dans laquelle elle pouvait déambuler, et qui s'affairait. De quoi chasser un peu les pensées macabres de l'esprit de Christa. Tout pour lui faire oublier les Hunger Games. Or, source de lumière jaillissant dans le noir complet, le rappel éclatait avec plus de fracas dans le brouillard nimbé d'oubli.

Par bonheur, Christa avait un objectif précis en tête. C'était peu, mais cela l'aidait à se distraire. Elle avait une petite course à faire pour le lendemain. Lorsqu'elle passait devant une bijouterie, elle s'arrêtait pour jauger la qualité des produits exposés derrière la vitrine. Sans jeter un seul regard à son reflet. Elle tourna dans une ruelle qu'elle n'avait encore jamais empruntée. La demoiselle trouverait peut-être chaussure à son pied dans ces environs inconnus.

Mais Christa trouva d'abord deux jeunes filles, des tributs à en juger à leurs uniformes. Il lui fallut fouiller dans plusieurs recoins déjà poussiéreux de sa mémoire avant que leurs prénoms ne lui reviennent. La plus petite des deux venait du District Cinq et elle s'appelait Ursula. La jeune fille blonde savait bien qu'elle était la plus petite des candidats mais, recroquevillée ainsi sur elle-même en étouffant ses sanglots dans des gémissements gutturaux affligeants, Ursula paraissait aussi minuscule et faible qu'une souris. D'une main rassurante, et distraite par l'arrivée de la demoiselle, l'autre tribut lui tapotait le dos, penchée vers Ursula,sa deuxième main sur ses genoux inclinés. C'était la loutre qui rassurait la souris. Et cette loutre venait du District Huit et se dénommait Laura si ses souvenirs étaient corrects.

-Allez, du nerf, Ursula ! Christa vient de se pointer, j'te signale… » la pressa Laura dans des chuchotements convulsifs.

Les prunelles de Laura alternaient entre Ursula, qui pleurait, adossée contre le mur, et Christa, qui venait à leur rencontre à reculons. La demoiselle aurait juré que la tribut du District Huit lui faisait le dos rond, brandissant les os de ses épaules vers elle, telles des lances aiguisées.

-Que se passe-t-il ? » s'enquit Christa, dressant son bouclier de bienveillance innocente.

Laura laissa ses épaules retomber et s'accouda au mur pour reprendre son entreprise d'apaisement de la tribut adverse. Christa se tenait debout devant elles maintenant. La plus grande des trois lui expliqua d'un ton inquiet, mais un peu las :

-Elle a commencé à paniquer alors je l'ai amenée ici, à l'abri des regards. Puis elle s'est effondrée et ça fait cinq minutes que j'attends qu'elle se relève.

-Elle a eu… une crise d'angoisse ? » murmura Christa, interloquée par la simplicité d'un tel terme pour l'enfer qu'il référait.

Laura acquiesça avant de concentrer à nouveau son attention sur la Ursula tremblante à ses côtés. La tribut du District Cinq se débattait contre un prédateur invisible qui la portait à sa gueule : elle était secouée de sursauts qui l'assaillaient par vagues. Les yeux inondés de larmes, le terrain devait être glissant désormais car c'était à croire qu'ils allaient s'exorbiter, ouverts par la torsion du désespoir comme ils étaient.

Christa prit une profonde inspiration et s'accroupit devant la petite aux cheveux noirs, une main sur ses genoux qui jouaient les castagnettes.

-Ursula… l'appela-t-elle d'une voix mielleuse, Ursula, nous sommes là, ne t'en fais… Nous sommes là… Respire, Ursula, s'il te plaît… »

La tribut adverse fit émerger sa tête de la barricade de ses bras qu'elle avait érigée et scruta Christa de ses yeux apeurés. Elle devait se demander si un nouveau prédateur ne s'était pas dressée devant elle.

-Mais oui, on est là, cocotte. Déstresse un bon coup, ça va bien se passer ! » ajouta Laura d'une voix forte.

Christa agita sa paume avec délicatesse devant Laura pour lui indiquer de baisser d'un ton, puis elle secoua la tête à la grande brune. Elle était bien trop brusque. Avec cette méthode, elles n'étaient pas au bout de leur peine.

-J'veux dire… t'inquiète Ursula. Tu vas gérer au premier tour. T'es ultra rapide : tu vas choper les armes qu'il te faut et déguerpir fissa ! réessaya Laura en caressant les cheveux frisés de l'angoissée.

-C'est vrai que tu es rapide ? » demanda Christa.

Ursula la regardait. Elle ne l'avait pas lâchée des yeux. Christa lui rendait son regard, et essaya de lui transmettre un peu des étoiles qu'elle avait calées dans ses prunelles.

La tribut aux cheveux noirs renifla puis hocha la tête. Christa sentait les genoux d'Ursula se stabiliser, elle se mit à les caresser.

-C'est super, ça ! Tu es vraiment forte, Ursula… Bravo… Respire, maintenant… comme ça : mmmff… pffiouu… voilà tu fais ça très bien, Ursula… Continue.

-Continue… répéta Laura qui, à observer Christa faire, en prenait de la graine.

-Mmmff… Pffiouu…

-Tu crois que tu peux te lever, désormais ? la pressa Christa avec douceur.

-Je crois… » renifla Ursula d'une petite voix.

Christa et la brune à la queue de cheval la soutinrent alors qu'Ursula se dressait sur ses jambes. Elles la lâchèrent et la tribut aux cheveux noirs fit quelques pas, prête à gambader à nouveau dans la nature et l'insouciance.

ooo

Les deux ennemis quittèrent Christa en la remerciant et la demoiselle reprit sa recherche, de mauvais poil. Enfin ! J'ai bien cru qu'on n'en finirait pas avec son coup de la martyr ! Elle croit être la seule en difficulté, ou quoi ?

Elle se figea soudain, honteuse de ses propres pensées.

Elle avait été odieuse.

Elle voulait rentrer mais elle n'avait pas encore trouvé ce qu'elle souhaitait. Elle voulait disparaître de la surface de la terre et mourir dès maintenant, mais elle ne pouvait pas infliger cela à Reiner. Il lui fallait mourir aux jeux dans les règles de son rôle, de sa mission.

Elle voulait mourir tout de suite, mais elle tînt bon : il ne restait plus que deux semaines, après tout.

Pour l'heure qu'il était, le ciel était particulièrement sombre. Les nuages gris fer tournoyaient paisiblement et s'entortillaient dans d'épais volutes de brumes, à peine inquiétés par les rafales moites qui soufflaient au ras du sol. Engourdis par toute l'eau qu'ils trimballaient à travers le ciel, ils étaient lents, et ils n'attendaient probablement qu'une chose : déverser sur la terre les flots qu'ils contenaient, s'en libérer pour de bon et virevolter loin, très loin d'ici. Comme Jean.

Peut-être qu'il était simplement en train de projeter son état d'esprit sur de vulgaires tas d'eau et de vapeur, songea-t-il alors que son crayon traçait pensivement des courbes brusques et des spirales paresseuses. Il avait terriblement envie de sauter du balcon et prendre immédiatement ses jambes à son cou, comme à peu près chaque heure de la journée.

Mais ses instincts de fuite avaient été revigorés dans la soirée par la lourdeur de l'air, qui s'était progressivement garnie d'une humidité rafraîchissante et bienvenue. Il avait senti ses muscles s'affranchir brièvement de la pesanteur, et cette liberté retrouvée lui avait rendu son envie de s'enfuir, avec la pluie qui arriverait dans la nuit ou dans la matinée du lendemain.

Il ne se rendit compte qu'il avait cessé de dessiner que lorsque la porte du balcon s'ouvrit. Sa tête se tourna négligemment vers Minha, et toutes les fibres de son être se ranimèrent quand l'odeur de ce qu'elle amenait parvint à ses narines. Aussitôt, il se redressa sur sa chaise, et rattrapa de justesse le crayon qui lui avait échappé des mains.

-Minha ? Qu'est ce... une omelette ? »

La jeune fille éclata de rire, visiblement satisfaite de la réaction qu'elle avait réussi à tirer de son partenaire. Dans ses mains, elle tenait une assiette encore fumante d'omelette. La forme était un peu différente de celle que la mère de Jean avait l'habitude de faire, mais il reconnaissait le fumet.

-Quand...pourquoi ? »

Il se releva mais elle lui fit signe de rester assis et dégagea sans cérémonie les crayons qui parsemaient la table pour y déposer le plat, couverts compris.

-Eh bien... plusieurs raisons ? commença-t-elle avec un peu de rouge aux joues. Tu m'avais dit à quel point le plat de ta mère te manquait, tu te souviens ? »

Elle s'assit en face de lui alors qu'il hochait prudemment la tête, encore médusé, et elle croisa tranquillement les bras sur la table.

-J'avais envie de cuisiner, de faire quelque chose de mes mains, je suppose. Cette atmosphère orageuse, où on attend juste que ça pète, ça me rappelle trop les jeux, j'étais nerveuse. Et puis tu n'as pas encore mangé, et il est déjà vingt et une heure. »

Jean attendit patiemment la suite qu'il sentait venir, et qui ne tarda pas :

-Et puis, surtout, je voulais te remercier. Pour toutes les fois où tu m'as aidée pendant les entraînements, et pendant l'interview, ce que tu as dit à la journaliste. Ça m'a fait très plaisir. »

Jean laissa échapper un petit gloussement, un peu fier, un peu embarrassé. Il ne savait pas trop quoi répondre à ça, et se frotta machinalement la nuque, en partie pour se débarrasser de l'humidité qui s'accumulait. Effectivement, ça faisait longtemps qu'il était là.

-Tu sais, c'était un peu pour me débarrasser de cette journaliste que j'ai dit ça... »

Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler, abruti, se fustigea-t-il. Sa partenaire venait le remercier de ses paroles, et il lui rétorquait qu'il était intervenu pour que la journaliste lui lâche les basques ? Bien joué. Mais Minha ne se départit pas de son sourire.

-Peut-être, mais tu ne dirais pas ce genre de chose si tu ne le pensais pas, pas vrai ? Quand il s'agit d'insulter les gens, tu pars un peu au quart de tour, mais pour les complimenter, tu ne mens jamais. »

Depuis quand elle s'était permise de faire une analyse de caractère comme ça ? Un petit rire se fraya un chemin jusqu'à sa gorge et il le laissa s'enfuir avec les nuages.

-Pas mal, pas mal. Ok, j'admets. »

Il eut un petit temps de latence, mais n'hésita pas plus longtemps.

-Merci, Minha. »

La jeune fille rayonna, et une fois de plus, il se sentit reconnaissant de l'avoir pour partenaire. Il referma son carnet de croquis et chercha brièvement des yeux un endroit où le poser. Le regard de Minha s'aimanta à son carnet dès qu'elle le vit bouger, et il décida de le dissimuler habilement à ses pieds. Peut-être que si elle ne le voyait pas, elle l'oublierait. Il se redressa, et les yeux de Minha étaient rivés sur là où l'objet avait disparu. Elle croisa son regard, et il sentit venir la question à vingt kilomètres, sans oser la détourner avant qu'elle ne la formule, comme il l'aurait fait avec n'importe qui d'autre.

-Je peux jeter un œil ? »

Il hésita, réticent.

-Sinon, pas d'omelette.

-Quoi ?! »

Elle lui jeta un sourire taquin et il dut faire un effort pour garder les sourcils ostensiblement froncés.

-J'ai fait un effort, donc toi aussi, argua-t-elle dans une logique implacable, un index relevé.

-C'est pas comme ça que ça marche, rétorqua Jean, pris au piège.

-S'il te plaît ? »

Jean finit par pousser un long soupir, puis se pencha pour récupérer le carnet. Il aurait refusé catégoriquement quelques jours auparavant encore, mais les moments qu'ils avaient partagés faisaient d'elle la deuxième en qui il avait le plus confiance après sa mère. Il l'ouvrit soigneusement à la première page, et le tendit à Minha, qui s'efforça de ne pas trop trépigner, l'air complètement emballée.

Sans perdre de temps, Jean coupa une bouchée d'omelette et mordit dedans à pleine dents. L'œuf était bien cuit, bien qu'un peu trop fourré, la sauce était plutôt réussi. L'omelette était croquante et moelleuse à souhait, un peu comme il en avait l'habitude. Il manquait juste quelques ingrédients ou herbes que sa mère utilisait pour agrémenter, et qu'elle ne lui avait pas encore appris. Le goût était nostalgique, et nouveau. Il reprit une bouchée, ému. Minha avait prit le temps de chercher la recette avec le peu de détails qu'il lui avait donné, de faire les ajustements dont il était certain, juste pour le remercier. Il n'était pas sûr de mériter autant d'attention.

Mais il n'eut pas le temps de s'appesantir sur le sujet, car la jeune fille était déjà en train de commenter ses plus vieilles œuvres avec les yeux brillants :

-C'est génial, Jean ! Tes dessins sont superbes ! »

Des compliments sans réel fondement de la part de quelqu'un qui n'y connaissait probablement pas grand chose. Minha était plus habituée à travailler le bois en trois dimensions que le papier. Mais ses paroles lui firent chaud au cœur, leur sincérité palpable.

-Ha. » expira-t-il sèchement, embarrassé.

-Vraiment ! affirma-t-elle, comme si elle prenait sa remarque pour du sarcasme. C'est très réaliste, et très détaillé. C'est très... »

Elle secoua la tête, à court de mots appropriés, et passa à la page la plus récente, levant les yeux vers le ciel pour comparer les mouvements des nuages.

-J'ai vraiment l'impression que c'était à ça que ressemblait le ciel il y a quelques minutes, c'est fou !et

-Bon allez, terminé la galerie. » déclara Jean en s'emparant du carnet pour le fermer.

Minha s'apprêtait à protester, puis sembla enfin remarquer le léger rougissement de ses joues et son sourire s'élargit. Il enfourna les dernières bouchées de son omelette et les mâcha avec véhémence, et Minha attendit qu'il ait fini. Dans un silence de connivence, ils rassemblèrent le plat et le matériel de dessin de Jean pour les ramener à l'intérieur.

-Merci. » murmura Jean en refermant la porte coulissante, avec l'espoir que le claquement couvrirait ses paroles.

Peine perdue. Il sentit Minha tapoter son épaule et se retourna pour lui découvrir un sourire épanoui. L'envie de prendre ses jambes à son cou s'était un peu atténuée.

… ( )...

J-15