Ça me navre ce que tu dis là
OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance =
- Shingeki St – Hrn – Gt – Pf 20130629 Kyojin -
- Call of Silence -
- The Reluctant Heroes -
- Aots3-Pf1 -
- Aots2m #4 -
- Aots3-1000ryaku -
- Shingeki Vn – Pf 20130524 Kyojin -
- Shingeki Gt 20130218 Kyojin -
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Le poids froid et mouillé du tissu de son uniforme serrait les épaules de Reiner. Il le sentait presque le paralyser, ou du moins chercher à bloquer le mouvement de ses muscles. Mais il ne plierait pas sous la pesante pluie qui trempait ses vêtements. Elle pouvait bien humidifier sa peau, il ne percevait même pas sa désarçonnante fraîcheur aiguë. Elle ne le déconcentrait pas. L'eau venait s'abattre sur lui et il ne bronchait pas : sa constitution de marbre l'immunisait contre les désagréments de la météo, elle remplaçait sa peau en quelques sortes.
Toute sensibilité mise de côté au service d'une application irréprochable au travail, il se renforçait, se solidifiait, se fortifiait. Et chaque goutte d'eau qui s'échouait sur sa muraille s'avérait encore moins dangereuse qu'un trait sur de la pierre. Chacune l'affermissait. Voilà pourquoi il appréciait encore plus les pluies diluviennes de l'été.
Tout bastion qu'il était, il planta fermement ses appuis dans le sol boueux et glissant de l'espace de terre battue où ils s'entraînaient, décidé à ne jamais chanceler. Un autre avantage à cette pluie : elle leur ferait travailler leurs appuis au combat. Cependant, ce qu'Annie voulait perfectionner en ce matin pluvieux, c'était l'observation des yeux de l'adversaire. Selon la martialiste, ils indiquaient tout ce à quoi l'opposant pensait, et bien savoir les lire permettait d'appréhender les futurs mouvements de l'ennemi à la perfection.
Ainsi, immobile, trempé et résigné, Reiner sondait les iris vertes de Bertholt.
Annie et Eren s'affrontaient à quelques mètres de là. Et Reiner se retrouvait contre Bertholt. Les deux s'étaient arrêtés de bouger et se scrutaient en silence, dans l'attente du premier mouvement oculaire de l'autre.
Alors Reiner examinait les yeux du grand brun. Ses pupilles étaient aussi imperturbables que Reiner pouvait espérer l'être. Ces simples cercles noirs communiquaient un calme qui forçait le respect, la sérénité presque, prête à passer à l'action. C'était le calme avant la tempête de détermination de Bertholt, qui agiterait le regard de son adversaire d'un transport inouï. Qui passerait aussi vite qu'un cyclone et serait capable de tout raser sur son passage. D'une précision époustouflante. Avant un retour à la discrète nature qui était la sienne, et qui amenait n'importe qui à mésestimer Bertholt.
Mais Reiner n'était pas n'importe qui. Il était le garde du corps de Christa. Et il savait de quoi Bertholt était capable. La tempête qu'il pouvait être. Cependant, entraîné par Annie depuis plus d'une semaine, il devait se rapprocher de l'ouragan désormais.
Reiner stabilisa tout son corps, prêt à l'impact. Il se barricaderait contre Bertholt. Forteresse contre ouragan.
Maintenant, il ne pouvait que prédire à quel moment le vent se lèverait en inspectant scrupuleusement les moindres précipitations du vert profond de ses iris. Il y décelait des notes aquatiques, des traces de bleu, qui lui évoquaient les couleurs d'une forêt humectée par une généreuse pluie. Du moins, c'étaient les couleurs qu'il s'était toujours représenté pour ce genre de tableau. Il n'était jamais allé en forêt avant le début des entraînements.
Déjà présente dans ses yeux, la pluie alla à la rencontre de Bertholt et une goutte ruissela le long de son nez. Le grand brun resta impassible. Ce qui arracha un petit ricanement à Reiner.
Le blond massif se décida à entamer l'affrontement en bonne et due forme. Il était fin prêt à se confronter à la tempête.
Il plia le genou gauche et inclina son torse sans lâcher Bertholt des yeux. Poussées par les courants attentifs de ses iris, les pupilles du grand brun se vrillèrent sur la gauche, à la poursuite de Reiner. Il se pencha lui aussi sur le côté pour l'accueillir de son poing.
Reiner invoqua toutes les forces de son mollet pour freiner son élan comme il l'avait prévu. Il se redressa plus vite que le temps de chute d'une goutte. Le poing de Bertholt ne rencontra que de l'eau ! La micro-seconde de surprise de son opposant suffit à Reiner. Il se projeta à nouveau en avant et saisit le bras de Bertholt des deux mains. Il balaya la jambe de son adversaire et s'agenouilla pour mieux accompagner sa chute.
Bertholt retomba sur le coccyx, le flanc contre le genou gauche que Reiner avait posé à terre. Avec le sol glissant, Reiner préférait s'assurer que Bertholt tombe correctement. Puis, le vainqueur relâcha sa double emprise sur lui afin de le laisser se relever.
-Merci pour l'atterrissage, Reiner, fit Bertholt en se mettant debout.
-De rien, c'était pas grand-chose.
-J'avais l'impression de tomber sur un nuage, c'est pas rien, quand même. »
Reiner pouffa à ce commentaire et Bertholt se gratta la nuque, ravi de son coup.
-J-Je me suis laissé surprendre par ta feinte… J'ai cru que t'allais plonger sur la gauche comme l'indiquait ton regard et ton genou, mais en fait tu avais prévu un autre coup, c'était impressionnant !
-Merci, mais ton réflexe était très bon. J'avais beau avoir prévu autres choses pour après, t'étais pas loin de me bloquer dès le début et de me faire rater mon enchaînement !
-Reiner a raison. T'as été vif. »
Bertholt lâcha son coude dans un sursaut et Reiner fit volte-face. Annie et Eren étaient juste derrière, adossés au tronc d'un arbre pour se protéger un minimum de la pluie (même s'ils donnaient l'impression d'avoir pris une douche habillés). Trop concentré sur l'intensité de son combat contre Bertholt, il ne les avait pas entendus arriver !
Les mirettes d'Eren brillaient encore d'excitation et d'envie tandis qu'Annie s'abritait de la pluie sous sa fameuse capuche. Le tissu n'était pas imperméable et le dégoût transparaissait sur l'expression de la combattante. Reiner aimait à penser qu'il commençait à mieux la lire maintenant qu'il la côtoyait tous les jours. Tout portait à croire qu'elle n'appréciait pas la pluie. Enfin, il n'atteindrait jamais le niveau épatant d'analyse de la gestuelle d'Annie que Bertholt détenait !
Les deux jeunes hommes rejoignirent leurs camarades d'entraînement sous leur abri champêtre de fortune. Non seulement les feuilles n'offraient pas une protection des plus efficaces face à l'assaut des gouttelettes, mais le dos de Reiner n'était même pas sous l'arbre. Il se tint devant les deux plus petits de leur troupe, Bertholt à ses côtés, et se dit que, de toute façon, l'humidité de son uniforme avait atteint un point de non-retour. Il songea au cours théorique qu'Erwin allait lui donné au sec d'ici quelques heures, et cette pensée le consola.
-C'était plutôt une idée de génie de s'entraîner sous la pluie ! On peut améliorer notre appui en sol glissant comme ça ! » s'enthousiasma Eren.
La petite tête brûlée s'était faite la même réflexion que lui. Et cette pensée-là le fit sourire. Contrairement à ce que les apparences laissaient penser, Eren n'était pas une spirale infernale d'impatience et de frustration, il avait de la ressource et serait bien plus redoutable aux Hunger Games grâce aux conseils d'Annie et les exemples de Bertholt et Reiner. Le blond massif acquiesça.
-Je suis d'accord, renchérit Bertholt, mais il va falloir qu'on y aille, là. Annie et moi, on enchaîne avec la tridimensionnalité après… »
Eren baissa la tête, compréhensif… Annie aussi d'ailleurs. Était-elle déçue d'en rester là ? Il voyait bien ce qu'elle ressentait, Reiner appréciait tout autant ces rencontres qui le préparaient encore mieux à la protection de Christa.
-C'est Pixis qui vous entraîne ? s'enquit-il.
-Oui, voilà pourquoi il faut pas qu'on passe à côté de cette séance.
-Et c'est pour ça qu'on avait décalé au matin pour aujourd'hui aussi, murmura Eren comme s'il se l'expliquait à lui-même. Enfin, ça fait rien ! On remet ça à demain avec la tridimensionnalité ! »
Reiner se mit à frotter les cheveux bruns trempés de la tête brûlée avec une telle énergie qu'il aurait pu les sécher. Après tout, elle avait laissé la pluie calmer ses ardeurs, ou les trois séances qu'ils avaient passées ensemble l'assagir, et le blond massif sentait le besoin de la féliciter.
-Raaah, arrête ça, Reiner ! C'est pire quand ils sont mouillés ! J'ai compris, t'inquiète ! Je ferai gaffe à pas tomber malade ! J'prends une douche chaude en rentrant pour pas choper la crève, ça marche ! »
Bertholt gloussait et Annie retira sa capuche pour révéler une chevelure plus foncée qu'à l'habitude à cause de l'eau. Reiner la fixa en libérant les cheveux d'Eren. Elle se rendit vite compte qu'il la dévisageait et haussa un sourcil.
-Alors, chef, bilan ? »
Annie agrandit d'une pincée de millimètres le rayon d'ouverture de ses yeux. Selon toute vraisemblance, elle ne s'était pas attendue à une telle apostrophe de la part de Reiner.
-Oh oui, Annie ! C'était comment ? » la pressa Eren.
Reiner remercia silencieusement Eren d'être venu lui prêter main forte. Même Bertholt regardait Annie, la priant de répondre par la simple tranquille lueur verte de ses yeux. La jeune fille s'écarta un peu du tronc d'arbre et croisa les bras, ses yeux glacés étaient toujours verrouillés sur Reiner.
-T'as progressé. Tu fais plus attention à ton environnement et tu as une bonne compréhension de comment ton adversaire pense, ce qui te permet d'agir avec efficacité. Sois juste encore plus entreprenant. T'attends trop longtemps après ton opposant.
-Je vois, tu m'as bien observé contre Bertholt tout à l'heure…
-Évidemment.
-Et je t'en remercie. »
Reiner ne pensait pas qu'enfin obtenir la considération d'Annie lui ferait autant plaisir. Bertholt avait l'air aussi ravi que lui, un sourire aux lèvres. Annie restait de glace mais elle semblait décontractée, elle qui était toujours sur ses gardes en sa présence. Eren, quant à lui, tournait la tête d'Annie à Reiner, impatient.
-De rien, répondit Annie de son ton neutre caractéristique. Bertholt, tu devrais mieux travailler tes appuis. Et Eren, détends ton regard, c'est trop facile de prédire ce que tu vas faire. »
Sur ces paroles, elle prit congé. Reiner détourna son attention du départ d'Annie pour voir Bertholt, tête baissée, passer la main dans sa chevelure humide pour la remettre un peu en ordre, sans grande conviction apparente. Il devait être en train de réfléchir à ce qu'Annie venait de lui faire remarquer et se dire qu'il n'avait pas progressé. Reiner lui donna un coup de coude dans le bras et attendit que Bertholt le considère, surpris, pour poursuivre :
-Hé, rappelle-toi qu'elle t'a trouvé vif tout à l'heure ! »
Les prunelles de Bertholt s'élevèrent dans le vert forêt de ses yeux, à la recherche de ce dont Reiner parlait. Elles redescendirent une fois l'avoir trouvé pour se poser à nouveau sur le blond.
-Oui, c'est vrai. Merci, Reiner, sourit-il.
-Attends, Annie ! T'entends quoi par « détendre mon regard » exactement !? »
Les cris d'Eren, lancé à la poursuite de leur entraîneuse, encouragèrent les deux grands à affronter à nouveau la pluie de plein fouet. Annie avait dû décider d'attendre Bertholt car elle s'était arrêtée sur l'allée la plus proche, sa capuche de nouveau sur la tête. Elle s'était verrouillée et ne répondait pas à Eren.
Il en fallait plus pour décourager le petit brun et il changea de stratégie pour détaler en direction de Bertholt et Reiner cette fois-ci. Bertholt dégagea une branche basse du bout de la main, puis les deux s'arrêtèrent à l'arrivée d'Eren.
-Reiner ! l'interpella Eren en reprenant son souffle. Tu pourras… me montrer comment tu fais pour déstabiliser ton adversaire en lui chargeant dessus de tout ton poids ? J'ai essayé contre Ymir la dernière fois… mais je me suis fait éjecté par sa contre-offensive ! Comment tu fais, toi? »
Le bruit de la pluie avait masqué le petit ricanement nasal de Reiner, mais il posa sa main sur l'épaule d'Eren pour bien lui signaler qu'il avait entendu sa requête malgré le déluge qui s'abattait sur eux.
-J'te montre, la prochaine fois, promis. »
Et sur ces mots, il dépassa Eren et salua Bertholt en agitant la main. Le sec commençait à lui manquer, il devait aller s'entraîner au gymnase comme à son habitude et il lui faudrait le temps de se changer avant le cours d'Erwin. Le grand brun lui rendit son salut et trotta vers Annie dans la direction opposée. Le petit brun, lui, se retourna vers Reiner, les poings serrés et les épaules relevées.
-T'as intérêt à garder ta promesse, ouais ! » le héla-t-il avant de filer dans la direction de Bertholt et Annie et de les dépasser pour rentrer aux baraques plus tôt.
Eren avait encore de l'énergie à revendre ! Reiner se retînt de tracer, lui aussi, vers le gymnase, il n'aurait plus l'énergie suffisante pour des fentes avec haltères sinon ! En tout cas, il manquait d'énergie pour supporter la pluie en dehors d'un combat plus longtemps. Il retira la veste ocre (plus similaire à un torchon qu'une veste), la saisit, leva les bras afin de la soutenir au dessus de sa tête et empêcher de nouvelles gouttes de lui tomber dessus.
Il entendit un léger bruit de pas qui résonnait sur le sol de l'allée en de petites éclaboussures.
-Reiner ! Attends, s'il te plaît ! »
Il s'exécuta et rabaissa sa veste. Tant pis pour les gouttes d'eau, Bertholt voulait lui parler. Reiner pivota vers lui. Le grand brun se massait la nuque, ses prunelles tentaient de se cacher dans les coins gauches de ses yeux. Les rougeurs sur ses joues le frappèrent plus qu'à l'accoutumée. Sans doute car, malgré la pluie qui atténuait les couleurs dans une torpeur humide et maussade, les joues de Bertholt, elles, restaient vibrantes d'un rouge chaud. Reiner n'y était pas habitué, mais reconnut que cela lui allait plutôt bien.
-Euh… je cherchais le bon moment, voilà pourquoi je te le dis que maintenant, euh… hahem ! Bon anniversaire ! »
S'il s'y était attendu à celle-là.
Il aurait dû. C'était bel et bien son anniversaire, maintenant que Bertholt le lui rappelait. Mais Reiner avait une fâcheuse tendance à ne plus penser à l'échéance de son anniversaire jusqu'à l'oublier le Jour J. Il se souvenait de la date, mais il ne trouvait rien de suffisamment important à l'événement pour anticiper le jour avec impatience et se réveiller tout sourire et débordant d'énergie le matin fatidique. Ce matin, il avait pris un bref petit-déjeuner et s'était rendu à l'entraînement, à l'aube, sous la pluie. Rien de plus. Et là, Bertholt se tenait devant lui, tout sourire et débordant d'énergie.
L'espace d'un instant, il se dit qu'il n'avait pas besoin de quoique ce soit de plus. Il savoura.
-Merci. Ça m'étonne que tu y aies pensé, je l'ai dit à personne pourtant…
-Oh, tu sais… à travailler dans les archives, je suis tombé sur les plus récentes des infos du Capitole. Celles sur nous tous. Il y a nos dates d'anniversaire dedans. »
Reiner hocha lentement la tête, étonné par le soin et la précision que Bertholt démontrait dans ses recherches.
-Bon, je dois y aller, là : Annie m'attend… ah d'ailleurs, j'allais oublier, elle te souhaite un bon anniversaire aussi ! »
Bertholt repartit en courant et Reiner reprit sa route vers le gymnase. C'était décidément une drôle de journée : de la pluie à noyer les lacs, son anniversaire qu'il avait encore oublié, et Bertholt qui le lui avait souhaité avec tout l'entrain dont il n'avait jamais fait preuve. Comme pour compenser.
Compenser la vague caresse sur la joue qu'il recevait de sa mère à chaque anniversaire. Compenser le sérieux et la banalité avec lesquels il les avait abordés les seize autres années vécues jusque là.
C'était décidément un drôle d'anniversaire. D'aussi loin que Reiner se souvenait, c'était toujours Christa qui le lui souhaitait en premier. Le matin de ses dix-sept ans, ce fut Bertholt.
…
Malgré le poids bien réel des câbles qui le soutenait en l'air, Bertholt sentit la gravité l'attirer irrésistiblement vers le sol, comme si un autre câble était fiché dans son estomac et l'entraînait à terre, accompagné de quelques gouttes de pluie. Ses muscles le tiraient confortablement, mais dans quelques minutes, rester en l'air allait devenir douloureux.
-Pause, les jeunes ! » retentit la voix portante de Pixis.
Avec un soupir de soulagement, Bertholt obtempéra immédiatement, et Annie se posa juste à côté de lui. Ils avaient atterri juste à l'orée de la forêt, au début de leur circuit, à côté du banc sur lequel ils avaient déposé leurs affaires, protégées de l'eau par le couvert des arbres. Il commença aussitôt à ajuster les sangles et les courroies de son équipement, pour leur éviter de frotter sur les zones de sa peau qui s'irritaient. Son corps commençait à prendre le pli, mais il se couchait encore avec la peau un peu rouge parfois. Et son dos le tiraillait encore.
-Allez boire un coup, vous l'avez bien mérité. » ajouta Pixis en leur adressant un sourire qui releva sa moustache.
Par réflexe, le jeune brun crût qu'il faisait référence à des boissons alcoolisées, mais il réalisa son erreur juste à temps. Il se servit une bouteille d'eau, dont il avait l'impression qu'elles étaient magiques, tant leurs apparitions étaient impromptues et salutaires. Les rejoignant, Pixis lui tapota tranquillement le bras d'un air satisfait, puis fit de même à l'épaule d'Annie :
-C'était très bien tous les deux. Vous avez les tripes qu'il faut ! »
Donc il voulait dire qu'ils avaient les bonnes intuitions qui leur permettaient de suivre son rythme et ses virages, songea Bertholt en prenant une gorgée. Comme une grosse majorité des autres tributs, ils sortaient de l'exercice qui consistait à suivre à la trace son instructeur en équipement tridimensionnel, et Pixis ne faisait pas exception.
Avec l'entraînement d'Eren, Bertholt avait un peu l'impression de tricher, cela dit. Il adressa un sourire nerveux à Pixis en refermant sa bouteille, alors que le vieil homme leur adressait un bref sourire et partait s'éclipser plus loin. Pixis était moins rapide qu'Eren, ce qui n'était pas étonnant au vu de son âge, mais il était plus vicieux. Visiblement, il connaissait les lieux comme sa poche, et savait exactement comment faire tourner ses recrues en bourrique. À vrai dire, Bertholt n'avait pas l'impression d'avoir ''fait du bon boulot'', vu comme il les distançait avec aise.
Et Annie non plus n'était pas dupe. Elle gardait le silence et les sourcils froncés en rejoignant le banc avant de s'arrêter brutalement devant, probablement plongée dans sa concentration. Pour tester la température, Bertholt lui tendit une bouteille d'eau, et elle ne remarqua rien. Bertholt retint un petit rire amusé -c'était assez drôle de la voir autant plongée dans son monde, bien qu'un peu inquiétant-, et décida de la laisser seule. Il valait mieux ne pas la déranger dans ces moments-là.
-Ah oui ? Eh bah j'aimerais bien te voir réussir une série de quinze saltos arrière sans interruption ! » retentit la voix de Jean.
Tout naturellement, il tourna son regard vers les candidats qui se tenaient sur un autre banc à quelques mètres du leur, et discutaient avec agitation. Jean et Eren se disputaient, apparemment sur leurs compétences en tridimensionnalité, et Conny et Sasha les regardaient avec régal, en intervenant de temps en temps. À croire que tout le monde s'était donné rendez-vous à la forêt aujourd'hui.
Il les rejoignit en silence, le pas furtif et couvert par un léger plic-ploc, et se posta à côté de Sasha, croisant les mains dans son dos pour écouter.
-Pfff, c'est du bluff, rétorqua Eren en croisant les bras. Et même si c'était vrai, c'est toujours plus difficile de se caler sur le rythme de quelqu'un.
-Ça dépend de la difficulté de la manœuvre d'abord, imbécile !
-Les saltos arrières, c'est pas compliqué, tu peux les faire n'importe où ! Alors que la synchronisation est lourdement dépendante de l'environnement ! »
Bertholt répondit aux saluts de Sasha et Conny, puis se pencha vers les deux plus calmes -chose assez rare-, qui observaient l'échange avec des regards de vautour :
-Qu'est ce qu'il leur arrive ?
-QUOI ?! s'écriait Eren en empoignant le col de la veste de Jean à une autre insulte que Bertholt n'avait pas entendue. Répète ça pour voir !
-Ah parce que t'es bouché en plus du reste ? ricana Jean en serrant le poignet qui froissait son uniforme. Laisse-moi redire ça bien lentement pour que ça ait le temps de monter jusqu'à ton petit cerveau : ton histoire d'environnement, c'est une excuse pour les minables dans ton genre. Ceux qui ont de vraies compétences peuvent se débrouiller dans n'importe quel environnement, et ensuite se concentrer sur des figures stylées.
-Eren et Jean se sont croisés pendant leur entraînement, expliqua enfin Sasha sans les quitter des yeux, et leurs mentors leur ont donné une pause au même moment, donc ils sont venus se chicaner tout de suite ! »
Bertholt hocha la tête. Il s'apprêtait à reporter son regard sur les deux plus enflammés, dont les visages se rapprochaient dangereusement, mais un détail l'interpella.
-Et vous, vous ne portez pas vos équipements ? »
-Tu dérives complètement ! protesta Eren en faisant de grands gestes de son autre main. Je te parle pas de l'environnement, pauvre cloche, je te parle des manœuvres coordonnées ! Ce sera toujours plus dur que des figures solo !
-Et ton argument pour ça, c'est l'adaptation à l'environnement qui est plus difficile ! rétorqua Jean en parvenant enfin à dégager son col d'un geste sec. Ce qui, je me tue à te le dire, n'est pas valable parce que...
-Justement si !
-Me coupe pas ! »
Après un dernier éclat de rire de Sasha et Conny qui lui fit croire qu'ils ne l'avaient pas entendu, les deux acolytes se tournèrent vers lui d'un même mouvement qui le fit se redresser avec un frisson.
-Naaan, je suis juste venu chercher Sasha parce que j'étais en temps libre, et elle aussi ! » répondit Conny avec un large sourire et les mains sur les hanches.
Sasha répondit par un sourire tout aussi large, et Bertholt réciproqua leur expression avec plus de finesse.
-Vous vous entendez drôlement bien pour des gens qui ne viennent pas du même district. » murmura-t-il doucement, pas sûr de se faire entendre.
Eren et Jean avaient beau être arrivés au stade où ils se regardaient en chien de faïence prêts à se jeter dessus, ils étaient bruyants. Il se demandait s'il fallait les arrêter.
Mais même Sasha, la plus éloignée de lui, hocha la tête avec un mélange de fierté et de contentement. Elle avait de bonnes oreilles. Cependant, il n'élaborèrent pas, comme si Bertholt ne faisait que mentionner une évidence. Avec un peu d'hésitation, car c'était peut-être un sujet délicat, il pressa :
-Comment ça se fait ? »
Il aimait bien Sasha et Conny. Ils étaient un vent de fraîcheur, peu importe dans quelle situation ils se trouvaient. Il ne devrait pas chercher à en savoir plus, il devrait éviter de poser des questions qui lui permettraient peut-être de mieux les comprendre et les apprécier, mais il ne pouvait pas s'en empêcher.
Conny s'esclaffa bruyamment, et Bertholt s'étonna de cette réaction, mais le plus petit lui répondit avant qu'il ne puisse s'excuser :
-Tu sais, moi, je suis con... Je veux juste me faire des potes ! »
Dire que la réponse surprit Bertholt était bien loin de la réalité. Même Eren et Jean s'étaient tus en l'entendant rire et le contemplaient avec incrédulité. Embarrassé par cette attention soudaine, Conny rosit et s'essuya le nez maladroitement :
-Bah oui, on sait tous qu'au début des jeux, peu importe la situation, on sera à la gorge les uns des autres. Je suis con mais je suis pas idiot. Donc je préfère être pote avec vous maintenant, pour avoir des bons souvenirs jusqu'au bout, tu vois ?
-Je... je vois. »
Il ne voyait pas. Enfin, il pouvait imaginer comment il en était venu à ce raisonnement, mais il n'arrivait pas à imaginer une telle pureté d'esprit. Les motifs de Conny étaient les plus innocents qu'il avait jamais croisés, et ce même en dehors des jeux, et soudain il eut honte. Petit, il voulait devenir ami avec Annie parce qu'il se sentait seul, et parce qu'elle pouvait le protéger. Plus grand, il voulait se rapprocher de Reiner parce qu'il l'idéalisait, et d'autres personnes, pour des raisons bien moins candides que le simple désir de se faire des amis et de passer de bons moments avec eux.
Il ne savait pas s'il éprouvait envers Conny du respect ou de la perplexité. Peut-être les deux.
Il se tourna vers les autres interlocuteurs, et découvrit sans surprise leurs mines graves. Eren avait les sourcils froncés à l'excès, occupé à fixer l'horizon comme s'il voulait y mettre plus de feu que le soleil au crépuscule. Jean, lui, sondait le visage de Conny, tous ses traits tendus, peut-être à la recherche d'une trace de mensonge. Mais Conny n'était rien si ce n'était sincère. Sasha, elle, arborait une expression plus étrange encore : elle dodelinait très doucement de la tête comme si elle approuvait, mais au lieu du sourire naïf auquel il aurait pu s'attendre, sa mâchoire était crispée, et ses yeux contenaient toute une série d'émotions emmêlées que Bertholt aurait bien du mal à départager : de la peur certainement, de la détermination, de la tendresse peut-être, de l'approbation...
-Bertholt ! » appela Pixis.
Le jeune homme sursauta violemment sur ses pieds et fit volte-face vers son mentor, le cœur battant. Il était si absorbé dans ses réflexions et ses observations qu'il avait complètement oublié son propre district ! Sa réaction répandit un léger rire dans leur groupe, et il s'excusa pour s'éclipser avec un hochement de tête.
À leur banc, Annie semblait avoir repris ses esprits, car elle lui bougea tranquillement la tête dans sa direction. Il se posta à côté d'elle, en face de Pixis, qui consulta une poignée de feuilles, probablement refilée par les autres instructeurs qu'il venait d'aller voir.
-Vous progressez bien. » déclara-t-il sans lever le nez de sa feuille.
Bertholt changea nerveusement d'appui. Voulait-il parler de la tridimensionnalité, ou en général ? Est ce qu'il y avait un ''mais'' ? Pixis plia les feuilles et les glissa dans son gilet pour se tourner pleinement vers eux, avec un sourire habilement dissimulé par sa moustache.
-Aussi bien en tridimensionnalité qu'ailleurs, je vous rassure, Monsieur Hoover. »
Décidément, il était perceptif quand il n'était pas alcoolisé.
-Vous devriez vous faire un peu plus confiance, ricana-t-il. Aussi bien à vous qu'à mademoiselle Leonhardt. Je pense sincèrement que vous pourrez vous en sortir pour les jeux. Certainement pas seuls, je pense que vous pouvez le constater vous-même, mais en duo, vous avez toutes vos chances ! »
Bertholt inspira fortement, étonné de se sentir aussi ému par ces quelques paroles. Il retint la petite montée d'émotion qui menaçait d'engloutir sa cage thoracique, avec une respiration aussi posée que possible, et en serrant ses mains dans son dos. Il ne s'était pas rendu compte à quel point la perspective des jeux pesait sur ses épaules. C'était un poids croissant, épaissi par les moments toujours plus nombreux où il réalisait toutes les facettes de ce qu'il devrait accomplir, ou commettre, dans les semaines à venir. Notamment avec ce qu'il venait d'entendre de la part de Conny.
Pixis leur demanda s'il voulait reprendre l'exercice, Annie répondit par l'affirmative, Bertholt annonça comme d'habitude qu'il suivrait le mouvement. Machinalement, ses pieds le portèrent à la suite de son mentor. Il ne fut tiré de ses réflexions que lorsqu'il sentit une main fine tapoter le bas de son dos.
Il fit volte-face vers Annie, qui scrutait son visage avec les sourcils froncés. Lorsqu'il se tourna vers elle, un peu alarmé, son inquiétude fondit aussitôt, et elle acquiesça imperceptiblement. Elle avait dû voir qu'il était en train de se perdre dans une spirale de négativité. Venant de sa part, c'était l'équivalent d'un petit discours destiné à le rasséréner, et il avait fait son effet. Bertholt rougit, embarrassé d'être pris sur le fait de sa défaillance. Il s'attela à raffermir sa démarche, allonger son pas, maîtriser son expression, et peut-être redresser un peu les épaules.
…
-Je peux m'asseoir là ? »
La petite voix chantante de Minha arracha Marco à ses pensées, si fort qu'il ne se rappelait déjà plus à quoi il songeait. Il baissa les yeux sur la double-page ouverte devant lui, qui portait sur les implications des chocs musculaires sur le corps. Et ça ne lui dit trop rien. D'un signe de la main et d'un sourire, il invita Minha à s'asseoir en face de lui.
Elle le gratifia d'un large hochement de tête et étala la montagne de livres qu'elle avait récupérés le long de la moitié de la table. Replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille, elle en ouvrit un et s'attela à l'étude des rudiments de la médecine, elle aussi.
Marco s'efforça de se replonger dans son ouvrage mais, au bout d'une minute de silence studieux, Minha lui adressa la parole, un grain d'inquiétude catastrophée dans la voix :
-Mais… t'es trempé ! »
Elle s'était penchée vers lui, s'appuyant sur la table de ses deux mains. Marco rit à sa remarque et se passa la main dans ses cheveux mouillés.
-T'inquiète pas…
-Pourquoi t'as pas mis ton manteau ?
-J'avais trop chaud avec. » murmura-t-il, tout sourire.
Minha se laissa retomber dans la chaise en soupirant.
-J'ai cru que c'était parce qu'ils t'en avaient pas donné…
-Non, non, ne t'en fais pas.
-Jamais je n'apprécierais de me faire saucée par une pluie pareille… ça n'arrête pas depuis cette nuit… Je sais pas si t'es courageux ou inconscient ! lui confia-t-elle en riant.
-Dans ton cas, le manteau te va très bien. C'est une bonne idée de l'avoir mis. »
Ce n'était pas une tentative de politesse mal placée. Le vert sombre du long manteau soulignait l'éclat des yeux de la jeune fille, la forme complimentait sa silhouette en nouant sa taille. Elle était faite pour porter des vêtements avec ce genre de coupe. Tandis que lui n'était vraiment pas fait pour supporter une fine doublure de laine en été, même sous une pluie fraîche !
-Ben, je… euh… merci, Marco, c'est adorable. »
Il lui sourit et le silence les enveloppa à nouveau. Mais Marco n'avait plus envie de travailler. Minha était une des tributs les plus abordables, il appréciait beaucoup sa compagnie et, alors que la tension des derniers Entraînements à 24 pesait encore un peu dans l'air, il voulait renouer avec le semblant de vie quotidienne qui s'était installé, papoter avec des camarades, de tout et n'importe quoi, être insouciant et optimiste, être lui-même.
-Enfin, l'avantage avec la pluie, c'est que j'avais une excuse toute trouvée pour traîner plus longtemps à la bibliothèque. »
Il retint une exclamation de surprise et releva la tête. Minha avait fait le premier pas ! Soulagé par la réciprocité de leurs sentiments, il mit tout en œuvre pour entretenir cette discussion, comme un petit feu sous cette pluie battante :
-On te retient d'habitude ?
-Pas vraiment… Hansi aimerait surtout me donner des cours sur la tridimensionnalité ou sur les Titans durant mon temps libre. Même si l'excuse de la bibliothèque passe bien, j'ai souvent besoin des talents de négociation de Jean pour me dépêtrer de sa passion incommensurable pour ces gros tas de difformité ! »
Il pouffa et elle reprit en refermant le livre qui se tenait devant elle :
-Et aujourd'hui, Hansi a bien senti que je risquais d'y rester longtemps à cause de la pluie. J'ai cru que je ne pourrais pas y aller !
-Jean t'a sortie du pétrin alors ? »
La bouche de Minha s'ouvrit en un petit rond. Le rond devint un trait qui unissait ses lèvres, puis il se transforma en un demi-cercle de soulagement et de joie. Marco en déduisit que Minha devait encore hésiter à parler de son partenaire aux autres tributs après le fiasco de la semaine dernière. Il se réjouit de lui avoir montré qu'il n'en avait cure et qu'il discernait, lui aussi, les qualités du garçon aux cheveux cendrés.
-Oui, il a proposé à Hansi de lui faire rattraper les cours théoriques qu'il avait manqués durant la première semaine. Ç'a marché !
-C'est super ! Et t'es venue pour étudier le dessin aussi ? » chuchota-t-il en pointant du doigt un des livres éparpillés sur la table.
La jeune femme vira aussi rouge qu'une pivoine et éleva le ton en bredouillant sa justification :
-Oh ! Ça, c'est… euh… c'est… pour… »
Sa tentative de justification. Marco avait été curieux de savoir en quoi cet ouvrage sur l'étude des effets de proportion, et l'autre sur ceux d'ombre et lumière, qu'il distinguait juste en dessous, aideraient Minha aux jeux. Mais il apparaissait qu'il s'était mêlé de ce qui ne le regardait pas.
-D'ailleurs ! Tu savais que c'était l'anniversaire de Reiner aujourd'hui ? changea-t-il de sujet.
-Quoi ? Euh, non, pas du tout. À vrai dire, je n'ai pas eu l'occasion de beaucoup lui parler…
-Vraiment ? Ne te laisse pas intimider, il est très gentil.
-Mais tout le monde est gentil avec toi, Marco ! » renchérit Minha en gloussant.
Une image de Ruth traversa son esprit et lui pinça le cœur. Si seulement… Afin de penser à autre chose, il jeta un regard absent à sa montre. Et se leva en sursaut.
-Mince ! Mais il faut que j'y aille ! Désolé Minha, mais je dois être à la baraque de mon district d'ici une demi-heure ! »
Il rassembla les livres de médecine et jeta quelques coups d'oeil à sa montre, de peur que le temps ne lui fasse défaut en accélérant sans prévenir. Par bonheur, les secondes paraissaient défiler en cadence avec le rythme de la pluie à l'extérieur.
-Haha, encore un entraînement secret du District Neuf ?
-Pardon ?
-Non, c'est juste qu'on nous a fait la remarque, avec Jean, la dernière fois. On s'entraîne presque jamais au gymnase. Et maintenant que j'y pense, vous non plus ! Voilà pourquoi il n'y a qu'à la bibliothèque que je te croise !
-Héhé, c'est bien vrai ! »
Il présenta encore d'autres excuses à Minha, rangea soigneusement les livres là où il les avait trouvés, et descendit vers la sortie de la bibliothèque. Si ce que Minha avait dit était vrai, alors c'était une sacrée coïncidence qu'il ait déjà aperçu Jean deux fois dans la forêt !
Au pied de l'escalier, il croisa Reiner, qui s'apprêtait à monter les marches. Lui aussi avait les cheveux et l'uniforme trempés, et ne portait pas non plus le long manteau des tributs.
-Camarade du clan des « zéro manteau »… » le salua Reiner en hochant la tête.
Marco lui rendit son hochement de tête et l'agrémenta d'un ricanement. Reiner commençait à le dépasser dans son ascension des marches, alors le jeune garçon se retourna et le héla dans un fort chuchotement :
-Reiner, bon anniversaire ! »
Le grand blond se tourna de trois-quart vers lui, apparemment surpris.
-Merci. »
Marco gravit les trois marches qu'il venait de descendre pour se rapprocher de lui, et fouilla dans son sac. Il trouva la petite boîte de thé en carton qu'il cherchait et la tendit à Reiner.
-Voilà ! C'est pas grand-chose mais je me suis dis qu'il fallait marquer le coup. »
Reiner fronça les sourcils et saisit le paquet avec lenteur, comme s'il se demandait déjà comment désamorcer la bombe qu'il devait contenir, voire si elle n'exploserait pas à la réception. Mais il y avait juste des sachets de thé dedans.
-C'est parce que tu m'avais dit aimer le thé noir quand on avait discuté de nos boissons chaudes favorites, tu te rappelles ?
-Je vois… m-merci. »
Le « De rien » de Marco implosa dans sa gorge quand Ruth passa, telle une ombre, à côté de Reiner et de Marco, descendant les escaliers. Depuis quand était-elle à la bibliothèque ? Il ne l'avait pas vue s'installer et elle n'avait même pas cherché à le rejoindre… Elle le transperça d'un regard noir, presque assassin, en achevant de descendre l'escalier. Un frisson aigu le secoua et le jeune garçon sentit sa nuque se frigorifier.
-Marco ? s'enquit Reiner, qui n'avait pas bougé et continuait de le considérer.
-Je dois y aller, passe une bonne journée ! » déclara-t-il à toute vitesse en se lançant à la poursuite de sa partenaire, fuyant Reiner.
Tout son corps lui hurlait de ne pas courir après elle. Même les gouttes d'eau essayaient de le ralentir.
Elle s'arrêta et tourna la tête en entendant le bruit affolé et éclaboussé de ses pas. Marco déglutit. Si le manteau rendait Minha plus élégante, Ruth, elle, avait l'air encore plus imposante avec. Il fut pris d'une envie soudaine de se terrer dans un des buissons alentours. L'instinct de survie. Elle le mitraillait du regard après tout. Pourtant, il ordonna à ses jambes de ne plus bouger et chercha ses mots.
-Rassure-moi… tu sais ce qu'on fait là ? »
Le son de ses paroles claquait et s'abattit sur Marco. Ce n'était pas la pluie, mais bien la violence de cette fausse question qui lui fit l'effet d'une douche froide. Il serra les poings et acquiesça.
-Tu sais qu'on est grosso-modo en guerre les uns contre les autres ? »
Il vit une goutte d'eau perler le long de ses mèches, bien heureux qu'elles abritent un peu ses yeux des prunelles meurtrières de Ruth. Triste consolation. Il acquiesça.
-Tu sais qu'on est pas en colonie de vacances, là ?
-… Oui.
-Alors pourquoi est-ce que tu viens d'offrir un putain de cadeau à ton ennemi ?! » feula-t-elle.
Sa voix tonna et Marco trembla.
Elle avait raison. Elle avait parfaitement raison et lui avait été stupide, complètement idiot. Donner un petit quelque chose à Reiner pour son anniversaire, c'est ce qu'il aurait fait s'ils avaient été camarades. Mais les circonstances ne le permettaient pas. Marco ne pouvait plus être lui-même. Elle avait parfaitement raison et lui avait été stupide, complètement idiot. Il lui avait prouvé qu'il était un idiot fini.
Elle avait raison.
Il baissa les yeux vers ses bottes luisantes d'humidité, le sol boueux, sa honte.
-Maintenant, je vais te demander de me laisser partir seule, ça évitera qu'on en vienne aux mains… » reprit Ruth d'un ton sec.
Il acquiesça. Elle soupira.
-J'en ai marre de passer pour la méchante ! »
On enserra son cœur et la pluie devint aussi lourde que du plomb. Ruth s'éloignait et ne devenait plus qu'une tâche sombre dans son champ de vision troublé par l'eau. Marco manqua de chanceler. Il vacilla vers un arbre tout proche et s'adossa à son tronc.
On gavait sa gorge d'une substance pâteuse qui l'étouffait de l'intérieur.
Il prit de longues inspirations et laissa ses jambes choir. Le sol se déroba sous son poids et ses pieds glissèrent dans la boue. Il se retrouva affalé, le dos toujours contre la rigidité froide et humide, inanimée, de l'arbre.
Marco se cacha les yeux d'une main, revenant ainsi à la croyance enfantine qu'en dissimulant son regard derrière, il pourrait devenir invisible. Il continuait de pleuvoir et il allait être en retard. Mais là, il espérait juste pouvoir s'effacer et s'accorder un temps de répit, de solitude. Disparaître.
…
Jean rejoignit Minha et s'affala sur le canapé avec un gros soupir.
-Enfin sorti du rattrapage ? » rigola Minha.
Un grognement lassé lui répondit et Jean pinça les paupières. Hansi était impitoyable. Il laissa sa masse musculaire fondre dans le moelleux du canapé, bien plus confortable que les bancs de la salle de classe. Le plic-ploc incessant de la pluie, au bord de l'averse, était un bruit de fond agréable. Il n'aimait pas la pluie, sauf quand il était bien au sec à l'intérieur pour l'observer à travers sa fenêtre et gribouiller avec un café en main.
-Ah, merde ! »
Le café ! Il se redressa en un éclair et bondit sur ses pieds pour aller ouvrir la porte du balcon. Comme un idiot, il avait oublié sa tasse sur la table ! Autant il n'avait pas grand chose à carrer de la porcelaine en elle-même, autant avec ce vent elle pouvait passer par-dessus la rambarde et s'abattre sur la tronche de quelqu'un (cela dit, qui sortirait dehors?), ou se briser en morceaux sur le balcon, et s'il ne s'en occupait pas maintenant d'autres pourraient se blesser avec avant qu'il ne s'en rappelle. L'eau et le vent lui fouettèrent le visage alors que la bourrasque changeait de sens juste à ce moment. Si c'était une façon pour le monde de lui dire bonjour, il n'appréciait pas du tout.
Jean jura en constatant toute l'eau qui entrait à l'intérieur et fit un pas sur le balcon pour fermer la porte derrière lui, aussitôt arrosé par la pluie. Il avait l'impression de progresser à l'intérieur de la mer elle-même, avec le vent qui faisait claquer ses vêtements sur sa peau déjà humide. Il exagérait peut-être un peu, mais comme il avait établi précédemment, il n'aimait pas la pluie.
La table était complètement dépourvue de porcelaine. Il passa les environs au crible, sans trouver quoi que ce soit, si ce n'était un crayon oublié ballotté par les vents, qui était venu buter contre le garde-corps du muret. Il le récupéra en vitesse, en priant pour qu'il n'y en ait pas d'autres.
Est- ce qu'elle était tombée par-dessus bord ? Songea-t-il. Il jeta un œil au delà de la rambarde avec désespoir, et son regard accrocha un mouvement qui n'avait rien à voir avec les arbres malmenés par le vent ou le rideau de pluie.
Marco se tenait debout sur le balcon, et s'entraînait avec plus de férocité que jamais. Jean s'interrompit, et posa un genou au sol pour l'observer. Qu'est ce qu'il foutait à s'exercer par ce temps ?! Il allait choper la crève !
Jean fut brièvement tenté de l'interpeller par dessus le vacarme de la pluie. Son t-shirt lui collait à la peau, ses cheveux s'agglutinaient devant ses yeux, et il ne pouvait pas décemment y voir assez pour faire ses exercices habituels. En plus, le sol était glissant.
Mais il se retint. Il y avait une telle hargne dans les poings qu'il balançait à travers la pluie, une telle énergie dans le vrillement de ses hanches, un tel désespoir qui suintait de tous ces gestes, comme s'il pouvait tout évacuer par les pores de sa peau à la force de ses efforts, et que la pluie se chargerait ensuite de l'en débarrasser, de l'en laver...
Il se battait contre quelque chose. Et visiblement, il n'avait pas l'intention de perdre.
En silence, Jean rouvrit la porte de son balcon, et avec un dernier regard, de sympathie ou de soutien, il ne savait pas trop, il retourna au sec.
-Ma tasse est introuvable, grommela-t-il. Je l'avais oubliée sur le balcon.
-Oh, ça ? fit Minha. Je l'ai déposée dans l'évier avant qu'il ne pleuve hier. »
Un long soupir.
…
La vue du chocolat qui dégoulinait paresseusement de son récipient pour s'étaler avec indolence au fond du moule procurait à Christa une satisfaction familière et une nostalgie enfantine. Petite, elle avait dû se battre bec et ongles avec ses domestiques chaque année pour qu'elles la laissent cuisiner ne serait-ce qu'un fondant au chocolat. Mais elle tenait à exprimer sa gratitude à Reiner, et elle s'était toujours débrouillée pour lui préparer son gâteau favori, et un cadeau.
Ce dernier était soigneusement emballé et trônait sur le bureau de sa chambre, et elle espérait sincèrement qu'il lui plairait. Elle s'arma de la maryse et acheva de vider le saladier dans son moule. En quelques gestes, le moule était niché dans le four. Elle s'accorda le plaisir de lécher la spatule et gratter le bol, puis prit le temps de tout nettoyer soigneusement, de sorte à ne laisser aucune trace de ses manigances.
Un bourgeon de malice et d'espoir frémissait dans son estomac. En conservant cette tradition, elle voulait retrouver un peu du temps d'avant. Elle voulait rappeler à Reiner tous les moments qu'ils avaient passés ensemble dans les mêmes circonstances, et elle voulait le remercier pour tous les instants qu'il avait passé à ses côtés. Et lui offrir un moment de nostalgie où ils pouvaient retrouver ce qu'ils avaient avant les jeux lui semblait une bonne idée.
Juste au moment où elle sortait le gâteau et partait le ranger dans sa chambre, soigneusement emballé dans un chiffon pour conserver la chaleur, elle entendit la porte de la baraque s'ouvrir. Intentionnellement, elle avait laissée ouverte la porte de l'escalier pour mieux entendre le retour d'Erwin et de Reiner. S'il y avait bien un avantage à ne pas prendre part à ces exercices, c'était qu'elle pouvait faire ce qu'elle voulait dans ces moments, elle n'était surveillée par personne. Elle était tenté de dire que c'était une première, pour elle.
Tout en pensant, elle alla vers la salle de bain et récupéra deux serviettes, descendant en trombe pour leur ouvrir. La pluie tapait fort depuis tout un moment déjà, bien qu'elle n'y ait fait que distraitement attention pendant qu'elle cuisinait.
-Bon retour ! s'écria-t-elle en arrivant. Ouhla, vous êtes vraiment trempés ! Tenez !
-Merci, Christa. » dit chaleureusement Erwin.
Reiner était encore occupé à égoutter la veste de son uniforme dans l'entrée, et la remercia à son tour.
-Je te dis de mettre ton manteau, pourtant, soupira-t-elle.
-Désolé, tu sais bien que je ne vis pas très bien avec trop de couches de vêtements. » répondit-il avec un sourire contrit.
Elle croisa les bras en gonflant légèrement les joues, et rougit instantanément lorsque Reiner haussa un sourcil à sa réaction. Ça faisait des années qu'elle avait arrêté d'avoir cette expression ! Elle agita la main pour chasser de son esprit ce qu'elle venait de faire et enchaîna :
-Au fait, Reiner, j'ai quelque chose pour toi. Prends le temps de te changer, puis rejoins-moi en haut. »
Reiner acquiesça immédiatement, et Christa tourna les talons. Le petit bourgeon avait un peu trop poussé, et elle était retombée plus que prévu en enfance. Du coin de l'œil, elle vit Erwin lancer un curieux regard à Reiner, et décida de l'ignorer. Son père lui avait souvent répété que peu de gens pouvaient réellement comprendre la teneur de sa relation avec Reiner. Et même s'il avait eu tort sur beaucoup de chose, elle devait admettre qu'à ce sujet, il avait eu raison.
Elle attendit quelques minutes, le temps de placer le gâteau et le cadeau sur la table, et comme d'habitude, Reiner ne la fit pas attendre longtemps. Quelques minutes plus tard, il la rejoignait en toquant discrètement à la porte pour signaler sa présence.
Il arborait un léger sourire avenant, détendu, et la vision était rare ces jours-ci. Un bref soulagement détendit les épaules de la jeune fille. Elle espérait améliorer encore son humeur et faire en sorte que son sourire atteigne pleinement ses yeux.
Mais quand le regard du jeune homme tomba sur le présent et le gâteau qui trônaient sur la table, ses commissures tombèrent avec lui. Il se figea sur le pas de la porte, et ne tourna le regard vers Christa que lorsque celle-ci toussa ostensiblement.
Son expression devint neutre, les traits soigneusement maîtrisés, alors qu'il venait s'asseoir en face d'elle, sur le fauteuil qu'elle lui indiquait. Mais elle avait l'habitude de ce genre de mimique de sa part.
Timidement, elle montra les deux objets d'un large geste de la main.
-Joyeux anniversaire, Reiner ! » dit-elle en souriant.
-Tu n'aurais pas dû te donner cette peine. » murmura-t-il aussitôt, comme chaque année.
Christa laissa échapper un petit rire. Il ne prenait jamais ces attentions comme argent comptant. Pire, chaque année, il mettait un point d'honneur à s'en étonner.
-Ça va finir par me vexer, tu sais, bouda-t-elle.
-Oh, je suis désolé ! C'était tout à fait inintentionnel, c'est juste que... »
Il chercha ses mots en passant une main dans ses courts cheveux blonds.
-Je pensais qu'avec les jeux, tu aurais trop à t'inquiéter pour… ça.
-Eh bien, mon cher ami, tu t'es trompé. » dit-elle en lui indiquant le siège en face d'elle.
Elle sourit en prenant deux assiettes pour les servir alors qu'il s'asseyait. Pendant quelques instants, il n'y eut que le bruit des cuillères sur les assiettes alors qu'ils dégustaient.
-Incroyable, le goût est le même, constata Reiner avec surprise.
-Pourquoi, tu penses encore que je demandais de l'aide aux domestiques ? »
Il cacha un sourire derrière sa main, et le petit bourgeon grandit.
-Non, bien sûr que non, pas du tout, je ne vois pas pourquoi cela me viendrait à l'esprit. » nia-t-il avec beaucoup trop d'insistance pour être honnête, ou plutôt pour ne pas être railleur.
Elle tendit la main pour lui taper le bras et il leva sa paume aussi sec pour capituler.
-Reste sérieux, un peu ! protesta-t-elle. Qu'est ce qui te fait rire comme ça ?
-Je me souviens juste de la fois où tu avais évacué la salle à grand coup de spatule pour que les domestiques s'en aillent. Je n'en reviens toujours pas que tu aies fait ça.
-Bien sûr que j'avais fais ça ! Elles parlaient de toi comme si tu étais un toutou bien docile! » se récria-t-elle.
Il ricana si brusquement qu'il renifla, et Christa expira ostensiblement. Elle n'aimait pas se rappeler de tous ces moments où les gens à son service à elle pensaient qu'ils valaient mieux que celui qui était le plus digne de se tenir à ses côtés, mais elle était fière de la petite elle-même du passé.
-Bon, on va pas passer toute la journée plongés dans nos souvenirs ! Tiens. »
Elle lui fourra le cadeau dans les bras sans plus de cérémonie. Il la remerciait déjà avec les yeux alors qu'il ne l'avait même pas ouvert, cette andouille. Avec beaucoup de soin, il défit le papier cadeau. Au bout de quelques instants, il découvrit un bracelet de force, en cuir noir. Le point d'interrogation se peignait sur toute sa figure.
-Regarde. » dit-elle avant qu'il n'ait pu poser la question.
Il leva la tête et elle pointa le bracelet qu'elle-même portait au poignet. C'était un petit bracelet de perle blanche, dont elle avait déjà dû remplacer la corde deux fois. C'était le premier cadeau que Reiner lui avait offert. Celui qu'elle lui offrait était un rappel de ce qu'ils avaient traversé ensemble, un vœu de courage.
-Je cherchais un cadeau qui t'irait bien et qui ne soit pas strictement un objet d'utilité, expliqua-t-elle. Et un bracelet me semblait être une bonne idée ! Bon, évidemment pas un bracelet de perle comme le mien, mais je me suis dit que ça te correspondrait plutôt bien. »
Les yeux brillants, elle attendit sa réaction. Le jeune homme serrait l'objet avec énergie, la mine grave. Ses sourcils étaient intensément froncés, sa bouche plissée, sa mâchoire crispée. Qu'est ce qu'il lui arrivait ?
-Reiner... ? »
Il sursauta et cingla sa tête vers elle. Son regard avait l'air presque perdu.
Christa se sentit dégonfler comme un ballon. Elle avait voulu lui remonter le moral, alors pourquoi est ce qu'il avait l'air d'un animal pourchassé ?! Elle serra les poings et contint son expression. Le masque, elle devait garder le masque.
-Ça ne te plaît pas ? »
Il secoua la tête doucement. Un fin sourire étirait ses lèvres, mais pas un sourire de joie, un sourire de détermination, de volonté. Elle l'avait déjà peint plusieurs fois sur son propre visage.
-Je te remercie, Christa, c'est un très beau cadeau. » annonça-t-il en l'enfilant méticuleusement.
Elle hocha la tête, incapable de répondre. Le silence se serait étendu si Erwin n'était pas monté à son tour.
-Oh, je vois qu'il est temps pour les festivités.
-Vous en voulez ? » proposa aussitôt Christa en direction du gâteau, et remerciant tous les dieux pour la stabilité de sa voix.
Erwin répondit en hochant la tête et en s'asseyant avec eux. Ils commencèrent à discuter brièvement du programme des jeux, qui serait peut-être affecté par le temps, et Christa participait, mais son esprit n'y était pas. Le petit bourgeon avait fané.
J-14
… ( ) …
Bertholt a un google trad Annie et un google trad Pixis intégrés
