Moi, j'appelle pas ça vivre.
OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance =
- 2chijou -
- Yamanaiame -
- 2 Volt -
- Ymniam – Mkorch
… ( ) ...
Le bruit d'un roulement clair et juteux accompagna la dégustation d'Ymir et lui donna un nouvel élan de satisfaction. Avec sa démarche nonchalante, rapide et assurée, ses grandes enjambées et la pomme qu'elle croquait à pleines dents, elle se doutait qu'elle avait de l'allure. Elle bomba un peu plus sa poitrine, tête haute. La fraîcheur sucrée, avec une pointe d'acidité, ruissela jusqu'au fond de son gosier. Elle se sentait presque pousser des ailes.
La jeune femme toisait les chênes et les pins alentours, les bancs se figeaient sur son passage, les fleurs se cachaient derrière les troncs d'arbre. Il faisait chaud mais un vent frais et suffisamment fort œuvrait de concert avec le fruit qu'elle dévorait pour veiller à ce qu'elle ne fonde pas. C'était un super temps pour se dégourdir les gambettes, sans se prendre la tête à réfléchir au sens de la guerre, de la justice ou de la vie.
Tom, comme à son habitude, préférait glander dans sa chambre durant son temps libre. Il devait passer plusieurs heures à se tourner les pouces, et soliloquer dans son ciboulot, déjà si creux, sur à quel point il flippait. À moins qu'il ne soit pas même conscient que de maigres -très très maigres- chances étaient de son côté. En tout cas, Ymir, elle, aimait les choses simples. Elle ne se préoccupait jamais trop de ce qui pouvait bien passer par la tête de Tom, et elle appréciait une bonne balade pour activer ses pattes.
Habituée depuis sa plus tendre et agitée enfance à arpenter, serpenter des surfaces, des ruelles sur plusieurs kilomètres, elle trouvait ça bizarre de ne pas faire au moins une course haletante ou une longue promenade quotidienne.
Le chemin qu'elle empruntait l'amena sur une butte et la sensation de hauteur l'engaillardit. Elle jeta le trognon en l'air, par-dessus son épaule, sans regarder où elle l'envoyait. Elle ne faisait que renvoyer à la terre, ce qui appartenait à la terre. À peine eut-elle le temps de mettre les mains dans ses poches qu'un « Aïïe ! » retentissant la stoppa.
Intriguée, elle pivota la tête en direction du son et s'aperçut qu'en contrebas, sur l'herbe, toute une tripotée de tributs se remplissaient la panse. Il y en avait cinq et elle ne se rappelait que du nom de Sasha. Elle était accompagnée des deux inséparables, du nabot au crâne rasé et du type aux rouflaquettes pathétiques. Et c'était lui qui s'était pris le projectile. Ou alors il aimait juste se frotter vigoureusement le crâne, auquel cas Ymir pouvait comprendre que tout un chacun avait ses petits plaisirs dans la vie, elle ne jugerait pas.
Elle allait lever la main en guise d'excuse, mais les bras de Sasha furent plus rapides qu'elle. L'excitée de service lui faisait de grands gestes, comme si elle traçait des ronds dans l'air avec ses bras, fléchissant les genoux en cadence. Ou bien elle prenait Ymir pour une bigleuse, ou bien elle cherchait à s'envoler.
-Hééé, Ymir ! Tu veux venir !? »
L'intéressée scanna la nappe de leur pique-nique champêtre de plusieurs coups d'œil vifs. Il devait y avoir de quoi nourrir tout un régiment et le souvenir des mets du goûter d'anniversaire de Sasha lui mit l'eau à la bouche. Elle se lécha les babines et sortit du sentier pour dévaler la butte en quelques foulées et rejoindre la petite bande sur le gazon.
Ce n'était même pas la peine de songer à l'éventualité d'un piège qu'on lui tendait, les cinq abrutis avaient juste l'air ravis de la voir. Ça ne la dérangeait pas de passer du temps avec ses futurs victimes. Ymir aimait les choses simples. Tant qu'il y avait de quoi se sustenter, elle était toujours de la partie !
« Rouflaquettes » se rapprocha de la petite rousse à tâches de son pour laisser de la place à Ymir. Elle s'assit donc en tailleur entre lui et le petit chauve. La rousse et le grand chauve baissèrent les yeux, intimidés par son arrivée. Sasha lui faisait toujours des signes enthousiastes de la main, le petit chauve fit de même pour la saluer. Quant au blond à rouflaquettes, il avait l'air encore un peu réticent. Ymir comprit donc qu'il était le plus sensé du troupeau.
Curieuse du nombre de cellules grises qu'ils pouvaient comptabiliser à eux cinq, elle se décida à leur poser LA question décisive, qui déterminerait l'ambiance des heures à suivre :
-Et sinon, pourquoi vous vous organisez un pique-nique alors qu'on s'entre-tue dans dix jours ? lança-t-elle dans un accent naïf.
-Ah, mais c'est parce qu'on a prévu de s'allier, voilà tout ! On s'est dit que c'était plus pratique si on sympathisait à fond dès maintenant ! » répondit Sasha du tac au tac.
Ymir comprima un gloussement : il n'y avait pas beaucoup de cellules grises par ici. Mais c'était ça ou une ambiance pourrie tout le reste du repas. Et la jeune femme avait sa préférence. Elle se réjouit, convaincue qu'elle allait passer un bon moment.
La petite rousse lui tendit un sandwich triangle à peine plus large que la paume de sa main, mais qui avait l'air garni à souhait. Ymir en prit une bouchée vorace. Salade, poulet, crudités, mayonnaise : un sourire lui vînt aux lèvres.
-Eh, dis donc, ta pote est pas là aujourd'hui ? » demanda-t-elle au petit chauve en lui donnant un coup de coude, la bouche encore pleine.
Il eut un temps d'absence. Il ne devait pas bien comprendre de qui Ymir pouvait parler. Une fois que la lumière s'était allumée à tous les étages, ses yeux s'écarquillèrent et il s'empressa de répondre :
-Tu veux parler de Laura ? Non, elle est pas là. En fait, on s'entend pas super bien... donc je préfère pas aller plus loin avec elle, pour éviter que ça dégénère, et plutôt m'allier avec de meilleurs potes ! »
Son regard s'était teinté d'une petite mélancolie qui lui allait très mal. Sasha devait être du même avis qu'Ymir, car elle déposa une main réconfortante sur l'épaule du petit chauve. Les mirettes du nabot retrouvèrent alors leur éclat ahuri si caractéristique !
-Mais vous en faîtes pas ! Gelgar m'a dit que ça arrivait que deux candidats du même district ne s'allient pas pour le premier tour !
-Il a bien raison, ton Gelgar, acquiesça Ymir en se léchant les doigts. Y a qu'à voir l'autre inutile que je me coltine !
-Hé, vous deux là ! Nan, mais vous le dîtes si on vous dérange ! cria le petit chauve vers les deux inséparables qui roucoulaient dans leur coin, avant de se retourner vers Ymir pour reprendre leur conversation.
-Eh, dis Conny, tu sais ce que c'est là-bas ? » s'enquit Sasha auprès du nabot, (c'était à croire que personne dans ce groupe ne pouvait mener une conversation tranquille !) son doigt pointait derrière Ymir.
Distrait par la question, Conny tourna la tête dans la direction que lui indiquait son amie. Aussi vive que l'éclair, Sasha baissa son doigt, subtilisa le reste de sandwich de Conny et le plaça à l'abri dans sa gueule. Le précieux bien était gardé à double tour dans son coffre-fort buccal. Le visage de Conny s'inclina vers ses mains vides, puis pivota vers Sasha, et se décomposa.
Le petit chauve s'apprêtait à sauter sur la voleuse pour lui faire payer, mais le grand chauve, lui, s'extirpa de la bulle mièvre qu'il occupait avec la petite rousse, et retînt Conny. « Rouflaquettes » se leva pour attraper Sasha par la peau du cou et la traîner jusqu'à une nouvelle place où il pourrait la surveiller. L'excitée de service, encore en train de mâcher, se retrouva entre la petite rousse et le blond aux rouflaquettes.
-Hannah, tu veux bien m'aider à la surveiller ? Elle vient d'avoir seize ans et elle est pire qu'un gosse ! râla « Rouflaquettes ».
-Oui, oui, bien sûr, bien sûr, acquiesça frénétiquement Hannah. Mais tu sais, Conny, il n'y a rien entre Franz et moi, hein ?
-Oh oui, rien du tout ! souligna Franz alors qu'il tenait toujours les épaules de Conny.
-Sasha ! Espèce de faux frère ! » hurla Conny en se débattant.
« Rouflaquettes » lâcha un long soupir et Ymir se tordait de rire. Il n'y avait pas une once de paix entre ces cinq là et c'était un régal de les observer ! Plus que de manger avec eux ! Passer une heure avec la fine équipe allait sûrement donner à Ymir tout l'apport quotidien en calories dont elle avait besoin !
Franz tendit le reste de son sandwich à Conny, ce qui calma le nabot.
-Merci, mec, mais fallait pas…
-Je t'en prie, c'est normal. Je suis un grand-frère : je suis habitué à donner un peu de ma part pour être certain que les plus jeunes remplissent bien leurs estomacs, c'est tout ! se justifia le grand chauve en se frottant la nuque.
-Tu es vraiment très altruiste, Franz, remarqua Hannah dont les yeux vomissaient des étoiles et des arcs-en-ciel. Mais tu devais t'affamer pour eux, non ?
-Non, ne t'inquiète pas, ça allait, sincèrement…
-Booarf, je te comprends pas ! Moi aussi, je suis le grand-frère mais, moi, je faisais gaffe à pas prendre en pitié mon p'tit frère et ma p'tite sœur ! Ils m'auraient marché dessus, sinon ! rétorqua Conny en finissant de mâcher le sandwich.
-Conny, c'est pas cool, ça… le réprimanda « Rouflaquettes », qui devait décidément être la « caution sanité d'esprit » de la bande.
-Je suis plutôt d'accord avec le p'tit chauve, moi. » déclara Ymir.
Conny porta la main à son crâne, plissa les yeux et le nez à l'appellation « p'tit chauve » et Ymir reprit :
-Il faut être au top de sa forme si on veut pouvoir aider quelqu'un, et pas trop sacrifier pour les autres. Si on apprend pas à mesurer ce qu'on donne, on finit par se dégoûter du simple fait de dépanner jusqu'à ne plus jamais aider personne… Ou pire : on s'enferme dans la dévotion aveugle et on se perd soi-même de vue. »
Un ange passa. Un ange glacé, en tout cas. Pas peu fière de son effet, Ymir se cala quelques chips sous les dents. Elle s'impatientait de voir jusqu'où l'insouciance de ce petit groupe s'étendait.
Les muscles de Hannah se raidirent et, écarlate et tremblante, elle affronta le regard de la jeune femme.
-Qu'est-ce qui te fait dire ça, Ymir ? lui demanda-t-elle.
-Je squattais un quartier du District Six où il y avait plein d'orphelins. On s'entraidait mais ça restait du chacun pour soi.
-Oh, tu venais donc d'un milieu plus défavorisé encore que Franz ! C'est beau de ta part d'avoir veillé un minimum au bien-être d'enfants comme toi, je trouve… »
Franz hocha la tête à ces paroles, ce qui donna à Hannah le courage d'achever sa tirade :
-Je n'ai jamais eu droit à la protection de mon grand-frère, il ne se préoccupait que de lui-même. Je viens d'un quartier assez rude du District Onze aussi… enfin, rien comparé à toi et Franz, c'est certain ! Je sais ce que ça fait de ne pas être aidée, et c'est comme ça que j'ai développé beaucoup de respect pour ceux qui aident les plus faibles du mieux qu'ils peuvent. »
Elle se tourna vers Franz, qui lui décocha un sourire tendre. Ymir allait retenir un bâillement, quand un braillement perça son oreille droite :
-Moi, je suis fille unique, donc j'ai pas de soucis à me faire là-dessus ! » déclara Sasha en levant la main alors qu'elle était déjà en train de prendre la parole.
« Rouflaquettes » gloussa et Hannah lança un regard gratifiant à Sasha : son intervention avait achevé la discussion. Ymir ne savait même pas si l'excitée de service avait calculé son coup afin de chasser la lourdeur qui s'était installée dans l'air ou si elle était juste aussi fofolle que prévu.
-Sur ces entrefaites, passons au dessert, mes frères ! tonitrua-t-elle.
-Je suis plus ton frère, Sasha… grommela Conny, toujours un peu vexé.
-Oh ! Mais grave erreur, mon cher ! Puisque nous ne sommes plus frères, tu ne vois pas d'inconvénients à ce que je révèle quelques anecdotes compromettantes à ton sujet… persifla Sasha.
-Quoi ? T'oserais pas ! C'était censé être classé secret-défense !
-Mwihihihihi… ricana-t-elle en se frottant les mains.
-Okay, je te file ma part de cake si tu dis rien…
-Vendu ! »
« Rouflaquettes » secoua la tête, consterné, mais un sourire aux lèvres, pendant que Hannah coupait les parts de cake à la cerise. Le gâteau avait été préparé par les deux tributs du District Onze, ils en avaient déjà fait pour l'anniversaire de Sasha. Mordant dans sa part, Ymir se demandait si ces deux là n'avaient rien de mieux à faire de leur journée au campus militaire des tributs que de cuisiner des gâteaux. Leur mentor ne devait pas être bien performante !
Ymir se rappela alors que Nanaba tenait en haute estime la mentor rousse du District Onze. Son instructrice devait avoir ses raisons et Ymir décida de faire confiance au jugement de Nanaba. Elle garda donc son commentaire pour elle.
L'éclair fit son grand retour et une main fila à toute allure vers sa part de cake ! Ymir fit glisser le gâteau le long de son poignet et l'aliment vînt s'abriter dans sa manche. La poigne de Sasha se referma sur du vide. Ymir lui lança un regard tranchant. Sasha la scrutait, bouche bée, hébétée, émerveillée même.
-Ohooooooh ! Montre-moi comment tu fais !
-Non, répliqua Ymir, savourant bien plus le respect que Sasha lui portait désormais que le goût du gâteau encore dans son palais.
-Aw, mais pourquoi ?
-Sashaaa, laisse Ymir tranquille, d'accord ? lui intima le blond aux rouflaquettes en la tirant en arrière par le col de sa chemise.
-D'ailleurs, Ymir, je me posais la question : avec qui comptes-tu t'allier ? l'interrogea Franz.
-Personne ! Je vais la jouer solo. J'étais venue vers vous parce que vous m'aviez invitée et qu'il y avait à bouffer. »
Franz lui sourit, Hannah gloussa et Conny croisa les bras, la tête baissée avant de déclarer d'un ton solennel :
-La franchise et la gourmandise : de vraies valeurs ! »
Même la « caution sanité d'esprit » pouffa à la remarque de Conny.
Ils acceptaient qu'elle ne s'allie pas à eux ? Comme ça ? Alors qu'elle affirmait ainsi qu'elle serait leur ennemie ? L'air autour de cette bande de joyeux lurons semblait immunisé contre la tension des jeux. Comme si un contre-vent soufflait et envoyait la puanteur morbide des meurtres et du combat pour la survie intoxiquer d'autres parages.
Ymir prit une grande inspiration afin qu'un peu plus d'air circule dans ses narines. Elle laissa la part de cake retomber dans sa paume pour revenir mordre dedans. Ça lui ferait de la peine d'avoir à les achever d'ici dix jours, ceux-là.
…
S'il fermait les yeux et se concentrait un peu, Reiner aurait pu se transporter très loin de là où il était. S'il fermait les yeux, il n'entendait que les bruits de pas, froissements de vêtements et grognement d'effort en face de lui, et il pouvait prétendre qu'il s'agissait de ses compagnons d'entraînement au stade du District Un. S'il fermait les yeux, il pouvait prétendre que le sifflement de la brise n'était pas plus fort parce que les hauts bâtiments n'étaient pas là pour l'entraver, mais parce que c'était un jour particulièrement venteux. S'il fermait les yeux, il pouvait prétendre que la respiration sur le banc à côté de lui était celle d'un des rares qu'il pouvait appeler ''ami''.
L'illusion de dura pas. Tout d'abord parce que la respiration était un chouïa plus haute par rapport à son oreille, un peu plus rapide, et accompagnée d'un peu plus d'agitation.
Et ensuite parce que Eren se mit à beugler à plein poumons au moment où il chargeait sur Annie.
-YAAH ! »
Reiner ouvrit les yeux juste à temps pour le voir bondir sur la jeune fille et esquiver le poing qui était censé le cueillir au creux du ventre, et se laisser tomber de tout son poids sur le genoux d'Annie, qui esquiva de justesse et réussit cette fois à lui envoyer un coude dans les côtes. Eren grogna et recula, mais ne s'effondra pas.
-Eren s'améliore. » chuchota la voix à côté de lui.
Reiner était toujours impressionné par cette voix si grave, qui pouvait probablement porter aussi loin que la sienne, mais sur laquelle Bertholt avait un contrôle ferme qui n'égalait que sa douceur.
-Ça se voit, Annie s'amuse beaucoup à travailler avec lui maintenant. »
Les iris de Reiner se focalisèrent sur le visage d'Annie. Inexpressive, comme d'habitude. Mais maintenant, l'inexpressivité était un tout nouveau concept pour lui. Il commençait à voir qu'elle avait les yeux plus ouverts, les commissures moins basses, ce genre de chose. Il ne reconnaissait pas encore ces signes pour ce qu'ils étaient, contrairement à Bertholt qui avait presque réussi à en faire une science, mais il commençait.
-Toi aussi, tu t'améliores. »
Par réflexe plus qu'autre chose, il avait gardé la voix basse et chuchoter à son tour. Bien qu'il ait l'impression qu'il ne parviendrait jamais à atteindre le même degré de douceur que Bertholt.
Et juste après l'avoir dit, il réalisait à quel point c'était vrai. Ils avaient tous progressé. Eren était plus agile, moins tête brûlée, plus observateur. Il leur avait parlé une fois d'une histoire de ''périmètre visuel'', et Reiner se demandait s'il n'était pas le seul à avoir à peu près compris les explications chaotiques du jeune garçon, mais en tout cas, ça lui servait. Les progrès d'Annie étaient moins visibles car elle avait moins de marge, mais elle était quand même encore plus agile, et un peu plus vicieuse.
Mais ça ne se voyait pas que dans leur façon de combattre. Bertholt avait de meilleurs appuis et devenait plus rapide, certes, mais sa respiration de tous les jours semblait aussi être plus calme qu'avant. Il se dandinait moins sur ses pieds, aussi. Reiner avait constaté ses propres progrès en détail également, et il était satisfait du résultat. Il ne manqua pas de le faire savoir au grand brun à sa droite.
-Tu es plus sûr de toi, le félicita-t-il avec un sourire.
-Comment ça ? s'enquit Bertholt avec curiosité.
-Tu tiens sur tes deux jambes, pour commencer.
-Hey ! »
Reiner éclata de rire, et encaissa le léger coup de poing que Bertholt lui asséna sur le bras.
-Je plaisante, mais pas tant que ça, enchaîna-t-il en se tournant pour regarder le jeune homme dans les yeux. Tu es plus stable mais aussi plus souple sur tes jambes, ça te donne encore plus de mobilité. »
Bertholt rosit brièvement, avant de rétorquer, les yeux brillants :
-Toi aussi, tu sais. Avant, tu étais cette énorme montagne de muscle qui refuse de bouger. Mais maintenant tu penses beaucoup plus à vriller tes hanches et tes épaules pour rester en mouvement. »
Reiner hocha la tête. Il l'avait déjà remarqué, et ça lui faisait plaisir de voir que c'était également visible pour d'autres. Bien que ce ne soit pas très spécial venant de Bertholt. Le jeune homme était particulièrement observateur et avait toujours des choses à dire sur lui, donc il devait passer son temps à observer tout le monde et repérer beaucoup de chose, non ?
-On s'améliore tous, dit-il encore. C'est une bonne nouvelle.
-Mmh. »
Le murmure d'approbation de Bertholt incita Reiner à tourner la tête vers lui. Un petit sourire traînait sur ses lèvres, un petit sourire de fierté, de contentement.
C'était véritablement une bonne nouvelle. Les progrès de son entraînement permettait à Reiner de combattre cette impression de stagnation, voire de régression, qu'il éprouvait en la présence de Christa. Il posa la main sur son nouveau bracelet, non pas pour le cacher, mais pour en ressentir le cuir et en réimprimer la réalité.
Le jour de son anniversaire, elle avait été adorable. Elle avait fait l'effort de recréer un petit moment de leur enfance, de recréer un espace du temps où tout allait bien. Elle lui avait offert tant de sollicitude, de bienveillance, tant de confiance... Il s'était demandé s'il était véritablement digne d'elle, digne de se tenir à ses côtés, s'il était vraiment capable de la protéger, de protéger toute cette confiance, de lui permettre de s'épanouir.
Il en avait douté. Il avait douté de sa capacité à la protéger, et c'était impardonnable. Il devait être certain. Il devait être inébranlable. Sans le savoir, Christa lui avait posé cet ultimatum, comme si elle pointait du doigt un contrat entre eux dont toutes les conditions n'étaient pas remplies. Il s'était entraîné encore plus, d'arrache-pied, et il pouvait voir que ses efforts avaient payé. Il remplissait les conditions. Du moins, il le pensait. Il avait encore du travail avant d'atteindre le niveau de certitude qu'il désirait, mais il y arriverait.
Il rouvrit les yeux qu'il avait à nouveau fermés. Ce n'était pas de vagues souvenirs de ses camarades du District Un qui allaient l'aider. Ce n'était pas un passé étouffé. C'était Bertholt, Annie et Eren, c'était les séances d'entraînement au combat, c'était les séances de tridimensionnalité, c'était les astuces de survie qu'ils échangeaient parfois. Ce n'était pas le désir de s'améliorer toujours plus pour éviter les remontrances et la concurrence, c'était le désir de s'améliorer pour soi et pour Christa, et pour la fierté qu'il lisait actuellement dans les yeux de Bertholt, et la joie de s'entraîner en compagnie de gens qui le comprenaient.
Il préférait largement la joie et la paix des quelques jours d'entraînement avant les jeux à toute une vie d'effort et de lutte pour satisfaire son père et celui de Christa.
…
Eren manqua de s'étouffer alors que son dos retombait lourdement sur le sol. Pendant un battement de cœur, c'était comme si tous ses organes jouaient à la chaise musicale et qu'un des poumons avait été éliminé et cherchait à sortir pour laisser de l'espace aux autres encore en lice. Eren déglutit afin de le remettre à sa place. Son remue-ménage intérieur prit fin juste après, et il se redressa.
Les mains sur les hanches, appuyée sur la jambe droite, Annie l'attendait, le fixait de ce même regard neutre. Pourtant, Eren nota que sa position était pour le moins détendue : la satisfaction de l'avoir rétamé une énième fois ? La martialiste n'était pas du genre sadique. Par contre, elle était du genre à tourner les talons à l'instant où il s'était suffisamment approché d'elle pour lancer la conversation, l'obligeant ainsi à adresser la parole au dos de la jeune fille !
Eren grommela en suivant Annie. Non pas qu'il ait eu quelque chose à lui dire en particulier, il avait juste l'impression d'être parfois traité comme un larbin inutile. Déjà qu'il était le plus mauvais d'eux quatre en combat, si Annie se mettait à régulièrement manquer de l'ignorer, il s'énerverait pour de vrai !
Mais il était le moins bon des quatre : s'il s'énervait, il n'aurait aucune chance en les affrontant à mains nues. Et ces andouilles commençaient même à rattraper son niveau en tridimensionnalité ! S'ils prenaient conscience de l'inutilité d'Eren, le jeune homme ne saurait plus quoi faire.
Voir Annie s'asseoir avec discrétion dans une nonchalance élégante, à la manière d'un chat, à côté de Bertholt, sur le banc où son partenaire et Reiner avaient pris une pause, coupa net le fil de ses pensées. Reiner salua Eren d'un large hochement de tête à l'arrivée du tribut. Bertholt, lui, pencha le menton de quelques millimètres. Eren leur rendit leur salut en agitant la main avec empressement, avant de s'emparer d'une bouteille d'eau pour étancher sa soif.
La fraîcheur de l'eau fourmilla en lui : il allait lui falloir une pause, le remue-ménage n'avait pas encore pris fin. Et, de toute façon, personne ne semblait en état de l'affronter. Annie gardait sa bouteille à la bouche mais ne buvait plus dedans, Bertholt regardait ses pieds et Reiner se passait la main dans les cheveux. Ils étaient tous les trois scotchés au banc comme s'il s'agissait de leur lit et qu'il était cinq heures du matin. Eren ne voulait pas faire de généralités - et les trois tributs lui avaient prouvé leur force et leur sérieux à maintes reprises – mais là, ils l'amenaient à constater que les Districts Un et Deux se la coulaient décidément plus douce qu'au District Douze.
Il planta ses pieds dans le sol et décida de les attendre, debout. S'il s'asseyait, il risquait de tomber dans la même torpeur pensive qu'eux. Cependant, il avait cru voir Bertholt et Reiner discuter en s'approchant. S'ils étaient pensifs, ils l'étaient de vive voix, et les lancer sur une discussion réfléchie pourrait peut-être les motiver à reprendre l'entraînement plus vite ! Ça valait le coup d'essayer ! Eren pouvait au moins tenter d'être la « caution-motivation » du groupe !
-Et sinon, de quoi vous parliez ? lança-t-il en tirant son talon vers son fessier.
-De tes progrès. » rétorqua Reiner du tac-au-tac.
Eren laissa son pied retomber avec précipitation au sol. Il manqua de chanceler mais retrouva vite son équilibre. Être le plus mauvais ne l'empêchait pas de faire des progrès ! Et si Reiner et Bertholt prenaient la peine de noter ses efforts, alors ils ne le trouvaient peut-être pas aussi inutile qu'Eren le pensait ! À nouveau, Eren empoigna sa cheville et reprit ses étirements.
-Oh ça… C'est parce que j'ai de bons entraîneurs, fit-il avec un clin d'oeil en maudissant ses joues qu'il sentait bouillir.
-T'es un bon entraîneur de tridimensionnalité, toi aussi. » répliqua Reiner.
Eren le dévisagea. Désemparé devant le sourire complice du tas de muscles, il opta finalement pour l'étirement de son autre jambe et se réjouit d'avoir trouvé quelque chose à faire. Ainsi, il parvînt à scanner les réactions des deux autres. Bertholt aussi le regardait et lui souriait, plus timide. Quant à Annie, il venait de la voir lever les yeux au ciel avant de reporter sa bouteille (quasiment vide) à la bouche. Eren était un peu trop loin pour en être certain, mais il aurait juré que les coins de ses lèvres étaient un peu relevées. Et elle n'avait pas encore mis sa capuche sur la tête. Traduction : la présence d'Eren et de Reiner ne l'agaçait pas encore. Elle devait donc cautionner ce que Reiner disait !
-Boarf, Pixis et Erwin me prémâchent le boulot en 3D… vu comment vous avez progressé super vite, j'veux dire ! »
Eren reposa son autre talon à terre et se sentit presser de poursuivre maintenant que les trois autres avaient verrouillé leurs regards sur lui. Le fourmillement dans son corps ne s'était pas amoindri donc il tendit un bras vers le haut, s'agrippant le coude derrière la tête, pour continuer ses étirements du même coup.
-Enfin… Bertholt se sert mieux du gaz… Annie a amélioré ses capacités d'anticipation. Et, Reiner, tes mouvements sont bien plus souples qu'avant ! »
Lorsque Christa n'était pas dans les parages, Reiner avait toujours l'air plus détendu. Même si le sérieux du grand blond ajoutait toujours un soupçon de crispation, très souvent involontaire, à ses attitudes les plus désinvoltes. Mais, pendant un court instant, Eren était certain de ne jamais l'avoir vu aussi soulagé, serein, apaisé. Pendant un court instant. Prestement, la rigueur reprit ses droits sur Reiner. Cependant, le tas de muscles gardait son expression complice.
Le favori du Capitole appréciait leurs entraînements quotidiens, mais il était clair qu'il appréciait encore plus de savoir qu'il rattrapait son retard sur les autres en tridimensionnalité. La vitesse avec laquelle il était parvenu à ce résultat n'étonnait même pas Eren. Reiner était quand même le favori ! De plus, il s'était porté volontaire pour les jeux, et il était communément établi que les tributs volontaires faisaient preuve d'une redoutable rage de vaincre ! Bien entendu, Reiner s'était servi de la sienne comme combustible et le feu de ses progrès avait vite pris. D'eux quatre, il ne tarderait pas à être le plus imposant. Pas seulement grâce à sa carrure, mais aussi grâce à sa polyvalence dans divers domaines, où il dépassait le simple niveau d'amateur.
Eren se demanda alors s'il profitait pleinement de cette rage de vaincre des volontaires. Lui, Reiner et Mikasa étaient les seuls concernés de la 104e et Mikasa, à l'instar de Reiner, bénéficiait d'un grand soutien du Capitole. Eren, quant à lui, ne s'était pas illustré comme un favori et il s'était fait à l'idée qu'il était probablement trop tard pour changer ça, près de dix jours avant le début des jeux.
Pourtant il l'avait en lui, cette rage ! Une rage protectrice qui l'avait poussé à se présenter pour sauver Armin ! Comme Mikasa pour lui, et Reiner pour Christa. Une envie de se débattre, de tout faire pour survivre aux jeux ! Elle le louait juste moins que celles des deux autres favoris. Jusque-là, il s'en était servi pour gagner le respect de Mike et progresser en tridimensionnalité. Cependant, tout portait à croire qu'il ne savait pas encore comment l'utiliser au meilleur escient. Sinon, il se serait plus distingué aux yeux du Capitole et des sponsors, il aurait été plus que « la tête brûlée déterminée » qu'on affectionnait sans pour autant la respecter. Il lui manquait quelque chose.
-Avec des observations pareilles sur chacun de nous, je pense que tu peux te considérer comme un prof plutôt potable… »
Le commentaire amusé de Reiner l'arracha à ses pensées d'un coup sec. Eren manqua même de sursauter ! Il relâcha son coude avec un peu trop d'empressement (et espéra que cela ne trahirait pas sa surprise) pour ramener ses bras le long du corps.
-Ouais, enfin si on compte pas le fait que vous allez bientôt devenir plus fort que moi en 3D… ronchonna-t-il malgré tous ses efforts pour éviter de lâcher le moindre râle.
-Héhé, mais tu sais que l'élève finit toujours par dépasser le maître, fit Reiner d'un ton sentencieux en croisant les bras. C'est dans l'ordre des choses.
-Pff, arrête de me charrier ! »
Reiner se joignit au ricanement d'Eren. Bertholt, qui gloussait doucement lui aussi, se pencha en avant et prit la parole :
- De toute façon, Eren, on sera jamais vraiment au dessus de toi en tridimensionnalité, car tu as un avantage considérable sur nous tous avec Mike comme mentor. »
Eren inclina la tête sur le côté, ce qui conduit Bertholt à préciser :
-Aussi remarquables soient-ils en stratégie ou… enfin dans leurs domaines respectifs, ils ne seront jamais de la trempe de Mike en tridimensionnalité. Tu as beau nous entraîner jusqu'à ton niveau, il n'y a que toi qui profite directement des cours privés d'un tel massacreur de Titans ! »
Les prunelles du grand brun brillaient d'admiration, tandis qu'Eren invoquait devant ses yeux le voile le plus teinté par l'indifférence qu'il avait en stock. Ses lèvres le brûlaient de demander à Bertholt ce qu'il entendait par « massacreur de Titans », mais il tint bon. Il avait déjà assez misé sur la réputation de Mike comme ça ! S'il continuait, il s'enfoncerait jusqu'à ce que les autres s'aperçoivent qu'Eren était en réalité le moins renseigné d'eux quatre sur les leçons qu'on pouvait tirer du vétéran !
Il se maudissait de ne pas avoir chercher à mieux connaître son mentor auparavant. C'était risqué pour lui de continuer à tâtonner dans l'ignorance quand « Bibliotholt » était là, avec toutes ses connaissances sur les moindres archives ! Et surtout, Eren sentait la curiosité le piquer, le démanger de l'intérieur. Sa relation avec Mike s'améliorait de jour en jour maintenant qu'eux deux se respectaient. Eren accordait beaucoup de valeur à ses cours de tridimensionnalité : Mike était parvenu à le faire progresser très rapidement, après tout ! Malgré le tempérament colérique du jeune homme, il avait été patient, Eren l'admettait.
Il n'y avait pas trop songé durant les derniers jours, mais les mots « massacreur de Titans » achevèrent de lui faire remarquer qu'il admirait de plus en plus Mike. Et maintenant, il frétillait de savoir tout ce que Bertholt pouvait bien entendre par là. Tout ce qu'il ne savait pas, tout ce à quoi il n'osait même pas songé. Il brûlait de savoir, de comprendre, de s'étonner, de s'extasier.
Et Bertholt lui tendait la perche ! Ce n'était pas la discrétion de Mike qui lui donnerait les infos qu'il convoitait. Ni même l'attitude impétueuse du jeune homme envers son mentor d'ailleurs.
-Mmh, c'est pas faux… Faut dire qu'il n'y a pas beaucoup de vétérans des jeux qui peuvent se targuer d'une victoire pareille ! » répondit Eren en croisant les bras, bombant le torse et en priant pour que Bertholt morde à l'hameçon.
Mais non. Il acquiesça juste. Tout simplement. Sans rien dire.
Eren délia ses bras et laissa ses épaules retomber. Il allait devoir revoir ses méthodes de pêche.
-De quel genre de victoire on parle, au juste ? » demanda Reiner.
Eren jeta son regard plein d'espoir et de gratitude sur le grand blond. Il se ravisa le plus tôt possible afin de ne pas griller sa couverture mais fut satisfait que son hameçon ait marché sur un autre poisson. Même Annie avait reposé sa bouteille d'eau. Mais ça ne servait à rien d'attendre après elle pour soutirer les informations de Bertholt.
Le grand brun lança un regard hésitant à Eren, puis tourna la tête vers Reiner, puis à nouveau vers Eren, clairement gêné. Le jeune homme secoua et agita la main.
-Vas-y, j'te laisse leur raconter. Tu fais ça mieux que moi de toute façon. » intima-t-il à Bertholt d'une voix calme.
Le regard du grand brun sembla se transporter instantanément dans un autre monde. Reiner se penchait sur son côté et Eren déglutit, les muscles déjà fatigués de simuler une expression neutre. Même Annie avait l'air intriguée !
« C'était incroyable. »
Le ton de Bertholt le surprit : il n'aurait pas cru que sa voix puisse être plus suave encore.
« Mike Zacharias s'était très vite illustré comme un surdoué en tridimensionnalité. »
Instinctivement, poussé par la brève pause de Bertholt qui commandait l'attention, Eren se pencha en avant pour mieux écouter.
« Et, comme il avait une maîtrise époustouflante de son environnement, il savait toujours quoi faire et sortait avec brio des situations les plus périlleuses. Les Titans tombaient comme des mouches autour de lui ! Il était vraiment redoutable. »
Sa voix traînante et maîtrisée donnait l'impression qu'il choisissait ses mots avec beaucoup de soin, puis les laissaient rouler hors de sa bouche comme les fils d'une tapisserie. Serrant les dents, Eren pressait sa respiration de ne pas s'affoler. Il allait finir par le percer à jour avec son enthousiasme contagieux ! Le jeune homme contînt un râle lorsque son cœur s'accorda au rythme de sa respiration et se mit à tambouriner dans sa cage thoracique. Il avait de la chance que le récit de Bertholt détourne l'attention des deux autres blonds de la fanfare qui se jouait dans sa poitrine. Qui eut cru que Bertholt était un aussi bon conteur ?
« Alors, bien entendu, les autres tributs se l'arrachaient. Mike était un très bon coéquipier en plus ! Avec sa nature discrète, il n'a jamais cherché à s'imposer comme chef dans aucune des alliances qu'il avait scellées. Il était juste très diligent et efficace. Et, lors d'une embuscade, toute son équipe a été décimée par des ennemis… sauf Mike ! Il était si puissant et essentiel face à la menace des Titans qu'on l'avait gardé en vie pour lui proposer une nouvelle alliance ! »
« C'est ainsi qu'il a survécu au fil des jours. Il acceptait ces nouveaux pactes sans broncher et continuait d'éliminer les Titans du périmètre. Puis, est arrivé ce qui devait arrivé… il a fini par ne rester plus que lui et un ultime tribut. »
Est-ce qu'Eren venait de voir les épaules d'Annie frissonner ?
« Mais, puisque les Titans ne représentaient aucun danger pour Mike, son adversaire s'est fait piégé très vite… avant même qu'ils aient le temps de s'affronter… les Titans eurent raison de son ennemi et Mike gagna les jeux. Tout simplement. Tout naturellement. »
Bertholt avait dû marquer un temps de pause, or Eren ne s'en rendait pas trop compte. Il était trop occupé à digérer toutes les informations. L'étude de la forêt… c'était pour ça ? L'importance du camouflage, de la discrétion avant de s'atteler au moindre rudiment de tridimensionnalité… c'était pour réussir à faire tout ça ? Il imaginait déjà un jeune Mike slalomer entre les Titans, s'adaptant à chaque délicate situation selon ce qui entrait dans son périmètre visuel. C'était comme si une petite boule de chaleur se nichait dans sa poitrine. Une petite boule qui grossissait à mesure qu'il prenait conscience de l'étendue de l'expertise, et de la célébrité, de son mentor. Et dire qu'il n'avait jamais soupçonné un tel niveau de renommée !
-Attends, Bertholt, si j'ai bien compris… il ne s'est chargé de rien d'autre que des Titans durant les jeux ? demanda Reiner, réfléchissant à voix haute, brisant le silence admiratif qui les avait tous enveloppés. Ça veut dire…
-Que Mike Zacharias a gagné les Hunger Games sans tuer le moindre humain, oui ! » acheva Bertholt pour lui.
Les paupières d'Annie s'entrouvrirent un peu plus, et quant à la petite boule de chaleur en Eren, elle éclata. Elle se déversa et il se retrouva submergé par une impétueuse vague. Une flamme qui parcourut tout son être avant de s'éteindre et de ne laisser derrière elle que les traces d'une tiédeur enivrante. Le jeune homme pinça ses lèvres. Il devait se contrôler. Il ramena ses mains à ses hanches et pouffa :
-Comme quoi, la tridimensionnalité, ça finit par payer aux Hunger Games ! »
Bertholt lui sourit et Reiner hocha la tête. La fanfare dans le cœur d'Eren peinait à se taire. Et maintenant, ses jambes le titillaient. Il avait hâte de reprendre l'entraînement pour défouler son excitation à travers plusieurs uppercuts.
-Dis donc, Eren, vu la trempe de ton mentor, t'as une sacrée longueur d'avance sur nous tous ! » nota Reiner.
Dire qu'il s'était plaint des entraînements de Mike, qu'il n'en avait pas pris la moitié sérieusement… quel avantage ça lui donnait, ça ? Il s'était encore comporté comme un gros nigaud, persuadé de tout mieux savoir que quiconque, quand c'était lui le plus ignorant. Il était censé devenir le tribut masculin du District Douze, pourtant il ne restait qu'un gamin ignare. Il l'avait été depuis le début.
Eren fixait toujours le vert de l'herbe. Puis il se rappela qu'il n'était pas seul et qu'on allait finir par lui demander ce qu'il fabriquait ou à quoi il songeait. Il releva la tête et croisa les regards soucieux de Reiner et Bertholt.
-Oui... »
Ce fut tout ce qu'il put marmonner pour sauver la face. À vrai dire, il n'avait plus envie d'essayer de faire semblant.
Par bonheur, les deux grands n'ajoutèrent rien d'autre. Eren en profita pour reprendre une gorgée d'eau. Bertholt porta un doigt à son menton, scannant les environs, tandis que Reiner regardait ses mains jointes et posées sur ses genoux.
-C'était pour ton anniversaire, ce bracelet ? » demanda Bertholt en pointant le poignet de son voisin du doigt.
Reiner tourna la tête vers Bertholt avant de reporter son attention sur le bracelet. Ce fut seulement là qu'Eren constata qu'il en portait bel et bien un. Le jeune homme n'avait jamais prêté attention à ce que Reiner portait : le tas de muscles aurait pu rétorquer qu'il avait ce bracelet en cuir noir depuis le début des entraînements, Eren l'aurait cru. Bertholt avait un sacré sens de l'observation pour remarquer ce genre de détails ! Le blond porta la main au bracelet et y exerça une brève pression, ferme.
-Oui. »
Le silence leur retomba dessus, comme si un imposant nuage gris s'était mis à voiler le soleil sans prévenir. La lueur des prunelles de Reiner était, elle aussi, voilée, son regard rivé sur son poignet. Bertholt se mit à regarder ses mains, le dos cambré. Annie demeurait de glace. L'inconfort rongeait Eren. S'il ne renchérissait rien, la discussion pourrait revenir à leur précédent sujet et le tribut voulait s'assurer qu'il était tiré d'affaire, qu'il n'avait pas à continuer de prétendre tout savoir sur Mike.
-Hein ?! C'était ton anniversaire, Reiner ? Mais quand ?! se força-t-il à s'étrangler.
-Il y a deux jours, répondit l'intéressé avec calme.
-Oh…, Eren se gratta l'arrière de la tête, désolé…
-Mais il y a pas de quoi. » le rassura Reiner en agitant la main.
Un soupir. Celui d'Annie.
Les trois garçons rivèrent leurs têtes vers l'extrémité gauche du banc où se tenait leur entraîneuse. La jeune fille se releva, mit les mains dans les poches du sweat blanc à capuche qu'elle portait toujours sous la veste de son uniforme, et toisa Eren.
-C'était pourtant pas compliqué d'y penser. On se voit tous les jours, en plus. » le réprimanda-t-elle d'un ton clair et quelque peu blasé.
Eren la considéra, bouche bée. Il écarquilla les yeux si fort qu'il se demanda s'ils n'allaient pas s'exorbiter. Mais la question qui lui brûlait le plus les lèvres, c'était bien : quelle mouche venait de piquer Annie ? D'où se permettait-elle de gronder Eren pour ça ? Depuis quand en avait-elle quelque chose à taper des anniversaires ? À moins que la jeune fille ne cherche, à sa manière, à chasser le nuage d'inconfort qui leur pesait dessus depuis plusieurs minutes désormais…
-Je suis touché, Annie, gloussa Reiner dans un accent malicieux. Mais ce qui m'aurait le plus touché, ç'aurait été que tu viennes me le souhaiter toi-même le Jour J, au lieu d'utiliser Bertholt comme messager… (Il lui décocha un clin d'oeil railleur.) À croire que s'il n'y avait pas pensé, tu ne l'aurais jamais su… »
Les lèvres pincées, entrelaçant ses doigts, Bertholt se retenait de rire tandis qu'Eren pivota la tête vers Annie. Les sourcils de la jeune fille étaient froncés, une moue contrariée se dessinait sur ses lèvres et elle ne put s'empêcher d'émettre un « Tch » entre ses dents. Eren re-pivota la tête vers Reiner : son sourire s'agrandissait.
Annie finit par faire volte-face et lança avec autorité :
-On reprend. Bertholt, tu affrontes Eren. (L'autorité de sa voix devint assassine.) Reiner… amène-toi.
-Avec plaisir. » répliqua le blond, amusé, en se levant du banc et en retroussant ses manches.
Par-dessus l'épaule, Eren les regarda s'éloigner de quelques mètres pour débuter leur combat. Quand il vit Bertholt se mettre en route à son tour, il emboîta le pas à son futur adversaire. L'ordre d'Annie avait allégé l'air autour d'eux et poursuivre l'entraînement allait faire un bien fou aux muscles raidis par la tension d'Eren. Pourtant, il ne parvenait pas à faire le vide dans son esprit pour se mesurer convenablement à Bertholt.
Il n'était pas seulement en train de saisir toutes les implications des révélations sur Mike, il songeait aussi à l'attitude de son mentor durant les jeux qu'il avait remportés. Mike avait, lui, orienté sa rage de vivre contre les Titans, pas contre les autres tributs, et ça ne lui avait pas coûté la victoire. C'était pourtant le but des jeux de les faire s'entre-tuer…
La balayette de Bertholt permit au dos d'Eren de retrouver une vieille connaissance : le sol. Et à faire un peu plus le vide dans son esprit.
… ( ) …
J-12
