Non, je vais tout dire, tout ce que je pense…
!TRIGGER WARNING : Pensées Suicidaires!
+ *Évocation d'Automutilation*
OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance :
- Aots2m #1 -
- So Ist Es Immer-
- Shingeki Pf – Adlib – C 20130218 Kyojin -
- Call Your Name Gv (Instrumental) -
- Eye Water -
- } } ← Titan -
… () …
L'adrénaline pulsait dans les veines d'Eren. Elle accélérait ses battements de cœur, raccourcissait sa respiration, tirait ses muscles, et rassemblait au creux de son plexus solaire un bassin de chaleur enthousiaste qui le poussait en avant. C'était une sensation de plus en plus familière qu'il commençait à apprécier malgré l'énergie qu'elle drainait de lui.
L'exercice que Mike leur avait donné était plus dur que jamais. Non seulement il servait de bilan pour tout ce qu'ils avaient appris auparavant, mais cette fois ils allaient devoir se battre contre lui. Mike l'avait pris entre quatre yeux pour lui expliquer que les dix derniers jours allaient servir à renforcer les domaines dans lesquels il était mauvais, et qu'ils allaient se concentrer exclusivement sur lui, car Mikasa était forte dans chaque domaine et n'avait plus vraiment besoin d'aide.
Eren avait apprécié qu'il lui annonce ainsi, de façon assez solennelle, mais il n'arrivait pas vraiment à comprendre pourquoi lui-même. Depuis les paroles de Bertholt et ses propres constatations, il se prenait à analyser le comportement de son instructeur et à y remarquer... une certaine gentillesse ?
Dans tous les cas, s'il avait été attentionné à ce moment, il était impitoyable à l'heure actuelle.
Eren sursauta et bondit de côté en entendant un craquement de branche sur sa droite, et il se mit à courir dans la direction opposée en priant pour qu'il ne s'agisse pas de son mentor. Il ne leur avait laissé que trois minutes pour s'enfuir. Machinalement, il passa la main sur sa hanche pour vérifier que le foulard rouge était toujours là. Il devait absolument le protéger, et si jamais il croisait Mike, lui voler le sien. Les instructions étaient simples, mais leur exécution autrement plus complexe.
Il manqua de tomber dans une petite crevasse et dut faire le tour pour l'esquiver. Est ce que Mike pourrait sauter par-dessus ? Probablement. Il avait décidé de courir le plus loin et le plus discrètement possible plutôt que de chercher une cachette. Il était pratiquement sûr que Mike était spécifiquement parti à sa poursuite, pour l'aider à s'améliorer.
Cette sensation faisait couler de la sueur froide dans sa nuque. Il était pris en chasse, il était la cible attitrée d'un adversaire plus fort que lui, qui pouvait certainement lui tordre le cou en trois mouvements. S'il laissait tourner son esprit un peu plus, il pouvait s'imaginer qu'il courrait pour sa vie.
C'était ça qu'il vivrait là-bas. Aux jeux. Des adversaires sur ses talons, peut-être d'anciens camarades d'entraînements, des Titans sur son chemin, la fatigue en perspective, l'impossibilité de savoir s'il vivrait un autre jour... Mike les entraînait bien.
Ses méninges turbinaient à toute vitesse dans le vide pour trouver une solution. L'affrontement avec Mike était inévitable et complètement à son désavantage. Il devait trouver un moyen de faire pencher la balance en sa faveur. Un espace de la forêt où il pouvait faire une embuscade ? Mike connaissait le terrain par cœur.
Soudainement, il réalisa qu'il n'y avait pas eu un signe de son mentor depuis quelques minutes. D'habitude, il le trouvait immédiatement. Est-ce que cela voulait dire qu'il en avait après Mikasa cette fois ?
À cette pensée, le sang d'Eren ne fit qu'un tour et il fit volte-face vers la direction générale où il estimait que sa partenaire était partie. Pendant un bref instant, il se maudit de ne pas avoir retenu aussi bien la carte des lieux, et se rappela que c'était probablement une des spécialités de Mike. Il courait peut-être à sa perte (en restant dans la mesure de l'exercice), mais il était hors de question qu'il laisse Mikasa toute seule.
Il se demanda si elle n'avait pas beaucoup plus de patience à son encontre qu'il ne croyait, car pendant tous leurs précédents exercices, elle s'était retenue de le rejoindre pour l'aider comme il le faisait maintenant. Puis il se rappela que sa partenaire et leur mentor avaient une certaine synergie incompréhensible entre eux, et qu'elle faisait confiance à Mike pour tout mettre en œuvre pour l'aider.
-Tch ! »
Tous les sens aux aguets, il ne mit pas très longtemps à percevoir des bruits de courses. Immédiatement, il ralentit subtilement son pas, juste assez pour se faire le plus discret possible, et se hissa à un arbre pour prendre de la hauteur.
Là ! Il pouvait voir la chevelure noire de Mikasa qui se faufilait entre des buissons pour échapper à la traque de Mike, qui courait quelques mètres plus loin. Il redescendit, le cœur tambourinant encore plus dans sa poitrine qu'auparavant. La sensation de voir sans être vu et de monter un plan pour piéger leur mentor était enivrante.
Il sauta à terre et chercha au sol une branche solide, la plus jeune possible pour éviter qu'elle ne s'effrite entre ses doigts. Maintenant, il avait deux options : attirer l'attention de Mikasa mais risquer de se faire repérer, ou essayer de deviner sa trajectoire et potentiellement manquer l'occasion d'interrompre la course poursuite.
Les yeux au sol, il fit un calcul rapide des risques, et opta pour la première option. Raffermant sa prise sur son arme de fortune, il se mit à siffler. Le chant d'oiseau était un peu rouillé, mais il devrait faire l'affaire. Armin était celui qui leur avait proposé ce jeu d'imitation, qui s'était rapidement transformé en code pour communiquer à distance. Le blond était bien meilleur qu'eux pour en retenir tous les aspects, mais au moins, il leur avait donné un parfait moyen de communiquer sans se faire prendre aux jeux.
Avec satisfaction, il entendit Mikasa changer de trajectoire et grimpa à nouveau vers les hauteurs, en prenant soin de poster la hanche qui portait le foulard hors de vue de Mike. Le rouge était trop facile à repérer. Il recommença son signal une dernière fois, puis se mit en position.
Il entendait les froissements de vêtements et les claquement mâts de bottes se rapprocher, et son cœur accélérait avec. Il s'efforça de ralentir sa respiration, et fut surpris dans le processus par Mikasa qui déboula juste en dessous de son poste dans une gerbe d'herbe et de bruit. Il manqua perdre l'équilibre et se rattrapa de justesse. Mike passa quelques instants plus tard, et Eren bondit.
Brandissant sa massue de fortune, il l'abattit en tombant de tout son poids et en retenant un cri de guerre. Mike le repéra juste avant et bondit sur le côté pour esquiver l'attaque, mais il perdit son équilibre et roula hors de portée. Eren atterrit et sauta sur ses pieds pour l'attaquer à nouveau, mais son mentor avait déjà eu le temps de se relever. Sa branche rencontra la résistance solide de sa poigne.
Pendant un éclair, il crut voir un sourire sur son visage, mais son corps enchaîna avant que son esprit ait eu le temps de l'arrêter. Il relâcha sa prise sur la massue et essaya de planter son coude dans le plexus de son instructeur. Mike dévia son attaque de son propre coude et le repoussa violemment. Avec un grondement de bête sauvage, Eren roula sur l'épaule et se releva en position accroupie.
Il comptait déjà ça comme une victoire. Mike qui le repoussait aussi vivement voulait dire qu'il n'était pas aussi solide sur ses appuis et qu'il avait ressenti le besoin de mettre de la distance pour ajuster. Maintenant, grâce aux entraînements d'Annie, il comprenait tous les bons réflexes qu'un combattant se devait d'adopter, et Mike les avait tous. Il devait le déséquilibrer.
Il se jeta en avant, en se maudissant d'avoir laisser Mike s'emparer de son arme. Il avait maintenant plus de distance, et Eren allait devoir compter entièrement sur ses réflexes s'il voulait s'en sortir sans casse. Mike abattit l'arme en visant ses côtes et s'écarta dans le même mouvement pour se retrouver dans l'angle mort du poing d'Eren. Ce dernier vrilla ses hanches pour frapper de son autre poing, mais Mike l'esquiva en le frôlant et saisit le coude d'Eren dans l'intention évidente de lui faire une clé de bras, lâchant la branche par la même occasion.
Eren se tendit immédiatement mais ne laissa pas la perspective l'entraver. Il souleva ses jambes et les enroula autour des côtes de son mentor, lançant de toute sa vigueur sa cheville droite pour qu'elle réussisse à s'enrouler autour de son cou. Accepte le mouvement, lui avait dit Annie, Accepte-le et modifie-le. Ton problème, c'est que t'es toujours dans l'opposition. Il n'allait rien opposer aujourd'hui, si ça lui permettait de vaincre Mike.
Mais le mentor gardait son menton soigneusement baissé et Eren se retrouva suspendu à son bras et son torse, incapable de faire le moindre mouvement pour se dégager. Il grogna et se débattit, mais Mike gardait une prise ferme sur lui.
Parfait. C'était exactement ce qu'il voulait.
-Mikasa ! »
À peine avait-il prononcé la première syllabe que la jeune fille surgissait derrière Mike en brandissant une autre branche, le regard entièrement focalisé sur sa cible : la gorge de Mike. Le mentor fit volte-face et para l'attaque de la jeune fille, plaçant dans le même temps Eren entre eux deux.
Eren refusait catégoriquement d'être une entrave à sa partenaire, et envoya son pied dans la tête de Mike de toutes ses forces. Avec un grognement de douleur, Mike saisit sa cheville de son autre main tout en reculant pour esquiver Mikasa qui reprenait un nouvel élan, et Eren sentit ses muscles se tendre sous l'effort.
Avec un cri de surprise, il se sentit arraché de sa prise. T'es toujours dans l'opposition. Au lieu de résister, il relâcha sa poigne plus vite, et vit la surprise dans la posture de son mentor qui partit légèrement en arrière. aHA ! Immédiatement pour ne pas perdre contre la gravité, il appuya ses pieds sur l'épaule de son mentor et pressa de toutes ses forces.
Alors qu'il s'enroulait sur lui-même pour atterrir au sol, il vit Mikasa foncer dans l'ouverture qu'il venait de lui offrir et frapper Mike en plein poitrail pour le faire définitivement tomber. Dans le même mouvement, elle saisit le foulard orange à sa ceinture et l'arracha sans cérémonie.
Pendant un instant, plus rien ne bougeait hormis leurs poitrails essoufflés. Puis une expiration amusée s'échappa de Mike qui se relevait et brisa l'attente des deux autres :
-Bien joué. »
Aussitôt, Eren bondit sur ses pieds dans un cri de joie alors qu'un large sourire illuminait le visage de Mikasa. Il lui sauta dans les bras et lui serra les épaules avec énergie avant de la relâcher et de se tourner vers leur mentor :
-C'est vrai ! On a réussi ?! »
Mike hocha la tête, un sourire de contentement sur les lèvres. Il croisa les bras, et Eren reconnut aussitôt la posture qu'il adoptait quand il s'apprêtait à faire un debriefing.
-Méthode très inconventionnelle, Eren. Ne fais pas ça pendant les jeux, tes adversaires auront très certainement des dagues sur eux.
-Je savais que vous n'en aviez pas, le coupa aussitôt Eren avec énergie, c'est pour ça que je me suis permis de le faire.
-Si tu es au courant, très bien. Bravo pour avoir eu l'idée de travailler ensemble. Je ne sais pas si c'était prévu à l'origine, mais... »
Il s'interrompit en voyant les deux jeunes secouer la tête avec des sourires fiers.
-… en tout cas, c'est ce que j'attendais. Vous avez su adapter votre esprit aux consignes. »
Eren acquiesça la tête pensivement. C'est vrai que Mike n'avait jamais précisé qu'ils ne pouvaient pas travailler à deux. La logique voulait seulement qu'il les poursuive un par un, et donc que c'était pour eux un avantage de s'éloigner de l'autre. Quand il s'agissait de se cacher, il valait mieux se séparer, mais la consigne avait changé et pour se battre, un avantage numérique ne se refusait pas.
-Faites toujours attention aux règles qui sont dites et celles qui ne le sont pas. » ajouta Mike, et Eren eut l'impression que cette phrase portait beaucoup plus de sens pour lui qu'elle n'en avait l'air.
Mike poussa un léger soupir, puis les observa tour à tour sans rien dire, et Eren pencha la tête sur le côté avec curiosité.
-Essayez de rester ensemble toute la durée des jeux, compris ? leur intima-t-il. Vous faites une très bonne équipe.
-J'y compte bien. » assura aussitôt Mikasa.
Eren avait envie d'acquiescer avec autant d'enthousiasme, mais les paroles de la jeune fille le ramenèrent à d'autres considérations. Il comprenait l'idée qu'ils soient efficaces ensemble, mais s'ils se retrouvaient séparés, n'était-ce pas un énorme handicap s'ils étaient incapables de se débrouiller tous seuls ?
Il avait acquis une quantité colossale de nouvelles compétences et connaissances, et il se sentait capable de vivre sans être aux côtés de Mikasa. Elle était une constante dans sa vie, et parfois il avait peur d'être incapable de couper le cordon aux moments cruciaux. Et il avait peur des conséquences possibles sur Mikasa. Elle n'était pas prête à mettre de la distance, il n'avait pas besoin de réfléchir pour le sentir.
Et en même temps, un coin de son esprit se demandait s'il s'en sortirait vraiment sans le filet de sécurité qu'elle représentait. Sa dévotion et ses capacités hors-normes étaient un excellent bouclier, et il avait peur d'être égoïste au mauvais moment, de l'empêcher de s'épanouir. Avec le temps de réfléchir, il pouvait prendre cette décision. Il s'était toujours dit qu'en être conscient était une garantie en soi. Mais s'il s'agissait d'une situation urgente ? Il voulait qu'ils soient libres ensemble, pas dépendants l'un de l'autre.
-Eren ? »
Il releva la tête vivement et vit que la jeune fille avait une main sur son épaule alors que Mike était déjà en train de partir. Elle tapota brièvement son bras pour l'inciter à les suivre et trotta pour rejoindre le mentor. Elle avait dû sentir qu'il était plongé dans ses réflexions.
-Qu'est ce que j'ai manqué ? » s'écria-t-il en les rattrapant.
Mike ne dit rien et se contenta de lui adressa un sourire narquois. Intrigué, Eren se tourna vers Mikasa, mais celle-ci détourna le regard, les yeux plissés d'un grain de malice.
-Nan, vraiment, qu'est ce qu'il y a ? »
Un silence amusé lui répondit tout le reste du trajet de retour.
-Vous êtes sérieux ?! Hey ! »
…
-Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les Titans ne sont pas attirés par l'odeur de la fumée, affirma un Pixis rougeaud après avoir repris une gorgée. Donc même si vous faites un feu, rien ne garantit qu'ils vous rejoindront plus vite...
-Mais c'est pour les humains qu'on est plus faciles à repérer, conclut Annie assise à sa gauche alors que leur mentor acquiesçait.
-Dans quelles circonstances on peut se permettre de faire un feu dans ce cas ? demanda Bertholt. Je veux dire, si les hommes de Cro-Magnon se retrouvaient dans le même type de situation que les tributs... »
Il soupira à sa reformulation, un son qui se perdit dans les bruits ambiants de la taverne. La leçon du jour avait porté indirectement sur l'usage des feux de camp pendant les jeux, et directement sur comment les hommes de Cro-Magnon se nourrissaient, notamment de viande cuite. Et accessoirement, ils s'étaient demandés si les Titans existaient déjà à l'époque, et s'ils étaient laissés dans la nature, sans Capitole pour les gouverner, ou s'ils étaient apparus avec ce dernier. En majorité des choses qui ne leur serviraient pas, mais ils parvenaient quand même à obtenir les informations qu'ils voulaient.
Cela dit, Bertholt était à peu près sûr que cette discussion était au bord de l'insubordination, et passible de prison. Ce genre de propos accusateurs envers le Capitole étaient dangereux, même si ce n'était probablement pas ce que Pixis cherchait à exprimer. Il avait parfois l'impression que le vieil homme portait avec bravade une cape d'impunité qui ne lui appartenait pas, mais qu'il s'était appropriée malgré tout.
Pixis répondit à sa question en long, en large et en travers, sans jamais cesser de mentionner les hommes de Cro-Magnon, mais en utilisant parfois quelques anachronismes révélateurs. Une fois que ses deux élèves eurent épuisé leurs questions, il contempla le fond de sa chope comme s'il pouvait y trouver la réponse à l'univers, et poussa un soupir fatigué. C'était peut-être la première fois qu'il avait l'air de faire son âge, réalisa Bertholt avec surprise.
-Une autre, je vous prie, quémanda-t-il au barman. Et deux bières pour mes deux apprentis ! »
Bertholt ne prit même pas la peine de protester à la déclaration enjouée, et se contenta de soupirer. Peu importe combien de fois il refusait que Pixis lui offre un coup à boire, il finissait toujours par lui fourrer une boisson alcoolisée entre les mains. En revanche, il ne se préoccupait jamais de savoir si Bertholt la consommait ou non. Que le jeune homme la refile à Annie, à un autre client, ou les jette dans les fourrés, il n'avait pas l'air de vouloir le faire boire, juste de l'intégrer à ses séances de beuverie.
Les trois boissons se retrouvèrent très vite en face d'eux, et Annie et Pixis portèrent leur chopes aux lèvres d'un même mouvement. Pixis engloutit une large lampée et reposa sa chope avec énergie sur le comptoir.
-Haaa, ça fait du bien par où ça passe. »
Un silence s'installa, où Bertholt contempla sa propre boisson, et, pour une fois, décida d'y goûter. Il porta la chope à ses lèvres et sortit timidement la langue pour laper une fois. Il reposa tout de suite la boisson en contenant une grimace. Non, décidément, les bulles, c'est pas mon truc.
-Ça me rappelle les jeux, tiens... » grommela Pixis.
Son intonation était complètement différente de d'habitude, et Bertholt devina immédiatement qu'il parlait des jeux auxquels lui avait participé. Il échangea un regard avec Annie, et ses yeux plissés lui confirmaient qu'elle pensait à la même chose.
-C'était à l'époque où il y avait encore des fusils aux Hunger Games... »
Un frisson parcourut sa colonne vertébrale et il se redressa sur sa chaise, soudainement mort de curiosité. Les jeux de Pixis ! Avec hésitation, il était aussi allé se renseigner sur ceux-là aux archives. Ils s'étaient déroulés de façon relativement normale, excepté pour l'affrontement final.
Vers la fin des jeux, Pixis s'échinait systématiquement à détruire sa caméra personnelle, celle qui le suivait partout. Personne ne savait comment il s'était rendu sur les lieux du combat, et personne ne savait comment il s'était déroulé, car le vieil homme en puissance avait détruit toutes les caméras alentours. Le temps de faire déplacer les caméras affectées à des zones particulières, l'autre participant était déjà mort et Pixis se tenait seul, sans un cadavre en vue.
De nombreuses théories avaient été élaborées, et Bertholt n'avait pas pris le temps de tout vérifier, mais apparemment, c'était un mystère soigneusement entretenu. Il avait l'impression que le Capitole n'avait aucun avantage à avouer sa potentielle ignorance.
Pixis observa leurs deux visages et éclata de rire.
-Vous êtes curieux, hein ?! Je vais vous raconter, puisque le spectacle vous intéresse autant ! »
Bertholt acquiesça fébrilement et pivota sur son siège pour se tourner pleinement vers son mentor.
-Vous savez sûrement que les caméras ont été éliminées. Eh bien, je dois vous avouer que je suis un peu pudique. »
Les expressions interloquées et sceptiques de Bertholt et Annie ne lui échappèrent pas, et il rugit un nouvel éclat de rire, rendu exubérant par l'alcool.
« Si, si, je vous assure ! J'avais le projet de ne pas me faire repérer en arrivant sur les lieux. Et je me suis dis, quel moyen ai-je pour y arriver sans aucun souci et sans trop d'effort ? murmura-t-il d'un air de conspiration. Très facile : un Titan. »
Il se penchait en avant et Bertholt retint son souffle en faisant de même.
« J'ai plongé dans la mâchoire d'un Titan de onze mètres, et je me suis caché dans son estomac. Ainsi, comme il ne restait plus qu'un seul homme à gober, tous les Titans se sont rassemblés vers le dernier participant. Bien entendu, il était bien perché en haut d'un arbre géant, donc impossible de l'attraper pour ces gros balourds.
-Attendez, intervint Bertholt alors que Annie fronçait les sourcils. Normalement, en quelques minutes vous auriez dû être mort des acides gastriques. Vous êtes sûr que c'est ce qu'il s'est passé ? »
Il plaqua aussitôt une main sur sa bouche en se fustigeant pour sa formulation. Il venait grosso modo de dire que Pixis était sénile ! Mais le vieil homme se contenta de rire et de lui adresser un clin d'œil.
-C'est pour ça que j'ai utilisé mes lames et mon harnais pour me maintenir suspendu au dessus ! Il y a de la place dans l'estomac d'un Titan, jeune homme, sachez-le. Mais il n'empêche que lorsqu'on en ressort, on est couvert de sucs, de bave, et d'odeurs peu désirables. Vous comprenez, je n'avais pas envie de me présenter dégoulinant de liquides suspects à mon combat final ! »
Annie hocha doucement la tête, comme si elle comprenait tout à fait ce qu'il voulait dire, mais Bertholt se contenta de hausser doucement les épaules. Si Pixis le disait.
-Comme toutes les caméras étaient hors d'usage, j'ai pu faire un peu ce que je voulais. J'aurais pu tuer l'autre gaillard de toutes les manières ! Brûlé, pendu, tranché, empoisonné, étranglé... j'avais le choix ! »
Il laissa une pause dramatique s'installer, juste le temps de boire une autre gorgée.
-C'est pour ça que j'ai décidé de le laisser en vie. » dit-il d'une voix rauque.
Bertholt vit Annie se pétrifier sur son fauteuil, les mains serrées autour de sa chope. Bertholt se sentait tout aussi remué de l'intérieur. Quelque chose s'agitait dans son estomac. Un fol espoir venait de s'insinuer en lui, mais il était encerclé de tous côtés par la vérité impitoyable : un seul revenait vivant. Un seul. Que voulait dire Pixis ?
-J'ai discuté avec lui. Je lui ai proposé une solution pour qu'il vive. Il a accepté. Je lui ai enlevé la puce qui sert à mesurer son pouls, celle qui permet d'annoncer quand un participant est mort... ah zut, je ne suis pas censé vous dire ça, vous devez l'apprendre juste avant les jeux. En bref, j'ai fait en sorte qu'on croît à sa mort. Je l'ai caché, et j'ai été établi comme vainqueur des jeux. Je ne sais pas ce qu'il est devenu, par contre. »
Bertholt ne regardait plus Pixis. Son regard était rivé sur Annie. La jeune fille avait les yeux brillants, distants, comme si elle imaginait la perspective de ne pas avoir à tuer qui que ce soit. Elle regardait Pixis comme on regarde les nuages en été, en priant pour qu'ils délivrent le soulagement qu'ils promettent. Comme si Pixis détenait le secret qui l'aiderait à sauvegarder son âme.
Et Bertholt ressentit une profonde tristesse. Une tristesse qui s'imprégna jusque dans ses os, qui les refroidissait avec la vérité glaçante. Il était triste de savoir déjà, de ne pas avoir accès à cet espoir, de ne pas pouvoir se réchauffer avec cette étincelle qui brillait dans les yeux de la jeune fille. Et par-dessus tout, il était triste du besoin qu'il ressentait de l'emmener avec lui.
-C'est impossible. » souffla-t-il à son tour.
Il fixait toujours Annie, et il eut tout le loisir de voir, au ralenti, l'étincelle frémir, comme la flamme d'une bougie qui vacillait sous l'impulsion de son souffle. Elle tourna ses yeux vers lui, son regard si subtil, si caché, mais dont il percevait aujourd'hui toutes les nuances. Et à cet instant, elle aurait tout aussi bien pu lui hurler de ne rien dire, le sentiment aurait été le même.
Sa bouche s'ouvrit quand même.
-C'est impossible, répéta-t-il.
-Comment le savez-vous, mon cher ? » intervint Pixis.
''Comment le savez-vous''. Pas ''Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?''. Soutenir le regard d'Annie devint insupportable, et il baissa les yeux sur ses cuisses, où ses poings se ramassaient sur eux-même.
-Si on essaie d'enlever la puce, on explose.
-Explique-toi. »
Il prit une large inspiration, puis déversa toutes les informations qu'il avait pu rassembler :
-J'ai trouvé ça dans des archives assez vieilles. Un participant a essayé de se couper le bras. Je me demandais pourquoi, alors j'ai supposé qu'il voulait enlever quelque chose, car il regardait sa propre main comme si elle l'avait personnellement offensée, comme si ce n'était plus la sienne. Et on voit souvent les tributs des jeux jeter un œil à leurs poignets. Je me suis dit qu'avec la technologie du Capitole, il avait sûrement les moyens d'implanter quelque chose qui permette de superviser les participants d'une façon encore plus... rapprochée. »
Pixis hochait la tête, un sourire appréciateur à peine dissimulé par sa moustache, et Bertholt se demanda ce qu'il avait vu d'autre qui lui permettait de sourire en entendant parler de ce genre de chose. Il continua en maudissant le tremblement de sa voix :
-Et quand il l'a coupé, il y a eu une énorme explosion. Il est mort quand il a essayé de se débarrasser de la puce. Donc vous ne pouvez pas enlever la puce. Si vous essayez, elle explose. »
Ses yeux étaient plus secs qu'il ne les avaient jamais voulus. Bien plus secs que la tristesse humide qui occupait ses os.
Soudainement, un poids tomba sur sa tête. Il crut un instant qu'il venait d'être frappé d'une nouvelle lourde réalisation qui s'ajoutait à la charge de ses épaules, mais il n'en était rien. C'était Pixis, qui lui ébouriffait les cheveux, avec toute la lenteur de la vieillesse, et en levant les yeux vers lui, Bertholt vit que son sourire était triste.
-Bien joué, M. Hoover, déclara-t-il solennellement. Vous êtes un jeune homme intelligent, et courageux. Vous y êtes presque. »
Il ne savait pas trop ce qu'il entendait par 'presque', mais il se rendit compte qu'il n'y accordait pas d'importance. Les paroles de Pixis appliquaient sur son cœur un baume apaisant. Insuffisant pour le réparer complètement, mais juste assez pour lui donner un peu de force.
-Merci ? » dit-il, en se maudissant pour l'interrogation qui résonnait dans son ton.
Pixis se tourna vers Annie, et fit de même. La jeune fille se détendit considérablement, et Bertholt se sentit reconnaissant. Pixis était capable d'apaiser le trouble qu'il venait de causer à la jeune fille. Il n'empêche, il préférait être celui qui soufflait doucement la bougie, plutôt que de la voir être renversée violemment par quelqu'un ou quelque chose d'autre. Quel égoïste il faisait...
Une envie terrible de tendre la main vers celles de la jeune fille et de les prendre dans la sienne fit tressaillir ses doigts. Elle avait l'air triste, et résignée. Il lui faudrait du temps pour digérer ce qu'il venait de se passer, comme à Bertholt. Il tendit le bras le long du comptoir, doucement, et effleura le dos de sa main de son index. Elle ne sursauta pas, mais se tourna vers lui, et il essaya de transmettre toutes les excuses qui restaient coincées dans sa gorge. Elle acquiesça presque imperceptiblement.
Il retira ses doigts et se rassit plus droit sur son tabouret. Ses yeux rencontrèrent ceux de Pixis, et il se rappela que le vieil homme n'avait rien manqué de l'échange. Il portait sa chope à sa moustache avec ses yeux plissés de malice, et Bertholt se sentit inquiet pour une tout autre raison.
-Vous comptez rester ensemble pour les jeux, n'est-ce pas ? Vous vous entendez vraiment bien, c'est assez rare. »
Annie fronça les sourcils, probablement incertaine sur les intentions du vieil homme, et Bertholt écarquilla les yeux. Est ce qu'il essayait de détendre l'atmosphère ?
-On en a plusieurs comme ça cette année. Le jeune Reiner et la petite Christa, même si j'ai parfois l'impression qu'ils se comportent comme des collègues de travail. La jeune Hannah et le jeune Franz, aussi. »
Bertholt rougit jusqu'à la racine. D'habitude, il aurait immédiatement arrêté Pixis et ses insinuations avec des exclamations mortifiées. Mais le vieil homme lui avait adressé un clin d'œil connaisseur, il avait peut-être une intention particulière derrière la tête…
-Si vous êtes de la même trempe, ça fera beaucoup de dynamiques similaires dans les jeux. Déjà que je me demande si Mademoiselle Mikasa n'est pas une sœur cachée de notre chère Annie... »
Sa voix était excessivement exubérante. Avec une appréhension tambourinante, Bertholt regarda Annie, et vit que la jeune fille venait de vivement tourner les yeux dans sa direction. Il se retrouva épinglé par ses sourcils froncés, sa bouche pincée et son regard sondeur.
Il ne dit rien. Aussi maladroite qu'était la situation, c'était peut-être le seul moment où il pourrait avoir des indices sur ce qu'Annie pensait de lui ! Spécifiquement dans ce domaine. Si elle laissait Pixis parler, peut-être cela voulait-il dire que ça ne la dérangeait pas ?
Mais après avoir observé son visage probablement écarlate, la jeune fille se leva en faisant racler son tabouret sur le parquet, vida le fond de sa chope et tourna les talons. Abasourdi, Bertholt la regarda s'éloigner et quitter la taverne, sans un regard en arrière. Il tressaillit lorsque la porte claqua contre ses gonds, et fixa l'ouverture longtemps après le départ de sa partenaire.
-Eh bah. » lâcha Pixis en sirotant une gorgée.
Ce fut comme un coup de fouet au visage, qui le ramena âprement à la réalité. Bertholt s'en voulut terriblement. Il n'avait rien dit, alors que c'était lui qui avait arrêté Pixis dans ses remarques auparavant ! En somme, il l'avait mise dans un embarras incroyable, et l'avait complètement et ostensiblement abandonnée, il s'était presque liguée contre elle !
Avec un grognement de détresse, il laissa tomber sa tête entre ses bras, se maudissant de tous les noms. À côté de lui, Pixis rigolait doucement et lui tapota le bras.
-C'est la vie, jeune homme ! »
Il s'en voulait terriblement, et d'autant plus qu'il était déçu de cette réaction. L'attitude d'Annie n'était pas si extrême comparée à ce qu'il avait déjà vu, mais il s'était targué intérieurement d'être sensiblement mieux traité que d'autres. Elle venait de le rejeter purement et simplement, sans cérémonie, juste en s'éloignant ! Même si elle ne partageait pas ses sentiments, il aurait pensé qu'elle l'aurait un peu plus ménagé.
Il se trouvait terriblement égoïste, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Si Pixis ne l'avait pas tiré par l'épaule, il serait resté bien plus longtemps prostré sur le comptoir, à se flageller mentalement et à en vouloir à il ne savait plus trop qui.
…
Jean força sa colonne vertébrale à se redresser, avec le vain espoir d'avoir l'air moins nerveux qu'il ne l'était sûrement. Et peut-être avait-il aussi envie d'atténuer cette attitude nonchalante et gardée, où il roulait le dos comme un chat feulant. Le carnet de croquis qu'il ramenait du rez-de-chaussée fermement serré dans sa paume, il poussa la porte. Dans tous les cas, Minha ne sembla rien remarquer lorsqu'elle leva le nez de son livre et se retourna sur le canapé pour le saluer alors qu'il entrait dans le salon.
En revanche, il la vit lentement marquer la page de son livre et le refermer pour le poser sur ses genoux quand il s'assit à côté d'elle, les coudes sur les cuisses et les mains jointes autour de son carnet. Il roula sèchement des épaules pour se débarrasser de sa nervosité, et se tourna pleinement vers elle. Il devait mettre les choses au clair.
-... Qu'est ce qu'il y a ? demanda-t-elle, le ton grave, comme si elle sentait que ce qui se passait était important pour lui.
-Il faut que je te parle. »
Pas de « De quoi ? » sec, pas un mot, elle se contenta de serrer son livre et de hocher la tête, pour lui montrer qu'il avait toute son attention. Et c'est ça le problème, songea-t-il amèrement.
-Je... »
Dieu que c'était dur ! Il déglutit à sec. Il avait beau penser maîtriser la situation, être en position de force, en quelque sorte, il n'arrivait pas à parler. Ce devait être encore pire pour elle. Son lui d'avant les jeux aurait bien ricané en le voyant aussi maladroit en compagnie d'une fille. Pas qu'il ait été plus suave auparavant, mais l'image le fit grimacer et l'incita à se bouger les fesses et juste... parler. Ce qu'il n'aurait pas fait autrefois.
-Je sais... que tu en pinces pour moi. »
Super expression, mec. Il enchaîna aussitôt :
-Et tu sais que je suis au courant. Je me suis dit qu'il était temps d'en parler. »
Il se félicita de la stabilité de sa voix et se décida à la regarder, droit dans les yeux, et non pas à travers elle. Mais cette fois, c'était son regard à elle qui avait plongé vers le sol, erratique, alors que ses joues prenaient feu. Elle remit une mèche derrière son oreille puis décida de la garder en main pour la triturer, et Jean crut qu'elle allait le laisser tout seul sur la piste comme une andouille. Mais non, elle poussa un gros soupir fébrile et se redressa. Elle était prête.
-D'accord. »
Son regard s'éleva vers lui et il retint le petit soupir de soulagement qui allait lui échapper.
-Je pense que tu sais ça aussi, mais de mon côté, j'avais flashé sur Mikasa.
-Je sais, oui. »
Il sentait qu'elle avait eu envie d'y mettre un peu de rancune, mais son ton était resté aussi doux que d'habitude.
-Je tenais vraiment à te dire que, même si j'admire Mikasa dans tous les domaines, ce que je ressentais pour elle ne veut absolument pas dire que tu n'as pas de valeur à mes yeux. Enfin, pas dans ce sens-là, mais... »
Il se tut et grommela, agacé, en se laissant aller sur le dossier du canapé et en se pinçant l'arête du nez.
-Raah, désolé, fit-il alors qu'elle laissait échapper un gloussement nerveux. C'est juste que je ne sais pas ce que je devrais dire ou pas, ce que tu sais déjà ou pas, mais en même temps il faut qu'on soit sur la même longueur d'onde, donc...
-Tu n'as qu'à tout dire. »
La tête de Jean cingla vers Minha, et il fronça les sourcils, déboussolé par son sourire avenant.
-T'es sûre de toi ?
-Absolument, déclara-t-elle avec une certitude intransigeante. Moi aussi, je veux qu'on soit sur la même longueur d'onde. Vas-y.
-D'accord, d'accord, céda-t-il. Dans ce cas... Eh bien, j'apprécie Mikasa, beaucoup, je la trouve très belle, très forte et très styl… ow !
-Merci, ça j'avais compris. »
Il grimaça en se frottant brièvement l'épaule. Minha n'allait plus jamais y aller mollo avec lui, décidément.
-Et je t'apprécie beaucoup, Minha. Je te trouve aussi très stylée et très forte, et pas que dans le domaine physique, évidemment. »
Il avait réussit à la prendre au dépourvu, car elle se mit à rougir furieusement. Elle se frappa le front et couvrit son visage de sa main quand il ricana doucement.
-Allez, dis-le, ton « mais », au lieu de me donner de faux espoirs comme ça, abruti.
-Mais je ne vous vois pas de la même manière du tout, concéda-t-il sans lâcher son regard, ce qui l'incita à lui faire face. Et je ne voudrais pas que ça mette notre relation en danger. Je ne veux pas que ça nous empêche de communiquer. Notamment parce que ça peut être très dangereux pour le début des Hunger Games, c'est vrai, mais surtout parce que je t'apprécie autant. Je voudrais qu'on garde une relation cordiale, mais je ne veux pas te forcer la main et t'obliger à faire comme si de rien n'était. »
Il passa une main dans ses cheveux pour reprendre un peu contenance, satisfait d'avoir réussi à tourner les phrases comme il en avait eu l'intention, et enchaîna avec un soupir :
-C'est pas comme si je te laissais vraiment le choix, en vérité, mais je pense que tu vois ce que je veux dire. »
Tout au long de son petit discours, il avait eu le temps de voir un sourire d'une profondeur remarquable s'épanouir sur le visage de sa partenaire. Il y avait de la tristesse, de la résignation, de la détermination, du regret peut-être, de la fierté, et tout un mélange de sentiments qui tourbillonnaient entre elles et s'amalgamaient en une seule émotion caractéristique de la jeune fille : de la volonté.
-Ça ne me gêne pas de faire les choses comme ça, annonça-t-elle gentiment (il ne trouvait pas d'autres mots pour désigner son ton). Je pourrais te dire que de toute façon, on a pas vraiment le choix, vu les circonstances, mais je le pense vraiment. »
Elle contemplait et triturait ses pouces distraitement, mais finissait toujours par le regarder dans les yeux.
-Ça me fait plaisir de me battre à tes côtés. Ça me fait plaisir de te voir sourire quand tu réussis un exercice, ça me fait plaisir quand tu manges l'omelette que j'ai préparée, et ça me fait plaisir quand tu me fais confiance. Ce sont des petits aspects que Mikasa n'aurait jamais vu. »
La dernière phrase eut le mérite de le faire rougir, et il baissa les yeux, embarrassé.
-Et surtout... continua-t-elle un peu plus vite, probablement embarrassée aussi. Surtout, je suis déjà comblée que tu t'ouvres à moi. On aurait jamais fait ce genre de choses ensemble si on était restés à la maison. Tu étais toujours distant, avec cet air sombre, comme si tu te battais personnellement avec tous les arbres que tu allais abattre dans la forêt. J'avais envie de comprendre ce qui te passait par la tête, mais j'avoue que tu me faisais un peu peur. Et maintenant... »
Et maintenant, il était complètement différent. Il réalisait pleinement le fait en même temps que Minha en parlait, une main couvrant pensivement sa bouche. Non pas comme on réalise un trait de sa personnalité, mais comme on marque d'une pierre blanche une étape de sa vie.
Maintenant, il riait avec Minha, il mangeait des nouilles avec elle et Hansi, il leur montrait son carnet, il s'engueulait de vive voix avec Eren, il 'plaisantait' avec Sasha, Conny et Thomas, et avec Marco, il ne savait même pas trop ce qu'il se passait... Il s'était plus ouvert aux tributs de la 104ème édition des Hunger Games qu'il ne l'avait jamais fait dans sa ville natale.
Et ce genre de révélations était un peu alarmant. Depuis quand ?! Depuis quand est-ce qu'il avait complètement oublié ce qui les attendait au bout du chemin ? Depuis quand est-ce qu'il avait abaissé ses murs aussi vite et aussi aisément ? C'était une très mauvaise idée que de continuer sur cette voie, mais il se prit à ne pas plus réfléchir que ça aux solutions pour résoudre ce problème, et il trouva à peine l'énergie de s'en fustiger. Minha et Hansi l'avaient entouré d'un environnement terriblement convivial, et il avait eu beaucoup de mal à résister, finalement.
-Ooh. »
L'exclamation de surprise le fit faire volte-face vers Minha, et il découvrit avec horreur qu'elle avait pris le carnet qu'il avait abandonné entre eux sur le canapé plus tôt, et qu'elle en était aux dessins qu'il avait réalisé de Marco il y a deux jours.
-Non mais oh !? s'écria-t-il en lui arrachant l'objet des mains. Ça reste privé, ça !
-Tu étais parti dans tes pensées ! »
Est-ce qu'elle avait tout vu ? Ses dessins n'étaient quand même pas très conventionnels, et il ne voyait pas comment expliquer les circonstances dans lesquels il les avaient réalisés. Désolé, j'espionne notre voisin de baraque tous les soirs parce qu'il s'entraîne devant tout le monde, et il est très bien gaulé donc je l'ai dessiné ? Certainement pas !
-Tu sais, rigola-t-elle, tu n'étais pas obligé de dessiner quelqu'un d'autre que Mikasa pour... éviter de me gêner. »
Son cerveau cliqua immédiatement comme un interrupteur et il se rappela de son commentaire sur la quantité des dessins de Mikasa qui parsemaient son carnet. C'était sûr qu'à ce stade, Marco l'avait peut-être battue... Elle ne lui laissait même pas le temps de se demander s'il devait la corriger :
-En tout cas, c'est vrai que tu aimes bien les abdos... vu comme ceux de Marco sont très détaillés. »
Il resta un instant bouche bée, impressionné par la capacités de la jeune fille à le faire tourner en bourrique. Il aurait dû dire la vérité, mais qu'est-ce qu'il voulait dire par vérité, au juste ?!
-Wow, super, merci, Minha. La prochaine fois, évite de fouiner sans mon autorisation. » grommela-t-il en refermant son carnet avec soin.
Il avait le cœur qui battait à tout rompre, mais elle se contenta de pouffer et d'acquiescer de bonne grâce. La vérité, c'est qu'il se sentait un peu coupable, et il ne savait pas pourquoi. Ils venaient de mettre les choses au clair, tout s'était bien passé, ils s'entendaient à merveille, alors pourquoi son cœur tambourinait comme s'il allait se faire prendre la main dans le sac d'un moment à l'autre ?! Inexplicable.
…
Masque ou pas, Christa avait toujours été une princesse. Sa mère ne lui faisait pas part de beaucoup d'anecdotes sur le genre de nourrisson que la jeune héritière avait été – probablement car c'était les domestiques qui avaient changé toutes ses couches, l'avaient nourrie, bercée, calmée tous les soirs où elle avait pleuré. Mais sa mère lui avait toujours raconté que Christa avait été le bébé le plus exigeant à n'être jamais venu au monde : éternellement insatisfaite, hurlant ou pleurant à chaudes larmes sans cesse, réveillée au moindre bruit et déchirant de ses sanglots le calme nocturne de la vaste demeure. Sa mère lui avait toujours confié que ses pleurs étaient insupportables.
Et désormais Christa comprenait sa mère.
Immobile, le dos attaché au lit, droite comme un piquet – elle ne s'était même pas glissée sous les draps pour se protéger des diables crépusculaires qui rôdaient dans l'air du soir – Christa ne pleurait pas.
Elle ne supportait plus ses propres sanglots.
La poche d'acide qui rongeait son cœur depuis son arrivée ne se déversait plus le long de ses joues. La lave émise par le volcan ne dévalait plus les pentes rocheuses, ravageant tout sur son passage, creusant sa peau jusqu'à en exposer les os des pommettes. Et tous ses secrets. Christa appréciait l'idée du ravage punitif, or il laissait des traces, des traces qui abîmaient son masque, et elle ne pouvait pas laisser cela couler.
Car, avec ses os, c'était aussi ses secrets que les larmes de Christa manquaient toujours de révéler, que ce soit dans le carmin délavé qui tâchait le blanc pur de ses sclérotiques, ou dans le gonflement de ses yeux. Elle l'avait compris le jour où Reiner l'avait surprise à sécher ses larmes sur le sofa. La solution qu'elle avait trouvée - plus efficace encore qu'arrêter de mettre du mascara – consistait à étouffer l'éruption du volcan, à laisser l'acide en elle, à comprimer ses sanglots.
Malgré tout, Erwin s'était douté du subterfuge et Reiner… elle l'avait meurtri.
Christa ignorait même quel détail précis l'avait blessé au point qu'il se mette, lui aussi, à arborer un masque devant elle, lui qui avait toujours été si honnête.
Christa ne savait plus où elle en était avec Reiner, son confident de toujours, son valeureux compagnon, la seule certitude qui lui restait face à l'engloutissement de tout son monde, son ami.
Elle ne lui avait pas offert un bracelet pour qu'ils puissent tous les deux avoir le leur, et ainsi le remercier pour tout ce qu'il avait fait pour elle, avant que les jeux ne commencent et emportent Christa loin de lui. Elle ne lui avait pas offert un bracelet comme dernier cadeau avant de le libérer de son emprise sur lui. Elle ne lui avait pas offert un bracelet afin d'exprimer sa reconnaissance à la vue de toutes ces années de loyaux services envers elle, malgré la pression, malgré l'angoisse, malgré la souffrance de ce sacerdoce imposé. Avec les lèvres scellées, la respiration rauque et lourde de son partenaire, ainsi que la chute soudaine de ses sourcils en un froncement bouleversant, Christa l'avait bien compris.
Elle ne lui avait pas offert le bracelet, elle l'avait étranglé avec… le jour de son anniversaire.
L'acide ne coulait pas les long de ses pommettes, elle le contenait. La poche se crevait et dissolvait toute sa gorge. Christa ne pleurait pas.
Elle ne supportait plus ses propres sanglots.
Après ce qu'elle avait infligé à Reiner, elle n'avait aucun droit de laisser ses émotions éclater ainsi. Elle laissait l'acide circuler et la lacérer de l'intérieur. Elle en avait assez d'imposer ses humeurs aux autres. Le bouillonnement de ses entrailles, alors que Christa luttait contre les sanglots, lui suffisait. Elle préférait ravaler ses larmes pour qu'elles désagrègent sa gorge, noient ses poumons, liquéfient son cœur. Elle acceptait cette punition.
Dans un petit gémissement, elle arracha son dos au moelleux du matelas et l'abattit contre la rigidité glaçante du mur. Ses jambes, dépliées et toujours sur les draps, s'enlisaient dans la doucereuse matière blanchâtre comme dans des sables mouvants. Elle releva la tête et, de l'arrière de son crâne, Christa asséna un coup dans le mur. Elle s'épargna la vision du maudit plafond en refermant les paupières d'un coup sec, à en faire trembler ses cils. Ses yeux avaient beau s'être habitués au noir de la nuit, ils ne pouvaient rien contre le néant qu'elle seule était en mesure d'invoquer.
Perdue dans les ténèbres et assaillie par l'acide, Christa cherchait à se concentrer sur autre chose. Elle s'entendait haleter, hoqueter des couinements sanglotants et grogner pour les faire taire.
Elle ne supportait plus ses propres sanglots. Mais ses gémissements, à leur tour, commençaient à l'exaspérer.
Il lui fallait trouver quelque chose à faire, sinon elle finirait par se condamner au silence. Bien qu'elle ne fût pas certaine d'en être capable. Christa rouvrit les yeux et desserra les poings pour contempler ses paumes moites. Elle les ramena bien devant elle et étira les doigts. Elle voulait les voir étalées, plates, au naturel.
Des vagues rouges ondulaient dessus. Elles empiétaient sur les lignes de vie, les dévastaient. Même s'il s'agissait de vagues, rien ne coulait encore. Cependant, Christa savait que si elle pressait un peu plus la chair à la seule puissance incisive de ses longs ongles, elle pourrait suffisamment creuser la terre pour en faire jaillir la source. Fontaine pourpre.
Néanmoins ses pioches étaient bien amochées. Christa mit deux éprouvantes minutes à ramper jusqu'au bord du lit, à poser ses pieds sur le sol, à se lever et à tituber vers le bureau de sa chambre. Elle ouvrit un tiroir et récupéra sa trousse de maquillage. Elle en sortit une lime à ongles et s'appliqua à aiguiser ses lames.
Le frottement de la lime sur l'ongle faisait trembler son doigt. La satisfaction de la taillade lui arracha un sourire d'exaltation. Il y avait quelque chose de profondément fascinant à réduire en poussière une partie de soi.
La lime râpait la fine couche solide de l'ongle et en disloquait le surplus. Le reste s'éparpillait dans l'air et disparaissait. L'image de son propre corps raclant un arbre à toute vitesse se forma dans son esprit. Propulsée au loin par la force inouïe d'un Titan, fracassée contre un tronc d'arbre. La lime qui râpait le surplus. Infimes parties qui s'éparpillaient dans l'air et disparaissaient dans la forêt.
Elle reposa la lime et inspecta ses ongles, satisfaite de son travail. Christa rangea ses affaires et veilla à ne pas avoir fait tomber trop de cheveux en vacillant vers le lit. Elle les perdait presque par touffes. Christa s'efforçait de les sécher au doigt pour donner une illusion d'épaisseur. Encore des traces qu'il lui fallait maquiller afin de ne pas plus se trahir.
La demoiselle enfouit son visage dans l'oreiller, avec le fol espoir qu'il contribue à dissimuler la plupart des traces qui subsistaient malgré toutes ses précautions. Elle pouvait encore entendre les pleurs qu'elle avait étouffés dedans alors qu'elle pressait le coussin contre son front. Il était devenu le réceptacle de bon nombre de ses angoisses nocturnes, et le grincement strident de tous les hurlements de Christa qu'il renfermait faisait dès lors partie de lui.
Elle ne supportait plus ses propres sanglots.
Tout comme le disait souvent sa mère, ils étaient particulièrement agaçants. Christa était bien contente de savoir qu'elle ne serait jamais une mère. Elle n'aurait bientôt plus à supporter ce genre de pleurs. Maigre consolation. L'une des seules qu'elle avait trouvée.
Tout ce qu'elle avait encore à supporter, c'était cet acide, ce volcan qui faisait rage en elle et la consumait à petit feu de l'intérieur.
Autre consolation : sa mort aux jeux serait peut-être moins douloureuse que cette longue agonie de son esprit. Après tout, y avait-il pire mort que de brûler vif ?
De l'esprit de Christa, il ne restait plus aucun bourgeon. Que des cendres.
Elle s'assoupit.
J-11
… ( ) …
On est de retour pour vous jouer un mauvais tour !
Dans cette édition : Eren est un héros de shônen, Pixis raconte sa backstory tragique, Jean friendzone Minha et Christa nous force à mettre des TW. Youhou !
On se revoit pour les prochains entraînements à 24 !
