Une technique que j'ai apprise pendant que tu te la coulais douce

Happy JeanMarco Week tout le monde ! (et oui, on a fait exprès de publier aujourd'hui)

OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance = - Shingeki Pf 20130218 Kyojin -

- The Dogs -

- Symphonicsuite 2An -

- E. M. A. -

- Aots3-3SPens / 21seki -

() …

Son doigt se plia avec une précaution chirurgicale sur la gâchette. Le contact dur et froid du métal sur son index ne perturba en rien le cours de sa respiration. Profonde inspiration. Profonde expiration. Hormis les battements de son cœur et son souffle d'une régularité apaisante, Marco n'entendait plus rien. Hormis la cible bleu électrique à silhouette humaine, Marco ne voyait plus rien.

L'extrémité du fût sur l'épaule, sa position était impeccable. Il ne bougeait plus. Il ne bougeait plus depuis quelques minutes. L'immobilité attirait la précision et la concentration. De plus, les cris des autres tributs, les claquements métalliques des armes qui retombaient sur le sol ou les crépitements stridents du micro ne hurlaient plus dans ses tympans.

Sa vision n'était plus qu'en une dimension, la longueur. Les vingt mètres qui le séparaient du mille. Le cœur. Marqué par un cercle rouge sang.

Immobile, ferme et délicat, Marco pressa la détente. Le carreau fusa. Il fendit l'air qui le séparait de sa cible et alla se loger dans l'épaule.

Marco n'eut besoin que du temps d'une profonde inspiration pour charger un nouveau carreau dans l'arbalète, serrer l'arme contre son coude, la tenir plus droite encore qu'une flèche, et tirer.

Le tribut aux cheveux noirs répéta son exercice maintes fois. Genou. Paume. Côte. Estomac. Puis, il parvint à atteindre le cœur.

Brève expiration. Soupir qui siffla de ses narines. Après quoi, il fit face à la silhouette de Ruth qu'il avait sentie approcher.

-Joli coup. » commenta-t-elle à voix basse.

Marco hocha la tête à son compliment. Il aurait tellement aimé en être appréciateur… Sa partenaire croisa les bras et porta son regard au-delà des cibles humaines où Marco s'exerçait. Le jeune garçon ne chercha pas à contrôler le poids de ses yeux interrogateurs qu'il avait braqués sur elle. Ruth était assez perspicace pour deviner la présence de sa silencieuse question dans l'air et, sans le regarder, elle se justifia :

-Ymir et Annie se battent sur le ring juste derrière. Le match a l'air tendu… Enfin, j'en attendais pas moins de ces deux machines de guerre. (Elle vrilla ses prunelles sur lui.) J'venais voir ce que tu mijotais. »

Ruth étant assez loin pour être en sécurité, Marco saisit un carreau et l'inséra dans l'arme. Il porta le fût à son épaule et se tint droit pour viser.

-J'essaie de m'améliorer à l'arbalète. Viser plus vite et être plus efficace. » annonça-t-il d'une voix hésitante, il peinait toujours à baisser sa garde quand elle était là.

Il appuya sur la gâchette. Le trait se nicha dans le front. Marco scanna les environs : il ne lui en restait plus, il allait devoir aller récupérer les munitions sur la silhouette humaine hérissée de carreaux. Le tribut reposa l'arme au sol et rejoignit Ruth. Il se sentait étrangement obligé d'aller à sa rencontre, de faire comme si tout allait pour le mieux entre eux… ou peut-être qu'au fond de lui, il espérait pouvoir avoir une chance de recoller les morceaux.

La jeune femme, les bras toujours croisés, fixait la cible, et émit un bref sifflement aigu d'admiration avant de se tourner vers son partenaire.

-C'est plutôt réussi, mais je comprends pas pourquoi tu t'obstines avec l'arbalète. »

Marco serra le poing pour comprimer un frisson. Ruth poursuivit :

-Il n'y en aura qu'une seule de disponible au premier tour. C'est un piège. Elle est là exprès pour créer de la tension autour de celui qui la récupérera, et provoquer un bain de sang. »

Elle le scrutait d'un regard à clouer au sol. Le jeune garçon appuya son dos contre la poutre d'un des râteliers d'arcs et de flèches. Il commanda à sa voix de s'exprimer avec plus d'assurance. Il avait déjà réfléchi à ce que Ruth lui reprochait, et il se devait de la convaincre comme il s'était persuadé lui-même.

-Précisément, je suis le seul à m'entraîner aussi sérieusement et régulièrement avec. On est aux troisième « 24 » et il n'y a plus que moi qui l'utilise. Je pense que c'est parce que j'ai bien démontré toute ma volonté à avoir l'arbalète : ç'a fini par décourager Floch, Laura et Tom. »

Pas peu fier de son ton calme et clair, il retint un sourire trop large d'éclore sur son visage lorsque Ruth leva un sourcil intrigué.

-Puisqu'ils m'ont toujours vu avec, c'est comme s'ils avaient intégré naturellement que l'arbalète me revenait. C'est ma mise en pratique d'une forme de persuasion psychologique, fondée sur l'habitude, que j'ai trouvée dans un ouvrage stratégique à la bibliothèque. »

L'expression de Ruth se détendit et son regard s'abaissa, comme si le livre dont Marco lui parlait se trouvait sous son nez et qu'elle voulait y jeter un coup d'oeil. Le jeune garçon se passa le côté de l'index sur le nez, dans l'attente de sa réponse. Mais elle ne vint pas.

Ruth restait plongée dans sa perplexité et Marco dans son embarras. Il ne supportait pas l'idée de se laisser faire ou, pire, constater qu'elle avait raison, encore une fois. Et cela couvrit le reste de sa gêne, comme le soleil devant la lune lors d'une éclipse. Marco allait se montrer à Ruth sous un nouveau jour. Celui du tribut résolu à tout mettre en œuvre pour protéger quelqu'un durant les jeux. Et, si Ruth se montrait coopérative, elle pourrait très bien devenir cette personne.

Il se racla la gorge pour annoncer qu'il comptait rompre le silence. La jeune femme darda ses prunelles marron sur lui. Il ne frissonna pas.

-Et, de toute façon, si je n'arrive pas à avoir l'arbalète car on essaie de l'éloigner de moi ou je ne sais quoi, j'ai d'autres cartes en main. Je m'en sors bien en équitation, et on devrait parvenir à récupérer Buchwald. Il y a aussi le combat à mains nues et les rudiments de tridimensionnalité que Ness nous a donnés. En fait, avec l'arbalète, j'essaie juste d'étendre nos capacités, et il faut reconnaître que c'est une arme qui donne un super avantage ! »

L'enthousiasme qu'il avait insufflé à sa dernière phrase desserra les traits de sa partenaire. Ruth posa les mains sur ses hanches. Le pli entre ses sourcils s'était volatilisé. C'était la première fois que Marco ne le voyait pas. Il se remit bien droit et avança d'un pas vers la jeune femme.

« Les tirs sont bien plus puissants et précis qu'avec un arc. Et, c'est plus pratique d'usage pour les novices. (Il pointa du doigt une des arbalètes.) Tu vois la longueur du fût ? Ça dépend des modèles, mais celles-ci en ont des particulièrement grands qu'on peut déposer sur l'épaule : ça donne encore plus de stabilité. En clair, les arbalètes du Capitole sont faciles d'utilisation et très efficaces, supérieures à la moyenne ! Et comme c'est une arme de tir moins bruyante qu'un revolver et qu'il n'y aura pas de fusil, on peut dire que c'est une des meilleures à disposition !

-Je vois… »

Ruth hocha la tête, le menton entre deux doigts, et Marco dut se retenir de frétiller sur place tellement il débordait d'enthousiasme désormais. Elle l'écoutait ! Comblé par cette marque d'attention qu'il n'avait plus osé espérer, il se pressa d'ajouter de quoi la remercier. Il espérait poser ainsi la première pierre à la construction d'une passerelle entre eux deux.

-Et… je te fais confiance pour t'assurer qu'on ait l'arbalète au premier tour. Tu es très vive et tu sais toujours comment t'imposer, après tout. »

Ruth pouffa. Après quoi, elle le gratifia en branlant du chef, en apposant une nouvelle pierre à la passerelle.

Et, comme ça, il venait d'éclore, le large sourire de Marco.

-Entraîne-toi quand même sur d'autres armes… au cas où. Okay ? lui recommanda-t-elle d'une voix singulièrement encourageante.

-Ne t'en fais pas, je comptais aller manier le sabre après ma prestation individuelle.

-Tu penses avoir une épreuve d'arbalète ?

-C'est l'idée… ça m'aiderait bien si les sponsors aussi me voyaient comme l'arbalétrier du lot. On peut pas se passer de leur influence sur le déroulement des jeux… soupira Marco.

-Ah, c'est clair ! Même si, avec les deux derniers « 24 », t'es déjà cavalier à leurs yeux… c'est pas rien… continua-t-elle de cette même voix. Enfin, on croise les doigts ! »

Sur ces paroles, elle pivota les talons en agitant la main pour le saluer, sans regarder derrière elle. Elle ne vit donc pas le sourire de Marco s'élargir encore plus. Même le dos tourné, Ruth réussit à le faire sursauter (elle avait un sacré talent pour ça!) alors qu'elle lui lançait :

-J'vais aller voir un peu comment ça se passe entre Ymir et Annie ! J'suis curieuse de savoir laquelle est la plus forte à mains nues ! Bon courage pour ton épreuve !

-M-merci ! À toi aussi ! » balbutia-t-il en faisant porter sa voix.

Ruth sortit la main de sa poche et l'entrouvrit l'espace d'un battement de cils, avant de la ranger à nouveau dans la petite cachette de tissu.

Marco se passa la main dans les cheveux. Il s'aperçut qu'elle tremblait : cet échange d'une cordialité inespérée l'avait rendu fébrile. Il démontra un effort surhumain pour s'empêcher de trottiner alors qu'il se dirigeait vers la cible à silhouette humaine afin d'y récupérer les carreaux. Le gymnase était tout de même truffé de caméras, et il était hors de question d'afficher autant de frivolité devant les sponsors ! Désormais, Marco devait les convaincre de son sérieux, de sa volonté de partir avec les meilleures chances de son côté, d'être le plus fort et prêt possible pour les jeux !

À chaque carreau qu'il arrachait de la surface rugueuse bleue, il se retirait une épine d'angoisse de la poitrine. Il avait trouvé sur quel pied danser avec Ruth afin qu'ils entretiennent une relation quasi-professionnelle : une solide base pour la suite. Mais il se réjouissait aussi de ne plus trembler que par faute d'enthousiasme, et non d'inquiétude ou de dégoût, aux Entraînements à 24. Tout ça grâce au nouvel objectif qu'il s'était fixé.

Par réflexe, il tourna un peu la tête pour scanner les parages, espérant y apercevoir Marlow. Il ne le trouva pas, le gymnase était bien trop vaste. En revanche, ce fut l'issue du combat entre Ymir et Annie, derrière la zone de tir, qui entra dans son champ de vision direct.

La paume d'Annie œuvra de concert avec sa cheville pour envoyer Ymir valser jusqu'au sol. La plus grande tomba sur le dos et n'eut pas le temps de se remettre sur pied : Annie s'était accroupie au dessus d'elle et la bloquait, un poignard en bois sur la gorge.

Les hurlements d'excitation et de félicitations à la gloire d'Annie confirmèrent au jeune garçon que le match était bel et bien fini. Sans prêter la moindre attention aux clameurs des observateurs, la gagnante quitta le ring. Son attitude robotique avait dû jeter un froid près de la zone de combat, car les quelques tributs qui s'y étaient agglutinés repartirent vaquer à leurs occupations martiales.

Seule Ymir restait figée, le dos contre le tapis du ring, les bras étendus, paumes vers le plafond. Marco la savait robuste, il pensa qu'elle ne devait que profiter de s'être retrouvée par terre pour se reposer. Caméras ou pas, Ymir se fichait de l'image qu'elle renvoyait. Et ça, Marco l'admirait beaucoup. Malgré sa nature impétueuse, voire désarçonnante pour les « non-initiés », Ymir offrait une franchise rassurante au beau milieu de l'ambiance anxiogène des Hunger Games. Il rangea les carreaux dans le présentoir le plus proche et s'élança vers le ring pour inciter la jeune femme à se relever, et s'assurer qu'elle allait bien.

Une tornade de froissements de tissu et de chevelure châtain se dressa en travers de son chemin et le stoppa net au bout de quelques mètres.

-Marco ! Tu t'entraînes à l'archerie avec moi, dis ?! s'extasia Sasha en brandissant son arc devant lui. Il y a des cibles mobiles près du matos de gymnastique, ça va être dément de tirer dessus ! Ramène ton arbalète, fissa !

-Désolé, Sasha, mais je…

-Sasha, t'abuses pas un peu là ? » le coupa une voix énergique et agacée.

Marco pivota la tête vers la direction du son et trouva Eren qui avançait à grandes enjambées vers eux. Le tribut du District Douze continua de réprimander la jeune fille :

-Laisse Marco s'entraîner comme il veut, à la fin ! Il est pas à ta botte, non plus ! »

Marco ne releva même pas le pouffement de Sasha (et encore moins Eren, qui se contenta de hausser un sourcil), toute son attention allait derrière l'épaule de la gourmande débordante d'énergie, où il entrevoyait Christa en train de tendre la main à Ymir. Rassuré, il se tourna vers Eren qui avait pris sa défense.

-Merci. »

Le jeune homme branla du chef en guise de « De rien », toujours en train de fusiller Sasha du regard. Marco reporta alors son attention sur elle.

-Si ça te fait plaisir, je veux bien…

-Pas la peine de te plier en quatre pour elle, Marco ! »

Thomas venait d'intervenir, une pomme de terre à la main. Il la brandit sous le museau de l'affamée. En quelques instants, elle s'était jetée dessus et commençait déjà à l'ingurgiter, à grandes et voraces bouchées. Les lèvres d'Eren se décollèrent de stupéfaction et Marco gloussa à cette vision absurde, elle avait le mérite d'amener une gaieté quotidienne précieuse.

-Hé bah, t'as de la chance qu'aucune prestation individuelle ne porte sur la résistance à la faim, sinon tu serais la dernière en lice aux yeux des sponsors, se lamenta Thomas dans un accent railleur. Nan, mais ralentis, par contre ! Tu vas te mordre la langue ! »

Les projecteurs suspendus au plafond lui brûlaient la rétine, mais Ymir continuait à les fixer avec acharnement. Elle se sentait d'humeur à chercher la bagarre à n'importe qui ou quoi qui aurait été tout à fait incapable de lui répondre. Elle avait eu sa dose d'affrontement avec des être animés, et elle s'était faite bousillée la tronche par Annie.

Elle se retint de justesse de se racler la gorge pour cracher au sol -les sponsors n'apprécieraient pas qu'elle souille leurs plateformes rutilantes-, mais une petite balle fantôme restait obstinément fichée en travers de sa trachée, et elle n'aimait pas ça. Elle n'avait pas l'habitude de devoir lutter avec son propre corps. Même ses règles, elle les tenait en respect.

-Tche. »

Elle s'apprêtait à relever la tête, mais un bruit de pas et du mouvement en périphérie de sa vision l'incitèrent à rester allongée encore un peu. Quiconque oserait venir la déranger allait devoir attendre qu'elle daigne avoir fini de digérer sa défaite.

Au mot 'défaite' qui résonnait dans sa tête, Ymir fronça un peu plus les sourcils, sans cligner des yeux. Elle n'avait vraiment pas apprécié ce qu'il venait de se passer. Le début du combat s'était bien déroulé : elle avait jaugé Annie, étudié ses techniques, compris son rythme, économisé ses forces.

Puis elle était passée à l'attaque, et c'était comme... C'était exactement comme c'était, c'est-à-dire lutter avec quelqu'un dont le niveau était à peine plus élevé que le sien, et elle n'arrivait même pas à savoir en quoi, et elle était si proche du but, et il lui ne lui manquait presque rien, mais elle avait échoué, et elle avait perdu ! La frustration était trop importante pour jouer à deviner quel genre de catastrophe ou d'élément naturel correspondait à ce qu'elle ressentait.

Elle était déçue. Et, elle le réalisait après coup, elle avait peur de décevoir Nanaba. Elle se rappelait les mots que son instructrice avait prononcé, ceux qui avaient gonflé sa poitrine de fierté, parce que, pour une fois, elle n'était pas la seule à croire en elle-même. Nanaba aussi croyait en elle. Et ses paroles étaient entachées par la défaite qu'elle venait d'essuyer.

Quelque chose vint interrompre son duel insistant avec les projecteurs, et elle ouvrit la bouche pour rembarrer son futur interlocuteur, mais dès que ses yeux s'habituèrent à nouveau à la lumière, elle vit qu'il s'agissait de Christa, qui lui tendait la main avec un gentil sourire.

Aussitôt, elle saisit la paume tendue et tira brutalement sur le bras de la jeune fille pour se hisser, avec l'intention de l'emporter au sol, par pure mesquinerie. Mais Ymir n'était pas Ymir si elle n'était pas mesquine.

À sa grande surprise, Christa ne broncha pas, se contentant d'avancer le pied pour stabiliser sa prise et soutenir la plus grande des deux. Elle en avait un peu dans le ventre, la pitchoune.

-C'était un beau combat. » affirma Christa, avec sa petite bouille de sainte-nitouche.

Ymir grinça aussitôt des dents. Elle avait bien besoin que la petite princesse vienne lui peinturlurer la face de faux-semblants ! Elle ne pouvait pas aller embêter ceux qui en avaient vraiment besoin ?

-Si, si, je t'assure ! insista-t-elle, se méprenant sur la grimace de la plus grande. Tu es très agile, et tes techniques sont originales et efficaces ! »

Des adjectifs bien tournés pour dire qu'elle était vicieuse.

-Laisse tomber, cracha-t-elle en se retournant vers elle et en rajustant son uniforme. Ton petit jeu de bonne samaritaine adorable qui veut aider tout le monde, tu peux te le foutre où je pense. »

Christa recula d'un pas, comme si les paroles d'Ymir avaient suffisamment d'impact pour la repousser physiquement. Ses petits yeux bleu azur brillaient. Mais encore une fois, elle ne céda pas et refit un en avant. Ymir ne savait plus si elle était agacée ou impressionnée.

-Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda-t-elle en croisant les bras.

-C'est pas la peine de chercher à me faire plaisir parce que tu penses que je suis vexée d'avoir perdu, reprit Ymir avec les poils hérissés.

-J'étais sincère ! »

Ymir se figea, interdite, soufflée par la portée soudaine de la voix de la petiote. Dans cet instant, il n'y avait plus une seule faille dans sa posture, et son regard était rivé sur Ymir et la brûlait de sa détermination.

-Je suis sincère, reprit-elle clairement agacée. J'estime être en droit de donner mon opinion lorsque j'en ressens l'envie. »

L'agacement était en train de se faire lentement balayer, par à-coups, pour être remplacé par un frisson ravi. Ymir avait soudainement hâte de voir ce qu'elle avait dans le ventre. La jeune femme parvint tout de même à ne pas laisser son sourire s'agrandir de trop, et le laissa aussi venimeux que possible, pour garder l'illusion.

-Mais ça ne sert à rien de le donner si je m'en branle royalement, non ? »

Sans la quitter des yeux, elle mit ses mains sur ses hanches et se pencha vers le visage de Christa, avec l'intention de détailler toutes les nuances de son expression. Et elle ne fut pas déçue. La flamme qui scintillait dans l'iris de la jeune fille embrasa toute son expression, qui se peignit d'une couche de venin acerbe : les sourcils froncés, le petit sourire de travers qui montrait les crocs, la posture en miroir avec la sienne...

-Peut-être, mais ça ne t'a pas empêché de balancer ta propre opinion à tous ceux qui ne voulaient pas l'entendre, donc je ne vois pas pourquoi je me retiendrais et pas toi. »

La bataille était perdue, le sourire d'Ymir s'élargit et elle éclata de rire. Elle était dure à saisir celle-là ! Un coup elle s'écrasait sur elle-même sous la pression et les faux-semblants, un autre elle se tenait droite et tenait bon !

-Pas mal, pas mal, petiote. » ricana-t-elle avant de sauter par-dessus la barrière du ring.

Jean glissa fluidement vers le bas, le bras entravé par la prise de Minha, et atterrit au sol sans un bruit. La petite performance lui aurait bien donné envie de sourire un peu, mais le râtelier pile dans son champ de vision le fit davantage grommeler. Minha relâcha sa prise et il se releva pour lui faire face à nouveau.

-Recommence, mais fais un quart de tour sur la droite. J'arrive pas à voir avec la ligne de râtelier. »

La jeune fille acquiesça gravement et jeta des coups d'œils nerveux derrière lui. Sans empressement, mais sans mollesse non plus, Jean l'attaqua d'un coup de poing. Elle esquiva et guida son bras pour pousser sur ses appuis et le déséquilibrer. Jean ajusta sa posture juste à temps pour se laisser emporter, et elle l'emmena un peu trop lentement vers le sol.

Bah, tant pis. Après tout, leur petit jeu n'avait pas encore été repéré.

Leurs entraînements étaient habituellement bien plus rapides et stimulants que cette parodie de combat qu'ils exécutaient. Pour eux, il s'agissait plus d'un échauffement qu'autre chose. Mais ces techniques étaient inconnues de la majorité des autres tributs, et ils en profitaient justement pour faire de larges mouvements qui demandaient plus de travail sur tous les muscles et leur permettaient de s'échauffer.

Mais la véritable finalité de cet exercice n'avait rien à voir avec eux, et tout à voir avec leurs voisins, quelques mètres plus loin.

-Tu penses que ça te laissera plus de temps si on fait la version où je te fais tourner sur ta jambe d'appui avant de te mettre au sol ? proposa Minha en murmurant alors qu'il se relevait.

-Ne chuchote pas, c'est suspect. Et non, pas la peine, si je tourne trop j'ai pas le temps de me focaliser. Quelques secondes pendant que je suis au sol, c'est suffisant pour les observer. »

Ils recommencèrent et Jean reprit son analyse attentive de Marlow et Hitch. Les deux n'avaient pas remarqué que le tribut les scrutait. Avec d'autres individus, Jean n'aurait pas été aussi scrupuleux et discret dans son observation : Eren se fichait d'être le centre de l'attention, et tout le monde se permettait de fixer Mikasa ou Annie. D'ailleurs, certains avaient même arrêté de s'entraîner pour observer le combat entre cette dernière et Ymir.

En revanche, Marlow et Hitch étaient plus farouches. Aussi véhément que Marlow était lorsqu'il protestait contre le système du Capitole (sans être un tant soit peu capable d'y changer quelque chose lui-même), Jean avait réalisé assez tard qu'il n'avait pas encore pris la peine de mesurer les capacités réelles du candidat. Quant à Hitch, il l'avait vue chercher les embrouilles et provoquer quelques disputes, et elle méritait amplement le titre de renarde dont il l'avait affublée aux premiers Entraînements à 24, mais il ne connaissait pas ses capacités physiques non plus.

Il se retrouvait donc là, à exécuter des techniques avec Minha, et à observer aussi souvent que possible les deux qui s'entraînaient aux armes. Marlow maniait la dague, et Hitch la hache. Ils avaient commencé par s'entraîner à la visée sur des cibles, puis Hitch avait initié un combat réel, auquel Marlow avait participé avec réluctance, puis étaient retournés à des exercices de tir. Il commença à se relever, un genou encore à terre et une main sur l'autre, avant de s'arrêter à temps pour voir Marlow réussir son lancer pile entre les deux yeux de la cible pour la première fois.

Ils n'étaient pas spécialement bons. Hitch était vive, mais Jean avait vu Reiner balancer une hache assez fort pour fendre en deux une des cibles à forme humaine. Et Ruth n'en était pas loin non plus (ça, il avait eu l'occasion de le remarquer, elle avait tendance à vouloir exposer ses compétences à la vue de tous pour leur faire peur). Marlow était précis, mais il manquait un peu de force, et Jean avait vu Christa faire bien mieux avec beaucoup moins de masse musculaire.

En général, ils n'étaient pas vraiment dans une catégorie qui le mettait en danger. D'un autre côté, il n'avait jamais eu l'occasion de les voir manipuler l'équipement tridimensionnel. Et puis... il y avait quelque chose d'un peu troublant chez eux. Ils n'étaient clairement pas dangereux par leurs capacités physiques pures.

Mais Marlow avait quand même le cran de beugler à la face du Capitole tous les jours. Il déclarait à voix haute et forte et fière tout ce qu'ils pensaient tous tout bas. Et même s'il s'éparpillait complètement à l'heure actuelle, s'il trouvait un catalyseur, quelque chose qui lui permettait d'agir sur cette volonté colossale qu'il exposait, alors il serait terrifiant.

Hitch avait peut-être le potentiel pour devenir ce catalyseur. En de rares occasions, Jean avait plutôt repérer sa capacité à enfiler un masque trompeur et charrier tout le monde avec l'air de les complimenter, surtout les plus naïfs. Mais il l'avait aussi vue discuter avec des membres des Roses comme s'ils se connaissaient depuis très longtemps. Elle était capable de composer un sacré réseau, et probablement d'en tirer ce qui l'arrangeait.

Et elle était sûrement à un désavantage ici, car il y avait nombre de tributs hermétiques à ses compétences sociales : Christa et Reiner étaient dans leur petit monde un peu étrange, Ymir se perchait sur une estrade inatteignable et regardait tout le monde de haut, Annie ne considérait personne et Bertholt était sans cesse avec elle, Mikasa n'avait d'yeux que pour Eren... les plus forts n'étaient malheureusement pas les plus à l'écoute.

C'était dommage, car elle aurait pu offrir à Marlow les suiveurs qu'il aurait sans doute pu obtenir s'il était capable de se concentrer… Un peu comme l'autre abruti qui crie à tue-tête qu'il veut affronter tout le monde et qui a réussi à se créer un petit comité. L'idée lui déplaisait.

-Jean, tu devrais te relever. »

Il desserra les sourcils et se tourna aussitôt vers Minha, et réalisa qu'il s'était arrêté pour penser, la main toujours sur le genou. Il se remit debout en vitesse et s'étira les épaules :

-Je suggère une pause. Je ne pense pas en apprendre plus sur eux aujourd'hui, sauf s'ils changent d'exercice. On garde un œil sur eux et on se rejoint si on les voit bouger ? proposa-t-il.

-Faisons ça. Et regarde aussi comment Samuel et Franz s'en sortent à la lance, ajouta-t-elle. Ils ont commencé il n'y a pas si longtemps, je crois, il faut voir s'ils ont progressé. »

Jean acquiesça et passa les bras au-dessus de sa tête pour s'étirer. Un grognement de satisfaction lui échappa en sentant sa colonne vertébrale craquer et il laissa retomber ses bras en roulant des épaules pour les assouplir.

-Je vais me chercher de l'eau, annonça Minha d'un seul coup.

-Tu peux me ramener une bouteille aussi, s'il te plaît ? »

Elle acquiesça et fila vers le petit stand de distribution au bord de l'arène. De son côté, Jean jeta un dernier coup d'œil à Marlow, et détourna la tête en vitesse quand il manqua de croiser son regard.

-Sasha, t'abuses pas un peu là ? »

Et voilà, l'autre abruti est encore en train d'ouvrir sa grande gueule. Jean tourna la tête dans la direction d'Eren, mains sur les hanches. Le jeune tribut était en train d'apostropher Sasha, qui se tenait juste à côté de Marco, avec qui elle discutait avec engouement quelques secondes auparavant. Il a vraiment un don pour s'acoquiner avec tout le monde celui-là. Il avait cependant l'air de regarder ailleurs, imperméable à l'assistance d'Eren. Au moment où il se retournait pour parler à Eren, quelqu'un d'autre entra dans le champ de vision de Jean, et il se pétrifia.

Mikasa passait à quelques mètres de lui, tout en finesse et en grâce, avec la démarche d'un félin prêt à bondir, et en l'occurrence, prête à défendre ceux de sa meute. Elle était incroyablement belle dans ses mouvements. Aussitôt, ses joues chauffèrent, et il se sentit très maladroit, les mains perchées sur ses hanches comme s'il imitait un poulet gauche. Il les laissa retomber le long de ses côtes avant de commencer à s'avancer vers elle, sans trop savoir ce qu'il voulait dire, et se sentit encore plus maladroit de s'arrêter en plein milieu de son mouvement. Soudainement, il ne savait plus quoi faire de ses mains.

Mais la demoiselle l'ignora royalement pour rejoindre l'autre siphonné, juste après que la fameuse Sasha ait engouffré une nouvelle patate.

-Eren… On devrait reprendre l'entraînement.

-Oh, ça va, Mikasa ! fit-il. Tout le monde se permet d'intervenir pendant les entraînements des autres.

-Tu t'ennuies parce que Annie et les autres sont occupés et ne peuvent pas travailler avec toi ? intervint Marco avec un sourire léger.

-Un des sponsors te regardait attentivement tout à l'heure, insista Mikasa, et c'est l'occasion de te démarquer.

-C'est pas avec toi que je vais pouvoir me démarquer, rétorqua Eren avec un grognement agacé et un geste du bras pour se débarrasser de la main qu'elle avait posée sur la sienne. Ils savent tous que lorsqu'on se bat, tu me laisses gagner. »

Soudainement, il savait exactement quoi faire de ses mains. Les envoyer dans la tronche de Jäger. En quelques larges enjambées, il avait rejoint Eren, et abattait sa main sur son épaule comme s'il aurait pu l'enfoncer dans le sol. Il aurait aimé avoir la petite satisfaction de le voir sursauter, mais le petit con s'était presque retourné avant qu'il n'ait fait quoi que ce soit.

-Dans ce cas, mesure-toi à moi, gronda-t-il. Ça te fera un combat où personne n'est là pour ménager ton ego. »

L'exclamation indignée du tribut l'informa qu'il avait atteint son but.

-Qu'est ce que tu veux, toi ? Te mêle pas de ce qui te regarde pas ! » s'énerva aussitôt Eren, sur la défensive.

-De nous deux, c'est bien toi qui t'occupes de ce qui te concerne pas, répondit Jean alors qu'Eren dégageait son bras d'un large geste. Tu fourres ton nez là où tu devrais pas quand il y a des gens particulièrement conciliants qui s'accommodent à tous tes caprices. »

Un sourire un brin carnassier se déploya sur son visage en voyant Eren rentrer les épaules et baisser le menton, comme un animal acculé. Il avait touché un point sensible. Parfait. Il savait donc à qui Jean faisait référence, et il en était conscient. C'était pire, d'une certaine façon.

-Baratine ce que tu veux, Kirschtein, grinça Eren en se tournant pour lui faire pleinement face. J'ai autre chose à faire que d'occuper un gamin brailleur comme toi. Va voir ta mère si t'as besoin d'attention ! »

Jean fut incapable de contenir le grondement qui frémissait dans sa poitrine.

-Laisse ma mère en dehors de ça !

-Bah quoi ? T'es un fils à sa maman peut-être ? »

Eren souriait, visiblement satisfait d'avoir l'occasion de lui renvoyer ses insultes. Jean ne souriait plus du tout.

-Jean ! »

Le cri de Minha résonna en même temps que l'exclamation de colère de Jean quand il envoya son poing vers la tronche anormalement intact de son interlocuteur. Il aurait déjà dû être salement amoché avec toute l'attitude provocatrice qu'il arborait comme un blason.

Mais Eren était rapide, il esquiva l'attaque d'un pas sur le côté, qui l'emmena encore davantage dans l'espace personnel de Jean. Le plus grand repéra aussitôt l'occasion d'appliquer une des techniques de Hansi. Il envoya son coude droit dans le menton d'Eren. Ce dernier perdit momentanément l'équilibre pour l'esquiver.

Jean repéra l'instant opportun pour le déséquilibrer, et était sur le point de s'estimer vainqueur, mais soudainement Eren planta fermement son pied au sol, enserra le bras de Jean et l'envoya valser à terre. Jean rebondit contre le béton ciré avec une exclamation étranglée, le souffle coupé par l'impact. Il ne sut pas ce qui vint en premier : le choc d'avoir été vaincu par Eren ou le choc qui secoua sa colonne vertébrale. En revanche, il savait définitivement lequel faisait le plus mal.

Il se serait relevé immédiatement si Eren n'avait pas gardé une poigne ferme sur son bras.

-T'as déjà eu ta dose, Jean ? ricana-t-il.

-Ta gueule. » murmura Jean d'un ton tranchant, la panique étranglant ses cordes vocales.

Eren le relâcha enfin, et Jean bondit sur ses pieds, le souffle court et haché, mais la sale anguille s'était déjà éloignée, en sécurité loin de la portée de ses poings ! La main de Minha sur son torse l'empêchait de se venger sur-le-champ, et lui laissa assez de temps pour détailler les réactions de leur entourage. Ce dont il se serait bien passé.

Mikasa ne lui avait même pas accordé un regard, et était déjà aux côtés de son partenaire, et Jean eut envie de cracher au visage d'Eren. Il sursauta en croisant le regard surpris de Marco. Le jeune homme le scrutait, l'expression toujours aussi soigneusement neutre, mais incapable de dissimuler la surprise qui arrondissait encore ses pupilles. Surpris par quoi ? La facilité avec laquelle Eren venait de le maîtriser ? L'accès de colère de Jean ?

Il ne croisa pas le regard de Sasha ou Thomas, et se retint prudemment de jeter un œil aux sponsors derrière lui, une présence imposante et envahissante qui encerclait ses oreilles bourdonnantes. Sa nuque le piquait, son visage le brûlait de honte. Comme souvent après ces moments où il n'arrivait plus à se concentrer, il ressentait tout au centuple. Sa respiration était trop lourde, son squelette mal placé, les bruits environnants trop fort...

Eren venait de l'éclater comme s'il venait d'arriver aux jeux ! Comme si Jean n'avait pas passé trois semaines à s'entraîner d'arrache-pied au combat ! Comme si tous ses efforts s'étaient évaporés en une poignée de secondes ! Eren, le petit con qui n'arrivait pas à voir à plus de cinq mètres devant lui, et encore moins à regarder derrière lui pour constater tout ce qu'il avait !

Est-ce qu'Eren était plus fort que lui ? Il n'avait pas vraiment moyen de savoir combien de temps il avait consacré à son entraînement, mais une chose était sûre, il y avait mis beaucoup plus de cœur que Jean. C'est dans ces moments que le jeune homme du District Sept regrettait d'avoir un cerveau qui turbinait tout le temps et des yeux qui fonctionnaient un peu trop bien.

Il avait eu l'occasion de voir à quel point Eren était passé d'un petit con qui fonçait tête baissée dans le tas à un tribut un minimum compétent. Il l'avait vu dans la rapidité avec laquelle il s'était tourné vers lui, comme s'il l'avait déjà entendu approcher, il l'avait vu dans sa vivacité, ses réflexes qui ressemblaient presque à de l'anticipation, il l'avait vu dans la vitesse d'exécution de sa technique, criante d'habitude et d'acharnement.

Et lui, alors ? Tous ses muscles étaient pétrifiés, ses pieds enracinés au sol. Il était trop occupé à évaluer les autres pendant une mascarade d'échauffement pour prendre la peine de s'améliorer lui-même, pas vrai ? C'était bien gentil d'observer les gens, il faudrait peut-être qu'il se concentre sur lui !

Minha le relâcha, et il ne savait pas s'il avait envie de s'énerver après elle pour l'avoir retenu ou s'il voulait la remercier de l'avoir empêcher de se ridiculiser davantage. Car il se serait ridiculisé davantage, non ?

Est-ce qu'elle venait d'essayer de la faire tomber ?

Reiner plissa les yeux. Le rouge pétant de la cible ne le dérangeait nullement, il concentrait toute l'acuité de son regard sur la scène qui se déroulait derrière la rangée de mannequins. Entre les têtes, il discernait Christa en train d'aider Ymir à se relever.

Des deux mains, il serra encore plus fort le manche du pistolet qu'il tenait près de sa cuisse, pointé vers le bas. Les deux jeunes femmes étaient trop loin pour qu'il comprenne bien tout ce qu'il se passait, mais sa vue était assez perçante pour qu'il sonde le moindre danger qui pouvait se présenter à Christa. Et Ymir était l'une des tributs les plus redoutables. Le danger, la menace, elle les distillait autour d'elle, tout en les dissimulant sous de la nonchalance. De quoi berner les plus naïfs.

Reiner s'appuya contre la rambarde qui délimitait l'espace des tireurs. Ymir s'éloignait et Christa la regardait partir avant de tourner les talons dans un calme apparent. Il sourit. Christa ne faisait pas partie de ces naïfs. Visiblement, son interaction avec Ymir s'était déroulée sans problème. Le jeune homme se replaça à un demi-mètre de la rambarde et nota quelque part dans son esprit qu'il valait mieux aller en toucher un mot à Christa plus tard, afin de s'assurer que tout allait bien. Elle était peut-être encore en train de cacher ce qu'elle ressentait. Ce qui était certain, c'était qu'il la tiendrait loin d'Ymir.

Il releva les bras, les tint droit, parallèles au sol, prit une profonde inspiration qui couvrit les essoufflements de plus en plus proches sur sa gauche et tira.

Le sifflement explosif de la balle retentit, pressant tout autour de lui : le mannequin qui bascula en arrière face à l'impact, Franz qui passait près du râtelier et sursauta avec tant de précipitation que ses épaules semblaient tenter de décoller vers le plafond, la flopée de journalistes qui décochèrent leurs flashs les plus aveuglants et le mannequin qui se stabilisa pour révéler un impact de balle entre les yeux. Seul le candidat du District Un n'avait pas bronché.

-Waouh ! À mon tour ! s'exclama Eren en saisissant un revolver à toute vitesse avant de se poster à nouveau à la gauche de Reiner.

-T'en as mis du temps… observa le blond en chargeant la chambre de nouvelles balles. Marco va bien ?

-Oui, au final il a suivi Sasha. Ça avait l'air d'être ce qu'il voulait faire mais faut pas qu'il prenne l'habitude de tout lui céder. Et moi, c'est juste que… j'ai eu… un contretemps.

-Un contretemps ?

-Ouais, un contretemps qui s'appelait Jean Kirschtein ! »

À ses mots, Eren appuya sur la gâchette. Il ne parvint pas à lutter contre la puissance du tir et ses mains, cramponnant toujours l'arme, partirent plusieurs centimètres en l'air alors qu'il se mordait la lèvre. Au moins, le tribut brun avait réussi à tirer dans la hanche de la cible. Quelques appareils photos capturèrent l'instant. Eren vira ses prunelles incandescentes sur Reiner.

-Et je lui ai réglé son compte, comme la hanche de ce machin ! déclara-t-il avec fierté et enthousiasme.

-C'est bien mais fais gaffe à ne pas en dévoiler trop sur tes aptitudes. » rétorqua le blond, prêt à tirer.

Il repositionna ses bras en ligne droite et dégagea la cross du pistolet, jusque là il l'avait toujours recouverte de sa paume gauche. Il s'orienta de trois-quart, bomba le torse et laissa tout son bras gauche s'aligner verticalement en suivant le reste du corps. Avec son bras droit qui était parallèle au sol, il formait un angle droit. Reiner prit une profonde inspiration et tira dans le foie de la cible. Tenu d'une seule main, le pistolet était bien plus léger ! Mais plus imprévisible aussi. Et pourtant, la balle était rentrée. Il renifla de satisfaction et braqua, à son tour, le feu de ses yeux sur l'autre tribut qui faisait la moue. Même si ses prunelles étaient aussi écarquillés que s'il venait de voir un Titan s'envoler.

-Pff… et c'est toi qui me parles de pas trop montrer ce qu'on a dans le ventre… ronchonna Eren.

-Reiner a raison. Tu dois garder l'effet de surprise. »

Eren blêmit et Reiner fit volte-face. Annie se tenait derrière lui, près de la rambarde, le regard rivé sur la rangée de mannequins. En jetant un coup d'oeil derrière l'épaule de leur entraîneuse privée, Reiner vit Bertholt finir de monter les trois marches qui menaient au poste des tireurs. Instinctivement, toute leur petite troupe s'était réunie à cet endroit !

-Qu-Quoi ?! Tu nous as entendu ? s'étrangla Eren.

-Non. Je passais juste dans le coin pendant ton combat. »

Eren ne prit même pas la peine de brailler un nouveau « Quoi », il était simplement bouche bée. Reiner déposa le pistolet, s'adossa à la rambarde et ricana :

-Je parie que c'était pas bien compliqué de repérer où était la baston ! On parle quand même d'une bagarre entre deux des plus gros gueulards…

-Gueulard toi même ! riposta Eren. Ça se voit que tu t'es jamais entendu beugler avant de charger à l'attaque !

-C'est vrai que ce combat était bruyant.

-Annie ! pesta Eren en se tournant vers la jeune fille. Va pas dans son sens !

-Merci, Annie. (Reiner agita la paume vers la tribut blonde, ravi de l'argument d'autorité qu'elle lui apportait.) Beau combat de ton côté aussi, d'ailleurs. J'en ai vu l'issue. »

Eren déposa ses yeux globuleux sur la martialiste et reprit la parole, d'un ton plus posé :

-Oh c'est toi qui as gagné ? J'avoue que j'en doutais pas du tout…

-A-Annie a été incroyable ! » s'extasia soudainement Bertholt en ramenant ses poings fermés près de son torse et en interrompant Eren par la même occasion.

Fort heureusement, Eren eut la gentillesse de ne pas s'en prendre au grand brun. Il se contenta plutôt d'acquiescer avec vigueur, tandis qu'Annie haussait un sourcil à l'égarer dans sa chevelure. Pressentant un long silence, Reiner se sentit tenu d'œuvrer au plus vite pour alléger l'ambiance.

-Bande de lèches-bottes… grinça-t-il.

-Attends un peu que je te flanque un bon coup de pied dans la tronche à notre prochain combat et tu verras qui est le plus lèche-bottes ! » répliqua Eren d'un ton à la fois énervé et amusé.

Bertholt gloussa et le sourcil d'Annie retrouva sa position habituelle. Puis, Eren fit un léger pas en avant, en direction du plus grand.

-Mais Bertholt, défends-toi, à la fin ! Tu vas pas le laisser s'en sortir avec ça quand même ?! »

L'intéressé rougit et se gratta la joue, l'air enchanté qu'Eren se soucie de lui. Or, sa mine se décomposa lorsqu'Annie tourna subitement les talons en marmonnant qu'elle retournait s'entraîner. Fidèle à elle-même, en temps de sérénité, Annie vivait à son rythme et rien ne pouvait l'empêcher de changer d'activité dès qu'elle le souhaitait. C'était assez déstabilisant au début, mais Reiner s'était vite fait à ce fort caractère qu'elle avait. Non seulement Christa l'avait habitué à un tempérament similaire, mais il n'y avait que la pression qui touchait suffisamment Annie pour qu'elle se plie à la volonté des autres. Ainsi, quand elle se comportait de la sorte, c'était que tout allait bien. Ce n'était non plus déstabilisant, mais rassurant.

Le geste de leur entraîneuse sonna comme un rappel à leur spécialiste en tridimensionnalité et Eren se tourna pour vider les balles qui restaient dans son pistolet.

-Okay, c'est pas le tout, mais faut que j'y aille ! Minha et Samuel m'ont dit qu'ils m'affronteraient après leurs prestations ! Ça va bientôt être l'heure, faut que je me grouille de les retrouver au ring ! »

Il rangea le pistolet auprès des autres, salua Reiner et Bertholt d'un large et vif geste de la main, et détala.

-Et j'arrête pas de lui dire de pas tout nous raconter… soupira Reiner en se massant la nuque.

-Je ne pense pas qu'il nous dise tout… il doit plutôt sélectionner ce qu'il raconte, justement. »

La voix de Bertholt était hésitante et il fixait ses pieds, se massant la nuque par imitation, toujours aussi rouge qu'auparavant. Reiner s'étira le bras, puis décolla le bas de son dos de la rambarde. Il asséna un coup de coude au grand brun. Ce dernier sursauta, comme s'il ne s'y était pas attendu alors que Reiner n'avait pris aucune précaution de discrétion.

-Eh, ça va ? T'as pas l'air dans ton assiette. »

Bertholt le considéra en ouvrant grand les yeux, puis il y déporta ses iris jusque dans les coins, le temps de chercher ses mots. Reiner savait que quelque chose le travaillait : Bertholt n'avait pas intérêt à nier et clamer qu'il allait bien ! L'échéance des jeux ? Ou d'une de ces interviews, qu'il supportait si mal, d'ici quelques heures ? Commençait-il à douter, à perdre espoir ? À songer que bientôt ils allaient tous devoir se… ?

-Je… c'est Annie. J'ai l'impression qu'elle m'évite. »

La stupéfaction et le soulagement se mêlèrent en Reiner et, par respect pour le grand brun, il peina à dissimuler le rictus tordu qui s'esquissait sur ses lèvres. Il expira lourdement des narines pour se donner un peu plus de contenance et porta trois doigts à son menton. Le blond ressassa de poussiéreux souvenirs où il avait pu observer une Christa confrontée, elle aussi, à ce genre de discussions. Elle gérait toujours ces délicates situations avec brio. Il espérait en avoir pris de la graine.

-Pourquoi est-ce qu'elle t'éviterait ?

-J'ai dit quelque chose… enfin, j'ai plutôt rien dit quand j'aurais dû et ça l'a mise dans l'embarras. Et maintenant je crois qu'elle m'en veut, expliqua le grand tribut, le regard toujours aussi fuyant.

-Tu trouves qu'elle t'évite ?

-Ben oui, à l'instant encore : elle est soudainement partie parce qu'Eren m'encourageait à répondre… elle a vraiment pas envie de me parler, donc elle préfère partir quand je m'exprime trop.

-T'es sûr ? Elle fait pas tout le temps ça d'habitude ? Je veux dire… s'éclipser d'un coup parce qu'elle préfère aller faire autre chose ? Et puis, elle est du genre silencieuse, donc même si elle te parle pas trop… je pense pas qu'elle t'évite.

-Hein ? T'es sûr ? s'emballa le brun, renouant le contact visuel.

-Je crois… »

Bertholt rebaissa les yeux, il scrutait désormais ses mains qu'il frottait et ses doigts qu'il entrelaçait. S'il avait réussi à le convaincre qu'il se faisait des idées, ça, Reiner ne le savait pas. Il s'éclaircit la gorge, posa la main sur l'épaule de Bertholt et y exerça une pression réconfortante. Le grand brun tourna la tête vers lui.

-Écoute vieux, tu sais comment elle est plus que quiconque, lui expliqua Reiner d'une voix posée qu'il espérait la plus rassurante et claire possible. Va lui parler. Explique-lui ce qui va pas. Dis-lui que t'es désolé et elle comprendra. Vous êtes amis d'enfance, non ? »

Bertholt acquiesça timidement. Reiner serra alors à nouveau son épaule.

-Okay ?

-Oui ! Merci, Reiner. »

Reiner le relâcha pour récupérer son revolver et se reporter à ses exercices de tir. Quant à Bertholt, il le salua avant de s'éclipser poursuivre d'autres entraînements. Reiner espérait qu'il s'était déjà lancé à la recherche d'Annie.

Il valait mieux pour ces deux-là qu'ils règlent leur souci de communication avant le début des jeux, sans quoi ils mourraient plein de regrets.

Il prit une profonde inspiration et, d'une seule main, tira.

J-10

() …

Pendant que tout le monde s'entraîne, Marco cherche désespérément l'approbation de Marlow-senpaï...