Interlude II
OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance = - Liberio at Night (Pf&Vln ver.) -
- Shingeki Vc - Pf 20130218 Kyojin -
- Memory Lane (Vln ver.) -
- Call of Silence -
… () …
Après le petit doigt, l'annulaire, le majeur et l'index, Hansi s'attaqua à son pouce. L'ongle était un peu plus épais, plus solide, et un chouïa plus recourbé. Peut-être qu'il lui faudrait quelque chose comme une bonne heure pour lui régler son compte.
Dans tous les cas, le livre était bien à sa place dans la bibliothèque. La tentation de vérifier au risque de briser sa couverture avait vaincu, et maintenant que tout était bien en place, il n'y avait plus qu'à trouver une nouvelle petite manie à adopter à chaque fois qu'on lui poserait des questions avoisinant le sujet. Alors pourquoi pas se ronger les ongles ?
-Hansi ? Qu'est-ce que vous faites ici ? »
Sa tête se tourna vers la voix familière : Moblit se tenait devant la porte d'un bar, les yeux ronds, visiblement surpris de trouver son acolyte ici.
-Moblit ? Bien le bonjour ! s'écria aussitôt Hansi en le rejoignant. Que fais-tu de beau ?
-Nous nous sommes rassemblés avec une bonne partie de l'équipe pour boire un peu.
-Alors que demain est votre plus dure journée ? »
Moblit lui répondit par un lourd soupir. À l'évidence, ce n'était pas son idée. Hansi ricana sous cape.
-Vous vivez dangereusement ! Je vous rejoins. »
La porte ne lui résista pas bien longtemps et s'ouvrit pour révéler l'intérieur du bar de ce bon vieux Dusel, un Moblit nerveux sur ses talons. Aussitôt, de nombreuses têtes se tournèrent vers eux à cause du bruit, curieuses.
-Oh, Hansi, bonsoir, commença Erwin avec sa politesse habituelle. Vous vous joignez à nous ? »
Hansi scanna du regard la table autour de laquelle ils s'étaient réunis alors que Moblit reprenait son siège. Il y avait Erwin et Rico, et Hansi s'étonna presque de ne pas les voir avec leurs protégés, avant de se rappeler que tout le monde n'avait pas la chance d'aussi bien s'entendre avec ses tributs. Rico gardait une relation tout à fait professionnelle, tandis qu'Erwin... aucune idée, mais peut-être qu'il avait tout simplement besoin d'une pause.
-Volontiers ! Il faut justement que je vous parle. »
Le dernier attablé, qui portait un insigne de rose, grogna. Hansi ne se rappelait pas grand-chose le concernant, si ce n'était qu'il portait des lunettes et avait souvent fait partie de son équipe d'assistance.
-De quoi ? » demanda Moblit avec un soupir.
Le pauvre avait toujours l'air fatigué.
-De mes récentes théories, déclara Hansi alors qu'un léger concert de grognement ou de soupir poli retentissait (merci bien, Erwin). Si, c'est très intéressant je vous assure ! J'y pensais justement en marchant pour rentrer, là, et je crois que j'ai mis le doigt sur quelque chose.
-Quoi donc ? »
Un envoyé du ciel, ce Moblit. Une patience qu'il allait falloir repayer d'une manière ou d'une autre, un de ces quatre. Hansi joignit ses mains et laissa un large sourire prendre place sur son visage.
-Je vous avais déjà parlé de ma théorie selon laquelle les difformités des titans ne sont pas intentionnelles, n'est-ce pas ?
-Et ils ne prennent que ceux qui peuvent se déplacer ?
-Bien ! s'exclama Hansi en pointant un doigt enthousiaste vers l'homme aux lunettes. Votre nom ?
-Abel, informa l'homme, un peu surpris.
-D'accord, Abel.
-C'est la quatrième fois que vous me le demandez, coupa-t-il.
-Ah… »
Un ricanement étouffé échappa à Moblit, et un sourire railleur souleva très légèrement les commissures de Rico.
-C'est à cause de gens comme vous que les roses croient que tous les anciens vainqueurs pètent plus haut que leurs culs. » grommela Abel.
Pendant quelques secondes, Hansi ne sut que répondre. Heureusement, Moblit intervint, redirigeant le cours de la conversation.
-Heureusement pour nous, Hansi ne se comporte ainsi qu'avec l'intégralité de son entourage. Mais vous parliez de votre théorie.
-C'est vrai, ma théorie… Vous m'avez fait perdre le fil, une seconde. »
Mieux valait retourner dans des eaux confortables plutôt que de faire face à l'embarras des interactions sociales. Au même moment, un serveur vint prendre sa commande, et Hansi perdit encore quelques précieuses secondes à commander un alcool fort, n'importe lequel.
-Je disais donc : en effet, je pensais que seuls les titans capables de se déplacer étaient utilisés pour les épreuves. Le pourcentage de cette difformité m'intrigue. Après tout, je n'en ai vu qu'une seule fois, n'est-ce pas ? »
Ils hochèrent la tête.
-Est-ce que le pourcentage est aussi important que je me l'imaginais ? Je me demande même si ces difformités ne sont pas aussi inhabituelles que les nôtres, mais à un stade moins restreint. Ce que je veux dire par là, c'est que peut-être que leur forme n'a pas besoin d'être aussi réglée que la nôtre pour être biologiquement considérée comme normale. J'y pensais parce qu'ils sont capables de se régénérer de n'importe quoi, même une chute de plusieurs centaines de mètres depuis les airs. Si ces difformités n'étaient pas naturelles, peut-être auraient-elles déjà été éliminées par leurs capacités de régénération.
-Où voulez-vous en venir ? » interrogea Erwin en avalant une gorgée.
Hansi fronça sévèrement les sourcils, incapable de retrouver le fil de ses pensées.
-Oh, je ne sais déjà plus. L'idée globale était qu'ils sont peut-être une espèce à part entière. Ou en tout cas, qu'ils l'étaient. »
Un chœur d'inspiration choquée lui fit écho.
-Mais vous aviez dit qu'ils avaient été créés par le Capitole… souffla Moblit, les yeux écarquillés.
-En effet, mais je commence à penser le contraire. Pour des créatures aussi énormes, et aux caractéristiques aussi uniques, c'est quand même difficile de les créer à partir de rien.
-Et donc tu penses qu'ils existaient avant ? intervint Rico avec un haussement de sourcil sceptique.
-Ce serait bien possible. Je me demande s'il ne s'agirait pas d'une espèce à part, peut-être presque vouée à l'extinction, que le Capitole essaie de maintenir en vie. Après les avoir presque éradiqués. »
Un silence s'installa à la table comme la poussière qui retombe après avoir été secouée vigoureusement. Interrompu seulement par le serveur qui lui apporta timidement sa boisson. Hansi avala une large gorgée.
-Ouh, ça arrache comme il faut, ça !
-Qu'est-ce qui a amené ce genre de réflexion ? demanda Erwin, toujours avec ses questions légèrement de travers.
-Un dessin de Jean et une certaine réaction de Minha, admit Hansi immédiatement.
-C'est-à-dire ?
-Mmmh…Hansi leva les yeux vers le plafond. Lorsque je leur ai raconté que j'avais baptisé des Titans, Minha a réagi plus violemment que je m'y attendais. La perspective de les considérer comme des personnes l'a vraiment dégoûtée.
-À quoi tu t'attendais, aussi ? rétorqua Rico. Elle va aller trucider des hommes et des monstres demain, c'était bien le moment de lui faire avoir une crise existentielle.
-C'est vrai que c'est une enfant candide, avec beaucoup de bonté, releva Hansi avec un sourire et une nouvelle gorgée. Elle a beaucoup de gentillesse à offrir, et je crois qu'elle aurait peur de leur accorder la pitié qu'elle ne peut plus se permettre… Mais moi, ça me donne quelques idées. Et s'ils avaient réellement été similaires auparavant, une espèce à part entière, avec une civilisation et des identités individuelles ?
-Ils ne peuvent pas communiquer, fit remarquer Moblit.
-Ça, j'y réfléchis encore. Mais j'y ai pensé aussi en voyant que Jean rajoutait des échelles humaines dans ses dessins de Titans. Les voir côte à côte, comme ça, sur le papier, ça me fait réfléchir. D'ailleurs, il a dessiné un titan en train de s'éclater au sol, une fois, ce qui n'arrive jamais, à ce que je me rappelle. Même en tombant de plusieurs mètres, ils se relèvent, à moins de se briser la nuque, et encore, donc on en revient à leur capacité de régénération et au fait que leurs difformités sont peut-être naturelles.
-Parce qu'on n'en a jamais vu mourir au sol ?
-En effet. Pas à la caméra, parce qu'il n'y a rien d'intéressant à les regarder, et lorsqu'on est sur le terrain, on n'est vraiment pas concentré dessus, donc j'ai eu beau demander à beaucoup de monde, ils ne se rappellent pas avoir vu un Titan mourir en tombant à cette distance. »
Nouvelle lampée.
-En même temps, il n'y a que vous pour chercher à se remémorer les jeux auxquels vous avez participé, souligna Moblit. Allez-y doucement avec celle-là, elle est sucrée, ajouta-t-il.
-Dans tous les cas, on n'en a pas vu, donc on manque de données, mais c'est à peu près certain. D'ailleurs maintenant que j'y pense, Jean a vraiment beaucoup d'imagination pour réussir à concevoir quelque chose de ce genre sans en avoir déjà vu. Ce garçon a un vrai talent pour la conception de l'espace ! Sa tridimensionnalité est impeccable. J'ai rarement vu quelqu'un qui s'en sortait aussi bien, à part Mike. Il pourrait vivre avec les titans, s'il le voulait !
-J'avoue que je ne vous suis plus à partir de là, avoua Erwin.
-Moi non plus. » concéda Hansi.
Moblit lui laissa un instant pour retrouver son fil de pensée et se tourna vers Rico et Erwin pour dériver la conversation :
-À propos de vos tributs, vous ne devriez pas être avec les vôtres ?
-Ça vaut mieux de leur laisser une dernière soirée, répondit Rico en haussant les épaules. Histoire qu'ils remettent les compteurs à zéro et qu'ils se rappellent qu'ils seront tous seuls dans quelques heures.
-Rude, commenta Abel.
-Personnellement, je compte les rejoindre un peu plus tard de toute façon, répondit Erwin. Mais effectivement, c'est une nuit importante pour eux, ils doivent avoir beaucoup à penser.
-J'ai retrouvé ! s'écria Hansi en se redressant, renversant presque son tabouret. Je voulais dire que Jean serait parfaitement capable de récupérer toutes sortes de données sur les Titans. Et probablement même de vérifier si certains meurent sous le choc de la chute. Non attendez, pourquoi il me fallait cette info, déjà ? Ah oui, par rapport à leur capacité de régénération, si les difformités sont naturelles ou pas…
-Calmez-vous, l'enjoignit Moblit en posant un bras sur son poignet pour l'inciter à se rasseoir.
-Dans tous les cas, Jean devrait parfaitement pouvoir s'en charger ! Ce gosse est un bon, et même, je vous garantis que Minha et lui vont gagner ! »
Une expression indéchiffrable passa sur les visages de Rico et Erwin. Indéchiffrable pour Moblit et Abel, cela dit. Hansi en connaissait toutes les nuances et déclara soudain :
-Je vais y aller. »
Aussitôt après son apparition, Hansi disparut, abandonnant sa boisson, Moblit et ses théories. Dehors, la nuit était bien tombée, et le temps s'était rafraîchi. Il faisait toujours aussi chaud qu'au cœur de l'été, mais une brise bienfaisante venait apaiser son système thermique.
Le trajet jusqu'à la baraque était flou, comme chaque déplacement l'était si Hansi avait le malheur de connaître le chemin par cœur. Marcher était une activité trop vide, et ses pensées remplissaient chaque écho de bottes comme le retentissement des haut-parleurs des écrans publiques remplissait les journées de certains citoyens. Trop.
La baraque surplomba très vite sa stature, et rentrer à l'intérieur lui sembla aussi difficile que l'année dernière. Peut-être plus. Définitivement plus. Hansi ouvrit la porte, pénétra à l'intérieur, retira ses bottes et son manteau, et se dirigea vers les escaliers.
Son cerveau se rappela une des missions qu'il s'était attribué il y a quelques jours, et machinalement, ses pas virèrent et l'emmenèrent jusqu'à la salle où était rangé le matériel. Il lui fallut plusieurs minutes pour retrouver un carnet convenable et vide. Il était déjà un peu tordu, mais bizarrement, une petite voix lui assura que son élève ne s'en formaliserait pas. Objet en main, Hansi reprit sa trajectoire initiale.
Avec un peu de chance, ils étaient endormis. Et leur mentor n'aurait pas à dire au revoir. Mais ses jambes n'avaient jamais écouté rien moins que sa rationalité.
Chaque année, c'était la même chose. De nouveaux venus, de misérables indices, beaucoup de réflexions inabouties. Des heures passées à observer, observer, tirer des conclusions, guider, motiver. Des heures qui étaient passées si vite avec ces deux-là, dès les premières semaines.
Associer les Titans et les morts, c'était facile. C'était une réalité dure, tout en angles pointus et perforants. La pression qui ne s'abattait plus, mais qui reposait sur ses épaules et dégoulinait lentement comme de la poix, venait s'écouler le long de ses bras pour les immobiliser, l'empêchait parfois de tenir un crayon. Il n'y avait qu'à s'agiter pour s'en débarrasser. Parler plus fort, bouger plus vite, penser plus grand.
Associer ses deux protégés et les Jeux… ce n'était pas facile. Il y avait un problème, un décalage, deux pièces de puzzles qui ne s'emboîtaient pas. Une pièce dure et sèche et dévorante qui plantait ses crocs dans une autre pièce, ronde, douce, lumineuse.
La porte du salon lui faisait déjà face. Décidément.
Hansi agrippa la poignée et poussa la porte. Les deux jeunes gens n'étaient nulle part. Le salon était déjà vide, propre, fade. Déjà…
Ses pas l'emmenèrent machinalement vers le couloir des chambres, et ses mains toquèrent mécaniquement sur la première porte, le choc du bois résonnant jusque dans son coude malgré la légèreté de son geste.
-Oui ? lui répondit la petite voix de Minha.
-Toc ! Toc ! Toc ! répondit Hansi en ouvrant avec un sourire. Comment se porte ma petite protégée ? »
Minha rosit immédiatement. Elle était allongée dans son lit, mais visiblement le sommeil avait eu du mal à la trouver, vu l'état désordonné de la couette. Elle s'assit aussitôt en tailleur alors que Hansi entrait.
-Je n'arrive pas trop à fermer l'œil. »
Son sourire était petit, mais sincère. Ses cheveux étaient détachés, mais se répartissaient instinctivement sur ses deux épaules. Elle avait l'air minuscule dans sa posture, mais grande dans son expression. Il y avait quelque chose de complexe dans ses yeux, que Hansi avait déjà vu passer des dizaines de fois auparavant, chaque fois différentes.
Avant même de s'en rendre compte, ses bras étaient serrés autour des épaules de la jeune fille dans une féroce étreinte, le carnet posé sur la table de chevet.
-Hansi ? s'inquiéta Minha.
-Qu'est-ce que vous allez me manquer ! déclara l'adulte. Je n'ai jamais eu une petite aussi sympathique que toi, Minha !
-Ah, ah bon ? Merci, je crois, répondit Minha en passant ses bras autour de son dos. C'était génial aussi, d'apprendre avec toi.
-Vous avez intérêt à tout donner ! Sinon je reviendrai vous chercher des enfers pour vous botter les fesses !
-Je crois qu'à ce stade, c'est rentré dans la tête. » pouffa Minha.
Hansi eut l'étrange impression d'entendre une mère parler.
-Tu sais quoi ? Il faut que Jean entende ça aussi. »
Au moins, avec lui, c'était toujours Hansi qui faisait preuve du plus de maturité, même quand ils étaient tous les deux sérieux. Carnet dans une main, Minha se vit embarquée par l'autre pour traverser le couloir jusqu'à la chambre de Jean.
-Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, Hansi ! Il dort probablement déj… »
Minha se tut alors que Hansi ouvrait grand la porte, révélant un Jean penché sur son bureau, la couverture de son lit repoussée négligemment, et Hansi ricana.
-Hansi ? s'étonna Jean en se levant pour aller à leur rencontre. Minha ?
-C'est bien ce que je me disais. »
Les deux adolescents se virent embarqués par deux puissants bras directement dans un câlin de groupe au sol, alors que leur geôlier enfouissait son visage dans leurs deux épaules. Des épaules douces, dépourvues de cicatrices.
-Qu'est-ce qu'il te prend ? »
Hansi se contenta de serrer plus fort.
Le contact physique avec n'importe quoi lui avait toujours paru fascinant. La pulpe de ses doigts était un élément si sensible, peut-être le plus sensible de l'être humain. Tout ce qui passait sous ses doigts s'imprimaient non seulement dans ses mains, mais aussi dans ses nerfs, traversaient le poignet, le coude, l'épaule, jusqu'à arriver directement à son plexus. Son cerveau ne faisait que réceptionner les informations. C'était dans le plexus que toutes les sensations venaient se rassembler, se mélanger pour former une savante bouillie rarement facile à décrypter.
Aujourd'hui plus que d'autres jours. Hansi sentait les deux enfants dans ses bras. Leurs poids, leurs cheveux, leur souffle, leur mouvement, leur énergie. La pureté dont bénéficiaient les nourrissons n'avait pas encore quitté leurs visages, mais leurs corps avaient absorbé les angles dures de la réalité. Hansi devait s'en rappeler. Associer les deux.
La main de Minha se glissa dans son dos, et celle de Jean pressa son épaule. Des gestes maladroits, qui donnèrent envie à sa gorge de se refermer sur elle-même. Hansi serra plus fort.
-Est-ce qu'il y a quelque chose qui ne va pas ? » demanda Minha.
La douceur de sa voix brisa complètement l'illusion. Les deux pièces de puzzle fusèrent loin l'une de l'autre comme deux aimants de même polarité. Un lourd soupir lui échappa.
Un seul reviendrait. Des deux que leur mentor tenait entre ses bras, une présence s'effacerait complètement, et la force de son imagination estompait déjà leur consistance. Si l'un d'entre eux survivait, il ne reviendrait pas.
Il y aurait deux personnes différentes, une avant, une après. Une faite de douceur, d'espoir, de terreur, d'acharnement, de doutes. Une autre brisée. Impossible de deviner autre chose que la certitude absolue de ne plus jamais pouvoir revenir en arrière. Hansi serra plus fort.
-Hansi, ça devient flippant, là. » intervint Jean.
La remarque lui redonna tous ses esprits. C'était eux qui avaient besoin de soutien. C'était eux qu'on emmenait à la mort. Son cerveau farfouilla parmi toutes les paroles d'encouragements qui lui venait. « Vous allez y arriver », « Restez en vie », « Revenez ». Ses vœux les plus chers de ces derniers jours. Mais aussi ceux qui sonneraient les plus creux, peu importe la ferveur qu'on pouvait y mettre. Parce qu'ils savaient tous.
-Je ne sais pas quoi vous dire, avoua misérablement Hansi. Vous vous êtes battus.
-Wow, éloquent. » ricana nerveusement Jean.
Hansi ricana aussi, plus étranglé.
-Vous avez tout donné. Vous êtes prêts. Je crois en vous. »
Contre ses épaules, les deux poitrines inspirèrent profondément et se verrouillèrent.
-Je sais que vous pouvez le faire. Je sais que vous pouvez tenir le coup. Ce s'ra sûrement insupportable, mais vous êtes devenus forts. »
Des doigts s'enfoncèrent profondément dans son épaule, tandis que d'autres froissaient le dos de son uniforme à force de serrer.
-S'il vous plaît… »
Sa phrase mourut, la force de sa voix incapable de gravir la pente escarpée de sa gorge. Mais un hochement de tête frappa son épaule, et un front s'apposa religieusement contre ses clavicules.
Les mots lui échappaient. Impossible de savoir lesquels, en plus. Le tourbillon dans son plexus débordait, les émotions indiscernables.
Trois légères tapes.
-Compte sur nous. »
La déclaration transpirait la fermeté, l'intention. Hansi sentit le maelström s'apaiser. Et dire que quelques minutes auparavant, sa prétention considérait Jean comme juste un peu moins mature…
Un hoquet retentit, mais ce n'était pas le sien, contre toutes ses attentes. Aussitôt, Hansi saisit délicatement l'arrière de la tête de Minha pour l'amener plus près, lui offrir le réconfort dont ils avaient tous besoin. Jean poussa un lourd soupir, mais se débrouilla pour poser sa paume contre le dos de la jeune fille. Il se mordait la lèvre avec l'énergie du désespoir.
Ses bras tremblaient à force de serrer.
Son souffle était presque à bout, mais aucun de ses poumons n'osait crier à l'aide.
Ses mains étaient glacées.
Ses yeux restaient obstinément ouverts.
Minha eut droit à tout le temps du monde pour se remettre. Jean eut droit à tout l'espace du monde pour se contenir. C'était une des dernières choses que Hansi pouvait leur offrir, et il était hors de question de manquer à son devoir. Ni de les laisser partir avec des regrets.
Hansi finit par s'extirper de leur étreinte, le dos douloureux d'être longtemps resté dans la même position, un bien maigre prix à payer en échange de la paix d'esprit. D'un seul coup, debout sur ses jambes, les mains tendues, les deux lui apparurent comme de vrais enfants, les yeux pleins de confiance.
Mais les mains qui saisirent les siennes étaient celles d'adolescents, pleines de vitalité, et les regards qui rencontrèrent le sien était ceux d'adultes en devenir, plein de courage. Une force d'âme indiscutable brillaient dans leur prunelle.
-Dormez, leur enjoignit Hansi. Prenez des forces. »
Minha hocha la tête, et leur souhaita bonne nuit. Hansi l'accompagna jusqu'à la porte, avant de se retourner vers Jean et de lui tendre le carnet. Il le prit entre deux doigts, délicatement.
-Pour les jeux, déclara Hansi. Fais-en bon usage. »
Jean lui répondit d'abord avec un sourire.
-J'en prendrai soin. »
H – 12
On a fait du tranche de vie, maintenant il s'agit de faire du ''tranchage de vies'' !
