Tous prêts à vous salir les mains ?

!TRIGGER WARNING! Seringues et piqûres, opérations cliniques sur le corps

OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance = - Zeek's Plan -

- Call Your Name (Gv) -

- Shingeki Pf – Adlib – B 20130218 Kyojin -

- Ymniam – Orch -

- Shingeki Pf – Medley 20130629 Kyojin -

- Aots3-Pf2 -

- 2 Volt -

- Symphonicsuite 2An -

- Shingeki Vc – Pf 20130218 Kyojin -

() …

''Les chaînes qui lient le monde à nos poitrines

entonnent le chant des possibles.''

Jiyuu no Tsubasa

Ymir se délecta de l'essaim sonore qui bourdonnait autour de sa petite troupe, à mesure qu'ils se rapprochaient de la bibliothèque. Le brouhaha du personnel aux deux roses, qui s'affairait dans le périmètre, pulvérisait les derniers vestiges du silence de la veille, pour son plus grand bonheur. En contrepartie, les gémissements gutturaux de Tom ne ravissaient pas trop ses oreilles. Il en allait de même pour les bribes d'informations qu'elle relevait des roses, agitées comme si elles seraient bientôt lâchées dans la forêt !

-Le District Six arrive. Dix minutes d'avance. Terminé.

-Nanaba Sams avec eux. En attente de confirmation de sa venue aux coulisses. Terminé.

-Attends, ça fait combien de mentors aux coulisses, là ?

-Stresse pas ! Y a juste Dot Pixis qu'a pris le métro. Bon, t'avais Erwin Smith aussi, mais finalement il est pas allé jusqu'aux coulisses. Tout est sous contr… »

Ymir lâcha un profond râle qui recouvrit et chassa tout ce brouillon d'appréhension, bordé par des procédures strictes et grotesques, un bref instant. Certaines roses les observaient, immobiles à leurs postes, à surveiller les tributs qui se rendaient aux coulisses avant le début du spectacle. D'autres encore allaient et venaient, sans l'air d'avoir un quelconque but précis en tête. Quelques unes sortaient des vans, parqués à droite, à gauche, pour apporter du café à leurs collègues. Il y en avait qui faisaient les cent pas, pendant que leurs voisines s'accoudaient aux barrières. Ces fichues clôtures avaient poussé du sol, comme par magie, durant la nuit et elles condamnaient l'accès à tous les bâtiments du campus.

Sauf cette satanée bibliothèque.

-Tch ! »

Si elle avait su, elle s'y serait rendue plus souvent, dans ce trou à rats de bouquins et de parchemins ! Entre le sommet, qui avait accueilli les interviews, et ce mystérieux sous-sol qui menait, ni plus ni moins, à l'arène des Hunger Games, la bibliothèque avait été le repère du Capitole dès le début !

Elle se ravisa vite. Après un repos satisfaisant – malgré une nuit batailleuse –, un petit-déjeuner sain et équilibré, ses talons se décollaient avec aisance du sol. Elle en venait presque à se demander si elle n'avait pas tartiné du nuage sur ses biscottes ! À contrario, ce dont elle ne doutait pas, c'était qu'elle avait croqué à pleines dents dans le fruit de la combativité.

Au frisson d'adrénaline qui faisait son grand retour dans ses veines, elle jubilait.

Nanaba marqua une halte soudaine, qui arracha un hoquet de surprise à Tom, et Ymir à ses pensées. Leur mentor se tourna vers eux et déclara avec nonchalance :

-On va attendre un peu avant de rentrer. Déjà, on est en avance et puis… moi, j'irai pas plus loin.

-Quoi ?! s'étrangla Tom. Mais pourquoi ?! »

Elle soupira avant de s'expliquer auprès de son élève (si apeuré que ça en crèverait même les yeux des aveugles) :

-Ça me débecte d'avoir à grimper dans leur foutu métro ! Surtout que je peux pas couper à un contrôle du corps, alors que je n'aurai même pas à aller dans l'arène… Non, j'ai déjà assez donné comme ça. Je sais que vous pouvez faire le reste tout seul. »

Tom balbutiait des sons incompréhensibles, sûrement des protestations, pendant que Nanaba s'approchait de lui en ouvrant les bras. Ymir, elle, pouvait cerner le rejet du Capitole qu'affichait son instructrice. Avec leur petite discussion nicotinique de la veille, elle comprenait les intentions de l'ancienne gagnante. Par contre, Tom ne s'était pas vu offrir la moindre mise en contexte. Couper le cordon aussi soudainement avec Nanaba devait lui faire un choc.

Le pauvre type se jeta dans les bras de leur instructrice, transformant la franche accolade en une étreinte sanglotante, désespérée.

-Bonne chance, Tom. » lui souhaita-t-elle, tapotant entre les omoplates du jeune garçon.

Une curieuse pointe éperonna la poitrine d'Ymir. Dire au revoir à Nanaba pour plusieurs jours ne lui faisait ni chaud ni froid sur le papier mais, au fond, jamais Ymir n'avait autant côtoyé un adulte au quotidien que Nanaba.

Dire au revoir à leurs railleries et leurs ricanements, leurs bières et leurs babils, leurs clopes et leurs confidences, ça lui faisait quelque chose de chaud et aussi quelque chose de froid.

Nanaba lâcha un Tom reniflant pour aller à sa rencontre. En silence. Dans des manières à la fois si amicales et solennelles. Ymir accepta la franche accolade. Elle la rendit à son mentor et toutes deux se broyèrent mutuellement les épaules. Quelque chose de chaud – ou de froid – au fond d'Ymir espérait que la poigne de Nanaba serait assez forte, pour qu'elle en garde toujours une trace vigoureuse. Là, sur son épaule.

Puis, la femme recula de quelques pas – Ymir se retint de poser une main sur son bras pour conserver l'empreinte –, Nanaba semblait encore avoir à leur parler.

-Bien, maintenant : résumé des épisodes à venir ! Il vaudrait mieux que vous sachiez exactement ce qui vous attend. Comme ça, vous vous épuiserez pas à stresser. »

Son furtif coup d'oeil vers Tom n'échappa pas à la tribut.

-Vous allez avoir un contrôle en accédant au sous-sol, au cas où vous rameniez de quoi démolir les coulisses avec vous, en gros. »

Ymir pouffa à l'idée. Bien sûr, la sécurité serait irréprochable et la tâche impossible à mener à bien (ils ne traiteraient pas à la légère vingt-quatre assassins présupposés compétents!), mais le fantasme d'accomplir un tel exploit, de rester une éternelle épine dans le pied du Capitole, la fit sourire.

-Ensuite, c'est le métro. Il y a qu'une seule rame et aucun arrêt, ce sera vite fait. Et là, vous serez arrivés aux coulisses. On va vous remettre vos nouveaux uniformes, vous refaire une petite beauté aussi. »

Tom acquiesçait, sa tête se comportait comme un ressort, tandis qu'Ymir essayait de se figurer quel rouge à lèvres serait du plus bel effet sur elle, pour les Hunger Games.

-Et avant la ligne de départ et l'opération express pour la puce, vous avez une dernière étape de douanes à passer. C'est plus une formalité qu'autre chose, surtout que vous n'avez aucun item personnel à emmener, vous deux, non ? »

Les deux élèves secouèrent la tête. L'expression de leur mentor se figea, grave, sourcils froncés avec une lueur sévère dans le regard. Elle s'avança vers eux, les saisit chacun par l'épaule et les approcha d'elle. Maintenant, ils baissaient tous les trois la tête.

Ymir se laissa faire, partante pour ce genre de conseil de guerre de dernière minute. Tout le corps de Tom tremblait, tandis que seules les narines de la jeune femme frétillèrent au souffle de l'instructrice. Elle était assez proche d'eux pour qu'Ymir puisse détailler ses cils, or la tribut se ravisa, et concentra plutôt toute son attention sur les ultimes recommandations de Nanaba Sams à ses disciples :

-Quand vous serez au centre de l'arène, à deux cent mètres de l'arsenal, ne prenez pas trop d'armes. Encore une fois : c'est un piège. Non seulement, plus vous en prenez, plus vous serez gênés lorsqu'il faudra fuir dans la forêt. Mais à trop fouiller parmi tout le stock, vous allez rester trop longtemps dans l'entrepôt. Et chaque seconde de trop là-dedans, c'est une seconde de plus à flirter avec la mort. C'est bien compris ? »

Tout cela coulait de source selon Ymir, mais Tom devait avoir besoin de cet énième exposé de stratégie basique.

-Alors, prenez ce que vous voulez et tirez-vous, reprit leur professeure d'une voix posée, mais tranchante de rigueur. Il vaut mieux avoir un plan B, voire C, si jamais votre arme de prédilection n'est plus disponible. Le premier tour est le pire moment pour céder à la panique, alors prévoyez toutes les éventualités, adaptez-vous et survivez.

« Rappelez-vous de vous concentrez sur les petites armes, elles correspondent mieux à votre entraînement de traque furtive : dagues, revolvers, fumigènes – pourquoi pas – avec de quoi bouffer. Ce serait le départ parfait. »

Ses indications la visaient, elle, Ymir en était convaincue. Elle lança une grimace entendue à Nanaba, qui inclina le menton.

-Je répète : la vitesse. Valorisez la vitesse, vous serez plus discrets, c'est primordial. Mais par là j'entends aussi : gérez votre vitesse. Taper un sprint vers l'arsenal pour avoir les armes en premier, c'est bien, mais manquer d'énergie quand il faut décamper pour vous cacher dans la forêt, alors que vous êtes bien chargés et dos à l'ennemi, c'est du suicide.

« Tout ça pour dire que gérer votre temps, c'est la clé du premier tour. L'entrepôt a peut-être des airs de corne d'abondance, mais si vous y restez trop, vous verrez que c'est l'enfer.

-Ngh… urgh… » s'étouffa Tom.

Ses jambes flanchèrent et il s'écroula à genoux dans un son de chutecreux, qui accompagna le bruit de ses sanglots… et du soupir d'Ymir. D'humeur plus conciliante, Nanaba s'accroupit pour frotter le dos de son apprenti et l'inciter à se relever. Dans le gargouillis de ses lamentations, les encouragements de l'ancienne gagnante résonnaient clairement :

-Reste fort, Tom. Ça va aller, tu peux le faire. Tu t'es entraîné pour ça. Tu n'as pas à t'inquiéter. »

Et dans ces paroles, résonnaient encore plus les échos du mensonge.

Nanaba se mordait la lèvre, regardait le sol et pas Tom droit dans les yeux, son ton mielleux sonnait faux. Nanaba ne pensait pas un traître mot de ce qu'elle baratinait. Elle essayait plus de se convaincre, que de calmer le jeune garçon.

Lorsque Ymir crut voir des larmes se former dans le coin des yeux de sa mentor, son sang ne fit qu'un tour.

Serrant les poings, elle se pencha et saisit le bras de Tom de toutes ses forces – il pesait à peine plus lourd qu'une brindille alors il décolla –, puis elle le planta, droit comme un piquet. Nanaba recula pour la laisser s'occuper de son camarade. Les guibolles encore chancelantes, il parvenait quand même à rester debout. Selon toute vraisemblance, la rage qui animait le regard d'Ymir l'intimidait.

Mais il continuait de transpirer l'apitoiement, de geindre l'angoisse, de succomber aux jeux sans avoir commencé à se battre, et de les contaminer au passage !

-Allez, mauviette, on y va ! » lui asséna-t-elle, avec un coup de coude dans le bras.

Comme si elle avait appuyé sur le bon bouton, Tom se raidit. Ses jambes cessèrent de jouer les castagnettes. Ymir lui entoura les épaules de son bras et ils entamèrent, ensemble, leur marche vers la bibliothèque. Tom continuait de renifler mais, au moins, il avançait d'un bon pas, se calant sur le rythme de la jeune femme.

-Montrez-leur qui vous êtes ! »

La voix tonnante de Nanaba poussa Ymir à se retourner – une dernière fois, se promit-elle, incertaine de pouvoir continuer à avancer sinon.

Sa main balayait l'air dans de larges gestes. Fidèle à elle-même, elle forçait l'espace environnant à s'adapter à elle. Ses courts cheveux virevoltaient au vent timide de la matinée. Un franc sourire pétillait. Ses yeux bleus paraissaient plus braves qu'à l'accoutumée. Ymir s'en réjouit et imprima dans sa mémoire l'image du gloss pêche il complimenterait encore les lèvres de sa mentor, des jours et des jours après les jeux.

Tom avait arrêté de gémir quand ils franchirent le seuil du bâtiment.

-Début de la procédure pour le District Six. Terminé. »

Un groupe de roses les accosta, les escorta jusqu'à une porte. Ymir l'avait aperçue la dernière fois qu'elle était venue, elle n'était juste plus scellée désormais. Dans un grondement métallique, la porte grinça sur le sol alors que le personnel l'entrouvrait.

Un escalier de béton les accueillit, des lampes aux lumières blanches agressives éclairaient la descente vers le sous-sol. Elles étaient disposées avec précision, une toutes les quatre marches. Tout était programmé. Ils venaient d'être définitivement engrenés dans la machine.

-Avancez, s'il vous plaît.

-Ymir… j'ai peur… » tressaillit Tom.

Elle soupira, descendit la première marche de l'escalier, Tom sur ses talons, et lui grogna :

-Moi aussi. »

-Il est… bloqué ? »

Le sursaut de Christa couina sur la banquette et elle braqua son regard effaré sur lui. Reiner acquiesça : le retard d'Erwin se prolongeait trop pour qu'il ne s'agisse que d'un malheureux contretemps. La certitude que ce n'était pas qu'une simple malchance s'insinuait en lui. Il leva le nez et vit son reflet dans la fenêtre de la rame. Et tout le dégoût qui empoicrait son visage. Comment pouvait-il avoir l'air aussi fatigué, alors que les jeux n'avaient pas encore débuté ?

Christa resserrait ses poings sur ses jambes, à côté de lui. Reiner détourna les yeux pour se concentrer sur les portes du métro. Elles demeuraient ouvertes et le reste du personnel stationnait sur le quai, à s'échanger des propos indistincts. La demi-douzaine de roses qui avait pris place sur les sièges alentours devait être leur principale escorte ils discutaient peu entre eux, regardaient leurs montres d'un œil absent. L'expectative abondait dans l'air, mais l'indécision semblait dominer.

Le jeune homme avait beau analysé autour de lui, aucune annonce, pas le moindre signal, ne les avertissait de l'imminence – ou non – de leur départ. Le métro n'entamait pas encore sa traversée fulgurante du tunnel, pourtant il croyait déjà qu'il avançait à l'aveuglette : pouvait-il continuer d'espérer qu'Erwin surgirait d'une seconde à l'autre ?

-Il faut qu'on le retrouve ! »

La déclaration de Christa manqua de le faire sursauter à son tour. Il la considéra, elle et la moue résolue qui la faisait froncer les sourcils, se pincer les lèvres. La marque de son fort caractère, typique de la Christa qu'il avait perdue de vue. Face à son silence ébahi, elle se pencha vers lui et poursuivit en chuchotant :

-On doit lui dire au revoir proprement. Qu'il nous accompagne aux coulisses ou pas, ça ne fait rien, mais on ne peut pas se quitter comme ça.

-Oui, tu as raison. »

Son amie rayonna à son approbation, gonflant le jeune blond d'aplomb au passage.

-Qu'est-ce qu'on fait ? Tu as un plan ? » lui demanda-t-elle, discrète mais d'une voix de plus en plus affirmée.

Reiner posa le coude sur le haut du dossier, et se retourna pour scanner leurs accompagnateurs. Il en reconnaissait trois, qu'il avait déjà vus sur le campus, mais ne connaissait le nom que d'un seul d'entre eux. Il allait devoir s'en contenter. Cela restait un bon début de plan. Se réinstallant droit dans le siège, il instruisit Christa :

-Okay, je crois que j'en ai un. Attends-moi ici pour commencer, d'accord ?

-D'accord. (Elle branla du chef avec vigueur.) Et j'entre en scène après, comme d'habitude ? »

Il lui répondit par un clin d'oeil, avant de se lever et de se diriger d'un pas calme et assuré vers leurs chaperons : entretenir un naturel sage et serein serait vital. Des roses se hissèrent sur leurs pieds, prêtes à l'arrêter or il s'immobilisa avant qu'elles ne se donnent cette peine. Il se tenait déjà devant l'employé à qui il voulait parler. L'homme, joue dans la main, leva un sourcil à sa venue.

Reiner jeta un regard en coin vers les fauteuils des tributs : Christa le regardait faire, dans l'interstice entre les deux sièges. Son garde du corps s'adressa alors à tout le personnel :

-Vous pouvez vous rasseoir, je voulais juste un renseignement. »

Des roses s'exécutèrent, d'autres se rassirent avec un regard méfiant et des épaules tendues, visiblement parées à rebondir à l'attaque au moindre mouvement suspect. Un membre, assis en face de l'objectif de Reiner, grogna :

-J'étais plus près, pourquoi demander spécifiq-

-Laisse, Mitabi ! le coupa l'autre en levant la main, après quoi il se redressa dans son siège et affronta le regard du tribut. En quoi puis-je te renseigner ?

-Je… maquilla-t-il un balbutiement, je voulais savoir pourquoi notre instructeur n'était toujours pas là… »

Les yeux de son interlocuteur s'écarquillèrent une demi-seconde. S'appuyant sur l'accoudoir, l'homme relogea sa joue dans la paume de sa main.

-Il a eu un pépin au contrôle, j'imagine…

-Pourtant, je ne comprends pas. C'est bien le port d'armes qui est interdit dans le métro, n'est-ce pas ?

-Oui, c'est ça.

-Dans ce cas, je ne vois pas quel est le problème. Il ne portait clairement pas d'armes…

-Ha ! Le but quand on porte une arme, c'est de la cacher discrètement !

-Hm, sans doute… Mais alors, puisque Christa et moi sommes passés sans souci, pouvons-nous revenir sur nos pas et faire nos adieux avant le départ ? »

Un pli se forma sur le front du grand homme blond, puis il croisa les bras. En face, son collègue fusillait Reiner du regard, mais demeurait silencieux.

-Et pourquoi vous laisserais-je ? Les ordres sont de vous amener aux coulisses dans cette rame, pas question que vous loupiez le départ.

-Eh bien, vous pourriez nous alerter au moment du départ, justement. Tant que nous revenons, il ne devrait pas y avoir de problèmes.

-Et si le départ est dans trente secondes ?

-Ça ne nous empêchera pas d'essayer. Nous savons bien qu'en tant que tributs, notre devoir est de respecter la procédure, nous en ferons notre priorité. Seulement, Erwin nous avait dit que nous étions en avance, alors nous pensions disposer du temps nécessaire à le saluer, malgré tout. Avons-nous votre permission ? »

Reiner eut le temps de prendre une longue inspiration avant que l'intéressé ne réponde : il semblait en proie à une profonde réflexion.

-Pourquoi ma permission ?

-C'est vous le chef d'équipe, non ?

-Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

-Vos collègues qui vous laissent gérer ma demande, et M. Mitabi qui garde son calme comme vous lui aviez prié, répondit Reiner en pointant l'employé du menton.

-Tout ça pour gratter, quoi, cinq minutes de plus avec Erwin ? » s'étonna la rose d'un ton désabusé.

Reiner se pencha vers le chef d'équipe, toutes traces de naïveté et de politesse d'usage dissipées. Sa voix reprit sa teinte rauque caractéristique. Il menait la danse et son cœur en tambourinait.

-Ian, séparer sans prévenir, sans explications claires, deux tributs de leur instructeur après tout un mois d'enseignement, pas même deux heures avant le début des jeux… c'est un peu fort de café de la part du Capitole, vous ne croyez pas ? »

Ian déglutit avant qu'une grimace ne commence à étirer sa bouche. Constatant que la situation tournait bel et bien en sa faveur, Reiner se redressa : il restait encore une pièce maîtresse au déroulé du plan.

-Hé, mais- ! s'écria Mitabi alors qu'une nouvelle silhouette se joignait aux négociations.

-S'il vous plaît, implora Christa, laissez-nous au moins dire au revoir ! Nous serons rapides, il ne s'agit pas de grand-chose… juste d'adieux dignes de ce nom ! C'est… c'est important pour nous, je vous en conjure… »

Elle essuyait une larme quand Ian se passa la main dans les cheveux, en soupirant, avant de dégainer son émetteur radiophonique.

-Ian Dietrich. Dernière entrevue du District Un avec Erwin Smith accordée. Avertir les tributs du départ. Terminé. (Il se tourna vers eux.) Allez-y ! Qui sait combien de temps il vous reste…

-Merci ! » firent-ils en chœur.

Ils s'inclinèrent tous les deux, prirent congé (paisiblement en vitesse) et descendirent de la rame, à l'allure la plus rapide et distinguée qu'ils pouvaient. Un mélange qui ne passait pas inaperçu, sans compter les roses qui les dévisageaient. Seul leur récent nouvel ordre les retenait, mais il semblait qu'une entorse pareille à la procédure habituelle les démangeait.

Alors qu'ils traversaient le quai à contre-courant, sous une pluie de regards méfiants, Reiner préféra se concentrer sur Christa. Malgré ses plus petites jambes, elle avançait au même rythme que lui. Il lui adressa un franc sourire.

-Belle intervention, la complimenta-t-il. Simple, mais rondement menée. Je n'en attendais pas moins de la reine du mélodrame.

-Pff, je n'avais plus trop de marge de toute façon : tu m'avais déjà bien prémâché le travail. « Fort de café », n'est-ce pas ? Je me demande ce que ça peut être.

-Euh, c'est une longue histoire… »

Elle pouffa alors qu'ils empruntaient le couloir qui les mènerait à la salle des contrôles. Leur pas pressait bien plus que lorsqu'ils étaient descendus du métro, pourtant Reiner se doutait que son cœur ne battait pas la chamade à cause de ça. Son sang galopait dans ses veines. Les extrémités de ses membres le chatouillaient. Ses épaules respiraient. Il brûlait de détaler, d'éclater de rire, de laisser l'air pur vibrer dans ses narines.

Ils passèrent sous les portiques détecteurs, et les regards de travers du personnel, avant de repérer Erwin. Près de l'escalier de la bibliothèque, il discutait avec deux roses, l'air grave. Une fois qu'il remarquât leur arrivée, l'ancien vainqueur afficha un large sourire et s'adressa aux roses. Il leur avait probablement demandé de les excuser, car ils s'éclipsèrent quand Christa et Reiner rejoignirent leur mentor.

-Je vois que vous avez réussi à négocier quelques minutes, commença Erwin d'un ton chaleureux. Je suis fier de vous. »

Christa déglutit et Reiner se figea sur place. S'arrêter aussi soudainement rembobina la pelote, qui s'était déliée pendant leur marche rapide, désormais ses fibres le titillaient… Non. Ça ne servait à rien de chercher des prétextes. Au fond de lui, les paroles d'Erwin flattaient sa poitrine, il le savait : en cinq mots, il leur prouvait que toute cette peine n'avait pas été vaine.

-P-pourquoi avez-vous été retenu ? demanda Christa, comme pour meubler le silence ému.

-Aucune idée, répondit-il en mettant les mains dans ses poches. Officielle, bien entendu. Ça fait plusieurs années de suite que je ne passe plus la zone de contrôle. On dirait que je suis condamné à me tenir à l'écart des coulisses : je crois que ça, c'est la raison officieuse. »

Le sourire n'avait pas quitté la bouche de leur professeur or il avait perdu de sa chaleur, pour gagner en malice. Christa recula d'un pas. Reiner, lui, soupçonnait que les rapports entre leur instructeur et le Capitole étaient plus délicats que pour le commun des anciens vainqueurs, mais pas au point que le Capitole affiche une telle méfiance envers Erwin. Le jour des jeux, ils l'éloignaient des coulisses, qu'il soit en règle ou non.

Le tribut serra les poings. Depuis un mois, il se rapprochait de l'épicentre du séisme qui avait sévi dès sa naissance ; le jour des jeux, il témoignait de l'intensité des secousses à cet endroit précis et pourtant, il devait continuer d'en faire les frais, tout en sachant pertinemment que le foyer se cachait en dessous, tout proche, plus proche que jamais. Pour Erwin qui était revenu des jeux, ce devait être insupportable.

La respiration sifflante de Christa l'alerta. Tête baissée, elle tremblait : l'intensité du séisme ? Au cours des derniers jours, elle s'était ouverte à Erwin, et devoir le quitter d'une façon aussi sèche et imprévue l'impressionnait. Plus de retour arrière possible, qu'ils se répétaient tous depuis un mois. Les premiers signes apparaissaient enfin et, en vérité, personne n'était assez prêt.

-Surtout, reprit Erwin en changeant de sujet, rappelez-vous bien des équipements piège : laissez tomber tout ce qui est bouteille d'eau ou lampes-torches, ils ne serviront à rien, sauf à vous faire perdre du temps. »

La diversion fonctionna car Christa releva la tête, concentrée, respiration apaisée. Reiner hocha la tête et Erwin poursuivit :

-Le premier lâcher de Titans aura lieu dans la clairière. Peu de temps après le premier tour, il y en aura partout là-bas, alors n'y retournez jamais. Prenez ce dont vous avez besoin, puis partez consolider votre défense dans les bois.

-Hum hum... »

Le gémissement entendu de Christa trahit les véritables sentiments de la jeune fille. Reiner et son mentor échangèrent un bref regard. Puis le jeune homme posa sa main sur l'épaule de son amie, priant pour qu'elle ait l'effet d'un bouclier clément. Elle lui apporta au moins un soutien car Christa, à son tour, déposa sa main sur celle de Reiner. Elle adressa un sourire absent au jeune homme. À cette vue, il se retint de crisper sa main : face à la cruauté des choses, pas question de brutaliser cette fragile tendresse !

Erwin s'avança vers la jeune fille. Reiner retira donc sa main pour leur laisser un peu d'espace et d'intimité.

-Christa, souviens-toi : tu peux t'appuyer sur Reiner, et te battre pour toi. C'est ta mission, tu m'entends ? »

Elle se retenait de pleurer, ne pouvant qu'acquiescer. Si elle ouvrait la bouche, les sanglots déchireraient sa voix.

-Tant que ton cœur bat, tu es toujours en vie, Christa. Ne l'oublie jamais et comporte-toi comme tel. Ne laisse personne te faire de mal ou profiter de toi là-bas. Et ne laisse rien te tuer avant même le début des jeux.

-Oui, monsieur… »

En effet, sa voix se craquelait, mais elle ne se brisait pas en mille morceaux.

-Tu en es capable et je le sais, renchérit Erwin. Toi, le sais-tu ?

-… oui. »

Erwin se tourna ensuite vers lui. Reiner se raidit.

-Reiner, (Le ton d'Erwin tranchait d'autorité : il croyait si bien en ce qu'il disait que n'importe qui l'aurait pris pour vérité universelle.) toi aussi, bats-toi pour toi. Si protéger Christa est ce que tu as choisi, qu'il en soit ainsi, mais ces jeux seront avant tout tes jeux, tu comprends ? Si tu joues trop les héros à t'imposer des sacrifices, alors que ce n'est pas ce que tu veux, tu regretteras tout. »

Mais Reiner Braun n'était pas n'importe qui. Il se contenta de hocher la tête avec politesse avant de déclarer :

-Merci pour tout ce que vous avez fait pour nous.

-Oui, merci du fond du cœur… » revalorisa Christa.

Le sourire n'avait pas quitté la bouche de leur professeur or il avait perdu de sa malice, pour gagner en suavité.

-Ce fut un honneur pour moi, que d'être votre instructeur. » confia-t-il dans un souffle.

Sur ces mots, il tendit la main à Christa. La jeune fille la lui serra, digne, solennelle, un sourire ému aux lèvres. Après quoi, Erwin la présenta à Reiner. Serrant la main de son mentor, le jeune homme acheva de lui faire ses adieux. Afin de mieux chérir ces instants, il n'avait pas omis la réalité de la situation : c'était ses derniers avec Erwin.

-Okay, c'est l'heure ! District Un sur le quai le plus tôt possible !

-Départ pour les coulisses dans moins de trois minutes ! »

-Votre cape. » lui rappela la maquilleuse d'un ton monocorde.

Jean se tourna vers la dame qui lui avait retouché le visage pendant vingt bonnes minutes et baissa les yeux sur le tas de tissu vert qu'elle lui tendait. Il n'avait même plus l'énergie de faire la grimace. Diligemment, il prit le vêtement entre ses mains, le déploya d'un geste sec et le fit passer par-dessus ses épaules, en écoutant le bruit du tissu qui s'abattait sur sa colonne vertébrale.

Il arborait désormais les ailes des tributs. L'idée d'avoir ça sur le dos lui infligeait un mélange d'émotions confus : c'était à la fois le symbole de sa condition, et donc de sa potentielle mort, mais c'était aussi le signe arboré par tous les vainqueurs, armé de gros plan de caméras chaque année. Inconsciemment, il en était venu à l'associer à la victoire.

Minha se plaça à ses côtés, et ils échangèrent un bref coup d'œil alors que les portes de la salle rotonde s'ouvraient pour laisser place à une énorme salle, flanquée de douze bornes. Ils auraient pas pu en faire qu'une seule ? grommela-t-il.

-Suivez-moi. » indiqua une femme, qui les emmena droit vers la septième borne en partant de la droite.

Le chemin était clair comme de l'eau de roche, une ligne droite jusqu'à leur borne attitrée, mais c'était vrai qu'en entendant les talons de la femme claquer en rythme sur le sol, ils gagnaient quelques secondes de plus. Seuls, ils seraient restés plantés à l'entrée quelques secondes avant qu'on ne leur dise de venir. Il n'empêchait, il avait l'impression d'être pris par la main comme un enfant. Une sensation qui détonnait un peu trop avec l'ambiance générale.

La borne se constituait d'un portique électronique ou quelque chose dans le genre, garni d'un tapis roulant sur le côté.

-Avez-vous des objets à emporter ? » demanda l'homme.

Jean hocha la tête.

-Pas d'armes, pas de denrées alimentaires, pas d'objets électroniques, pas plus de trente centimètres de surface. » rappela-t-il d'un ton monocorde.

Jean porta la main à sa poche et en sortit le carnet que Hansi lui avait offert, avec un haussement de sourcil insolent. Poser les yeux sur la couverture lui pinça brièvement le cœur en repensant à son mentor. Ils ne l'avaient pas revu depuis la veille, et la baraque leur avait paru bien vide.

Il le tendit et l'homme s'en empara, et le sentir lui échapper de ses doigts lui infligea une petite pique de stress malvenue. Pendant ce temps, la femme faisait passer Minha sous le portique, qui émit un léger bip. L'écho se propagea dans le silence alors qu'une lumière verte accentuait les ombres du visage de la jeune fille.

Jean se retourna à nouveau vers l'homme les mains dans les poches pour pouvoir triturer frénétiquement ses doigts en paix, et poussa un lourd soupir en le voyant tourner les pages une à une avec lenteur. Puis il le posa sur le tapis roulant, qui avait son propre portique et laissa échapper le même bip. Un tapis roulant qui aurait pu abriter une valise quand ils avaient une limite de dimension. Rien de toute cette mascarade n'avait ni queue ni tête.

-District Sept, Jean Kirschtein, rédigea l'homme sur une fiche de papier, un carnet de 15 x 10 centimètres, quarante pages, couverture en cuir cuivré, maintenu par un élastique. Un crayon HB de quatorze centimètres. Allez-y, passez par le portique. »

Jean obtempéra, et au fur et à mesure que ses pas s'accumulaient et résonnaient dans la pièce, ses membres se congelaient. D'abord ses chevilles qui refusaient d'obéir, puis ses genoux qui peinaient à se plier. Le portique lui arracha son souffle lorsqu'il passa dessous. L'homme l'attendait déjà de l'autre côté et lui fit signe de tendre les bras avant de commencer à le fouiller soigneusement. Ils font même pas confiance à leurs propres machines, ricana-t-il intérieurement, sans réellement s'en amuser. Ils pouvaient se permettre d'être aussi ridicules qu'ils le voulaient.

-Suivez-moi. » ordonna à nouveau la femme alors qu'il récupérait son carnet.

La main de Minha effleura son bras et Jean sursauta. Il se tourna vers la jeune fille, mais elle regardait droit devant elle, la lèvre inférieure aux prises avec ses dents. Doucement, il passa ses phalanges sur son avant-bras. Elle leva les yeux vers lui, le regard à la fois effrayé et déterminé, et peut-être un peu en colère. Ils échangèrent un hochement de tête.

-Vous allez passer dans une salle d'opération, expliqua la femme, où vous serez anesthésiés avant qu'on ne vous implante la puce.

-Combien de temps ça prend ? demanda Jean en calant le carnet dans la poche intérieure de sa veste.

-Deux minutes pour vous endormir, une demi-heure pour l'opération. »

Ça voulait dire qu'ils avaient cinquante minutes avant le début des jeux, une fois l'opération terminée. Et d'après le dernier debriefing, ils étaient réveillés vingt minutes avant le début des jeux, donc ils avaient une demi-heure de dodo pour se remettre. Correct.

-C'est pas mal pour compenser la nuit blanche, souffla Minha.

-Ah, toi aussi ? fit Jean avec un sourire acide.

-Je n'allais pas y arriver de toute façon, chuchota-t-elle, mais Hansi...

-Je vois ce que tu veux dire. »

Hansi ne les avait vraiment pas aidé. Après sa visite tardive, Jean avait ressassé tout ce que leur mentor leur avait appris, et tous les moments qu'ils avaient passés ensemble. Il avait eu l'intention de lui confier son vieux carnet en main propre, mais après un épisode pareil, il avait préféré le déposer sur son bureau, en espérant le laisser aux bons soins de Hansi. Trop de risques pour que ça devienne larmoyant.

-Iel va me manquer. » avoua Minha d'une voix encore plus douce.

La gorge de Jean n'avait pas l'air de vouloir opérer. Pourtant, il fallait qu'il réponde. Un spasme soudain agita ses doigts, qui s'enroulèrent autour de la main de Minha. Elle l'ouvrit aussitôt pour entrelacer avec les siens, serrant à en faire blanchir les phalanges. Sa main était plus petite que la sienne, mais Jean sentait la rugosité de l'effort qui striait sa paume comme des peintures de guerre.

D'un même pas, ils passèrent la porte.

Au détour d'un couloir, ils débouchèrent dans une espèce d'antichambre : une porte, tout ce qu'il y avait de plus banal en sorte, les attendait, les invitait à poursuivre leur avancée vers l'arène. Eren s'appliqua à relâcher un peu l'air, embué d'appréhension, qui gonflait dans ses poumons, saturant son torse.

Des gardes étaient postés dans la petite salle, deux près de la porte qui, selon toute vraisemblance, menait à la chambre d'opération. Son père avait beau être médecin, Eren n'avait jamais pris l'habitude des piqûres et il préférait ne pas trop songer à ce qu'il lui arriverait dans les minutes à venir. Il allait juste être endormi le temps qu'on lui implante le récepteur. Un récepteur qui traquerait sa progression aux jeux, renseignerait sa position aux caméras, informerait de son état. Il allait devenir une espèce de base de données ambulante, puis il se réveillerait et les Hunger Games commenceraient.

Il n'y en avait plus pour très longtemps, pourtant chaque seconde semblait s'éterniser plus que la précédente. C'était à en perdre ses repères primaires et, Eren, ça l'horripilait.

Un raclement de gorge. Le jeune homme et sa sœur firent volte-face. Mike s'était à peine avancé dans la petite pièce. Leur instructeur se tenait droit, fermement campé sur ses appuis comme à l'accoutumée. Et pourtant, à ses épaules penaudes, à sa nuque inclinée, quelque chose dans sa position vacillait.

-Il vaut mieux se dire au revoir maintenant. »

Un timide froissement de tissu. Eren vira ses prunelles vers Mikasa. Elle serrait le morceau qu'il restait de sa précieuse écharpe entre ses mains. Mike enchaîna:

-Après l'anesthésie, tout s'accélérera. Je ne veux pas vous freiner dans la dernière ligne droite. »

Forcément ! Fallait qu'il récupère sa langue le jour J ! Sa surprise atténuée, Eren comprenait le point de vue de Mike. Leur mentor avait raison. À leur réveil, il leur faudrait être imperturbables. Une fois l'anesthésie dissipée, ils n'auraient plus que vingt minutes avant le compte à rebours. Vingt minutes qu'ils ne pouvaient pas gaspiller à faire leurs adieux !

-O-okay, commença-t-il d'une voix beaucoup trop rauque, j'imagine que c'est l'heure alors…

-Oui, affirma Mike.

-… au revoir…

-Oui, répéta l'ancien vainqueur, au revoir.

-Euh, je… merci, hein, c'était euh… »

Un reniflement amusé.

-De rien. »

Eren hocha la tête à son professeur : il le fixait droit dans les yeux. Malgré l'économie de Mike dans ses paroles, l'élève fut frappé par l'éloquence de son regard. La lueur transmettait un mélange d'émotion, que jamais les mots n'auraient pu retranscrire. Eren croyait y reconnaître de la résolution, un peu de fierté, et beaucoup de tristesse.

Il choisit de se taire, pour laisser Mikasa parler, et pour laisser son propre regard afficher ce qu'il peinait à articuler. Il disposait d'autres signes pour communiquer de la résolution, un peu de tristesse, et beaucoup de gratitude à son mentor.

Quand l'expression de Mike s'adoucit, il se réjouit de son succès.

Quand leur escorte de roses les rejoignit dans la petite salle, il comprit que le temps les rattrapait.

-District Douze, avancez jusqu'à la salle d'opération pour procéder à l'anesthésie. »

Les membres du personnel se campèrent de part et d'autre, les encerclaient pour s'assurer qu'ils ne déborderaient pas du cadre. Pour cette fois, Eren acceptait d'obéir : s'ils traînaient trop, lui et Mikasa ne bénéficieraient pas du quart d'heure de récupération nécessaire après l'anesthésie. Ils démarreraient les Hunger Games avec un désavantage considérable, alors que le premier tour les guettait au tournant. Ce n'était pas le moment de s'amputer.

-Non ! »

Incrédule, il vit Mikasa repousser les gardes et avancer d'un pas, braquant son refus d'obtempérer par l'intensité de son fameux regard d'assassine, bravant leur protocole. Puis, d'un ton monocorde et glacé, elle continua :

-Nous étions en train de faire nos adieux. Laissez-nous les finir. »

Elle avait beau ne détenir aucune lame sur elle, sa voix seule tranchait. Elle tailladait le règlement, charcutait dans l'obéissance du personnel – s'affichant alors comme leur nouvelle autorité –, y découpait les contours selon sa façon de faire les choses. Il ne fallait pas en attendre moins de la favorite, les roses n'étaient que du vulgaire papier face à Mikasa : ils ne pouvaient que se plier ou être déchiré par sa colère. Mike demeurait immobile. Derrière les mèches qui dissimulaient souvent le visage du professeur, Eren entraperçut des yeux écarquillés.

Désemparés, les gardes laissèrent passer celui qui devait être le chef d'escouade. L'employé à lunettes s'approcha de Mikasa. Il se figea devant elle, probablement intimidé, Mikasa avait tendance à aussi bien impressionner les supérieurs. Un soupir.

-Très bien, vous avez jusqu'au début de l'opération. D'habitude les tributs sont déjà endormis pendant les préparatifs, mais je vais demander à ce qu'on les fasse pendant que vous terminez. Vous avez environ deux minutes.

-Mais- ! se scandalisa un des membres.

-C'est bon ! l'interrompit le chef. Il y largement le temps de faire comme ça. Qu'en dites-vous, Ackerman ? »

Eren n'en croyait pas ses oreilles. Que Mikasa les ait impressionné, il pouvait comprendre, mais que la rose lui obéisse et lui demande son avis… Même Mike croisa les bras, en changeant d'appui comme s'il cherchait à dissimuler un peu de sa présence. C'était autour de lui que tournait la tension entre Mikasa et le personnel, après tout. Le jeune homme déglutit, reconnaissant pour la relation saine qu'il avait avec sa partenaire. Il se doutait que Mike devait se dire la même chose.

-Parfait, merci. » répondit Mikasa en inclinant son buste.

La rose à lunettes opina du chef d'un air entendu, avant de déployer ses collègues et de s'éloigner. Eren ne savait pas quoi penser du délai qu'on venait de leur accorder : il aurait bien voulu aller se préparer le plus tôt possible, mais si ces minutes n'étaient pas gaspillées alors qu'est-ce qu'il avait à perdre à rester dans l'antichambre un peu plus longtemps ?

Une fois l'agitation des employés redirigée loin d'eux, Mike se remit à se mouvoir et posa sa large main sur le cuir chevelu de la jeune femme. Ces deux-là communiquaient encore dans un silence douteux. Eren se mettait tout juste à apprendre à lire dans le regard de son mentor… mais un mois, c'était trop court pour maîtriser leur langage de hochements de tête, de coups d'oeil en coin et de haussements de sourcils !

Le tribut fit un pas de côté pour leur permettre de bien profiter de leurs adieux, Mikasa y avait clairement tenu. Pourtant, elle n'avait pas prononcé le moindre mot quand elle en avait eu le temps, déléguant à son frère toute la corvée des au revoirs les plus creux de l'univers !

En détaillant un peu plus sa partenaire, il remarqua qu'elle n'osait pas faire le moindre contact visuel avec leur mentor. Elle fermait les yeux, tête baissée, pendant que Mike lui tapotait le crâne. Maintenant qu'il pouvait déchiffrer l'expression de Mike, Eren n'eut aucun mal à prendre conscience de la détresse de Mikasa. Elle avait besoin de ces adieux mais ne savait pas comment les mener à bien, alors elle renonçait à prendre la moindre initiative, savourant docilement l'affection de Mike.

Quand la sécurité d'Eren n'en dépendait pas, Mikasa intériorisait les événements : elle ne se plaignait jamais, enfouissait ce qu'elle ressentait comme si elle avait honte de ses émotions. Dans un moment pareil, où s'emporter pouvait compromettre leur début aux Hunger Games, elle s'en voulait encore plus.

Heureusement que Mike comprenait et la récompensait du réconfort qu'elle méritait, mais qu'elle ne réclamait jamais.

On lui avait interdit de garder l'écharpe. Ce n'était pas réglementaire car elle était trop longue. Pourtant elle représentait, à elle toute seule, tout un monde pour Mikasa. Et, à aucun moment pendant son entraînement, Eren n'avait anticipé qu'on la confisquerait à la jeune femme. Alors que Mikasa avait dû y songer plus d'une fois – s'en affoler, s'en désespérer – derrière sa façade robuste de guerrière au sang froid. Elle s'y était préparée et l'avait découpée pour n'en garder qu'un petit morceau : ça, au moins, ça rentrait dans leurs procédures.

Mike la réconfortait et elle triturait le morceau rouge délavé entre ses doigts.

Comme les pages d'un livre d'images qui se tournaient, une nouvelle illustration se présenta à son esprit, succédant au tableau qui s'offrait déjà sous les yeux du jeune homme. Très similaire, elle contenait encore Mikasa et l'écharpe. Seulement, l'écharpe était bien plus longue et le décor était l'estrade de la place centrale de Shiganshina. Sur ce cliché poussiéreux de sa mémoire, dont il pouvait encore retracer les détails, sa mère tentait de fendre la foule agglutinée au pied du promontoire, main tendue.

À ce moment, il avait été bien trop loin pour l'atteindre, bien trop déterminé à secourir Armin pour se retourner alors qu'on l'emmenait vers la gare, bien trop inquiet pour envisager une échappatoire. Et Mikasa avait serré son écharpe, de la montée sur scène à la descente sur le quai du Capitole.

La sélection pour les jeux et le début des jeux rien n'avait changé entre ces deux images. C'était toujours des adieux larmoyants comme il les détestait. Les mêmes qu'il avait chassés de son esprit pour se consacrer corps et âme à son entraînement, et rien d'autre. Les mêmes qui revenaient à l'attaque, moins d'une heure avant le compte à rebours, pour embrouiller son esprit.

Eren voulait en finir au plus vite avec tout ça, se retrouver face à l'impératif de la survie, et rien d'autre. Pour ne songer qu'à la meilleure façon d'exploiter sa combativité, et rien d'autre. Pour enfin tirer un trait sur le mois le plus étrange de sa vie, et rien d'autre.

À trop s'enfoncer dans des états d'âme, il risquait de commettre un faux départ au moment venu et d'avorter ses chances… mais Mike affichait une expression si peu familière…

Une douleur poignait dans son estomac. Sèchement, Eren serra les poings pour écrabouiller la désagréable sensation. Elle rappliquait en nouant sa gorge, pinçant son cœur les jeux n'avaient même pas débuté et Eren avait déjà l'insupportable impression d'être blessé. Il se faisait presque pitié !

Une enveloppe chaleureuse recouvrit le sommet de sa tête, lui évoquant un autre souvenir, moins déchirant mais plus tiraillant. Eren leva les yeux vers un autre visage blond et moustachu, alors que Mike lui frottait les cheveux.

Ça chatouillait et ça caressait en même temps, ça faisait comme un casque qu'on lui mettait sur la tête pour que rien ne lui arrive, et ça lui faisait du bien de regoûter à cette douceur tactile.

Le sourire de Mike était si large que même le Eren des premiers jours l'aurait identifié. Le tribut préféra ne rien commenter, il voulait se contenter de choses simples, ainsi il s'assurait qu'il ne perdait pas le fil des événements. Même quand des imprévus, comme entendre la voix de Mike tonner, se produisaient :

-Ne baissez pas les bras ! Jamais. Battez-vous jusqu'au bout. »

Interloqué, Eren jeta un coup d'oeil à Mikasa mais elle ne fit qu'acquiescer, alors qu'un sourire soulagé s'esquissait sur ses lèvres. Mike toisait toujours le jeune homme, dans l'attente de sa réponse.

-L'opération est prête ! surgit une voix. District Douze, vous devez vous rendre dans la salle sur-le-champ, le temps presse ! »

Eren se tourna pour découvrir une vague de gardes qui fondait sur lui ! À peine eut-il le temps de lever le bras, par un simple réflexe de protection, que Mikasa bondit à ses côtés. Les employés freinèrent, toujours impressionnés par la jeune femme, mais Eren savait que lui et sa partenaire avaient déjà utilisé leur ultime cartouche : il leur fallait les suivre à présent, une bonne fois pour toute.

Mikasa devait en être aussi consciente que lui car elle ne rechigna plus à se diriger, avec lui, vers la salle de l'opération. Les roses dégageaient le passage mais tous gardaient les bras tendus, comme pour fabriquer des clôtures de chair, au cas où la folle idée de filer ne vienne à l'esprit des tributs.

Les deux jeunes gens se risquèrent tout de même à glisser un regard en arrière, vers Mike qui n'avançait plus, ne les accompagnerait plus, ne les verrait plus…

-Hé ! »

Le beuglement d'Eren attira son attention et leur mentor releva la tête, à l'écoute.

-T'as intérêt à nous regarder là-bas ! N'en perds pas une miette ! »

Garder les choses simples, surtout garder les choses simples et respirables.

-T'as intérêt à nous regarder gagner et revenir ! »

On leur ouvrit la porte de la salle d'opération et Eren se tut. Par-dessus leurs épaules, lui et Mikasa scrutaient encore Mike, avant qu'ils ne ferment la porte et l'éloignent d'eux pour de bon. Leur mentor s'avança d'un pas, bomba le torse et, d'une voix fière qui commanda toute l'attention sans même hausser le ton, s'adressa à eux :

-Je vous regarde. »

Mike brandit son poing, une intensité, qu'Eren n'avait jamais relevé auparavant, brillait dans son regard bleu. Au petit rictus, quasiment mesquin, qu'il arborait, le jeune homme supposa qu'il avait pouffé à son appel spontané, et la porte se referma.

Les néons de la salle d'opération manquèrent de cramer sa rétine. Eren plaqua sa main sur ses yeux, le temps de s'habituer à l'éclat aveuglant de l'éclairage. Mais les employés ne comptaient plus leur laisser une minute de plus.

Quand bien même le tribut ne distinguait que de vagues formes dans la bouillie bichrome que son champ de vision était devenu, tout s'accéléra.

-Avancez !

-Dépêchez-vous de les installer, si vous ne voulez pas que tout rate !

-Eren !

-Bip-Bip-Bip-Bip-Bip

-C'est bon ! Ils arrivent là…

-Bip-Bip-Bip-Bip-Bip »

Un tintamarre de sons envahit ses oreilles. Son ouïe perdait l'équilibre quand des mains le poussèrent en avant. Eren voulut se retourner pour les dissuader de le toucher, d'un bon regard furibond comme il savait les faire, mais une autre empoigna son bras et le tira en avant. Où était Mikasa ? C'était elle qui venait de l'appeler, non ? Les tâches noires obstruaient encore la vision du jeune homme, mais il devinait une silhouette le conduire jusqu'à une table.

-Que… Me touchez pas ! défendit-il à la silhouette.

-Doucement, M. Jäger, lui susurra la présence, allongez-vous. Que le personnel d'escorte se retire ! Nous allons pouvoir commencer.

-Bip-Bip-Bip-Bip-Bip »

Tout à l'heure, Eren pensait avoir été blessé. À présent il se demandait s'il ne se vidait pas de son sang. Sa respiration se saccadait, asséchant sa gorge, crevant ses poumons. Son cœur s'affolait, se débattait dans sa poitrine. Alors qu'on l'allongeait sur la table – non, c'était un lit – son oreille interne tanguait comme au beau milieu d'une tempête. Il voulut tout de suite se redresser, mais une main ferme pressa son torse et le maintint allongé sur le lit.

Les tâches noires rétrécissaient et Eren tourna la tête de côté : une immense lampe était braquée au-dessus de lui, elle l'aveuglerait encore s'il se risquait à détailler le plafond. Ses yeux se posèrent donc sur la petite table, au chevet du lit.

Seringues.

Ciseaux.

Pinces.

Scalpels.

Aiguilles.

Le gris brillait, livide, il ressortait parmi la collection de tubes à essai. Tous de différentes tailles, rangés les uns à côté des autres, au repos avant l'assaut. Remplis. Chaque produit présentait une couleur variée, il y avait des nuances insolites dont il n'aurait jamais soupçonné l'existence. Il crut reconnaître des bulles est-ce que c'était du gaz à l'intérieur ? Tous les instruments l'attendaient, lui. Propres comme s'ils n'avaient jamais servi. Est-ce qu'ils étaient flambant neufs ou bien cachaient-ils leur jeu et leurs sinistres expériences passées ? Eren voulut détourner le regard, mais un dernier élément attira son attention.

La puce, le récepteur. Ce devait être ce mouchard, placé à côté des scalpels, et – est-ce que ça rentrerait seulement dans son bras, ça ?

Voilà pourquoi les préparatifs se faisaient après avoir endormi les tributs. Si tout était déjà prêt, alors allait-il subir une anesthésie plus puissante, pour que les roses chirurgiennes s'attellent plus vite à leur besogne ?

Il n'eut pas le temps de penser à poser la question qu'une chirurgienne se pencha au-dessus de lui. À cause de l'énorme lampe derrière elle, elle projeta une large ombre sur le visage d'Eren. Puis elle tendit le bras pour attacher le poing d'Eren, ensuite le coude.

-Hé ! Vous faites quoi, là ? »

Il allait se relever mais deux nouvelles mains enserrèrent ses épaules et le tinrent prisonnier. Un autre chirurgien s'était glissé derrière le lit.

-Nous n'avons pas le temps de vous expliquer, détendez-vous.

-Bip-Bip-Bip-Bip-Bip »

Bientôt, les pieds, les poings, les coudes et le ventre d'Eren furent attachés. La chirurgienne se pencha une fois de plus au-dessus de lui, seringue en main. Le chirurgien lui tenait toujours les épaules. En voyant l'aiguille s'approcher de ses veines, Eren chercha à se débattre. En vain.

Malgré tout un mois passé à s'endurcir, il ne restait qu'une marionnette entre les mains du Capitole.

L'aiguille se planta dans sa peau, et son cœur palpita encore plus quand il pensa qu'on venait de l'empoisonner. C'était comme du plomb dans ses veines. Le fluide alien remontait l'épaule, s'attaquait à sa poitrine, se déversait dans son corps, le ramollit, l'alourdit, le pétrifia.

Il coula comme une pierre dans un sommeil artificiel.

Le rideau de ses paupières se leva. L'éclat massacrant du blanc qui inondait toute la pièce acclama son réveil. Ses muscles avaient beau être encore engourdis, la vue de Marco, elle, ne perdit pas une seconde à détailler la chambre.

Blanc.

Il n'y avait pas à dire, c'était le mot. Les murs, même le plafond, ceinturaient la pièce d'une pâle teinte. Les draps, qui avaient bordé son sommeil, enfarinaient l'atmosphère. L'ivoire du sol blanchoyait la chambre.

Seules les couleurs de ses vêtements, de Ness qui patientait mains sur les hanches dans un coin, et de Ruth assise sur le bord de son lit, perforaient l'enveloppe blanchâtre de timides pigments. Aucune sortie ne se présentait : pas la moindre fenêtre et deux portes, dont le renforcement métallique trahissait toute la lourdeur, closes. Une à droite, une à gauche celle par laquelle ils étaient rentrés, celle par laquelle ils sortiraient.

Marco s'extirpa de la couverture et imita la position de Ruth. Il s'assit, lui aussi, sur le bord du lit en face d'elle. Le froissement des draps alerta Ness. L'instructeur se retourna et accueillit le jeune homme d'un ton agréable :

-Marco, t'es réveillé ! Comment tu te sens ? »

Le blanc n'avait pas décoloré la gaieté caractéristique du professeur.

-Bien, ça va. Encore un peu mou à cause de l'anesthésie, mais ça devrait aller, lui sourit-il avant de s'adresser à sa partenaire. Et toi, Ruth, ça va ?

-Oui. J'ai repris mes esprits il y a deux minutes, tout au plus. Ness était déjà là. (Elle pointa l'intéressé du pouce, puis elle joignit ses mains, coudes sur les genoux.) Comme prévu, ils ont bien calculé la dose : il reste vingt minutes. »

Marco tressaillit. Ruth plongea le regard vers le sol et une intense réflexion. Quant à Ness, Marco l'entendit s'éclaircir la gorge.

-Si t'as pas de soucis à t'exprimer ni de troubles de mémoire, ça veut dire que t'as pas d'effets indésirables. D'ici moins de quinze minutes, ton organisme se sera parfaitement remis du somnifère, t'inquiète ! »

Après un hochement de tête, Marco s'appliqua à pousser une longue expiration. Tout se passait comme prévu, comme on lui avait dit. Pourtant, il lui fallait digérer l'accélération soudaine des événements : suite à environ deux heures passées à suivre le protocole d'un tas de procédures précises… un somnifère, l'opération, et voilà qu'il ne restait plus que vingt minutes !

L'agonie de l'échéance et maintenant la panique de l'imminence : il manquait un entre-deux !

-Plus qu'à attendre que nos corps se revigorent dans cette chambre, alors ? résuma-t-il.

-Oui… c'est ça… »

Ness se mit à faire les cent pas, pendant que Ruth continuait de nager dans ses calculs et ses estimations. Décidé à faire quelque chose, et surtout à s'assurer qu'il n'était pas ankylosé, Marco se leva.

Une fois debout, il remarqua qu'il venait de dormir en uniforme, bottes comprises, dans un lit immaculé. Ça ne l'étonnait plus. Il passa distraitement une main dans ses poches : les ficelles et les clochettes s'y cachaient toujours, on n'avait pas profité de l'anesthésie pour le détrousser de ses items.

Il fit le tour du lit, laissant de l'espace à Ruth, pour se rapprocher de la porte de sortie. Les mètres carré de vide formaient une petite piste d'entraînement, dont il avait grand besoin. Marco commença à s'échauffer. Après tout, il restait moins de vingt minutes.

Lorsque sa main enserra son poignet pour l'assouplir, un bouton auquel il n'avait jamais fait attention avant le déstabilisa. La bosse était gonflée et solide. Sous la pulpe de ses doigts, il avait l'impression de toucher un corps inconnu. Marco relâcha alors son poignet et inspecta l'anomalie de plus près.

Entre les ruisseaux tracés par ses veines, telle une île, se distinguait la petite bosse. La puce.

Comment avait-il pu hésiter aussi longtemps ? Bien sûr qu'il s'agissait du récepteur ! La raison première de l'anesthésie qui l'avait condamné à se réveiller ici, dérobé de tout le temps dont il avait disposé pour se préparer ! Le petit signal désormais greffé dans son corps, lui annonçait qu'il était officiellement le nouveau jouet du Capitole.

Et dire qu'il pensait s'être résigné à la mort. Si c'était vraiment le cas, Marco ne se morfondrait pas sur le temps qui avait filé entre ses doigts endormis. On lui avait arraché une étape, une transition, et il se remettait à douter… à moins que cette sensation de choc et de vide angoissant ne soit qu'un des effets secondaires de l'anesthésie ?

Les néons projetèrent leur blanc électrique aveuglant quand il leva ses prunelles vers eux. Vite, le tribut rabaissa le menton pour se préserver de l'intensité. Le feu intrusif des lumières lui donnait un avant-goût des projecteurs qui se braqueraient bientôt sur lui, ne perdraient pas une miette de lui, dans moins d'un quart d'heure.

Bientôt, il serait définitivement dépossédé de son intimité. Le capteur qui parasitait ses veines n'était que la première étape. Au fond, Marco supposait que cette puce, la perte de son individualité, l'horripilait plus que l'éventualité de la mort.

Le jeune homme se passa la main sur le front, frottant des mèches de cheveux au passage, espérant ainsi chasser ces pensées. À la force de ses coups de poings dans l'air, il repoussa les doutes, les hésitations, les lamentions infécondes, les poisons de son esprit.

-C'est pas très confortable au début, intervint Ness en s'approchant de lui, hein p'tit gars ? »

Son mentor s'expliqua en pointant le poignet de Marco du doigt. Le tribut aux tâches de son interrompit l'exercice pour acquiescer, sans maquiller son regard absent. Ness s'en aperçut car il poursuivit :

-Ça passera après les premiers jours, tu verras. En plus, c'est marrant parce que ça fascine les chevaux, ce truc là ! »

Marco pencha la tête, intrigué. Un sourire complice s'esquissait sur l'expression de Ness.

-Haha, j'te jure ! Ces braves bêtes sont super sensibles. Y en a plein qui venait poser leur bout du nez sur l'emplacement de la puce, pour frotter un peu, tu sais. C'est… à la fois impressionnant et touchant à voir, j'dirais !

-Hehe, je vois…

-Enfin, te bile pas trop dessus, quoi… on te la retirera quand t'auras gagné. »

La sincérité que Ness venait d'insuffler à ses mots frappa Marco. La confiance, et l'optimisme radieux, que l'instructeur s'efforçait de propager l'attendrissait, or le jeune homme refusait de contempler de tels mirages. S'il essayait de prétendre qu'il reviendrait, les adieux sonneraient creux, dissonants, faux. Ness ne méritait pas un traitement aussi artificiel.

Et pourtant, Marco se trouvait incapable de renchérir quoi que ce soit. Même Ruth s'était tue. Le silence pesant les piégeait, comme sous un dôme : la vérité.

Sous peu Marco se retrouva captif, non pas derrière des barreaux, mais dans les bras bienveillants et volontaires de Ness. L'ancien gagnant avait bondi sans prévenir vers lui, l'emmitouflant de son geste spontané et affectueux. Les larges mains chaudes de Ness protégeaient le dos de Marco.

Se sentant en sécurité, l'élève ferma les yeux, puis serra son mentor en retour. Dans ses poings, il agrippait un peu de la veste de Ness, tandis que l'instructeur le pressait contre lui. Sa vigueur sincère appuyait contre les os de Marco, mais il s'en accommodait parfaitement. L'étreinte le drapait de sérénité. Le garçon préférait de loin ce nouvel abri au dôme blanc des fausses promesses. Il enfouit sa tête dans l'épaule de Ness, savourant le noir dû à ses paupières closes : un refuge au blanc qui l'envahissait depuis son réveil.

Au bout d'une durée hors du temps, il rouvrit les yeux et Ness le relâcha. Le vétéran fit volte-face, se grattant le crâne à en décrocher son bandana. Puis, toujours de dos et d'une voix qui s'éraillait, il s'adressa à Marco :

-Désolé, j'suis pas très doué pour les au revoirs, voilà tout… »

L'étape manquante se combla . L'entre-deux se remplit, déraidit son esprit, apaisa ses craintes : Marco allait manquer à Ness. Une fois qu'il serait là-bas, Ness ne l'oublierait pas, n'oublierait pas qui il était avant les caméras.

-Non, c'est suffisant. »

Ness pivota la tête et afficha un sourire en coin, que Marco réciproqua avec tout le chagrin et la tranquillité qu'il lui inspirait.

Il suivit son mentor du regard alors que l'ex-vainqueur s'avançait, d'un pas lourd mais robuste, vers Ruth. La jeune femme sortit de son train de pensée à l'approche de Ness. Elle releva le menton, déconcertée à la vue des bras de Ness qui s'écartaient, puis lâcha un râle sec.

Après quoi, elle se redressa, tendit les bras à Ness, accepta son étreinte. Marco sentit un sourire s'élargir sur son visage. Ruth finit, elle aussi, par fermer les yeux et se laissa bercer par l'affectueux va-et-vient de l'accolade.

L'inespérée bulle de réconfort creva à l'entrée discrète, et sinistre, d'une femme portant l'insigne des deux roses. Le blanc des lieux avait conquis la teinte de ses cheveux, qu'elle attachait en une simple queue de cheval basse. Elle portait même des gants blancs. Son pas robotique, strict, détaché, n'avait d'égal que les larges poches de cernes qui creusaient ses joues : elle avait l'air épuisée, s'accrochant à une procédure impitoyable pour tenir le coup. Elle s'arrêta au centre de la chambre et annonça :

-District Neuf, vous allez être conduits vers les blocs de départ. »

Elle ne les regardait même pas. Elle dévisageait un point fixe sur le mur. Marco se figurait que sa tâche représentait un poids émotionnel épouvantable pour l'employée, d'où son recours au respect inflexible du règlement, une certitude solide dans ces terrains glissants.

-Veuillez me suivre. »

Elle fit demi-tour et alla vers la deuxième porte scellée, pour y pianoter le mot de passe et enfin l'ouvrir, Marco sur ses talons. Malgré ses exercices de réveil, son corps lui semblait plus léthargique que jamais. Il jeta un coup d'oeil derrière lui et la vue de Ness, qui continuait de les accompagner, l'assista d'une timide, mais volontaire, poussée en avant.

Le couloir, sans fenêtre – blanc pour ne rien changer – les encerclait. Aucun son, hormis le bruit de leurs bottes sur le revêtement de plastique. Une odeur de clou de girofle et d'eucalyptus s'introduisit dans ses narines, pourtant Marco se doutait qu'il n'y avait rien de naturel dans la senteur. L'agressive substance chimique lui remontait à la gorge. Il serra les dents et se concentra sur les roses dans le dos de leur guide. Il préférait cette vue, un semblant familière, aux ailes de son nouvel uniforme.

Entre la chambre immaculée et ce couloir laiteux – sans compter l'anesthésie – Marco se sentait déboussolé. Sa seule supposition sensée était que, si les blocs de départ se trouvaient au bout de ce couloir, l'arène devait être au-dessus de leur tête. À cette pensée, il ralentit son allure, se laissant rattraper par la démarche hachée de Ruth. Elle frappait le sol de ses talons, comme pour décharger sa frustration : son sens de l'orientation, à elle aussi, devait être désarçonné, et Marco savait combien Ruth s'appuyait dessus…

Un craquement de jointures et sa partenaire tourna ses prunelles vers lui. Son expression restait concentrée malgré tout : une détermination appliquée, que Marco remerciait dans des moments pareils.

-L'arène est juste au-dessus, pas vrai ? souffla-t-il.

-Exact, confirma-t-elle en craquant d'autres jointures, il y aura bientôt du sang au-dessus de nos têtes. »

Marco manqua de trébucher. Il vit Ness tendre le bras et poser sa main sur l'épaule de la jeune femme.

-Hé, Ruth, intercéda leur professeur, dis pas ça comme ça, ma grande…

-Non, elle a pas tort. »

Ness et Ruth le considérèrent comme s'il se transformait en Titan sous leurs yeux. Marco leur sourit. Il pouvait toujours refuser de voir les choses sous le même angle que Ruth, ça ne changerait rien : elle avait raison. L'heure n'était plus aux lamentations. Ce qui allait se passer, allait se passer. Ce qu'il devait faire dans la poignée de minutes qui lui restait, c'était l'accepter. Le déni le paralyserait sinon.

Ruth craquait toujours ses doigts quand ils arrivèrent devant un nouveau passage. Un « 9 » surplombait le dessus-de-porte de sa couleur rouge sang, identique à celui de la baraque du District Neuf.

Les morceaux se recollaient. Ils approchaient de la fin. Ou du début.

La rose ouvrit la porte et ils pénétrèrent dans la salle des blocs de départ. Plus précisément, la salle des deux cages d'ascenseurs en verre. De près, ils ressemblaient à deux tubes, qui les propulseraient en enfer.

Leur accompagnatrice s'approcha du poste de commande sur la gauche. D'autres membres du personnel y travaillaient déjà. Aucun d'eux ne leva la tête à leur arrivée, ils refusaient le moindre contact visuel. Comme lorsqu'elle était venue les chercher, la femme aux cheveux blancs scruta un point fixe dans l'horizon en s'adressant à eux :

-Veuillez chacun prendre place dans une capsule. Celle de gauche pour la fille, celle de droite pour le garçon. »

Ruth ne lui demanda pas de répéter et s'avança vers le tube de gauche. Bien que pris de court par sa rapidité, Marco rassembla ses forces et suivit l'exemple de la jeune femme. Il se dirigea vers le tube de droite. Ness demeurait près de la porte, toujours le sourire aux lèvres alors que le reste de son expression avait l'air triste.

En passant devant la capsule circulaire de Ruth (la cage était ouverte, mais elle patientait déjà au centre) il inclina la tête, en signe de respect et de solidarité à sa camarade.

-Oublie pas de bien faire gaffe à Eren, Christa, Bertholt et Annie, lui lança-t-elle, comme on a dit. Vu ?

-Entendu. On se revoit de l'autre côté, j'imagine…

-Ouais, soupira-t-elle, on se quitte pas des yeux et compte sur moi pour l'arbalète.

-C'est d'accord. »

Marco détacha son regard de Ruth. La cage de verre se dressait devant lui. Il prit une grande inspiration. Il n'avait qu'à faire un pas en avant et rentrer dedans, au final. Ce n'était pas si compliqué quand on y réfléchissait. Le jeune homme se retourna une dernière fois vers Ness, et vit son instructeur lui foncer dessus.

Ness l'entoura à nouveau de ses bras, dans un tel élan que Marco manqua de tomber directement dans son tube attitré. Le tribut savait qu'il n'avait pas le temps de fermer les yeux, il déposa juste ses mains sur les épaules de son mentor une dernière fois, avant qu'elles ne se resserrent en poings, à la recherche de quelque chose à glaner… une pensée, un sentiment, un souvenir.

La main de Ness lui protégeait la nuque, une présence rassurante : elle réchauffa les sueurs froides de Marco.

-Bonne chance, murmura Ness d'une voix rauque en le laissant partir.

-Merci. »

Marco prit place dans la cage d'ascenseur, se tint droit, pile dans le centre, les poings toujours serrés contre ses cuisses. Ness, toujours planté devant la capsule de Marco, saluait Ruth. Un bref signal strident et un soupir de vapeur plus tard, et les portes se fermèrent.

Puisqu'elles étaient de verre elles aussi, Marco continuait de voir Ness devant lui. L'instructeur lui souriait de toutes ses dents, comme au premier jour.

Durant tout le mois passé au Capitole, Marco avait beaucoup changé mais Ness n'avait eu de cesse de lui témoigner les mêmes petites attentions, la même sympathie, le même soutien. Et là encore, il souriait. Marco ne savait pas assez bien lire sur les lèvres pour savoir ce qu'il disait, mais il se doutait qu'il l'encourageait.

Un roulement creux survint et le tube commença son ascension. Marco se mordit la lèvre alors que les hideuses parois du tunnel, emprunté par la capsule de verre, rétrécissaient son champ de vision. Au moins, elles étaient grises. Le blanc l'aurait trop dégoûté.

En baissant la tête, il entrevoyait encore Ness agiter les bras pour lui dire au revoir, le cou tendu vers le plafond où ses élèves s'éloignaient, infatigable. Jusqu'au bout, il les soutenait. Jusqu'au bout, il était là.

Jusqu'à ce que Marco ne vît plus que les parois du tunnel souterrain.

Les notes glaciales du chant électronique se précisaient à leurs oreilles.

30.

29.

28.

27.

26.

25.

Les jambes en compote, elle tentait de ramollir les palpitations apeurées de son cœur.

24.

Elle le regardait, lui. Lui, il était tout ce qui comptait, tout ce qui compterait.

23.

Un breuvage chaud et poisseux au goût de ferraille tâcha sa langue, mais elle continuait de se mordre la lèvre.

22.

La façade s'effritait mais elle tiendrait bon. Sa mère regardait. Elle serait forte pour elle.

21.

Ses dents claquaient son squelette se trémoussait au rythme funèbre.

20.

La tempête grondait dans son crâne. Impossible de faire le vide dans sa tête.

19.

Dans cette danse entre chaud et froid qui ensorcelait ses membres, il n'aurait jamais pensé se sentir aussi léger.

18.

Ça ne tenait plus qu'à quelques secondes, or il ne se figurait pas encore l'échéance de sa mort.

17.

Il tourna la tête vers elle et lui sourit.

16.

Quelqu'un devait s'en souvenir. Alors il détailla tous les autres enfants. Personne ne méritait d'être oublié, il devait se souvenir.

15.

… déguerpir. Foncer, prendre un paquetage et un flingue, déguerpir. Foncer, prendre un paquetage et un flingue, déguerpir. Foncer, prendre un paquetage et un flingue, déguerpir. Foncer…

14.

L'uniforme tout neuf l'enserrait, l'engluait dans ses propres sueurs froides, la salissait déjà.

13.

Il voulait fermer les yeux, mais ce serait du suicide. Il n'y avait plus aucune sortie. Même son cœur croupissait derrière les barreaux de sa cage thoracique.

12.

Comment les oiseaux pouvaient-ils piailler avec tant d'insouciance ?

11.

Une caméra se braqua sur elle un bref instant, paralysa ses membres, fit bouillir son sang.

10 !

Si seulement elle avait un moyen de ralentir les secondes…

9 !

Un puissant souffle s'échappa de sa bouche. Elle commencerait dès maintenant à marquer la forêt de sa présence.

8 !

Le tambour dans sa poitrine l'alertait trop pour qu'il s'inquiète des larmes qui débordaient.

7 !

S'humectant les lèvres, il décida de ne plus se focaliser que sur une seule chose : survivre.

6 !

D'un coup, d'un seul, tout implosa. D'un coup, d'un seul, tout disparut. Ses doutes et ses certitudes.

5 !

Elle jeta un dernier regard éclair au ciel qui les toisait. Le réconfort était de couleur bleue.

4 !

Ses talons se décollèrent de la plate-forme alors qu'elle bannissait le moindre tremblement de son être.

3 !

Il serra les poings, fléchit les genoux, s'inclina.

2 !

Il prit une ultime inspiration.

1…

On est partis les gens