Vous étiez vraiment nos camarades !
OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance = - Ashes on the Fire -
- Eren Zahyo -
… () …
Le signal retentit et…
…
… et quoi ?
…
Le signal retentit, et Ymir décolla vers le centre de la clairière. Deux cent mètres où elle abandonnait ses poumons derrière elle. Sur sa droite, une gamine à peine plus petite que la petiote avalait les quelques mètres qui les séparaient à toute berzingue. Le vent qui sifflait à ses oreilles tamponnait les cris et l'agitation ambiante.
Ymir avait les yeux rivés droit sur son objectif : un jeu de dagues qui reposait dans une mallette métallique. Plus vite, ordonna-t-elle à tous ses membres alors que la gamine la dépassait. Ils obéirent, mais ce ne fut pas suffisant : contrairement à Ymir, son adversaire gagnait en vitesse comme un caillou lancé dans une pente.
La gamine freina à l'arrivée, sur le point de passer par-dessus ses propres jambes, et Ymir sut qu'elle n'était pas en danger. Une seconde plus tard, elle atteignait son objectif. Un tour de poignet plus tard, elle pointait une dague vers la gamine. Un battement de cœur plus tard, une giclée rouge maculait son poignet.
Une fente sur sa gorge, les yeux écarquillés et larmoyant, la gamine s'écroula au sol.
-Ursula ! »
Il lui restait dix secondes pour choper deux dagues de plus, de quoi bouffer et un flingue avant que Mikasa ne déboule juste en face d'elle et que Sasha ne se pointe sur sa gauche. Avec la précision d'un radar, elle repéra des barres énergétiques. Elle fonça dessus et les fourra dans la poche intérieure de sa veste avec la dextérité d'une voleuse aguerrie.
Les flingues étaient trois pas plus loin, au centre du pigeonnier de luxe. Une tâche claire apparut dans son champ de vision, une menotte pâle et délicate. Et merde. Par réflexe, elle remonta la ligne du bras qui l'amena droit sur le visage effaré de Christa. La jeune fille leva la tête et croisa son regard.
Deux profonds sillons de terreur creusaient ses joues et encadraient des lèvres blêmes. La flamme dans les yeux de Christa avait complètement disparu. Elle haletait, et à la vue d'Ymir, sa respiration se pétrifia en chœur avec sa poitrine. Elle avait l'air plus fragile qu'une statue de sel.
Elle s'offrait à la mort, et Ymir était la faucheuse. Christa était encore mieux placée qu'Ursula, mais le bras d'Ymir était fait de plomb. Sa volonté parvint à le soulever de deux centimètres, mais céda très vite. Du coin de l'œil, elle perçut un mouvement qui plongeait dans le bac à flingues, mais ne réagit pas, les yeux rivés sur Christa.
Bouge-toi ! Se morigéna-t-elle. Il t'en reste plus qu'un et tu déguerpis ! Christa reprit sa respiration, et tous ses traits se durcirent alors qu'elle se jetait en avant pour saisir un des flingues. Ymir crut lire de la déception dans son regard et se retint de jurer entre ses dents.
La main de Christa ressortait presque du bac et Ymir se jeta en avant, toutes griffes dehors, pour lui prendre des mains. Mais Christa fit volte-face et le jeta hors de portée.
-Reiner ! »
Ymir suivit la trajectoire des yeux et vit avec horreur le pistolet atterrir droit dans les mains du jeune homme.Une seconde plus tard, la sécurité était retirée et Ymir en joue. Tout ça pour crever de manière aussi débile ?! Elle bondit et roula sur le côté, mais en deux pas, Reiner l'avait suivie et le canon restait braqué sur elle. Un hoquet de surprise retentit et Ymir vit avec stupeur l'expression de Reiner vaciller. Elle ne se posa pas plus de questions et fila en sixième vitesse loin du bunker.
Un coup de feu résonna à ses oreilles et tout son être tressaillit, son cœur prêt à s'arrêter à l'avance et son sang déjà froid dans ses veines.
Devant elle, Tom, qui courait droit vers le couvert des arbres, s'effondra face contre terre, cent mètres avant l'abri de la forêt. Dommage pour lui.
Elle se retourna, à l'encontre de tous ses instincts, et croisa le regard de Reiner, qui lui pointa la forêt d'un geste sec du menton, de mauvais gré. Il la laissait partir, hein ? Elle n'était pas prête de laisser passer cette aubaine.
Un crâne rasé entra dans la périphérie de sa vision et en ressortit aussitôt avec précipitation. Vers la gauche, elle repéra la renarde et son partenaire qui filaient avec des bouteilles. Intéressant.
Elle fonça vers la forêt, première à tirer sa révérence à la fin du premier acte.
…
Le signal retentit et l'agitation grandit et gronda comme une vague qui submergea Jean, vissant ses pieds au sol l'espace d'un court instant. Il vit Ymir et Ursula tracer jusqu'à l'arsenal circulaire, et Ruth et Sasha qui les talonnaient de près. Avec un effort acharné, il s'arracha de son socle et se mit à courir aux côtés de Minha. Le souffle lui manquait déjà.
Des cris étaient jetés dans tous les sens au moment où il atteignait le cœur du conflit :
-Ursula !
-Bordel !
-Thomas, attrape !
-Dégage ! »
Il n'avait jamais ressenti une pagaille aussi effrénée de toute sa vie. Il discernait des corps qui s'animaient et une silhouette en mouvement lui passa devant. Il se soulagea de la voir l'ignorer. Son regard engourdi accrochait des objets déjà partis, et il sentit la panique remplacer les secondes qui lui filaient entre les doigts.
Une image familière percuta son champ de vision et tout son corps le poussa en avant vers son objectif. Il jeta le sac d'équipement tridimensionnel sur ses épaules et le poids l'ancra un peu mieux dans la réalité. D'un coup d'œil, il repéra immédiatement Minha et se félicita de sentir ses sens lui revenir.
-Minha ! »
Il agrippa les deux sangles d'un autre sac et le projeta en direction de la jeune fille dès qu'elle se tourna vers lui. Elle dut tendre le bras pour le réceptionner, perdant de précieuses secondes et son équilibre.
Jean baissa brutalement les yeux sur ses mains tremblantes. Des spasmes irréguliers contractaient ses doigts sans qu'il n'en ait l'intention, et son corps, freiné par son esprit, agissait de son propre chef. Il venait de mettre Minha en danger à cause de son indécision.
Il serra son poing, stabilisa sa respiration et redressa la tête. Il balaya la zone du regard : Reiner avait un flingue, mais il était occupé avec Ymir. Sur le côté, il vit Ruth se ruer sur Floch avec violence pour l'envoyer valdinguer au sol, le forçant à abandonner l'arbalète entre ses mains. Franz et Hannah étaient en train de fouiller dans les affaires et s'apprêtaient à partir, et il repéra Marco qui s'emparait d'une trousse de soin. Laura et Conny étaient introuvables, ce qui l'inquiétait un peu, mais pas de menace immédiate.
Il plongea vers le reste de l'armement en prenant soin de se pencher le plus possible pour se mêler aux caisses les plus larges. Il repéra une malle ouverte qui contenait une dernière dague et la récupéra en vitesse. Aucun vivre dans les environs, ni de trousse de soin. C'était le moment de se tailler.
Une fois de nouveau au soleil, il vit Minha qui le distançait d'une bonne poignée de mètres, et vit l'exact moment où la jeune fille se retournait et constatait la distance effrayante qui les séparait. Jean retint de justesse son corps de foncer en avant pour la rejoindre, et il fit bien, car quelques secondes plus tard, une lance tranchait l'air et se plantait juste à sa gauche. Il cingla la tête sur le côté et remarqua Bertholt, sans arme, aux prises avec Laura, qui était probablement celle qui lui avait balancé l'arme dessus.
Ils s'entre-tuent. L'idée qui avait peiné à se frayer un chemin jusqu'à son cerveau retentit en milles échos acérés sur les parois de son crâne. Ils s'entre-tuaient, et il était peut-être le prochain sur la liste. Il serait peut-être le prochain à sentir le froid de l'acier transpercer son flanc, à sentir ses viscères lui échapper et son propre sang chaud couler le long de sa jambe.
Il devait rejoindre Minha. S'assurant que rien n'entravait sa course, il se précipita vers elle alors qu'elle faisait marche arrière. Elle avait une trousse de soin dans la main, bonne nouvelle. Et elle prenait la peine de l'attacher à sa ceinture pour moins s'encombrer.
Il la rejoignait à peine que les yeux de la jeune fille s'écarquillaient et qu'elle tendait la main vers lui. Par réflexe, sa propre main se leva pour saisir la sienne, mais les doigts de Minha la dépassèrent pour empoigner l'épaule de sa cape, et la force qu'elle employa pour le dégager le fit valser au sol.
Le vert de sa cape qui obstruait sa vision tomba pour révéler Thomas. Un sifflement familier frappa ses oreilles, et la flèche, l'épaule de Minha. Il vit le bras de la jeune fille reculer comme sous l'effet d'une bourrasque. Elle trébucha mais retrouva très vite son équilibre, et Jean se hâta de se remettre sur pied, une main dans le dos de sa partenaire pour la soutenir.
-Minha... ! »
Il fit volte-face vers Thomas et le fusilla du regard. Il avait le culot de l'appeler alors qu'il venait de lui tirer dessus ! L'archer avait le visage décomposé et baissa son arme comme s'il voulait la jeter au loin, mais ne pouvait s'y résoudre. Une alliance ?! Quelle blague ! S'il n'était pas plus préoccupé par la santé de sa coéquipière, il serait allé lui administrer une bonne dose de phalanges dans les dents !… Ou plus ?
-Hé, ça va ? demanda-t-il en se tournant vers elle.
-Ça va, je tiens le coup, grimaça-t-elle, une main autour du bois pour le maintenir en place (sans ça, hémorragie assurée).
-On va s'en occuper. Mais d'abord, fichons l'camp d'ici. »
Ils détalèrent aussi vite qu'il leur était possible, et Jean s'accorda un dernier regard en arrière pour vérifier que rien ne les menaçait directement. Il vit que Laura avait déguerpi, et que Bertholt était maintenant un peu plus éloigné encore du bunker. Il vit Thomas se retourner lentement, hagard, et croiser le regard du plus grand, droit comme un i et clairement dépassé par les événements.
Il ne sut jamais si Thomas aurait levé son arc pour tirer sur Bertholt, car une ombre fila entre eux, une silhouette meurtrière – Annie – qui ne s'arrêta dans sa course que pour lui trancher la gorge avant de repartir sans un regard pour le corps qui tombait au sol, emmenant Bertholt avec elle.
Un gémissement de Minha détourna son attention de ce spectacle glaçant, et il la vit voûtée, peinant à reprendre sa respiration. La décision fut vite prise.
-Grimpe ! » ordonna-t-il en s'accroupissant devant elle et en abandonnant son paquetage de tridimensionnalité.
Elle obtempéra immédiatement, et il la chargea sur son dos avant de courir droit vers les arbres. Il la sentait qui se tenait la plus droite possible pour éviter de bouger la flèche, mais sa poigne manquait de force autour de son épaule.
-Ça va aller. » promit-il.
Il ne savait pas s'il s'adressait à elle ou à lui-même.
…
-'chier ! »
Il avait tout : barres énergétiques, équipement tridimensionnel, deux pistolets, et il ne lui manquait plus qu'une chose. Les recharges ! C'était bien la peine d'avoir récupéré celui que Sandra avait abandonné s'il devenait inutile au bout de sept coups !
Christa restait soigneusement dans son champ de vision, une trousse de soin en main, l'autre farfouillant dans des mallettes pour trouver une ou deux dagues. Il n'y avait pratiquement personne à moins de quatre mètres autour d'elle, donc il pouvait se permettre de s'attarder pour trouver ces foutues recharges.
Mais une seconde de plus ici, c'était une seconde de trop qui mettait la jeune fille en danger. Ils auraient déjà dû être partis pour la lisière depuis quinze secondes ! Il regrettait presque d'avoir épargné Ymir. Qu'est-ce qu'il lui était passé par la tête ?! C'était pas le moment d'être compatissant ! Et il ne pouvait pas se permettre de se reposer éternellement sur l'aura qu'il avait érigée autour de sa partenaire !
La preuve : quelqu'un s'approchait d'elle !
Son cœur rata un battement de panique et de stupeur en reconnaissant la silhouette imposante de Bertholt. Ses muscles se pétrifièrent et il s'en maudit, tout élan combatif vaincu et désagrégé dans un nuage d'incertitude. Il pria tous ses dieux pour qu'aucun des deux ne lance l'offensive.
Christa se retourna et croisa le regard du géant et se pétrifia à son tour. En main, il avait une hache, et l'empoignait à s'en blanchir les phalanges. Reiner pouvait voir ses iris s'affoler d'un coin à l'autre de ses yeux avant de se fixer sur Christa. Et Reiner était toujours immobile, surveillant l'éclat assassin de la lame.
Son destin ne tenait plus qu'à un fil, que Bertholt serrait entre ses mains. Il se sentait comme un pantin désarticulé. Pourquoi ?
Sous ses yeux, Christa se jeta vers Bertholt, dague à la main dans une poigne faible et une position défaillante. Un courant d'air aurait pu l'emporter, mais Bertholt se contenta de reculer, d'avancer sa main libre et d'éloigner sa main armée de la jeune fille. En quelques secondes, le cœur de Reiner tomba au fond de son estomac puis remonta jusqu'à sa gorge. Ce manège intérieur eut le mérite de l'extirper de sa torpeur, et il fondit vers le duo.
Il ne l'aurait pas cru possible, mais les yeux de Bertholt s'écarquillèrent encore davantage en l'apercevant. Il le vit reculer et buter contre une malle, mais se retenir de justesse, laissant tout le temps à Reiner de s'interposer entre lui et Christa, une main devant la jeune fille.
Mais avant de pouvoir tenter quoi que ce soit, une ombre se jeta sur lui et il eut tout juste le temps de lever le bras pour dévier le couteau de l'agresseur. Il tomba au sol en l'emportant avec lui.
-Reiner !
-Annie ! »
D'un coup de pied il parvint à repousser la jeune fille sur le côté pour se relever et se remettre en garde. Il s'accorda une demi-seconde pour se tourner vers Christa et balayer l'air de sa main pour lui faire signe de reculer. Par bonheur, elle obéit.
Annie repartait déjà à l'attaque, coude en avant, et heurta son poignet droit dans le nerf, et Reiner poussa un juron en sentant tout son bras s'engourdir. De la main gauche, il frappa son épaule pour l'écarter. Annie profita de l'élan pour tournoyer sur elle-même et brandir sa dague, qu'il esquiva de justesse. Lui n'avait qu'un pistolet, une arme de distance, alors que la jeune fille s'appliquait à rester au corps-à-corps. Il était en position d'infériorité.
Mais prendre de la distance dans le bunker où traînaient tant de malles et d'objets s'avérait trop dangereux. Il devait essayer de l'attirer vers la clairière. Il fit un pas de côté pour éviter une nouvelle attaque et fonça vers la clairière avec l'espoir d'être assez rapide pour pouvoir se retourner et lui tirer dessus.
-Reiner attention ! »
Il fit volte-face et vit qu'Annie avait ouvert une des malles et brandissait un couteau de lancer. Il eut tout juste le temps de plonger au sol pour l'esquiver et sentit le froid de l'air qui se fendait en deux avant de se redresser immédiatement. Christa se jetait sur Annie pour l'empêcher de recommencer et Reiner leva le canon de son arme pour mettre Annie en joue. Malheureusement pour lui, Christa était trop proche pour qu'il se permette quoi que ce soit.
Bertholt entra en trombe dans son champ de vision, couvrant la scène de ses larges bras. L'expression crispée, il secoua très légèrement la tête, presque inconsciemment, et Reiner serra les dents de frustration, grippant la crosse avec l'énergie du désespoir.
Pendant un instant, le monde s'arrêta. La cacophonie des combats se tut, et la vision de Reiner se concentra en un point unique le visage déterminé de Bertholt. La volonté vibrait dans ses yeux verts. L'indécision du blond s'estompa alors pour révéler une vérité qu'il se devait d'admettre : il ne pouvait pas lui tirer dessus.
-Pousse-toi. » souffla-t-il entre ses dents.
Bertholt secoua immédiatement la tête.
-Non. »
Un cri perça la bulle qui avait enveloppé l'esprit du jeune homme et il vit Christa chuter au sol, s'échappant du barrage de Bertholt. Il se tourna aussitôt vers elle, toute son attention happée pour s'assurer qu'elle n'était pas en danger immédiat. Heureusement, elle commença aussitôt à se relever.
Il n'eut pas le temps de lui accorder plus d'attention car Annie jaillissait de derrière Bertholt et lui fonça droit dessus. Il tressaillit en croisant son regard : il ne l'avait jamais vue comme ça. Non pas une dague à la main, mais l'expression tordue par la terreur. Une bouche crispée et des yeux exorbités, des larmes qui se retenaient de couler.
Estomaqué, le souffle lui manqua pour ordonner à ses muscles de réagir. Le bras d'Annie fusa et il ressentit la brûlure mordante de l'acier dans son épaule. Un grognement de douleur lui échappa, qui sembla faire le même effet à son ancienne entraîneuse. Au lieu de lui trancher la gorge, au lieu de lui donner le coup de grâce, elle s'arrêta dans son geste et ils se tétanisèrent de concert.
-Arrêtez, s'il vous plaît... »
La voix de Bertholt acheva de le désemparer. Il manqua l'occasion de tirer sur Annie à bout portant, et la jeune fille en profita pour bondir sur le côté. Reiner fit de même et porta la main à son épaule blessée, les yeux rivés sur la jeune fille pour sonder ses moindres gestes. Le souffle commençait à lui manquer. Il devait en finir en vitesse.
La respiration haletante de Bertholt et le bruit de l'équipement qui s'entrechoquait se rapprochèrent à grande vitesse, et Reiner le vit passer à côté d'eux pour saisir Annie par le bras, deux sacs d'équipement tridimensionnel sur le dos.
-Viens Annie, on y va ! »
Son regard était pressant et le coup d'œil implorant qu'il jeta à Reiner s'imprima dans la rétine du tribut. Il les regarda partir une poignée de secondes, croisant l'expression affolée d'Annie, puis Christa revint à son poste, juste à côté de lui.
Il comprenait à peine comment il avait fait pour rester en vie.
…
Le signal retentit et le temps s'accéléra. Ce n'était plus que courir, courir, esquiver Laura, atteindre le bunker, s'accroupir parmi les coffres, fouiller de la main et du regard en se ressassant la liste, surveiller ses arrières et ceux de Ruth en priant pour qu'il n'y ait personne dans son angle mort. Mais il y avait déjà des cris dans ses oreilles.
En face de Marco pesait la menace d'un pistolet entre les mains de Reiner et il remerciait le ciel de ne pas en être la cible. Le temps de prendre des fumigènes et le premier coup de feu résonna. Ils sursautèrent comme s'ils se l'étaient tous pris en plein cœur.
Sous ses yeux, Ruth envoya bouler Floch hors de la zone et le désarma de l'arbalète. Très bien. Plus que la trousse de soin et on peut y aller. Toujours accroupi, il longea les stocks d'armes jusqu'à atteindre les stocks de soin.
Christa était déjà là, et il ressentit un champ magnétique qui l'empêchait de s'approcher davantage. Il se rappela les conseils de Ruth, secoua la tête, s'empara de la trousse de soin la plus proche et détala.
-Ruth, on peut y aller ! »
À trois pas, sa partenaire lui tournait le dos, et abattit l'éclat aveuglant de sa hache sur l'épaule de son adversaire. Le hurlement étranglé de Laura. Il ne savait pas ce qui s'intailla le plus dans le creux de ses tympans : la plainte étouffée ou le craquement sinistre des os. Il pouvait seulement témoigner qu'il était abasourdi. Plus lourds qu'il ne les avaient jamais sentis, ses pieds se greffèrent au sol.
Coupée dans son élan, Ruth ne parvint pas à dégager son arme de la prison de chair. Ce n'était pas ça qui allait l'arrêter. Elle leva le genou et lui asséna un vigoureux coup de pied en pleine poitrine pour tirer d'un geste vif et récupérer son arme. Le sang jaillit et Marco sentit avec un sursaut une tâche chaude éclabousser sa joue. Il l'effaça aussitôt du revers de la main.
Une menace surgit dans son champ de vision, filant vers Ruth, et Marco laissa son corps prendre les commandes. Il se jeta vers l'assaillant et tous deux tombèrent au sol plus vite que prévu. Marco se redressa immédiatement pour maîtriser son adversaire, qui n'était autre qu'Eren ! À califourchon sur ses hanches, il saisit ses poignets et les tordit pour le forcer à lâcher les deux dagues, qui chutèrent.
Le jeune homme se débattait à peine, et Marco réalisa que quelque chose n'allait pas. Les pupilles dilatées, les yeux exorbités, trempé de sueur, il avait l'air complètement égaré, dépossédé de ses moyens. Marco eut un mouvement de recul et manqua de le relâcher, mais il n'était pas sûr que le jeune homme se serait relevé.
-Marco ! »
Il se tourna vivement vers sa coéquipière, qui tirait la crosse de l'arbalète en arrière pour prendre de l'élan.
-Ne la lance pas ! »
Sa voix provoqua une saccade dans le mouvement de Ruth, qui s'arrêta pour le rejoindre en trois pas et lui donna l'arme proprement, décontenancée. Il la remercia d'un hochement de tête, déglutissant à la vue du sang étranger qui lui barbouillait la figure, et se tourna vers son captif pendant qu'elle partait détrousser Laura.
Sous ses jambes, Eren s'affaissa, vidé de toute volonté. Il ressemblait à un de ces loups que Marco avaient déjà vus acculés lorsque son père et ses grands frères l'emmenaient à la chasse, ceux qui avaient abandonné toute combativité, résignés à leur sort, occupés à se préparer à la mort. Il n'avait jamais pu les achever, laissant les autres s'en charger.
Aujourd'hui encore, il n'en était pas capable, et le visage d'Eren le lui rappelait.
Mais il les avaient déjà vu blesser quelqu'un, poussés par l'énergie du désespoir, et il ne voulait pas voir Eren faire de même, surtout pas quand il pouvait l'empêcher. Il leva le bras, et abattit le fût de l'arbalète sur la tempe du jeune homme. Après un sursaut, celui-ci ferma les yeux. S'il dormait, peut-être qu'on le croirait mort.
Le souffle court, Marco releva la tête et sonda les environs. Droit devant lui, Mikasa s'élançait à leur rencontre ! Il réagit au quart de tour et redressa l'arbalète. Le carreau qu'il décocha pile à ses pieds freina l'allure de la jeune fille, qui lui jeta un regard furibond. Ruth ne perdit pas de temps pour le secouer par l'épaule.
-Allez Marco, on se taille ! »
Il décolla d'urgence et manqua trébucher sur ses pieds dans sa précipitation. Lorsque Mikasa atteignit le corps assommé d'Eren, ils étaient hors de portée. Marco se risqua à un dernier coup d'œil, le temps de voir Mikasa hisser son frère sur son épaule, et elle lui adressa le regard le plus haineux dont il avait jamais eu l'occasion d'être la cible. La vision le secoua avec une telle force qu'elle parvint à lui arracher quelque chose, mais il ne savait pas exactement quoi. En tout cas, il n'y avait rien derrière eux.
Mikasa se détourna et partit vers la forêt à son tour, loin d'eux. Avec épouvante, Marco remarqua Samuel qui leur tournait le dos et entravait leur chemin. D'un coup de la lame striée qu'elle avait dégainée de son propre paquetage, Mikasa le trancha en deux. Il s'effondra. Et Marco ne vit même pas son visage.
-Arrête de te retourner ! » lui ordonna Ruth.
L'injonction fit effet. Il cingla sa tête vers l'avant pour se concentrer sur leur objectif. C'était ça ou perdre son calme.
Incapable d'apprendre de ses erreurs, et surtout à l'entente d'un cri de terreur, son œil accrocha un dernier combat non loin de l'orée de la forêt. Armés de sabres, quatre tributs se faisaient face : Floch et Sandra encadrés par Hitch et Marlow, et ce dernier tenait un pistolet. Voir un de ceux qu'il considérait comme ses amis en danger le transit d'effroi, l'inquiétude pulsant dans ses veines, et sans Ruth qui le rappelait à l'ordre par des cris et des tapes, il se serait probablement interposé.
Hitch s'approcha d'un millimètre de trop et Floch taillada l'air avec énergie pour l'interdire de s'avancer. Surprise, elle recula d'un bond. Le mouvement sembla ragaillardir Floch, car il se fendit, pointe en avant. Mal placée sur ses appuis, Hitch ne put complètement esquiver, et le sabre lui griffa le flanc. Elle poussa un cri de douleur et Marlow réagit sur-le-champ, pointant le canon droit sur le tribut.
Le coup de feu partit moins vite que Floch n'empoigna Sandra par la cape pour s'en servir comme barrage.
La balle perça le cœur de la jeune fille, qui recracha une gorgée de sang dans un soubresaut. Marlow dirigea son pistolet vers le ciel avec un geste de recul et une grimace horrifiée. Les dents serrés, Floch retint la chute du corps avant de le projeter vers Marlow dans un grognement d'effort.
-Marlow ! » glapit Hitch.
Floch profita du moment et se carapata vers les arbres, que Marco et Ruth atteignaient aussi un peu plus loin. Le tribut adverse venait de sacrifier la personne avec qui il avait passé un mois entier à s'entraîner sous les instructions du même mentor, à dormir sous le même toit, à partager chaque instant… il venait de s'en servir comme un ticket de survie qu'on jette au sol une fois périmé !
Ou ils devenaient des bêtes sanguinaires assoiffées de survie sans la moindre pitié comme Floch ou Ruth, ou ils devenaient des fantômes hébétés qui déambulaient entre l'horreur et l'incompréhension, avec une timide rage pour seul moteur. Soit ils s'entre-tuaient, soit ils se tuaient eux-même, il n'y avait aucune autre option et aucune échappatoire.
Marco avait l'impression que chacun de ses organes lui avaient été dérobés, remplacés par un tumulte d'angoisse écœurée qui raclait contre sa colonne vertébrale. À chaque vertèbre, un coup de poignard par battement de cœur.
Après un mois à faire le deuil de leur humanité, la transformation s'accomplit.
