Je viens avec vous, évidemment

OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance =

Emaymniam -

- Son 2 Sea Ver -

- Barricades (Movie Ver./ Instrumental) -

- Aots3-Pf1 -

- Counter Attack-Mankind -

- 2 Volt -

- Symphonicsuite 0Sk -

- Cold Light -

… ( ) …

Un pas après l'autre. Les pieds d'Eren s'enfonçaient dans la terre meuble, froissaient l'herbe et marquaient les lieux de sa présence. Est-ce qu'au fil des années, un des innombrables tributs avait posé le pied à cet endroit exact ? Ne pas baisser la tête et regarder droit devant, pour repérer cinq mètres devant lui. Il n'était pas en cours de tridimensionnalité, mais Eren avait pris l'habitude de l'appliquer à chaque fois qu'il se déplaçait, et l'effort était fructueux. Ce n'était presque plus un effort. Et ce qui n'était pas un effort ne demandait que peu d'attention. Et ça voulait dire qu'il avait tout le loisir de penser.

Il s'y refusait. Il cherchait sans cesse un parcours à retenir, un repérage à estimer, une distance à mesurer. Il avait toujours un semblant de migraine qui lui tambourinait dans le crâne, et à chaque pas, le gong faisait valser ses pensées dans tous les sens et le forçait à recommencer.

Mikasa marchait dans sa diagonale droite, devant lui, et jetait des coups d'œil fréquents à leur gauche. Il était presque surpris de ne pas voir la tâche de rouge accompagner le noir de sa chevelure, mais les cliquetis de leur équipement étaient devenus assez familiers.

Une énergie sombre circulait dans ses nerfs, sur le qui-vive, prête à sauter sur la moindre occasion de se racheter, de rééquilibrer la balance, de le charger du poids que Mikasa avait endossé. Des remous acides, des restes de son cauchemar, qui l'accompagnaient et se pressaient sur ses épaules. Il ne comptait pas s'en débarrasser, du moment qu'ils n'entravaient pas ses mouvements.

Mikasa s'arrêta, et Eren freina sec. Une main dans sa direction, elle tendait l'oreille, et le jeune homme fit de même. Des frémissements de broussailles, à l'est. Irréguliers comme ceux d'un animal, mais trop forts. Les seuls animaux de cette taille qu'on laissait circuler étaient des biches et des daims. Une image floue se forma dans son crâne et se colla à la paroi arrière, comme si elle refusait de se manifester à sa conscience.

Il crut s'être trompé, car bientôt les bruissements ressemblaient seulement à ceux d'une bestiole du genre renard. Mais Mikasa releva la main et indiqua un 'deux' avec les doigts. Eren haussa un sourcil, et en réponse, elle fit le signe pour un animal et un humain. L'image bondit à l'avant de son crâne, au même moment où Mikasa lui intimait de la suivre et de se dépêcher.

Ils grimpèrent aux arbres de justesse, les mains agrippant des échardes et les pieds raclant sur le bois. Perché sur une branche à côté de la jeune fille, bien caché, les mains moites autour de ses manettes, Eren déglutit.

Sasha surgit d'entre les arbres, les sourcils froncés et les yeux grand ouverts à plusieurs mètres de distance. Son cœur rata un battement de panique. Elle regardait de tous côtés, arc en main, flèche sur la corde, prête à bander. De là où il était, il aperçut une petite vague de couleur brune bondir loin, et ses yeux traquèrent le mouvement en même temps que Sasha. Un lièvre.

À côté de lui, Mikasa exsudait une aura dangereuse, discrète, rampant à peine au delà de sa peau, mais pas moins prête. Eren la voyait dans sa prise sur ses manettes, dans sa bouche soigneusement fermée, dans le léger crissement du bois alors qu'elle ajustait sa position. Sasha se rapprochait. La jeune fille était complètement absorbée dans sa chasse, et elle ne s'attendait sûrement pas à rencontrer d'autres tributs dans cette zone. Elle se rapprochait encore. Il pouvait voir le blanc de ses yeux.

Il était pétrifié. Sa posture n'était pas correcte, il avait l'impression que ses manettes allaient lui échapper des doigts à chaque instant et il était certain d'avoir perdu le sens de la perspective et de la profondeur d'un seul coup. Il fallut le bruit discret des câbles qu'on oriente pour lui permettre de bouger.

Par réflexe, il plaqua une main sur le torse de Mikasa pour l'empêcher de bondir. Elle fit volte-face vers lui, l'accusation et l'incompréhension claires sur son visage.

-Qu'est-ce que tu fais ?! siffla-t-elle entre ses dents.

-Arrête, parvint-il à souffler.

-Il faut la tuer maintenant, pendant qu'elle est concentrée ! »

Ils se tétanisèrent en chœur alors que Sasha tournait vaguement la tête dans leur direction, les sens à l'affût. Peut-être avait-elle entendu un soupçon de leur conversation ? Pendant un instant, toutes les consciences s'immobilisèrent, en attente d'un mouvement de l'autre. Le sang d'Eren pulsait à ses oreilles et il aurait voulu arrêter son cœur. Faites qu'elle ne regarde pas par ici. Faites qu'elle ne regarde pas par ici.

Son propre regard était un aimant qui attirait celui de la jeune fille, et seule sa conscience parvenait à contrer la gravité, une poigne moite qui ne tarderait pas à lâcher. Il n'en était pas réellement responsable. Mais le petit monstre de culpabilité dans ses tripes s'impatientait.

Finalement, Sasha se détourna, et se baissa en avant pour reprendre la piste. Mikasa se pencha vivement mais la main d'Eren continua à la bloquer avec un mouvement sec. Quelque chose de plus fort encore que la culpabilité tenait les rênes de son corps. Quelque chose auquel il accordait plus d'importance que sa rédemption auprès de Mikasa. Il ne savait pas quoi. Mais c'était un danger. Il devait s'en débarrasser, il le savait, il devait lâcher Mikasa, il devait optimiser leurs chances de survie, pour s'entre-tuer à la toute fin, qu'est-ce qu'il racontait, comment il pourrait supporter le sillon de cadavres qu'il laissait derrière lui quand ce n'était même pas lui qui l'avait creusé ?!

-Tu nous mets en danger, Eren ! »

Ses paroles chuintaient comme ses lames. Il ne savait plus quoi faire. Son corps était paralysé.

-Hé, Sasha ! Tire pas, c'est moi, Conny ! »

Les têtes des deux tributs du District Douze cinglèrent vers la voix. Au loin, Conny sautillait d'entre des broussailles, en agitant les bras. Les yeux d'Eren se braquèrent à nouveau sur Sasha, qui s'était redressée et répondait par d'autres grands gestes et un large sourire.

-Oh, Conny ! Toujours vivant !? »

En deux temps trois mouvements les deux tributs se rejoignaient, abandonnant leurs armes sur le côté pour se sauter dans les bras avec des exclamations de joie.

-Ouah, tu peux pas savoir comme chuis content ! s'exclama Conny. J'ai pas réussi à faire gaffe aux coups de canons, du coup je savais pas du tout qui était mort ! »

Sasha ne répondit pas mais hocha vigoureusement la tête avec des murmures d'assentiments. Ils se séparèrent, sans se lâcher les épaules, et leurs expressions devinrent plus graves.

-Laura est morte, annonça Conny. J'ai vu Ruth la tuer à la hache. Chuis tout seul, et toi ?

-Thomas est mort aussi. »

Elle détourna le regard en se mordant la lèvre, les traits crispés.

-Comment ? hésita Conny.

-Annie lui a tranché la gorge. Mais c'est surtout que juste avant, il avait attaqué Minha. »

À côté d'Eren, Mikasa roula sèchement des épaules. Eren lui-même sentait ses muscles qui commençaient à frémir sous l'effort de rester tendu pendant plusieurs minutes. Quand ? Quand est-ce que tout allait péter ?

-On voulait faire une alliance avec leur équipe, tu sais ? Mais le truc, c'est qu'on a chopé des flèches empoisonnées. Je le savais pas à ce moment là. J'ai tué un gibier avec ces flèches là, et la peau avait une sale tronche, et la chair un sale goût. Minha est morte aussi, et je crois bien que Jean va en avoir après moi maintenant...

-Des flèches empoisonnées... ? murmura Mikasa.

-Ouch, oui, grimaça Conny. C'est pas une bonne idée de te mettre ce gars à dos. À moins de croiser la route d'Eren et de mettre Mikasa en rogne, il va pas crever facilement cui-là. T'en as là, des flèches empoisonnées ?

-J'ai tout mon matériel avec moi. »

Cette fois, ce fut Mikasa qui recula, et qui tira Eren par la manche pour lui signaler de s'en aller.

-Profitons qu'elle est distraite, chuchota-t-elle. Si elle a des flèches empoisonnées, il vaut mieux ne pas prendre le risque. »

Un soulagement démesuré gonfla dans la poitrine d'Eren, aussitôt lacéré de tous côtés par les griffes de sa culpabilité. Il ne souriait pas, mais il sentit toute son expression se détendre alors qu'il s'engageait à la suite de la jeune fille. Le silence le plus complet entourait ses pas, mais c'était une cacophonie qui résonnait à l'intérieur de lui, le choc entre deux opposés. Il laissait derrière lui une autre opportunité manquée, une autre chance de survie, des camarades en vie, et il ne pouvait se résoudre à se haïr de toute son âme.

-Bon, on s'la fait, cette alliance ?

-Ouep ! »

Le guépard se cambrait, prêt à bondir au moindre geste brusque. Bertholt n'osait même pas bouger la tête, de peur d'affoler sa partenaire figée – mais pas moins imposante – à l'image des arbres dressés autour d'eux. Le silence pesait sur leurs membres raidis. Des épines s'enfonçaient dans l'échine du tribut brun, le figeant tel un piquet, rigide et immobile, dans la léthargie glaciale de l'appréhension. Les aiguilles s'enfilaient à travers son corps, si bien que Bertholt se sentait poignardé par les conifères.

Pourtant, il ne voyait aucun sapin dans les alentours, juste le regard de Reiner.

Debout sur une large branche, il les toisait d'une expression que Bertholt aurait aimé pouvoir lire s'il avait été plus proche. Le jeune brun ne pouvait que prier pour qu'il ne soit pas en train de dégainer un revolver sous sa cape. À son grand soulagement, la position de Reiner n'indiquait nullement une telle arrière-pensée : il se tenait droit, les bras le long du corps. Pas de mains prêtes à atteindre ses lames. Pas de pistolet en vue, non plus.

Ce qu'il redoutait cependant, c'était le grincement d'Annie qui serrait les dents à côté de lui. Il voulut déglutir en imaginant comment leur rencontre pouvait empirer au moindre geste de travers. Mais la priorité était d'essayer de tempérer Annie, d'éviter qu'elle et Reiner ne se sautent à la gorge une nouvelle fois. Le gaz qui les intoxiquait était inflammable, une forêt les encerclait : il devait vérifier qu'Annie ne bouillait pas, et la calmer.

Or, si les pins ne poignardaient pas Bertholt, le regard de Reiner le fichait au sol.

Il devait détourner les yeux et s'assurer qu'Annie ne s'apprêtait pas à engager le combat, mais quelque chose l'immobilisait au plus profond de lui. Peut-être la crainte, justement Reiner était là, juste au-dessus, armé, un combattant émérite dont Bertholt peinait à égaler le niveau et il les scrutait. Le blond devait déjà décortiquer la situation, discerner quoi faire pour les mettre hors d'état de nuire.

Ils s'étaient entraînés ensemble pour ça, au final. Pour mieux se battre, gagner et s'attaquer. Mais de là à entamer les hostilités au deuxième jour… tout allait bien trop vite, quelque chose clochait. Pas aussi tôt, pas après tout ça. Si c'était pour aussi soudainement s'entre-tuer, ils n'auraient jamais dû s'entraider. Est-ce que c'était ce que Reiner se disait aussi, décapuchonné et perché sur sa branche, à les considérer silencieusement ?

Malgré le début des Jeux, Reiner restait Reiner et Bertholt continuait d'admirer la résolution du jeune homme – celle qui le poussait toujours en avant vers son but, quand Bertholt ne pouvait que contempler son objectif, au loin, incertain de jamais l'atteindre. Le brun l'admirait encore quand Reiner leva les mains et atterrit à quelques mètres d'eux.

Son geste décongela Bertholt. Il put enfin se tourner vers Annie qui dressait les poings, dague en main.

-Non, Annie ! S'il te plaît ! » l'implora-t-il en tendant la main vers elle, cherchant à bloquer de sa paume les ondes belliqueuses.

Annie lui jeta un regard éclair avant de re-braquer ses prunelles sur Reiner, qui s'approchait d'eux. Toujours sur ses gardes et parée à l'attaque, la jeune fille l'écoutait et ne bougeait pas. À demi-soulagé, Bertholt se retourna vers Reiner, avançant son autre paume.

Il allait lui défendre de faire un pas de plus, quand il remarqua que Reiner avait les mains en l'air. Il marchait vers eux, lentement, leur laissant le temps de s'habituer à la distance qu'il rétrécissait à chaque pas. À présent, Bertholt pouvait détailler son expression, peinte d'intention et de volonté, aux nuances chaudes et dorées. Rien à voir avec l'écœurement et la panique qui l'avaient mis en joue la veille. Sa paume s'abaissa d'une pincée de millimètres, et il espéra que Reiner ne s'en était pas aperçu.

À encore une bonne longueur de bras de Bertholt, il s'arrêta. Ses mains restaient à la hauteur de sa tête, son expression grave, mais singulièrement engageante. Ce ne fut que lorsqu'il leva le menton pour sonder Annie, que Bertholt comprit qu'ils s'étaient dévisagés tout du long.

-Écoutez, intervint Reiner d'un ton serein, j'ai une proposition à vous faire : une alliance en attendant que le nombre de tributs diminue. »

Cette fois, la main de Bertholt reprit sa place le long de son corps. Reiner le considérait et, à ses sourcils froncés, son visage aurait dû paraître plus méfiant et menaçant qu'il ne l'était. Mais l'intensité de son regard dégageait la même familiarité que celle qui avait manqué à Bertholt, et ce plus qu'il n'avait souhaité l'admettre : au bout de deux jours seulement.

-Qu'en dis-tu, Annie ? » insista Reiner dans le même ton.

Bertholt décrocha ses yeux de Reiner pour se tourner vers sa partenaire. Elle avait baissé les poings mais les gardait toujours fermés, serrés à hauteur de son torse, dans une position stable et défensive. Et dans ses yeux myrtilles brillait le reflet d'un espoir.

-On s'est beaucoup côtoyés pendant les entraînements, avança-t-il à son amie en accompagnant ses paroles de doux mouvements de la main. S'il y a bien quelqu'un avec qui on peut s'allier, c'est Reiner. »

Pour la première fois, elle cessa de scruter Reiner et vira ses prunelles sur Bertholt. Habitué à la déchiffrer, il retrouva vite cette même lueur d'espoir dans l'écarquillement de ses yeux, et y décela même de la sollicitation dans le rapprochement de ses sourcils.

-On a déjà beaucoup travaillé ensemble, poursuivit-il dans un accent plus enjoué, on sait qu'on fait une bonne équipe. On se connaît suffisamment pour bien se répartir les tâches et on peut se faire confiance plus facilement ! »

Reiner demeurait silencieux et il l'en remerciait déjà. C'était à lui de convaincre Annie. Ou plutôt de l'encourager à baisser sa garde face à Reiner. Au fond d'elle, Annie voulait de cette alliance mais elle ne l'avait pas encore acceptée, brimée par un programme de défense dont elle peinait à se défaire. Bertholt lui sourit et elle rabaissa ses poings, lâchant un discret soupir.

-C'est d'accord, fit-elle en replaçant une mèche derrière son oreille.

-Merci. »

Reiner baissa les mains, l'expression douce comme s'il savourait son premier repos depuis des jours et un léger sourire aux lèvres. Bertholt aussi avait l'impression d'émerger d'un sommeil réparateur, le premier depuis de longues nuits. Et, par chance, Reiner n'avait pas stipulé jusqu'à quand ce répit durerait : il avait parlé d'une alliance, mais sans aussitôt la délimiter dans le temps.

Pour l'heure, ils laisseraient la buée de leur soulagement embrumer ce détail. Les vapeurs chaudes de l'euphorie les apaisaient, et c'était tout ce qui importait.

Il recroisa le regard de Reiner et le blond lui fit un clin d'oeil. La buée gardait encore le visage de Bertholt au chaud. Il allait venir vers leur allié, quand celui-ci ficha ses grappins vers la fameuse branche qui lui avait servi de promontoire. Le brun se figea et il entendit le grognement métallique de l'équipement d'Annie avant de la voir s'avancer, une main à ses lames.

-Oulah, rassurez-vous, les gars ! se justifia Reiner dans une voix surprise, mais un sourire au coin des lèvres. Je vais juste chercher Christa, hein.

-Oh, oui, b-bien sûr… »

Bertholt avait complètement oublié la partenaire de Reiner ! À bien regarder Annie qui reprenait vite son sang-froid, il était le seul. Pourtant, c'était évident que son garde du corps avait protégé Christa sans relâche depuis le début des Jeux et qu'il l'avait cachée, dans l'éventualité où ils refuseraient l'alliance et l'attaqueraient. Et maintenant, Reiner menait à bien son plan – en se posant naturellement sur une branche touffue, disparaissant de la vue de Bertholt – un plan dans lequel il avait envisagé sa propre mort.

Annie se tourna de trois-quart et recouvrit sa tête de sa capuche verte, perplexe à l'idée de faire face à deux anciens adversaires qu'elle avait manqué de tuer à plusieurs reprises, quelques heures auparavant. Elle croisait les bras au lieu de cramponner une arme c'était tout ce que Bertholt lui demandait pour le moment. Il se rapprocha un peu plus d'elle et se remit à scruter le brouillard de feuilles où Reiner s'était glissé.

Il le vit en ressortir, Christa dans les bras, minuscule, presque invisible si ce n'était pour sa chevelure blonde qui ressortait dans le vert des capes, comme si elle tentait de rester cachée. Un grincement de câbles plus tard, et Reiner atterrit au sol dans un mouvement appliqué qui démontrait toute l'étendue de ses progrès en manœuvre, et qui aurait rendu Eren fier. Bertholt s'efforça d'ignorer la pointe qui s'insinua dans sa poitrine alors qu'il songeait au plus jeune tribut il choisit plutôt de se concentrer sur Reiner qui, un genou à terre, déposait sa partenaire.

Même une fois debout, la jeune fille paraissait aussi fragile que la veille. Bertholt la savait délicate mais ne l'avait jamais soupçonnée vulnérable à ce point. Il y avait comme une absence dans ses yeux, qui donnait l'impression que Reiner protégeait un château de sable de la mer, alors que l'édifice éphémère s'affaissait déjà. Pourtant, le tribut blond se tenait là, solide derrière elle, prêt à assurer ses arrières contre vents et marées, attentionné comme il était. Bertholt se réjouissait de leur alliance fraîchement scellée.

-Christa, déclara Reiner, je te présente nos nouveaux alliés : Bertholt, (Il agita la paume devant le jeune homme.) et Annie.

-Ravi de te rencontrer. » avança Bertholt, en prenant garde à parler d'un ton agréable qui dissiperait toute animosité potentielle.

À peine avait-il prononcé ces paroles qu'il se rappela avoir déjà croisé et salué Christa aux Entraînements à 24, lui avoir déjà hoché la tête à la bibliothèque… et il venait de se comporter comme s'il faisait sa connaissance pour la première fois ! Elle allait penser qu'il l'avait ignorée pendant tout ce temps ! Son cœur commençait à perdre les pédales, quand il vit le sourire confiant que Reiner lui adressait : est-ce qu'il faisait proprement les choses, au final ?

-Enchantée. » répondit la voix fluette de la jeune fille.

Christa se pencha en avant pour accompagner ses salutations et Bertholt s'empressa de l'imiter. Quand il releva les yeux vers son interlocutrice, il remarqua qu'elle virait ses prunelles vers Annie, d'un air méfiant. Selon toute vraisemblance, elle gardait leur affrontement en travers de la gorge. Annie lui réciproquait l'intensité de son regard, les bras toujours croisés. Puis, Christa fit un pas en avant et, d'un coup, Bertholt la trouva plus consistante. Elle serrait les poings et redressait ses épaules comme si elle se gonflait face à Annie, Reiner derrière elle. Pendant un instant, Bertholt crut que les rôles s'échangeaient.

Mais Reiner s'interposa entre sa camarade et Annie, barrant l'accès à Christa de son bras. Il interpella la martialiste :

-Annie, tu nous en veux encore pour hier, pas vrai ? »

Pour toute réponse, Annie se contenta de lui jeter un regard noir. Bertholt n'aurait su dire si c'était un progrès par rapport à la méfiance de tout à l'heure.

-Je te présente mes excuses. »

Elle baissa la tête, empêchant Bertholt de sonder sa réaction. Puis, il l'entendit le gémir, le mot qu'il redoutait tant désormais :

-Je suis désolée…

-Annie… »

Il s'approcha d'elle et Reiner tendit la main à son ancienne entraîneuse. Les yeux de Christa s'écarquillèrent, alors qu'elle triturait déjà ses ongles. Bertholt se rappela que des traces de gaz inflammable affluaient encore dans l'air donc il s'arrêta. Reiner, patient, ne disait pas mot et gardait la paume ouverte, prête à accueillir celle d'Annie, peu importe le temps que cela prendrait. Cachée sous sa capuche, impénétrable, Annie se taisait, considérait la main qu'il lui tendait.

Elle la lui serra, d'une poignée brève mais ferme, arrachant un sourire fier au blond. Reiner soupirait de soulagement quand Annie dressa sa jambe. Elle tira sur leur poigne d'un geste sec. Décontenancé, Reiner vacilla en avant. La cheville d'Annie se rapprochait de sa tempe mais il la bloqua du bras.

Bertholt retint sa respiration lorsque Reiner referma sa main sur la cheville d'Annie. Il profita de la surprise de son adversaire pour se redresser et affronta son regard de glace. La bousculade soudaine avait fait tombé sa capuche.

-Bon réflexe, le complimenta-t-elle.

-J'ai appris des meilleurs. » rétorqua-t-il en lâchant sa prise.

Ils s'écartèrent. Reiner esquissait un air complice tandis que les traits d'Annie s'adoucissaient. La joie prit vite le dessus sur le soulagement de Bertholt, mais il s'aperçut que la surprise dominait sur l'expression de Christa : elle peinait à décrisper sa mâchoire. Après tout, elle ne connaissait pas la camaraderie de leurs entraînements et avait bien cru que la démonstration de force allait mal finir. Bertholt, lui, se félicitait de savoir que si Annie avait vraiment voulu frapper Reiner, elle l'aurait attaqué de l'autre jambe, là où la main du jeune homme était occupée à serrer la sienne.

La réaction de Reiner l'avait d'abord inquiété mais, grâce à sa perspicacité, le jeune homme avait vu clair dans le jeu de son « adversaire ». Il ferait un excellent allié, un meneur remarquable même, Bertholt n'en doutait plus.

Une tâche sombre sur la cape du blond massif l'alerta. L'air était certes humide, mais il n'y avait pas eu la moindre goutte d'eau depuis le début des Jeux. De plus, la rosée du matin s'était évaporée depuis très longtemps à cette heure tardive de la journée. Le plus inquiétant : la tâche se formait près de l'épaule de Reiner. Il ne perdit pas une seconde de plus à analyser la situation.

-Reiner, ça va ? Ton épaule…

-Hm ? »

Une moue intriguée au visage, Reiner baissa la tête vers son épaule et y porta nonchalamment la main. Il ne s'en était même pas rendu compte ? Christa étouffa une inspiration horrifiée et Bertholt eut la confirmation qu'il avait vu juste.

-Oh, ça… » gloussa l'intéressé.

Il décala les plis de sa cape tâchée pour évaluer la source de l'inquiétude. Malgré la précision et la rapidité de ses mouvements, le rouge restait une couleur tape-à-l'œil.

-Pff, c'est rien, nia-t-il dans le même ton rieur, Christa a déjà fait un bandage là-dessus hier. C'est pas une blessure profonde. C'est juste à cause de toutes les secousses et de l'agitation de la journée. Ça va bientôt s'arrêter !

-Mais Reiner, c'est dangereux ! insista Bertholt. Profonde ou pas, si ta blessure a pas encore cicatrisé, ça peut être grave…

-Bertholt a raison, avança Christa. Il faut que je change ton bandage sans plus attendre. Assieds-toi, s'il te plaît.

-Vous êtes bien gentils mais je vous rappelle qu'on n'a pas encore de planque ! Il y a plus pressant à l'heure actuelle. C'est pas la peine, Christa.

-S'il te plaît, répéta-t-elle.

-La nuit tombe dans trois heures, c'est largement suffisant pour qu'on se fasse chopper par un Titan, ou qu'on croise d'autres tributs. Et ce sera encore pire quand il fera nuit ! Maintenant qu'on est quatre, il faut qu'on se trouve un campement stratégique et suffisamment bien aménagé. On n'a pas le temps pour…

-Ne m'oblige pas à te l'ordonner !

-Qu- je… »

Reiner se tut et baissa la tête, détachant son regard de celui de sa partenaire. Christa tourna elle aussi le regard avant de laisser échapper un discret soupir, et Bertholt comprit pourquoi elle ne s'était jamais jointe à leurs entraînements : à l'évidence, le travail d'équipe de Reiner et Christa n'était pas aussi performant que les médias et eux-même le laissaient croire. Pourtant, ils tenaient tellement l'un à l'autre, ça crevait les yeux !

De ce que Bertholt avait compris, Reiner connaissait Christa depuis plus longtemps que lui côtoyait Annie. Tout laissait supposer qu'ils étaient proches et au fond ils devaient l'être. C'était la surface qui posait problème.

Il jeta un coup d'œil en coin à Annie qui, adossée à un arbre, se détournait de la scène, aussi mal à l'aise que lui. Parce qu'elle avait infligé cette blessure à Reiner ou parce qu'elle relevait la tension, elle aussi ? Elle croisa son regard et lui fit non de la tête : ils n'avaient pas à s'en mêler. Peu importe à quel point il désirait améliorer les choses, ce n'était pas sa place. Il pouvait, au moins, apporter son soutien et son aide.

-Annie et moi, on avait repéré une petite cachette sur notre route, tout à l'heure… »

Reiner et Christa s'accordèrent à nouveau cette fois-ci, ils fixaient Bertholt tous les deux. Le tribut brun se racla la gorge avant de poursuivre :

-Elle ne paye pas trop de mine alors on a essayé d'en trouver une meilleure mais, le temps d'une nuit, elle ferait une bonne base temporaire, je pense. Et, maintenant qu'on est quatre, on peut facilement s'organiser pour faire des rondes efficaces ! T'en penses quoi, Annie ? »

Les yeux plein d'espoir, il sollicitait sa partenaire. Elle s'approcha de lui en répondant :

-Ça me paraît être une bonne idée. Reiner, t'as peut-être pas fait gaffe mais on a largement dépassé le territoire des Titans. Ici, on est tranquilles jusqu'au deuxième Lâcher.

-Donc on peut revenir sur nos pas sans problèmes ! conclut Bertholt non sans silencieusement remercier Annie. Et passer la nuit là… on est tous épuisés… une fois qu'on se sera reposés demain, on pourra réfléchir à la suite des opérations. »

Reiner haussa un sourcil circonspect, tandis que le visage de Christa s'illuminait.

-Et tu fais quoi des autres tributs qui traînent ? demanda-t-il, méfiant.

-On en a pas croisé un seul depuis ce matin, intercéda Annie. Il y a personne dans cette zone de l'arène, à part nous.

-C'est ça, on s'est déplacés à pieds aujourd'hui pour économiser du gaz. On aurait vu s'il y avait du monde.

-Alors… intervint Christa, on serait plus à l'abri qu'ici et on pourrait se reposer ?

-Oui, voilà, confirma Bertholt.

-Très bien ! (Elle joignit ses mains avec entrain et fit face à Reiner.) On va aller s'installer dans la cachette qu'Annie et Bertholt ont trouvé. Une fois qu'on sera en sécurité, je m'occuperai de ta blessure. Ça te convient comme compromis ? »

Elle avait beau paraître frêle, quand Christa le voulait, elle pouvait être très impérieuse. Elle dégageait une remarquable aura d'autorité. Couplée au charisme de Reiner, il y avait effectivement de quoi admirer le District Un. Son partenaire poussa un lourd soupir, admettant sa défaite.

-Si c'est que tu veux. »

Christa ouvrit la bouche comme pour rétorquer, mais aucun son ne sortit. À la place, elle adressa un sourire reconnaissant à Bertholt. Ils avaient réussi à convaincre Reiner, mais le jeune homme peinait à savourer cette petite victoire.

Grâce aux sponsors d'Annie, et à ceux de Reiner qui rentraient maintenant dans l'équation, le ravitaillement de gaz n'était plus un souci. Afin de gagner du temps, ils manœuvrèrent jusqu'à leur futur repère.

ooo

Leur cachette formait un cercle fermé d'environ deux mètres de hauteurs, un enclos naturel garni de larges arbustes à feuillages, avec des noisetiers et des lauriers entre autres. À peine Bertholt avait-il déposé Christa qu'elle se précipita vers Reiner. Son garde du corps et Annie étaient arrivés avant eux, et commençaient déjà à retirer leurs gaines et leurs bonbonnes. À l'approche de sa partenaire, Reiner obéit et s'assit.

Elle ouvrait une trousse de soins, quand Bertholt s'attela à rassembler tout ce qu'ils avaient récolté de comestible, pour préparer un repas convenable. Alors qu'il triait les lots de barres énergétiques, les noisettes, les baies et mesurait le niveau d'eau des gourdes, il entendit Reiner et Christa discuter derrière lui :

-Je suis désolée de t'avoir crié dessus tout à l'heure.

-Ne le sois pas, t'as bien fait. Tu sais à quel point je peux être borné… encore heureux que tu me redescendes sur terre quand il le faut !

-Hm… disons… que je m'inquiétais pour toi aussi.

-Pardon de t'avoir causé du souci.

-Non, c'est rien.

-Je ferai plus attention dorénavant, je te le promets.

-D'accord, merci… »

Il s'imaginait le regret amer qui voilait les yeux de Christa et empêchait trop de secrets de se déverser, de l'exposer. Elle avait la voix craintive d'un enfant qui essayait de cacher sa bêtise avant qu'un adulte ne s'en rende compte. Et Reiner donnait l'impression de constamment se retenir.

Après plusieurs minutes de flottement, il se morigéna et se reconcentra sur sa besogne, avant de s'apercevoir qu'Annie fixait les rations avec une moue de dégoût. Les barres énergétiques n'étaient au goût de personnes mais elles étaient précieuses car riches en calories.

-Ne t'en fais pas, on a quelques baies et des noisettes pour faire passer le goût, la rassura-t-il.

-J'ai peut-être une idée. »

Christa s'assit, talons sous les cuisses, à côté de Bertholt et prit une barre ainsi qu'une poignée de noisettes. Elle lui lança un regard hésitant, attendant la permission de mettre son plan à exécution.

-Ah, bien sûr, vas-y, je t'en prie. »

Elle le gratifia d'un sourire avant de dégainer une de ses dagues et de réduire en poudre, en pressant dessus, des noisettes décortiquées. Bertholt la regardait faire, même Annie s'accroupit en face de Christa pour mieux l'observer.

Bertholt sentit Reiner les rejoindre, et se poster à côté de lui pour examiner le travail de la demoiselle. Un sourire fier s'élargissait sur les lèvres de la jeune fille à mesure qu'ils se rapprochaient tous. Elle rompit des portions de barres énergétiques avec les mains et s'appliqua à les rouler en boules dans le creux de ses paumes. Quelques secondes plus tard, elle récupérait une pincée de poudre de noisettes et deux, trois baies, et les ajoutait au mélange, avant de recommencer à malaxer entre ses doigts, jusqu'à donner aux rations une forme de biscuits, proches de celle d'un cookie.

-Et voilà ! chantonna-t-elle. Bon, ça ne changera pas grand-chose au goût, mais peut-être que ça les rendra plus appétissantes. »

Elle tourna la tête en présentant son petit ouvrage à chacun d'entre eux. Bertholt acquiesça, Reiner gloussait et Annie écarquillait les yeux.

-Vous… vous voulez que j'en fasse d'autres ou… ?

-Oui. »

Tous braquèrent leurs regards sur Annie qui, elle, fixait le « cookie » avec gourmandise. Consciente qu'ils la dévisageaient, elle redressa la tête et scruta Christa, dans l'attente d'un nouveau prodige de sa part.

-Euh, balbutia la demoiselle en rougissant, t-tu veux qu'on les fasse ensemble ? Je te montre comment on fait ? »

Pour toute réponse, Annie hocha la tête et alla s'installer à côté de son nouveau mentor. Puisqu'elles venaient de s'approprier la besogne que Bertholt avait entamé, à savoir la préparation du repas, il se leva, décidé à s'employer à autre chose. L'idée d'aller chercher du bois se fraya vite un chemin dans son esprit et, hache à la main, il s'aventura vers le petit interstice de deux noisetiers massifs qui improvisait un semblant de porte.

-Hé Bertholt, attends ! »

Il franchit d'abord la ruelle étroite de branches et de feuillages avant de se retourner – en se grattant les cheveux pour dégager les feuilles qui avaient dû se coincer dedans – et de découvrir Reiner qui sortait aussi. Il frottait ses cheveux blonds, à son tour, en s'approchant de lui :

-T'as besoin d'un coup de main ?

-Mais, tu devrais pas te reposer plutôt ?

-Eh, c'est pas une hémorragie non plus. Christa s'est bien occupée de changer le bandage. Je crains rien, t'inquiète.

-Bon… alors, c'est gentil, mais on a qu'une seule hache en fait…

-Hm, bon contre-argument, admit Reiner en enveloppant son menton de sa main. Eh bien, dans ce cas, disons que je vais te servir d'escorte !

-D'escorte ? »

Reiner le dépassa – il avançait d'un bon pas – avant de lui répondre :

-Oui, je sais bien que vous n'avez pas vu d'autres tributs, mais on est jamais trop prudent. Il vaut mieux que tu sois pas tout seul.

-Je vois, merci, fit Bertholt en lui emboîtant le pas.

-Ça sert à ça, les alliances, non ? »

L'accent railleur de Reiner frappa le jeune homme. Depuis le début des Hunger Games, à sursauter au moindre coup de canon, se raidir au moindre bruit de pas, retenir sa respiration au moindre bruissement de feuilles, c'était l'un des premiers sons qui l'apaisaient. Après les ronflements d'Annie la nuit dernière, bien sûr. C'était des petits bruits qu'il avait associés au quotidien, et qui parvenaient à traverser la barrière de son sort funeste pour le réconforter et lui rappeler que, pour l'heure encore, tout allait bien. Et que, peut-être, tout irait bien.

-Oui, je suis heureux qu'on se soit regroupés. »

Le blond lui jeta un coup d'oeil surpris par-dessus l'épaule. Il ne s'attendait pas à un tel cri du cœur. Bertholt non plus, à vrai dire. Il serra le manche de la hache un peu plus fort en cherchant ses mots.

-Ça me rappelle les entraînements communs, avec Eren. J'ai fini par me persuader qu'il n'y avait qu'avec vous que je pouvais faire les Jeux, je crois. »

Reiner détourna le regard, pour éviter de croiser celui de Bertholt, ou mieux voir où il mettait les pieds.

-Moi aussi…

-Vraiment ?

-Ouais, mais je pense qu'on peut tirer un trait sur une alliance avec Eren. À cause de Mikasa, ça m'étonnerait qu'on arrive à l'approcher sans y laisser notre peau. Il est mieux gardé qu'un trésor de dragon, le bougre !

-Hehe, j'espère qu'on aura pas à se battre contre lui. »

Reiner ne répondit rien et Bertholt se réprimanda lui-même, avant d'essayer de se rattraper :

-Oh j-je veux dire… pardon, je sais pas ce qui m'a pris, j-

-Te bile pas ! »

Reiner illustra ses paroles en assénant une claque dans le dos, franche et gaillarde, à Bertholt. Le tribut brun ne put réprimer une brève quinte de toux, ni contenir le sourire rassuré qui lui succéda. Il cramponna la hache d'une poigne plus ferme, il ne l'utiliserait que pour couper du bois, tout irait bien, et reprit la marche, suivant Reiner.

Les vibrations de ses os résonnaient en tandem avec le poids de ses pas, un spasme qui agitait son échine et son corps entier toutes les secondes. Dans quelques heures, Jean s'écroulerait. Il regarderait ses pieds, et tout son centre de gravité s'effondrerait sur lui-même pour s'engouffrer dans le tourbillon d'herbes entre ses deux pieds. Il lèverait la tête, et le poids de son crâne l'emporterait paisiblement vers l'arrière, une main tendre et intangible agrippant ses cheveux pour l'allonger au sol. Il fermerait les yeux, et l'envers saisirait l'endroit à bras-le-corps pour l'envoyer virevolter.

Il n'en était pas encore là. Maintenant qu'il avait senti son corps toucher le fond, Jean avait une bien meilleure estimation de ses capacités et de ses limites. Il se sentait presque capable de mesurer combien de minutes il lui restait. Est-ce que c'était ce que Minha avait constamment cherché à trouver ? Il avait l'impression d'un sol qu'il ne foulait pas encore, mais qui se rapprochait dangereusement.

Chacun de ses muscles geignaient, mais sa volonté les maintenait en mouvement. Il avait moins de contrôle sur ses yeux. La course du soleil avait emporté avec elle la luminosité brut qui piquait ses yeux, mais la fatigue créait une seconde couche de paupières translucides, qui n'appelaient que l'étreinte de ses sœurs.

Il secoua vivement la tête pour se remettre les idées en place, perdit l'équilibre, se rattrapa et reprit sa marche.

Il arrivait à l'ouest, après avoir progressé presque toute la journée. Aucune vibration du sol n'indiquait de Titan proche, et ses oreilles incertaines n'avaient capté aucun son suspect. Juste la forêt et ses bruissements, ses habitants bruyants qui lui tournaient autour, comme s'il évoluait dans un champ de force inapprochable. Il n'avait pas sa place ici. Il était l'incarnation temporaire d'un système contre nature, l'avatar de la mort donnée et de la mort reçue. Laquelle des deux, il ne savait pas encore. Il n'osait encore imaginer remplir les deux rôles, comme les deux faces d'une pièce qui n'ont jamais pu se voir mais s'adossent l'une à l'autre.

S'il avait le temps de penser à ce genre de chose, il avait le temps de chercher à manger.

Au bout de plusieurs autres minutes aussi interminables et effacées que les précédentes, il repéra un trou de lumière qui s'agrandissait sur sa gauche. Une clairière ? Ce n'était jamais une très bonne idée que de se retrouver au beau milieu d'un endroit à découvert, mais il était à peu près sûr d'être seul, et elle l'aiderait peut-être à se repérer. Avec un peu de chance, il s'agissait d'une des quatre tours de garde qui garnissaient le terrain. S'il y avait déjà quelqu'un, il se ferait probablement tué, mais si personne n'y était, il pouvait se barricader à l'intérieur. Cela dit, à quoi bon ? Il n'avait rien pour se nourrir.

Il n'avait pas envisagé l'impact qu'aurait la lumière qui augmentait graduellement sur son esprit. Ça faisait à peine une journée qu'il errait dans ces bois, et déjà le ciel clair lui avait manqué. D'un autre côté, la dernière fois qu'il avait posé les pieds dans une clairière...

Ses pieds avançaient à contre-sens de son esprit, contre la foule au festival. Ou contre la marée, à la mer. Il ne l'avait jamais vue. Les tâches de lumière par terre se faisaient plus nombreuses. Il gardait les pieds au sol pour faire attention aux racines, et enfin arriva sur place.

Le terrain était vide. Pas un bâtiment, pas une structure. Il n'y avait certes rien de réellement sauvage dans l'entièreté de cette forêt, mais il avait l'impression d'être le dernier homme au monde, d'un seul coup.

Quoique. Il y avait des herbes. Et pas n'importe lesquelles. Des petites corolles vertes se disséminaient sur le terrain, dont l'herbe avait jauni. Il se rapprocha, et s'il avait été moins fatigué, il aurait réagi avec autre chose qu'un léger écarquillement des yeux. Des salades ! Quelle espèce, il ne s'en souvenait plus du tout. Mais elles poussaient dans des terrains secs et ensoleillés, comme la clairière de ce terrain en plein été. Et surtout, elles aidaient énormément à la digestion.

Avec les caprices de son estomac, il valait mieux garder ses chances de retenir la nourriture qu'il parviendrait à ingurgiter. Il se pencha, pleinement conscient du risque de ne pas se relever, et entendit ses os grincer jusqu'au sol. Il en récupéra plusieurs bonnes poignées, en épousseta la surface pour retirer la terre, et les fourra dans une de ses poches.

Il se releva immédiatement et lentement, sans se laisser le temps de s'habituer à la fermeté réconfortante du sol. Il l'avait déjà rejoint une fois, c'était suffisant. Il quitta la clairière, encouragé par la chaleur qui tapait dans son dos. Il faillit manquer de repérer le tas de ronces qui poussaient presque juste à côté, dans une poche sombre entre les arbres, dont il n'était pas sûr de ressortir. Mais c'était une source sûre de nourriture. Il s'y dirigea, et se laissa glisser très lentement, et commença à fouiller les buissons d'épines. Il fit attention à ne pas s'écorcher, mais la fatigue n'était pas le meilleur des arcs.

Il eut l'impression de combler un trou dans son estomac, d'où coulait toute son énergie sans qu'il ne s'en soit rendu compte. Mâcher la salade l'aidait à saliver, et le jus des mûres le rafraîchissait. Il en avait eu bien besoin. Maintenant, il ne lui manquait plus que quelque chose pour récupérer des calories. De l'énergie en masse à stocker dans ses muscles, ses os, ses nerfs. Il se rappelait d'une période où évoluer dans les airs lui avait paru plus facile que dormir, et il aurait aimé y retourner.

Il s'affala sur ses gaines, priant pour que l'angle droit qui lui rentrait dans le dos suffise à le motiver à se relever, et décidé à ne pas bouger pendant un instant. Il devait absolument resté éveillé, mais l'inaction, le calme de la forêt, le soulagement d'avoir réussi à avaler quelque chose ne l'aidaient vraiment pas.

Il fallut une lutte acharnée contre lui-même pour se tirer de la torpeur qui l'avait saisi. Il était presque sûr que son dos était garni d'une profonde ligne rouge. Avec des gestes épais, il s'extirpa du roncier et s'adossa à un arbre pour se relever. Ceux qui témoignaient de sa faiblesse n'était pas ceux qui pouvaient en profiter, donc il n'avait rien à perdre.

Maintenant que son corps avait absorbé de quoi se restaurer et qu'il y avait repris goût, il gémissait à ses oreilles, triturait ses entrailles pour en avoir plus. Je fais ce que je peux ! maugréa Jean intérieurement.

Il continua à marcher toujours vers l'ouest, toujours un pieds devant l'autre, toujours en regardant droit devant. Il se passait si peu de choses, tout était si répétitif, que lorsqu'il trouva une troisième source de nourriture, il eut à peine l'impression d'avoir fait trois pas. Un noisetier.

Les noix étaient parmi les meilleurs stocks d'énergie qu'il pouvait rencontrer sans avoir à chasser. Mais ce n'était pas la saison où elles tombaient librement à ses pieds. C'était la saison où il devait se hisser à leur hauteur pour qu'elles daignent se laisser cueillir.

Il secoua légèrement ses bras, ses jambes, ses doigts, ses hanches. Tout était en état, mais il ne savait pas s'il se sentait capable d'utiliser la tridimensionnalité. Il n'avait jamais eu affaire au ciel qu'au meilleur de sa forme. Est-ce que les réflexes qu'il avait imprimés dans sa chair seraient plus forts qu'un état que les hommes devaient affronter depuis leur venue au monde ? Il n'avait qu'un seul moyen de le savoir.

Il sortit ses manettes de leurs étuis et orienta les grappins vers une des plus hautes branches dégagées. Il ne pouvait pas se permettre de voltiger (si on pouvait encore appeler cela ce qu'il allait faire) aussi lentement qu'il marchait. Il s'imagina faire le plein d'énergie en prenant une grande inspiration, et décocha ses grappins. Deux lignes parallèles se fichèrent dans le bois juste au-dessus de lui, et il actionna le gaz pour se hisser dans les airs. En quelques secondes, il était au cœur de l'arbre et freina pour se poser sur une des branches.

Ses muscles crièrent au souvenir et son cerveau se retrouva envahi par les cris encourageants de Hansi et la présence de Minha à côté de lui et de la moiteur de ses mains et de son désir de réussir. Il en était bien loin, désormais. La fatigue et les questions l'avaient vieilli d'une dizaine d'années.

Il tendit la main et commença à décrocher les noisettes les plus mûres pour les croquer. Sa mâchoire usée refusait de coopérer facilement. Ses gencives lui faisaient mal, comme si ses dents s'étaient déchaussées et allaient gripper et tomber d'un moment à l'autre. Il avait déjà ressenti cette sensation en plein été, les jours où il n'avait pas assez mangé, quand sa bouche se réhabituait à avaler après avoir été maltraitée par la sécheresse, ou la bile acide de la maladie. La sensation était décuplée.

Les noisettes avaient du goût. Il fallut plusieurs minutes avant qu'il ne les sente peser au fond de son estomac, chargées en énergie, qu'il devait traiter et absorber. Il mangea jusqu'à remplir son estomac de moitié (du moins, c'est l'impression qu'il en avait), et stocka toutes ses poches refermables de réserve. Puis il redescendit et reprit sa marche. Il recouvrait des forces, il s'éloignait du fond.

Il marchait droit, le soleil déclinant à sa gauche. Dans quelques heures, il ne pourrait plus s'orienter. Il allait devoir trouver un endroit suffisamment sécurisé pour y dormir. Une cache naturelle, de préférence, où on ne s'attendrait pas à le trouver, et difficile à repérer. Inaccessible aux Titans, et c'était là le plus gros problème.

Il était absorbé dans ses considérations.

Il ne sentit pas les vibrations. Peut-être parce qu'il les confondait avec autre chose relatif à son épuisement qui n'avait plus lieu d'être après son pseudo repas, mais auquel il s'était habitué à une vitesse effrayante.

Il entendit les pas. Massifs, lourds. Il releva la tête en laissant sa mâchoire inférieure en chemin.

Il n'était pas spécialement énorme, mais Jean le regardait depuis le sol. Jusqu'ici, il n'avait pu réellement observer que leurs grosses têtes disproportionnées qui se levaient vers lui. Maintenant, sa tête lui arrivait à peine au niveau de la hanche, et c'était lui qui devait lever les yeux jusqu'à son visage. Celui-là avait un sourire terriblement dérangeant. Les commissures de ses lèvres se relevaient jusqu'à ses pommettes, mais il ne voyait pas une seule dent. Ses lèvres s'étiraient simplement jusqu'à disparaître en de fines lignes en-dessous de ses yeux. Son ventre était proéminent, ses bras courts, ses pieds patauds. Il était grotesque. Jean n'avait pas envie de rire.

Un pas dans sa direction et Jean manqua perdre l'équilibre, pas juste à cause des vibrations du sol. Il ne savait même pas si son corps était pétrifié, parce qu'il ne lui avait pas encore ordonné de bouger.

L'adrénaline circula dans son corps, un liquide assez pesant pour qu'il le sente parcourir ses veines et assez électrifiant pour mettre tous ses membres en mouvement. Il serra les dents, fronça les sourcils, empoigna ses manettes, inspira profondément, sentit les nerfs traverser ses bras, son coude pour arriver jusqu'à son doigt et presser sur la détente.

Ses câbles se fichèrent directement dans le sol et il baissa la tête vers eux si vite que sa nuque protesta. Deux grappins plantés pathétiquement dans le sol. Avec un juron, il relâcha ses manettes et saisit les câbles à deux mains pour les arracher de la terre. Pendant ce temps, le Titan entamait ses premiers pas dans sa direction, le regard braqué vers sa minuscule personne. Il partit en arrière lorsqu'il y parvint enfin et se dépatouilla à grand peine avec les fils pour retrouver ses manettes entre ses mains.

Le Titan se penchait et tendait sa main droite vers lui et il roula hors de portée et se mit à courir sur son côté. Cette fois, il pensa à diriger les câbles avant de les tirer et fonça vers un tronc d'arbre. Il amortit l'impact avec ses pieds et inspira un grand coup. Il avait perdu ses réflexes. Il avait perdu ses réflexes. Il avait oublié d'orienter ses câbles et il pouvait oublier d'appuyer sur le gaz et partir en chute libre. L'air n'était plus un partenaire, c'était un adversaire.

Il secoua la tête vigoureusement et se retourna. Il valait mieux ne pas y songer plus longtemps et s'occuper plutôt à les faire rejaillir. Le Titan se relevait lentement, lui tournait le dos, et l'occasion était parfaite. Il se retourna, rangea ses grappins et les décocha à nouveau. C'était déjà plus facile la deuxième fois.

Le mouvement autour de ses hanches alors que les câbles se déroulaient à toute vitesse était familier. Il sentait le poids familier, le mouvement restreint des courroies autour de ses jambes, de son dos et de son torse, il sentait la gravité avec laquelle il avait tant joué, il sentait l'air qui lui passait sur le visage. La nuque du Titan était juste là, il n'avait qu'à trancher. Il se remémora toutes les énormes structures de bois dont il avait dû tailler la nuque de mousse. Comme à l'entraînement. Il pouvait le faire. Il avait assez d'énergie, l'habitude revenait. Penser à ce gros tas de chair silencieux comme à un mannequin de bois.

-Tu vas pas faire long-feu. » se promit-il.

Le Titan se rapprochait à une vitesse alarmante. Ce n'était pas du bois, peu importe le nombre de comparaison qu'il faisait. C'était un être vivant, qui pouvait se mouvoir, qui réagissait aux sons, aux mouvements. Il tourna la tête, et la peau de sa nuque se plia en bourrelets confus.

Ses lames traversèrent la peau et Jean fusa de l'autre côté en jurant. Ce n'était pas assez profond ! La chair était beaucoup plus dure que la mousse ! Le tronc auquel il s'était amarré était trop proche et ses jambes cafouillèrent pour amortir le choc, il percuta une branche et eut le réflexe de rembobiner ses câbles avant qu'ils ne s'emmêlent entre les branchages. Pendant quelques secondes, il se retrouva complètement désorienté, en chute libre. Un choc à son dos lui coupa le souffle, mais sa main jaillit pour agripper la branche. Contrairement à la dernière fois, il pensa à contracter les muscles avant de devoir supporter tout son propre poids et se hissa. Sa main avait lâché la manette.

Le Titan était de nouveau tourné vers lui et tendait la main. Jean ne le lâcha pas des yeux alors qu'il se redressait, reprenait sa manette en main et s'éloignait le plus vite possible de son appendice grossier. Tout son visage était crispé. Son cœur battait à tout rompre, toujours plus rapide dès que le danger imminent entrait dans son espace vital.

L'ombre de la main du Titan le suivait, l'enveloppait, et il eut à peine le temps de s'arrimer à un arbre pour reprendre son souffle qu'il devait déjà repartir. Il s'élança, accélérant encore, ignorant l'épée de Damoclès qu'était sa réserve limitée de gaz, et esquiva la première main.

L'autre main du Titan était déjà dans sa trajectoire, ses mouvements trop courts entre chaque envol pour changer de direction aussi vite. Cinq doigts se refermèrent autour de sa jambe et arrêtèrent net son élan, les câbles agités de secousses autant que son esprit. La panique saisit tous les fils d'adrénaline de son corps et les entortilla dans un nœud indiscernable de réseaux. Il avait des milliers de fourmis dans la jambe. Vaguement, il repéra sa droite et sa gauche, abattit sa lame sur la chair, parvint à se libérer. Une ou deux secondes de chute libre et il se rappela de lancer ses grappins.

Il se crocheta au hasard, manqua s'éclater sur la branche qu'il avait visé. Sa respiration était saccadée, ses yeux incapables de se focaliser. Il avait l'impression que sa jambe avait fondu. Le Titan laissa échapper une longue plainte rauque qui fit se dresser tous les poils de ses bras et tendit la main qui n'était pas fumante. Il n'avait pas bougé les pieds, s'était contenté de tourner sur lui-même. Ah !

Jean esquiva la main bien avant qu'elle n'arrive à lui et se laissa tomber au sol, se releva en quatrième vitesse et fonça vers les tendons de ses chevilles pour les sectionner. Il se repérait par tâches de couleur et un soupir de soulagement se coinça dans ses poumons en entendant le corps s'écrouler au sol. Il avait le champ libre, il avait réussi à se donner du temps pour se reprendre, oui c'était vrai, c'était ce que Hansi leur avait dit : « trouver un moyen d'imposer votre rythme à vous ». Il devait lui faire honneur.

Il courut autour du corps par la droite, les yeux rivés sur son objectif, sur le pli de chair.

Une pression entra en contact avec son côté gauche, et une micro-seconde plus tard tout son corps volait au loin.

Il valdingua sur le sol, sa tête cogna, son équipement faillit se détacher et il atterrit quatre roulades plus loin, déséquilibré. Le monde s'arrêtait enfin de tourner qu'il voyait déjà une ombre le surplomber. En un coup d'œil et quelques secondes, il comprit que le Titan l'avait envoyé bouler avec son bras et tendait la main pour le récupérer.

Il avait sacrifié l'action pour l'information et les doigts s'enfoncèrent dans le sol, l'enserrant dans une prison de chair. Un cri de peur et de frustration lui échappa, complètement inutile. Sa lame était coincée sous lui-même et il n'avait pas l'espace de la dégager, et la paume se rapprochait dangereusement de lui, il sentait la terre qui remuait et cédait sous la pression des phalanges géantes.

Il n'était même plus sûr d'être encore en train de respirer. La lame se retrouva appuyée sur les doigts au lieu de la terre, et Jean ajusta sa prise pour trancher la chair. Il manquait d'élan et crut que sa manœuvre ne marcherait pas, mais il sentit l'air l'aspirer hors de sa prison alors que le Titan relâchait sa prise, faute de doigts.

Il rebondit au sol dans un grand bruit et eut le souffle coupé, mais cette fois, il ne perdit pas de temps et se crapahuta loin de la main géante avant de charger vers la nuque. Il sauta sur l'épaule et réprima un frisson de révulsion à la mollesse de la matière, puis se plaça juste au-dessus du cou du monstre, un pied sur son crâne.

Son souffle était toujours erratique, mais il était de retour. Sa poitrine se soulevait autant que celle d'un buffle, mais il était vivant. Il raffermit sa prise sur ses lames et les planta dans la chair avec un grognement d'effort, de toutes ses forces, et tira sèchement, peinant à écarter puis rejoindre les deux lames pour sectionner un morceau suffisamment important. La chair se scinda et se détacha avec un gargouillis de déchirement. Un gémissement faible s'échappa des lèvres du Titan, recouvert par le jaillissement de vapeur ardente qui lui brûla le visage. Un bras devant les yeux, il trébucha hors de portée.

L'adrénaline refoula et évacua son corps par tous les pores de sa peau. Ses muscles étaient remplis d'air et il ne tenait debout que parce qu'il n'y avait pas de vent. Une chape de plomb recouvrit ses épaules. Avec une expiration tremblante, il s'écarta du geyser.

Il glissa au sol, les genoux flageolants au contact de la terre solide, et se laissa tomber au sol, les mains ancrées dans la terre. Ses poumons se dilatèrent, impatients de faire sentir leur agonie, et tous ses muscles se mirent à protester au rythme des deux poches d'air affolées. Son œsophage était trop étroit, obstrué par sa pomme d'Adam. Il dut se faire violence pour inspirer, profondément, une, deux, trois, quatre, cinq secondes, puis expirer, une, deux, trois, quatre, cinq secondes. Il n'était pas sûr d'être capable de percevoir autre chose que l'extension et la rétraction de sa cage thoracique pendant plusieurs minutes.

Au bout d'un moment, les autres sens lui revinrent, il entendit le psshhht stable du cadavre géant derrière lui, ressentit la terre entre ses doigts, voyait l'herbe sous son nez. Il s'assit à genoux, les mains pendantes sur ses cuisses, et ralentit encore sa respiration, les yeux fermés. Il avait aperçu un éclat métallique désormais familier et il n'avait pas envie d'en savoir plus.

Il rouvrit les yeux après et suivit des yeux les fils qui reliaient ses manettes au reste de son équipement. Le sang avait fini de s'évaporer, la lame était comme neuve. Il lâcha un profond soupir et déplia ses membres pour récupérer le matériel et le ranger. Il hésita, mais se décida à se retourner et jeta un dernier regard au Titan. Se calmer lui avait pris plus de temps qu'il ne l'aurait cru. La carcasse laissait déjà voir les os et il était ravi que le visage ne soit pas tourné vers lui : il ne voulait pas savoir combien de temps il fallait aux globes oculaires de Titan pour se décomposer.

-Tch. Je t'avais dit que t'allais pas faire long feu. »

Une impulsion le poussa à fourrer la main dans sa poche pour en ressortir une de ses noisettes, la lancer dans sa bouche et la croquer ostensiblement entre ses dents, sans quitter des yeux le géant, avec un rictus narquois. Ça leur ferait du spectacle, à ces abrutis.

Cinq mètres plus loin, il régurgitait le peu qu'il venait d'avaler.

Il s'essuya rageusement la bouche et reprit son chemin vers le nord-ouest. Ses manettes étaient toujours dans ses étuis, mais au moindre geste suspect, il les sortait et dégainait ses lames. Il regardait encore plus souvent autour de lui, et son échine ne cessait de frémir dès qu'il s'imaginait le Titan ressuscité qui lui courait après et arrivait dans son dos.

À sa gauche, le soleil avait commencé à enflammer la canopée des arbres, comme pour leur donner un costume incongru d'automne. Histoire de lui faire perdre encore davantage la notion du temps. Si quelqu'un ou quelque chose arrivait par sa gauche, en revanche, il pouvait repérer leur ombre de loin. Cela dit, la distance de l'ombre était peut-être trop courte, et en réalité il serait aveuglé. Il n'arrivait pas à déterminer si c'était un désavantage ou non.

Il fallait qu'il trouve un endroit où dormir.

Sa pensée freina d'un seul coup, et il lui fallut un moment avant de comprendre que la dernière fois qu'il y pensait, un Titan lui était tombé dessus. Cette fois, il prit soin de réfléchir en observant régulièrement ses alentours. Une cache, donc. C'était plus facile de se cacher des Titans que des humains. Il fallait donc qu'il cherche surtout de quoi se cacher des humains. De toute façon, ces tas de brutes pionçaient comme des loirs la nuit.

Il avait l'impression de n'avoir fait que marcher toute sa vie. Il avait atteint ce stade béni où le muscle s'était tant habitué au mouvement qu'il ne protestait plus. S'il arrivait à tenir sa fatigue à distance, il arriverait au nord dans les temps. Il lui restait quelques heures avant de ne plus voir grand-chose, il avait encore le temps. Et il s'enfonçait dans une zone qui regorgeait de creux et de buttes.

Les minutes s'écoulaient, peut-être les quarts d'heure. Ses chevilles commençaient à protester, ses mollets gémissaient parce qu'il essayait désespérément d'accélérer malgré l'énergie qui lui manquait. Regorgeait de creux et de buttes, tu m'étonnes ! Il n'y avait que ça ! Pas une seule cache ! Même pas de buissons assez épais ! Il s'en serait arraché les cheveux si lever le bras n'avait pas été un mouvement aussi épuisant.

Il avait oublié de prendre en compte le facteur d'entropie. Dès le moment où les rayons du soleil avaient cessé de frapper sa figure, leur chaleur lui avait cruellement manqué. L'accord entre la température extérieure et intérieure avait disparu, et il sentait son épiderme et ses muscles et tout son corps trimer pour le maintenir en état.

Il avait toujours su que la fatigue lui donnait froid, surtout d'après sa mère qui s'était plainte qu'il n'ait pratiquement pas de graisse sur le corps, avant qu'il ne devienne l'apprenti d'Holzfäller. Il le sentait passer, en ce moment même. S'il arrêtait de bouger ne serait-ce qu'un instant, qu'il s'asseyait au sol, ses os se mettraient probablement à trembler sur leurs socles. Dieu, s'il entrait en contact avec un tronc glacé... Y penser le faisait frissonner.

Ses mains serrées autour des manettes restaient assez chaudes, et moites. Ses bras pouvaient encore bouger correctement. Ses épaules étaient fraîches, ses cuisses glacées. Les bottes conservaient bien la chaleur, mais il aurait presque aimé que la cape soit plus longue pour s'emmitoufler dedans. Ses oreilles et son nez était peut-être en voie de congélation.

Il s'arrêta d'un seul coup, proféra le troisième pire juron qu'il connaissait, fit demi-tour et revint sur ses pas. Il avait arrêté de chercher un abri depuis au moins dix mètres ! Cette fois, il avança plus lentement, sondant les environs de ses yeux fatigués. Si fatigué qu'il voyait noir à certains endroits de la forêt.

Ou peut-être pas. Il se rapprocha de la tâche, et comprit très vite qu'il s'agissait non pas de l'ombre d'un arbre effondré qui avait une forme bizarre, mais d'un trou directement dans le sol. Il s'agenouilla pour en observer la profondeur.

C'était une crevasse qui s'étendait sur plusieurs mètres sous l'arbre. Probablement que le déracinement avait creusé cet espace et provoqué un petit effondrement. Les plantes avaient repoussé sur les côtés et rendaient l'entrée plus petite qu'elle ne l'était vraiment. Il retira sa manette droite, y emboîta la lame et fit descendre par le fil. La pointe toucha le sol avec un petit son satisfaisant.

Il était trop exténué pour éprouver du soulagement, mais la frustration et l'angoisse grandissante reculèrent, lui laissant les idées un peu plus claires pour opérer. Il chercha une ouverture, finit par la trouver. Il se glissa dans la crevasse, sentit le sol s'effriter sous ses pieds et tomba sur les fesses avant de glisser au fond. Mais l'espace ferait l'affaire. Les murs de terre étaient gelés, mais solides. Personne ne viendrait le déranger ici.

Il leva les yeux vers les hauteurs, et des tâches de bleu nuit se détachaient parmi l'obscurité des arbres et le long couvercle que faisait le tronc. Il frissonna en songeant que les dimensions lui faisait penser à un tombeau. Est-ce qu'il était six pieds en dessous du niveau du sol ? Une question bien morbide avant de dormir.

La terre pouvait encore s'effondrer sur lui pendant son sommeil, mais il en doutait. Le froid avait tendance à maintenir la terre en place. Il passa les doigt dessus pour se rassurer, mais la matière se désagrégea entre eux. Avec un soupir, il se laissa retomber contre l'autre côté.

On était en été. Il ne faisait pas assez froid pour ça. Il était seulement encore plus éreinté qu'il ne le pensait.

Il se roula en boule, et s'enroula dans sa cape verte. Elle était épaisse, et en position fœtale, capable de recouvrir tout son corps. C'était tout ce dont il avait besoin. Ses paupières se fermèrent pour la dernière fois de la journée, il devinait qu'elles refuseraient catégoriquement de se rouvrir avant d'avoir dormi. Tout son corps se fondit contre la terre. Il passa les dernières minutes avant de plonger dans le sommeil à se répéter qu'il devait absolument se réveiller à l'aube.

À l'aube, ou bien les Titans n'auraient qu'à tendre la main pour le cueillir comme une noisette. À l'aube, ou bien tout le semblant de plan qu'il réussissait à concevoir tomberait en miette.

À l'aube...

Après une longue journée, constante dans la vive chaleur qu'elle avait exsudée à en faire fondre tous les tributs, la nuit venait enfin d'éteindre la flamme en soufflant sur l'infernale bougie, elle avait apporté avec elle une humidité à la fraîcheur timide, mais bienvenue. Ymir se délectait de l'haleine qui traversait les tissus de ses fringues et slalomait entre ses poils, en appliquant un baume invisible, mais ô-combien relaxant sur sa peau. Elle tolérait les températures extrêmes, pourtant en ce deuxième jour, elle avait cru avoir atteint ses limites. La nuit s'annonçait comme une délicieuse récompense.

La jeune femme se félicitait d'avoir tenu bon et s'être résolue à dormir sous la chaleur torride. Désormais, elle pouvait progresser dans les conditions agréables de la nuit. Mieux valait mal dormir que mal jouer.

Elle avait concocté une stratégie simple, mais efficace. Malgré la tentation de faire marche arrière et de saisir de nouvelles chances, elle avait gardé son sang-froid et pouvait maintenant abattre ses cartes au moment opportun ! À savoir, profiter de la nuit pour éviter les Titans et s'attaquer à ses adversaires les plus naïfs, ceux qui manquaient cruellement de jugeote et consolidaient des bases foireuses qu'elle pouvait déchirer d'un revers de sa dague, puis les exécuter ! Et si, pendant ce temps, les plus forts pouvaient s'entre-tuer et lui rendre service…

Sa patience, durant tous ces tours intermédiaires de la partie, payait enfin. Grâce à cela, ainsi qu'à une observation plus posée et fine des autres joueurs, elle s'était faite une bonne idée de leurs mains et avait veillé à conserver les cartes les plus appropriées. Habitués à l'obscurité depuis plusieurs heures, ses yeux de voleuse émérite décelèrent une nouvelle trace de sang séché sur un arbre à sa droite.

Bonne pioche. Ces indices confirmaient qu'elle suivait la bonne piste.

Après sa fuite hors du centre la veille, elle avait usé du couvert des arbres et des broussailles pour enregistrer le déploiement de chaque tribut, et aussi repérer lesquels correspondraient le plus au profil idéal de futures victimes. Ainsi, elle avait remarqué que les deux idiots aux bouteilles d'eau – la renarde et la coupe au bol qui la suivait partout (par intrépidité ou par stupidité, ça elle ne savait toujours pas) – s'affichaient comme des candidats de choix : le flanc de la fourbe aux frisettes pissait le sang. Du moins, elle avait été salement amochée peu avant leur fuite.

Ymir ne savait pas exactement comment la tribut adverse s'était chopée une telle blessure, mais ce qui ne faisait aucun doute, c'était qu'entre ça et leur connerie à prendre des packs d'eau, l'aubaine était trop belle ! Elle traquait le sang depuis la veille et elle s'approchait du but. Ces deux-là devaient être du genre à pioncer une fois la nuit tombée : elle les rattrapait.

En voyant le bol à moitié vide, elle les disqualifierait de la partie dans douze heures au plus tard.

Elle ferait d'une pierre deux coups, ses sponsors s'exciteraient comme des petits fous et elle tâterait un peu plus sa victoire du bout des doigts.

Un grognement rauque gémit sur sa gauche. Mains sur ses dagues et campée sur ses appuis, Ymir se braqua vers l'ennemi. Il la scrutait de ses yeux globuleux, qu'elle devinait dans la nuit. Immobile, il ne frémissait même pas, mais il avait l'air d'avoir une folle idée derrière la tête. À genoux, les pieds et les paumes plantés au sol comme ça, il ressemblait à un fauve prêt à bondir sur sa proie. Grâce à l'effet de surprise, il était mieux stabilisé qu'Ymir mais il ne remua pas l'arrière-train pour se propulser. Il ne pouvait pas.

Il l'avait guettée et attendue désespérément tout ce temps, mais maintenant qu'elle était là devant lui, il s'apercevait qu'il était paralysé. Il parvint tout de même à pousser un soupir penaud et Ymir, rassurée, poursuivit sa route en se bouchant le nez. L'haleine fétide du Titan s'infiltrait déjà dans son nez.

Leur rencontre inopinée rappela à la jeune femme qu'il valait mieux rester sur ses gardes. Ils devenaient de parfaites statues de pierre à la tombée de la nuit, mais certains coriaces pourraient profiter d'une trop grande insouciance de sa part. S'il y en avait qui parvenait encore à soupirer ou grogner, d'autres n'auraient peut-être qu'à ouvrir un peu plus grand la gueule pour réussir à la grignoter.

Elle garda donc une dague à la main en continuant sa traque, et ne manqua pas de passer sous le nez de nouveaux spécimens figés dans le noir. Elle devinait leurs silhouettes immenses dans les ombres à présent et veillait à faire quelques pas de côté pour ne pas les frôler de trop près. L'un d'entre eux l'avait bien fait rire à câliner un pauvre arbre qui n'avait rien demandé à personne… jusqu'à ce qu'une lourde flaque gluante et chaude chute sur l'épaule d'Ymir, avant de couler le long de son bras. Ce salaud lui avait bavé dessus !

Dégoûtée, elle pressa le pas, tout en peinant à s'essuyer avec des poignées entières d'herbes. Elle les frottait contre la chemise humide, la veste et la cape nouées autour de sa taille. Pas question de se trimballer avec ces sales fringues avant qu'ils n'aient séché !

Pétrifiés, les Titans s'appliquaient à la suivre du regard. Des iris dont elle ne distinguait pas les couleurs dans le noir. Elle observait juste le blanc luisant des yeux qui s'assombrissait dans les coins, à mesure qu'elle s'éloignait de chacun d'entre eux. Et les dents qui reflétaient l'éclat diaphane de la lune. Ils avaient vraiment investi cette zone ! Il devait y avoir des humains dans les parages : un autre signe – un peu dérangeant, certes – qu'elle restait bien sur sa piste.

La satisfaction de se rapprocher de sa proie ne la transportait plus. Ymir se contentait de jeter des coups d'œil méfiants aux créatures qui se dissimulaient dans les ténèbres de la forêt, comme s'ils allaient lui sauter dessus pour la dévorer toute crue, comme dans un simple cauchemar de marmot. Dès qu'elle en voyait un, elle le scrutait droit dans les yeux. Les prunelles ressortaient, c'était facile. Alors, pendant une fraction de seconde, le temps que la jeune femme s'assure qu'elle ne courait pas un grave danger et que celui-là aussi était inoffensif, elle croisait leurs regards.

Elle les dévisageait en même temps qu'ils l'épiaient. Et après, elle tournait la tête, s'écartait un peu plus pour les semer, en marchant plus vite, en retenant son souffle, en serrant le poing et les dents.

Elle ne les imaginait que trop bien, sourire aux babines, salivant à l'idée de savourer le goût que son corps devait avoir. La gouaille de la jeune femme défaillait, et elle ne s'accorda même pas la récréation de deviner si elle avait une saveur plutôt épicée ou amère. Elle ne pouvait que se les représenter postés derrière leurs petites cachettes, à la prendre discrètement en filature depuis le début, communiquant silencieusement entre eux. Peu importe les raccourcis ou les passages secrets qu'elle empruntait, ils retrouvaient toujours sa trace. La pistaient. Réduisaient l'écart de leurs larges enjambées.

De leurs grandes jambes d'adultes. Redoutables, et qui ne feraient qu'une bouchée de la farouche paire de jambes de la petite fille. Celle qui finit par trop se faire remarquer après quelques années de chapardage sur les marchés du District Six. Sans dire un mot, ils la traquèrent et l'emmenèrent. À cet instant, elle s'attendit à la prison ou, pire, à la potence mais on la condamna à la paperasse… or puisqu'elle n'avait pas encore appris à lire, on lui posa juste deux, trois questions, ils lui demandèrent de tirer un trait au stylo dans la petite case en bas à droite et lui prirent un peu de sang, avant de la relâcher dans la nature du District Six, livrée à elle-même.

On ne la punit pas pour ses méfaits, on la libéra même juste après. Certes, ils ne firent rien pour lui venir en aide mais ils la libérèrent elle avait eu beaucoup de chance. Plus tard, elle comprit qu'ils l'avaient recensée ce jour là, en préparation à ses candidatures forcées aux Jeux…

Et maintenant Ymir trimait dans cette forêt lugubre, à cause de cette foutue journée où elle s'était estimée chanceuse d'avoir juste eu à remplir de la paperasse !

Aucun journaliste du Capitole ne lui avait posé de questions concernant les circonstances douteuses de son recensement. Pourtant, l'information devait être enregistrée quelque part dans leurs relevés. Mais rien : pas une référence, pas une allusion, pas un clin d'œil. Juste une sale tâche qu'on cachait sous le tapis, d'un rire gêné. Pathétiques.

Au fond, elle savait qui était la plus pathétique dans l'histoire : la petite Ymir qui avait sauté à pieds joints dans la gueule du loup… Mais elle en ressortirait, comme une championne, comme une gagnante, elle prendrait sa revanche, elle allait la prendre et ils n'avaient qu'à bien se tenir !

La tribut se faufila entre deux troncs d'arbres et tomba nez-à-nez avec le sourire carnassier d'un autre bonhomme nu comme un ver. Elle freina et déglutit en détaillant l'espèce de croissant de lune qu'il arborait sur la tronche, bien contente de ne pas pouvoir distinguer d'autres traits dérangeants. L'idée électrisante de péter une ou deux dents de ce croissant de lune se frayait à peine un chemin dans son esprit qu'elle se ravisa.

Ymir menait peut-être un bon début de jeux mais, face à ceux-là, c'était une autre histoire. Ils ne jouaient pas dans la même cour.

Préférant sauvegarder sa peau en restant dans des terrains connus, elle s'écarta du Titan et continua de suivre sa piste. Elle dut s'efforcer de modérer son allure.

Votes du Public – Résultats du Deuxième Jour :

1. Mikasa Ackerman – District Douze : 24, 8 %

2. Ymir – District Six : 16, 3 %

3. Reiner Braun – District Un : 12, 2 %

4. Annie Leonhardt – District Deux : 11, 4 %

5. Sasha Braus – District Dix : 7, 6 %

6. Ruth D. Kline – District Neuf : 6, 5 %

7. Bertholt Hoover – District Deux : 5, 5 %

8. Marco Bodt – District Neuf : 5, 2 %

9. Christa Lenz – District Un : 2, 8 %

10. Eren Jäger – District Douze : 2, 1 %

11. Conny Springer – District Huit : 1, 8 %

12. Jean Kirschtein – District Sept : 1, 5 %

13. Marlow Freudenberg – District Trois : 1, 2 %

14. Hitch Dreyse – District Trois : 0, 7 %

15. Hannah Diamant – District Onze : 0 %

15. Franz Kefka – District Onze : 0 %

… ( ) …

Annie aussi s'est convertie au Christanisme.