T'espères nous apitoyer ?

OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance = - Aots3-1000ryaku -

- AOTF-s1 -

- The Successor -

- Shingeki Pf 20130218 Kyojin -

- Ymniam – Mkorch -

- K2- -

- Rittaikidou -

() …

Les tâches de sang se faisaient attendre, esquivant le regard d'Ymir, probablement dissimulées par les larges fougères ou les terriers de lapin. Elle commençait à croire que la piste lui échappait. Quelques mètres plus loin, elle distinguait une clairière qui lui servirait d'étape : si elle ne retrouvait pas la trace, elle rebrousserait chemin.

Elle franchit la lisière et déboucha sur un champ de pâquerettes que la lune avait pailleté d'argent. La pointe de son nez piqua vers les hauteurs, suivant des yeux la tour de garde qui surplombait la zone. Les meurtrières laissaient échapper une lueur vacillante, mais dont la couleur trahissait la présence d'autres tributs. Elle avait retrouvé sa piste. Bingo.

Ces amateurs s'étaient dégotés la tour de garde du Sud. Des quatre, ils avaient pris la plus accessible, mais la moins sécurisée, avec tous les Titans qui pullulaient autour. Elle commençait à deviner leur stratégie, et ils étaient peut-être moins nigauds qu'il n'y paraissait. Les yeux rivés sur les meurtrières, elle progressa à pas de loup jusqu'à la lourde porte en bois qui bloquait l'entrée. Pas la peine de cogner comme un bélier et risquer de se faire repérer pour constater qu'ils l'avaient barricadée.

Ils comptaient tenir le siège, se servir des Titans comme d'une patrouille de garde. Dommage pour eux, Ymir avait fait sa spécialité d'esquiver ce genre de stratégie.

Elle se décala pour se retrouver en face du mur, et laissa le sourire carnassier qu'elle retenait depuis son arrivée dans la clairière s'épanouir. Les pierres étaient vieilles, mal enchâssées, et couvertes de lierre et de mousse. Elle ne pouvait pas rêver mieux pour une petite séance d'escalade. Elle s'assura que ses dagues étaient à portée, choisit un chemin qui ne la faisait pas atterrir juste devant les meurtrières, et commença à grimper.

Elle prit soin d'esquiver celles des autres étages, au cas où ils guettaient sa venue, prêts à la cueillir. Mais plus elle se rapprochait, plus elle distinguait des éclats de voix et des bruits de mouvement en provenance du dernier étage. Ils se prennent vraiment pour des intouchables ! Elle ricana. Cela dit, ils étaient encore réveillés, quelques heures avant l'aube. Soit ils avaient un rythme de sommeil catastrophique, soit ils avaient prévu comme elle de veiller la nuit, conscients des tributs qui en profitaient pour rôder. Elle commençait à croire qu'ils avaient prévu sa venue.

La pensée se dissipa aussi vite qu'elle était venue alors qu'elle distinguait de mieux en mieux ce dont ils parlaient. Elle dégaina ses dagues, dont l'usage se faisait désirer. Elle les plantait dans les interstices à chaque éclat de voix. Leur bavardage était une couverture inopinée, que les pipelettes regretteraient bientôt.

-… en même temps, il n'a vraiment pas l'air d'être du genre à s'en servir.

-Mais j'y ai mis tout mon cœur ! S'il trouve la paix intérieure grâce à moi, c'est déjà ça de gagné !Va pas me dire que t'as jamais senti tes chakras s'ouvrir en humant du patchouli !

-Je suis au regret de te dire que non. »

Oulah. J'avais oublié qu'ils étaient perchés ces deux-là. Elle arrivait au niveau de la meurtrière orientée Est, et la fenêtre était juste assez large pour qu'elle puisse passer au travers sans trop de souci. Aucun tribut en vue. Le linteau était garni d'une plate-forme, idéale pour s'y reposer, le temps qu'ils s'endorment ou qu'ils baissent leur garde. Elle s'y hissa comme un serpent, avec soin et lenteur. Malgré le délabrement, rien ne craqua. Elle retint une petite exclamation de satisfaction, que le bruit de quelque chose en train de bouillir au réchaud aurait couvert de toute façon.

-Stressé de la vie comme il est, je suis sûre qu'il m'en sera reconnaissant.

-Moi je pense que dès qu'il l'a vu sur son bureau, il l'a vidé dans l'évier.

-Dis donc, jeune impertinent ! D'où tu te permets de me répondre comme ça ? C'est quand même pas Naile qui t'as appris à parler de la sorte...

-C'est sûr que c'est pas toi qu'il m'aurait conseillé comme modèle. »

J'ai grimpé une tour ou un asile de fou ?

-Je te ferais savoir que je suis d'une délicieuse compagnie. »

Le garçon se contenta d'un reniflement amusé.

-D'ailleurs, Marlow, mon bon Marlow, ne vois-tu rien venir ?

-Arrête un peu de gesticuler dans tous les sens, annonça-t-il alors que sa voix se rapprochait de là où Ymir se tenait. Tu vas rouvrir ta plaie si tu continues. »

Ymir ne bougea pas d'un millimètre. La plate-forme ne lui permettait pas de voir le pauvre plouc et de lui tomber dessus dans l'instant, mais ça ne faisait que retarder l'échéance. Elle avait juste à attendre qu'il tourne le dos à la fenêtre, et elle le remarquerait à sa voix.

-Je m'inquiète juste de ceux qui pourraient nous assiéger. On ne sait jamais.

-Rien à signaler pour le moment.

-En tout cas, j'espère qu'on aura pas à rester trop longtemps ici. J'en ai marre de manger du hareng.

-Pour l'instant, il faut qu'on reste là. Les Titans grouillent encore dans la zone, et il vaut mieux attendre que quelqu'un de la trempe d'Ymir ou de Sasha meurt. Ceux qui sont partis solos seront probablement les suivants. »

Ah ouais ? On va voir ça.

-J'en vois un qui a bien fait ses devoirs, dis donc. »

Son ton redevint brutalement sérieux.

-Si je pouvais choisir, je préférerais ne plus avoir à me soucier d'Ymir. Avec Sasha, on peut faire une alliance. Et si on a ses compétences dans la poche, Franz et Hannah, ce sera du gâteau. À compter qu'ils soient toujours dans les parages. »

Aucune réponse ne vint, l'autre venait probablement de hocher la tête. Un bâillement parvint à ses oreilles, plus jouissif que des bulles de champagne. C'était bientôt l'heure d'entrer en piste.

-Bon, tu penses pas que tu devrais aller te coucher ? Il faut que ton corps se repose pour bien cicatriser.

-Oh, encore... Je fais que ça, me reposer ! Dormir et manger du hareng, c'est pas comme ça que je voyais mes jeux.

-Hitch...

-Si j'avais su, j'aurais demandé à Naile de me conseiller les meilleures sauces.

-Hitch, s'il te plaît. »

Silence. Puis des froissements de tissu et quelques bruits sourds, qui indiquaient que Hitch s'allongeait au sol. Un échange de soupirs, l'un lassé et l'autre soulagé.

-D'accord, mais tu me racontes une histoire.

-Comment ça, une histoire ?

-Je sais pas, parle-moi des calculs stratégiques que la finesse de ton esprit a brillamment élaboré, par exemple. Ça devrait suffire à me faire tomber de sommeil.

-Je te signale que moi, je t'ai écouté pendant des heures me parler en long, en large et en travers de la robe de Ruth, du costume de Reiner et du maquillage de Christa !

-Où veux-tu en venir ?

-C'est assez vexant ! Si moi j'ai fait l'effort, tu te dois de le faire aussi, c'est la moindre des choses pour garder une relation équilibrée.

-Mais oui, chaton. »

Une exclamation hébétée échappa à Marlow.

-Chaton ?! »

Il avait tourné la tête. Son attention se détournait de sa mission et de la fenêtre. Hitch se mit à rire.

-C'est vraiment trop facile de te faire tourner en bourrique, je m'en lasse pas !

-De rien, je suppose... »

Le rire de Hitch s'atténua, et Marlow en profita pour insister :

-Allez, dors, maintenant.

-Mhm. Bonne nuit.

-Bonne nuit, Hitch. »

Ces deux mots sonnèrent comme une formule magique qui invoqua le silence. À mesure que le calme les enveloppait, la respiration de Hitch se stabilisait, bercée par le gargouillis de l'eau qui bouillait de plus en plus fort. Ymir en ressentait l'écho dans ses veines.

Elle prit le temps de compter les secondes pour tenir son impatience en laisse. Pas tout de suite. Sa paume gauche, sèche, enserrait le manche de la dague. Elle entendit les pas de Marlow qui se retournait, le réchaud qu'il éteignait, et enfin le murmure souple de la couverture qu'il posait sur les épaules de Hitch.

Elle bondit. Ses muscles crispés se détendirent alors qu'elle passait par-dessus bord, l'air vif dont elle se délectait fouettant son visage. Pendant une seconde, elle perdit son centre de gravité, sa prise sur le linteau pour seul repère. Elle s'engouffra dans la pièce, Marlow et Hitch pour seul objectif.

Marlow fit volte-face vers elle, le visage tordu dans une grimace d'horreur. Elle atterrit souplement au sol, un genou fléchi, et savoura la brûlure de ses cuisses qui la projetait droit sur le tribut, toutes dagues dehors.

-HITCH ! »

Il réagit au quart de tour et se rua vers elle pour l'empêcher d'approcher, au moment même où Hitch se redressait dans un sursaut. Il avait les bras tendus en avant comme pour la repousser. La fenêtre était juste derrière elle. Au dernier moment, le bras du jeune homme trancha l'air et une douleur sourde bourdonna dans son avant-bras gauche, jusqu'à sa main qui relâcha sa première dague.

-Dégage ! »

Pensait-il sincèrement qu'elle allait obéir gentiment alors qu'elle était venue pour les tuer ? Elle plongea sur le côté.

-Dans tes rêves ! » rétorqua la renarde.

Au temps pour elle, il parlait à Hitch. Elle roula au sol et donna un coup de pied dans le réchaud pour envoyer l'eau vers la jeune fille. Sans succès. Elle vrilla ses hanches alors que Marlow repartait à la charge, tout le buste à découvert. Elle décocha sa lame, qui se ficha dans la cible, pile entre les deux côtes et le grognement guttural du jeune homme. Une inspiration brutale et terrifiée résonna derrière eux. Mais Ymir n'eut pas le temps de récupérer sa dague pour la faire taire. Un étau ferme enserra son poignet droit et le maintint en place. Elle releva la tête vers une mâchoire crispée et des sourcils froncés par la douleur et la détermination.

-Hitch, maintenant ! »

Son regard se braqua sur l'éclat métallique qu'elle n'avait pas repéré avant. Le canon inattendu de l'arme pointa droit sur elle. Elle relâcha son couteau aussitôt et tordit tout son corps. La détonation siffla dans ses oreilles et érafla son flanc. Elle grogna et contracta tous ses muscles pour étouffer un spasme de douleur.

Elle s'éjecta du sol et saisit à son tour le poignet de Marlow, se postant dans son angle mort pour tordre son bras gauche, s'en servir comme bouclier humain et lui arracher un second cri de douleur. Hitch n'oserait jamais prendre le risque de tirer sur son partenaire. Ce dernier ignora la prise et lui asséna un violent coup d'épaule qui la bouscula. Un peu plus et elle lui déboîtait l'épaule ! Son talon heurta le mur et elle mesura à quel point elle les avait sous-estimés.

Il lui tournait toujours le dos. Elle relâcha sa prise et sauta sur ses épaules, ceinturant sa nuque avec la ferme intention de tenir bon jusqu'à l'avoir étranglé, à défaut de lui rompre la trachée. Peine perdue, car la main de Marlow s'était glissée entre sa mâchoire et le bras d'Ymir pour contrebalancer la poigne. Elle crut qu'il comptait l'éjecter d'un coup de hanche, mais il se contenta de pivoter sèchement sur ses appuis. Ymir se retrouva face au mur, dos à Hitch. Et aux dernières nouvelles, la tribut adverse n'avait pas lâché le pistolet. La sensation de vulnérabilité lui soutira un frémissement glacé.

Elle pouvait compter sur la seconde d'hésitation de Hitch qu'elle pressentait. Son bras se déploya avant sa pensée et sa main fusa vers la dague toujours plantée dans les côtes du jeune homme. Il était tenace. Elle l'arracha d'un coup sec, quelques éclaboussures de sang sur les doigts.

-Non, Marlow ! » s'écria Hitch alors que Marlow ployait sous la souffrance.

Il lui fallut une demie seconde pour se retourner, une autre pour viser, et elle l'envoya dans l'avant-bras de Hitch. Son cri lui confirma qu'elle avait touché sa cible, et le clappement du revolver qui retombait sur le bois lui prouva qu'elle avait toutes ses chances.

Elle sauta et s'élança ventre à terre pour récupérer l'arme qui finissait de tournoyer, Hitch pressant son bras ensanglanté à l'autre bout de la pièce. Mais c'est de Marlow dont elle aurait dû continuer à se méfier, car des griffes acharnées se plantèrent dans sa cuisse et l'épinglèrent au sol. Son menton heurta le bois et sa main retomba à deux doigts du pistolet.

Si elle pouvait juste étendre de cinq centimètres... !

Elle se retourna et croisa son regard gravé par la résolution. Il la plaquait au sol moins pour l'empêcher d'atteindre le revolver que pour l'empêcher d'atteindre Hitch. Qu'il aille au diable ! Elle releva son genou libre et l'abattit sur son visage.

-Laisse-le ! »

Elle aurait aimé que cela suffisse à éteindre le brasier qui brillait dans ses pupilles. Le geste suffit au moins à le dégager de sa jambe et elle se hissa jusqu'au revolver et sa paume accueillit avec soulagement la crosse tiède et rugueuse. Elle balaya le bras si vite que ses os claquèrent dans leur prison de chair. Le canon se braqua sur le front de Marlow, droit sur la glabelle, pile entre les deux arcades sourcilières.

Pour la première fois de la nuit, les choses se passaient comme prévu et elle n'avait pas à prendre de détours. La trajectoire traça une ligne droite, impitoyable au cœur de son crâne. La tête retomba mollement au sol.

-SALOPE ! »

Elle n'eut pas le temps de se réjouir que le pistolet quittait sa main, emporté par la bourrasque de rage et le coup de pied de Hitch. Un hurlement étranglé de sanglots s'échappa de la gorge de la jeune fille, le genre qu'Ymir n'associait qu'à ceux qu'on ampute de leur jambe ou de leur bras. Elle vit Hitch se précipiter au chevet du jeune homme, les yeux déjà noyés de larmes. Une aubaine.

Elle se dégagea complètement du corps de Marlow, le revolver toujours dans sa ligne de mire. Mais Hitch sembla parcourue d'un choc électrique qui redressa sa colonne vertébrale et six émotions différentes défilèrent sur son visage avant que sa tête ne virevolte vers Ymir. La même expression de résolution peignait ses traits. L'hésitation entre surveiller les mouvements de Hitch et se jeter sur le revolver lui coûta l'initiative. Un projectile dense et métallique heurta son crâne, la déstabilisant. Elle chancela, forcée de poser les deux mains au sol et se redressa à temps pour découvrir un voile épais qui recouvrit son corps. La couverture.

La menace du piège réveilla ses instincts les plus combatifs et elle s'extirpa du drap dans une roulade effrénée. Elle dégaina sa jambe pour entraver la course de Hitch. Son mollet percuta le tibia de la jeune fille et elle la vit s'écrouler contre le plancher. Les ongles de Hitch raclèrent le sol à quelques centimètres du revolver, elle était déterminée à le capturer entre ses serres.

Elle y parvint. Ymir vit avec horreur ses mains se refermer sur le baril de l'arme. Elle rassembla le reste de ses forces pour plonger sur son adversaire. Elle écrasa le talon de sa paume contre le crâne de Hitch qui poussa un grognement sourd, elle délogea ses doigts avec tant de hargne que des traces rouges lacérèrent la chair, l'énergie de sa fureur domina celle du désespoir de Hitch et elle lui arracha des mains, ramenant de force son coude qui avait manqué de partir en arrière pour presser le canon contre la tempe alors que Hitch la fusillait du regard et- BANG !

Le crâne de Hitch heurta le sol, détonnant dans toute la pièce, en écho au rugissement sinistre du pistolet. Ymir se retrouva, enfin, seule avec son souffle.

Elle s'éloignait à peine du cadavre que l'adrénaline refoula, remplacée par une brûlure mordante au flanc. La jeune femme passa la main dessus, et la retira poisseuse. Elle n'avait plus la force de grimacer. Il devait y avoir quelque chose pour panser la plaie dans les parages. Maudissant de tous les noms ces couillons aux packs d'eau, elle tituba vers l'escalier.

Le vent serpentait entre les cimes, au rythme assoupi d'une respiration sifflante. La forêt somnolait, jamais vraiment endormie, le sommeil aussi léger que celui de Ruth. Marco regardait les troncs osciller comme une poitrine qui se soulève et les branches s'agiter comme sous l'emprise d'un mauvais rêve.

Encore trois bonnes heures avant l'aube et la fin de sa garde. Ruth veillait tard, et il dormait tôt, une combinaison qui rendait facile l'attribution des tours de garde. Et il n'avait pas de problème à fermer les paupières et son esprit, donc le repos ne manquait pas.

Mais le poids qu'il sentait sur ses épaules le faisait douter. Ce n'était peut-être que la rosée qui avait déposé une fine couche d'humidité, ou bien l'accablement des derniers jours passés à chercher une planque, sécuriser le périmètre, chasser.

Il ne voyait plus très bien les étoiles, mais s'imaginer leur présence au-dessus de sa tête le rassurait. Au moins, celles-là revenaient à chaque soir avec une constance imperturbable. Après le premier tour, qui avait emporté Thomas, Minha et Samuel, chaque minute qu'il n'avait pas passé à dormir, il l'avait passé à se ronger les sangs. C'était le calme après la tempête. Il était devenu hypersensible au moindre signal d'alarme, constamment sur le qui-vive, avec l'impression de tourner le dos à une bombe au tic tac menaçant et à la détonation imminente.

En écho à ses pensées, une déflagration embrasa le silence, et Marco craignit qu'elle ne réduise la forêt en cendre. Un reflet bleuté recouvrit ses mains alors qu'il sursautait. Il n'avait aucune envie de lever les yeux, mais il savait qu'il devait le faire.

Marlow Freudenberg.

Il se retrouva enfoui sous les débris de la bombe imaginaire. L'écran cachait les étoiles de sa lueur sinistre. Il avait beau fouiller du regard, elles avaient disparu, et le visage de Marlow envahissait le ciel nocturne.

Un léger grognement se fit entendre derrière lui, ainsi que le frémissement de feuilles qu'on écrasait. Ruth se tenait à quelques centimètres de son angle mort et s'accroupit à côté de lui.

-C'est r'parti, soupira-t-elle sèchement. S'il y est passé, alors Hitch va pas tarder non plus, ou bien ce sera son assassin. Ça m'étonnerait qu'on en reste là.

-Mh. »

Un nouveau feu d'artifice lugubre, un nouvel écran, une nouvelle mort.

Hitch Dreyse.

-Eh bah voilà... »

Ses yeux se détachèrent du ciel au même rythme que la pierre qui tombait au fond de son estomac. S'il avait pu émettre le moindre son, sa voix aurait été blanche comme la lune qui lui était cachée. Marlow et Hitch. Bien que brève, leur rencontre avait été précieuse pour lui. Il avait déjà songé à ce qu'il leur dirait la prochaine fois qu'ils se rencontreraient. Il n'en aurait plus l'occasion. Avait-il même pensé à remercier Marlow pour ses conseils ?

-Le problème, commença Ruth, le tirant de ses pensées, c'est qu'on ne sait pas qui a fait le coup. Ils se sont clairement pas entre-tués... Je tablerais sur Ymir. Les meilleurs en tridimensionnalité sont partis vers l'est, on a croisé Sasha et Conny, et c'est pas de la trempe de Franz et Hannah. »

Marco se contenta de hocher la tête, puis se ravisa et laissa échapper un faible :

-Oui, sans doute.

-Bon, j'retourne me coucher, fit-elle en claquant ses genoux pour se relever. À tout à l'heure.

-Dors bien. »

Il se retrouva de nouveau seul avec les deux écrans qui demeuraient derrière ses paupières, imprimés dans sa rétine. Le picotement familier revint ramper sous ses tempes, jusqu'à encercler le contour de ses yeux, une traînée de poudre qui n'attendait que l'étincelle pour faire sauter le barrage de l'émotion. Il y apposa ses doigts froids pour apaiser la douleur, retenir la fatigue et chasser sa solitude. En vain.

La première brûlure creusa un sillon sur sa joue. Il l'écrasa contre sa manche et étouffa la suivante dans le même mouvement. La troisième lui échappa et dégringola le premier sillon, se frayant un chemin le long de sa peau. La quatrième et la cinquième œuvrèrent de concert et se rejoignirent à la pointe de son menton. Il enfonça le talon de ses paumes dans ses orbites dans une tentative désespérée de contenir le flot qui menaçait de déborder. Peine perdue.

Elles ne firent que s'accumuler avant de se déverser le long de ses poignets, de ses veines. Sa voix lui manquait toujours, mais il n'avait pas le cœur de s'en désoler. Il ne risquait pas de réveiller Ruth, au moins. Il devait rester vigilant, monter la garde, et voilà qu'il était incapable de bouger un muscle ou de repérer le moindre brin d'herbe. Il resta prostré, le visage caché dans ses mains. Au bout de longues minutes, la pluie cessa.

ooo

Le soleil ajoutait des nuances d'orange et de saumon à la toile claire que la nuit avait laissée derrière elle quand Marco se décida à tirer Ruth d'un sommeil qu'il espérait réparateur. Il avait l'impression d'avoir passé le reste de la nuit à rêver, abandonnant son poste au mannequin apathique qu'était devenu son corps. Dès l'aube, chaque seconde comptait. Il se glissa à l'intérieur de leur cachette et s'accroupit à côté de sa partenaire.

-Ruth, c'est l'heure. » murmura-t-il.

Il n'eut pas à lui tapoter la jambe pour accompagner ses paroles, car elle se redressa immédiatement, déjà prête à l'action.

-Comment s'est passée la garde ? »

J'en sais rien du tout.

-Tranquillement. »

Ruth s'assit et balaya du regard leur planque : un terrier de renard délaissé dont ils avaient agrandi l'entrée pour y dormir.

-Il va falloir qu'on bouge, déclara-t-elle. On va pas faire long feu ici.

-Je vais aller récupérer les clochettes. »

Marco ressortit et trotta d'un bon pas vers son système d'alarme. Il avait attaché les clochettes à des cordes et les avait disposées en cercle autour de leur refuge. Le moindre tremblotement de terre causé par les pas des géants ferait tinter les grelots. Et avec l'ouïe de Marco, ils seraient prêts à temps. Ce système ne les protégeait pas des tributs, c'est pourquoi il fallait quand même monter la garde, mais il élargissait leur champ de perception.

Il décrochait les cordes une par une (pour éviter de perdre l'ensemble en cas de pépin), et il était si focalisé sur la tâche qu'il ne s'alarma pas du tintement qui résonnait déjà, qu'il imaginait tout droit sorti de son esprit, ni du sinistre présage qu'il apportait. Les sourcils froncés par le doute, il se pencha au sol et mit l'oreille à terre. Le grondement qui fit vibrer ses tympans lui confirma qu'il n'avait rien imaginé.

Il sauta sur ses pieds et acheva de décrocher un autre pan de clochette. Il hésita à en récupérer une autre poignée. Il devinait que le Titan -les Titans?- n'était pas si proche. Puis il se ravisa, fourra le paquet sous son bras et fonça vers sa partenaire.

-Vite, Ruth, il faut y aller ! Des Titans ! »

Elle réagit au quart de tour et s'affaira à récupérer leur matériel. Marco lui laissa à peine le temps de tout prendre en main qu'il la saisit par le bras et l'entraîna avec lui.

-Wow, doucement ! s'exclama-t-elle en lui en passant la moitié avant de se mettre à courir. Combien ?

-Je sais pas ! »

Ils détalèrent dans une cacophonie de cliquètements et de halètements saccadés, priant pour qu'il n'y ait pas de tribut dans les parages et qu'ils se fassent repérer. Ruth courait devant lui, et elle tourna la tête dans sa direction :

-Il nous faut une monture ! T'as demandé pour Buchwald ?

-Oui, hier ! acquiesça Marco, le front plissé. J'espère que ça a marché !

-Et moi donc. »

Sa gorge s'assécha davantage.

-Il faut qu'on trouve un point de hauteur ! conclut Ruth. Pour repérer Buchwald. S'ils l'ont lâché, il est dans le coin, mais bien caché !

-Oui ! »

Et sur ces mots, elle vira de bord pour s'engouffrer dans un sentier tortueux, Marco sur ses talons. Ils enjambèrent des buissons, bondirent par-dessus des troncs effondrés et esquivèrent les griffures des ronces. Très vite, la pente s'accentua, et Marco reconnut un terrain par lequel ils étaient déjà passés. Ils gravirent la butte à toute vitesse et se retrouvèrent au sommet.

Une vibration s'infiltra dans son oreille, qu'il aurait ignorée en toute autre circonstance, mais pour l'heure, c'était le son qu'il associait le plus à la mort. Il tourna la tête et Ruth l'imita, plissant les yeux.

-Je le vois. »

À son tour, Marco repéra, parmi l'océan de vert, un arbre de chair qui se mouvait. Encore plus loin, il ne distinguait que des bribes de mouvements, de la même espèce.

-On décampe. De toute façon, Buchwald est pas là. »

Marco fouilla les environs du regard avec frénésie, à la recherche du moindre indice qui puisse témoigner de la présence de son fidèle compagnon. Il aurait aimé avoir un moyen de l'appeler à lui, mais son claquement de langue habituel ne parviendrait jamais à ses oreilles. Ils dégringolèrent la pente dans la direction opposée aux deux Titans et repartirent plein Nord.

-T'arrête pas ! » lui ordonna Ruth.

Une injonction bien inutile quand ils avaient de tels dangers à leur trousse. Mais c'était vrai qu'à la moindre pause, ils perdraient du terrain. Ils couraient certes plus vite, mais le pas d'un titan valait six foulées d'hommes. Il régula sa respiration et détendit ses muscles pour maintenir son endurance. Le vacarme de leur course couvrait celui des Titans, et tant que c'était le cas, ils tenaient le coup.

Le couvert des arbres entravait la lumière du soleil levant, mais le terrain qu'il offrait était plat et facile à parcourir. Cependant, Marco sentait la brûlure des muscles qui s'intensifiait. Il commençait à fatiguer, et personne n'était fait pour courir aussi vite, aussi longtemps.

Par-dessus la clameur de sa respiration, de sa course, et de sa peur, un hennissement et des claquement de sabot sur la terre meuble retentirent, providentiels et triomphants. Marco pivota sur-le-champ et s'élança vers la provenance du son.

-Hey ! » s'offusqua Ruth.

Il l'entendit freiner brutalement pour changer d'axe et s'engager à sa suite, mais il l'ignora, un tambour dans la poitrine.

-Buchwald ! »

Un hennissement de plus en plus proche lui répondit. Il avait l'impression que son cœur était parti devant à la rencontre du pur-sang. Il en suivit la trace, ignorant complètement le souffle qui lui manquait, et contourna une poignée d'arbres. Au détour, une broussaille en mouvement et à la couleur singulière accrocha son regard. Il obliqua vers le cheval qui sortait des buissons, laissant exploser sa joie.

-Buchwald ! »

Emporté par son élan de soulagement, il manqua de trébucher sur ses propres jambes et se retrouva trop près du cheval qui avançait toujours. Buchwald se cabra et Marco freina sèchement, les mains en avant pour le rassurer.

-Tout doux, c'est moi, c'est moi ! »

Les sabots atterrirent au sol et un ronflement soulagé se fit entendre, juste avant que Marco ne se retrouve les bras pleins d'un poitrail fougueux et affectueux. Avec un mouvement de recul, il laissa ses mains remonter le long de l'encolure et un rire attendri le long de sa gorge, jusqu'à étreindre le museau. Il le guida jusqu'à sa clavicule et appuya son front contre celui de la bête. D'une main, il caressait son toupet.

-Merci. » souffla-t-il.

Chacun de ses nerfs chantait, saluait l'arrivée salvatrice de son compagnon. Comme s'il avait retrouvé une pièce de son puzzle. Il était déjà complètement harnaché, prêt à partir, prêt à affronter les jeux au côté de Marco, et il ne pouvait pas rêver mieux.

-Merci, merci. »

Ruth surgit en trombe à côté d'eux.

-Oh, parfait ! »

Marco ne perdit pas une seule seconde de plus : il rangea le matériel qu'il avait abandonné au sol dans les bagages fixées derrière le troussequin et se hissa en selle. Ce ne fut qu'une fois la bride en mains qu'il s'aperçut que la sensation lui avait manqué. Un claquement de langue plus tard, Buchwald s'élançait.

Il se pencha et tendit la main vers Ruth, qui la saisit au vol. L'effort commun de son bras contracté et du saut de Ruth permit à la jeune fille de sauter derrière lui. Elle déposa son propre matériel dans le deuxième paquetage et fit signe à Marco qu'il pouvait engager le galop.

Avant que Buchwald ne prenne trop de vitesse, Marco le fit bifurquer. Le cheval se dirigeait désormais droit vers les affamés. Si des Titans avaient investi la zone, cela signifiait qu'il y avait plusieurs tributs aux alentours. C'était des chances d'alliance et ils en avaient grand besoin. Les Titans étaient le seul obstacle entre eux et les ententes potentielles.

-Tu nous fous quoi là ?! cracha Ruth.

-Je nous cherche des alliances ! se récria-t-il.

-Et tu comptes les trouver dans le bide des Titans, tes alliances ?!

-Pas du tout, je vais les éviter ! »

Elle avait abattu sa main sur l'épaule du jeune homme et s'y cramponnait, les ongles enfoncés dans la peau.

-On va plein Nord ! On retourne pas là-bas, non !

-Je sais ce que je fais ! Fais-moi confiance ! »

Il la sentit se déporter sur le côté derrière lui, et -il aurait dû s'y attendre- la main de la jeune femme jaillit vers les rênes et tira d'un coup sec, arrachant un hennissement de stupeur à Buchwald et un hoquet d'horreur à Marco. Le cheval se cabra et vira sur le côté. Marco dut s'agripper au pommeau pour ne pas tomber à la renverse, et Ruth ceintura le ventre du jeune homme.

-Ruth, arrête !

-Toi, arrête ! Tu vas nous faire crever !

-Mais puisque je te dis que je peux le faire ! »

Une vague de panique, dont il n'avait senti que l'écume lui fouler les pieds auparavant, revint à la charge et se dressa devant lui, le recouvrant de son ombre. Il se raccrocha au premier amarre à portée : la priorité de calmer Ruth. La crainte de l'impact dépouilla ses gestes de délicatesse alors qu'il abattait sa main sur le poignet de la jeune femme, comprimant le muscle pour lui faire lâcher prise.

Ruth le relâcha, mais dégagea vivement son bras de sa poigne. Il devina les éclairs que ses yeux lui jetaient, mais pas la main qui emprisonna son bras et le tira en arrière, l'empêchant de reprendre les rênes de droite.

-On a pas tenu jusqu'au troisième jour pour que tu fasses tout foirer maintenant, Marco ! »

Buchwald perdait en vitesse et piétinait en changeant constamment de sens, déboussolé par les ordres contradictoires. Sous ses cuisses, Marco sentait que les muscles du cheval étaient tendus. Leur panique le contaminait, et les Titans se rapprochaient beaucoup plus vite.

-On a pas le t-... !

-Je te préviens, si tu continues-... ! la coupa-t-elle.

-On a pas le temps ! »

Sa voix éclata, décuplée par l'urgence, et Ruth se tut, mais il ne savait pas combien de secondes il lui restait avant qu'elle ne se remette à objecter. Il raffermit sa prise sur les rênes alors qu'elle avait lâché son bras, et dirigea Buchwald loin des Titans. Il n'avait plus assez d'espace pour tenter la manœuvre à laquelle il avait pensé. Ils n'étaient plus qu'à trois mètres, et un troisième venait de pointer le bout de son nez.

Il dut obliquer vers la droite en apercevant un gigantesque buisson de ronces, qui parsemait cette zone et obstruait son passage. Il sentit les doigts de Ruth serrer ses hanches au moment même où, comme elle, il repérait un Titan qui leur faisait face et leur barrait la route. Cet obstacle-là, Buchwald ne pourrait jamais le franchir.

Marco tourna la tête et un creux dans la barrière de buissons happa son regard. Juste assez bas pour que Buchwald puisse sauter par-dessus. Avec un claquement de langue et une pression des cuisses, il y engagea le cheval.

-Marco.. !? »

En un instant, leur fuite effrénée s'appesantit, la forêt entière retenait son souffle, et Marco n'entendait plus que les battements de son cœur qui rythmaient la respiration de Buchwald, profonde et puissante. La seconde suivante, le temps reprit son cours, et les cuisses de Buchwald fendirent la gravité, le vent caressa le visage de Marco et les deux cavaliers se recroquevillèrent au-dessus de la selle pour accompagner le mouvement aérien.

La monture atterrit souplement au sol et poursuivit sa course, le long de l'étroit sentier qui se révélait au-delà de l'enceinte du taillis. Il n'avait pas anticipé la taille conséquente de ce dernier, mais c'était tout à leur avantage. Ils s'engouffrèrent dans le tunnel végétal.

Derrière eux, le Titan le plus proche s'approcha malgré son gabarit, et Marco serra les dents. Plus que quelques mètres... Le Titan continua à avancer, et au grand soulagement du jeune homme, s'empêtra les jambes dans les ronces qu'il avait ignorées avant de s'effondrer, trop obnubilé par ses friandises. Le sol sursauta avec fracas, mais Buchwald n'en eut cure. Un deuxième s'effondra, mais Marco n'eut pas le temps de s'en réjouir, car Ruth le ramena à la réalité :

-Y a plus de chemin, fais gaffe ! »

Marco fit volte-face et s'aperçut qu'elle disait vrai. En effet, la visibilité avait drastiquement baissé, et les branches épineuses gagnaient du terrain. Certaines commençaient déjà à s'attaquer à Buchwald, et l'une d'entre elle griffa le cavalier. Il dut faire ralentir le cheval, et le convaincre de faire demi-tour malgré le manque d'espace. Ruth se cramponnait plus fort à ses côtes.

Il déglutit en voyant le premier Titan qui tendait la main vers eux malgré ses membres lacérés. Il prit une profonde respiration, détendit ses muscles pour ne pas affoler son compagnon, puis lui fit signe de se jeter dans la gueule du loup. Ils n'avaient plus trop le choix.

Buchwald chargea droit vers le mur de chair, et dévia de justesse pour l'esquiver, s'éraflant contre la végétation au passage. Un deuxième Titan encore debout se pencha vers eux, mais grâce à l'allure du cheval, ils n'avaient qu'à baisser la tête pour l'éviter. Mais ils n'étaient pas exempts des sueurs froides que la proximité avec ces colosses engendrait. Le creux dans le buisson qu'ils avaient emprunté était bouché par le troisième Titan qui se rapprochait, et Marco dut forcer Buchwald à s'aventurer dans les ronces aplaties par le Titan effondré et sauter par-dessus sa cheville pour se libérer de ce qui aurait pu être leur prison. En plein vol, Marco pria pour que le géant ne lève pas la jambe.

Ils atterrirent sans problème de l'autre côté de cet infernal taillis, et Buchwald laissa échapper un hennissement clair, l'air de réclamer des félicitations.

-Beau boulot. » murmura Marco en accompagnant ses paroles d'une rapide caresse de l'encolure.

Il le pressa de repartir à la vue d'autres Titans qui approchaient. Ils achevèrent de contourner le buisson et galopèrent sur une centaine de mètres, avant que Marco ne pousse une exclamation étranglée. Deux autres se dirigeaient vers eux. Leur pas oppressant et sismique, qui réduisait l'écart entre les tributs, forçait les pulsations de Marco à leur obéir et s'accorder à leur cadence macabre.

La tête de Ruth vint frapper le haut de sa colonne vertébrale et s'y colla. Il n'entendait pas son souffle, mais il se doutait qu'il était haletant et affolé. Comme le sien. Devant comme derrière, il n'y avait pas d'issue, à moins de se frayer un nouveau passage, mais il ne s'en sentait plus capable avec leur nombre. À droite, il voyait les restes d'un glissement de terrain, un ravin qu'ils ne pouvaient franchir à moins de faire le tour.

Va pour la gauche.

Buchwald obtempéra presque avant qu'il ne le lui ordonne. Un autre Titan -le dernier, par pitié- surgit sur leur chemin tout droit sorti de derrière un arbre. Rien qu'il ne pouvait esquiver cette fois. Il prit le virage le plus large possible, peu désireux de s'approcher de ce géant aux membres dégingandés et désarticulés. Mais celui-ci avait un comportement inhabituel qui extorqua un frisson subit à Marco. Il ne s'avançait pas vers eux, et se contentait de les fixer d'un regard morne.

Alors qu'ils arrivaient à sa hauteur, Marco le vit perdre son équilibre et se laisser tomber comme un arbre mort, gagnant progressivement en vitesse. Il tira si fort sur les rênes que Buchwald se cabra à nouveau. Le Titan déferla sur eux, et ils n'esquivèrent l'impact que d'un mètre. Buchwald piétina pour retrouver son équilibre alors qu'un nuage de poussière leur agressait le visage.

Avec horreur, Marco sentit le cheval tomber sur le côté dans un hennissement de détresse, emporté par son élan. Il retira ses pieds des étriers avec précipitation pendant que Ruth se détachait de lui, et roula au sol pour éviter de se retrouver écrasé. Entre la chute et le choc, il ne savait pas ce qui avait le plus emballé sa respiration. Par réflexe, il s'écarta du Titan à terre, de peur qu'il ne tende le bras vers eux. Un déviant ?

Leur seule option avait été de foncer vers le Nord et essayer d'esquiver le Titan croisé après avoir contourné le taillis. Un seul coup d'œil en arrière lui confirma que ce n'était plus possible. Le piège se refermait sur eux. Il avait de plus en plus de mal à discerner la route à suivre. Les ombres de ses peurs obscurcissaient sa vue. Il avait l'impression que le croisement des branches resserrait l'espace, que les ronces allaient le déchiqueter et que l'herbe se gorgerait de son sang. Il n'y avait aucune échappatoire.

Une violente sensation de manque le saisit. Il était trop petit, trop lent, trop insignifiant.

Ruth sortit de sa torpeur avec une exclamation qui tira Marco de la sienne :

-Laisse, j'ai une idée ! »

Les yeux plein d'espoir, il se retourna vers elle. Elle avait atterri plus près de Buchwald qui s'était déjà relevé, bride en main, et farfouillait dans les bagages. Elle dégaina le pistolet à fumigènes qu'elle avait récupéré au bunker et le chargea d'une cartouche rouge. Il étouffa un hoquet de stupeur.

-Ruth, non, attends ! »

Elle l'ignora, dirigea le canon droit vers le sol et tira. Une fumée âcre explosa tout autour d'eux, si agressive que Marco crut se noyer dans du soufre. Il tourna la tête et toussa dans son coude, les yeux fermement plissés. Les hennissements de Buchwald qui s'éloignait le remplirent de panique. Il déplora les quelques secondes qu'il lui fallut pour parvenir à écarter les paupières, sans grande utilité. Il avait l'impression qu'une poussière rouge s'était accumulée devant ses yeux, et il ne distinguait que de faibles silhouettes, des tâches de rouge carmin sur une toile cramoisie.

Le tissu de sa manche se collait à son nez lorsqu'il inspirait, et il mit tout un pied dans l'engrenage vicieux. La panique réclamait toujours plus d'air, qu'il ne pouvait fournir, ce qui nourrissait son épouvante. Où était-il ? Où était Buchwald ? Où était Ruth ? Où étaient les Titans ?

La fumée formait un rideau écarlate autour de Marco, qui tournait la tête de tous côtés, tous les sens aux abois. Peut-être parce qu'il avait les yeux fermés, ses oreilles captèrent des sons si inespérés qu'il se demanda s'il les rêvait. Il reconnut le bruit caractéristique des câbles d'un équipement tridimensionnel, et une minute plus tard, un éclat de voix. Il se figea pour écouter. Il entendit des chocs sourds, suivis des torsades brumeuses qui s'agitaient, emportées par l'appel d'air. Le bruit de quelque chose qui raclait sur le bois.

Une vague d'espoir souleva son cœur, balayant l'étau de terreur qui enserrait sa gorge. Maintenant que la brume était plus dégagée, il y voyait plus clair. Une silhouette foudroyante trancha net la main d'un des Titans qui les avait poursuivis, qui restait étalée au sol, toujours tendue, à quelques centimètres des pieds de Marco.

Le jeune homme se releva précipitamment en retenant un cri. Avec sa gorge, sa voix s'était libérée. Et il recula dans la brume. L'odeur de la fumée lui caressait les joues, comme pour le rassurer, le protéger du reste du monde. Mais elle ne pouvait pas le garder éternellement des Titans, il en était conscient. Il tendit l'oreille, une goutte de sueur perlant sur son front : le chtack du crochet qui se fichait dans le bois, l'appel d'air, un grognement d'effort... Il voyait l'ombre du Titan se mouvoir et sursautait à chaque mouvements. La peur sortait ses mains de la terre pour le clouer au sol.

L'espoir lui donna la force de s'y arracher lorsqu'il entendit le bruit distinct de la chair tranchée. Il se précipita en avant.

-Attention en bas ! »

L'ombre du Titan grossit à vue d'œil, une masse aussi énorme qu'une montagne qui menaçait d'écraser Marco sous son poids à tout instant. L'adrénaline parcourut les veines du jeune candidat à une vitesse fulgurante et ses membres bougèrent avant même qu'il ne puisse y penser, l'emmenant hors de portée. Un bras et tout le reste du Titan s'abattirent juste à côté de lui, s'effondrant au sol dans un tapage assourdissant et une salve de poussière, si fort que Marco perdit l'équilibre et retomba contre la chair. Il avait l'impression que ses yeux allaient bondir de ses orbites et qu'il allait oublier comment respirer.

Écœuré, il recula comme si la chaleur du corps du titan l'avait brûlé. Il reprit une inspiration et trébucha sur ses propres jambes mais parvint à se relever et fit volte face, impatient de découvrir le visage de celui ou celle qui leur avait apporté une aide salvatrice. La fumée se dissipa avec la poussière, et Marco put lever les yeux vers leur bienfaiteur.

Jean était debout, dos à lui, dressé sur la tête du Titan. Il avait le souffle court, et Marco avait le souffle coupé. Les épaules du jeune homme se soulevaient à un rythme irrégulier, entraînant avec eux ses bras et les lames striées couvertes du sang fumant du titan. Il était tendu, les jambes fléchies, comme prêt à y retourner la seconde même, mais même Marco pouvait entendre son souffle erratique, et presque deviner les rapides battements de cœur qui l'accompagnaient. Il eut l'impression que Jean avait eu aussi peur que lui.

Le soleil qui traversait les arbres l'illumina d'un halo triomphant, parant sa chevelure claire d'éclats dorés et ses lames de reflets métalliques. C'était la scène la plus lumineuse que Marco avait vu depuis le début des jeux, et il se prit à espérer qu'en restant aux côtés du jeune homme, celui-ci pourrait écarter les nuages de préoccupation qui obstruaient sa vision d'un haussement d'épaule, presque sans qu'il ne le remarquât. Comme il venait de sauver Marco.

Il observa le dos du jeune homme se redresser avec dignité, révélant les ailes qui ornaient sa cape, baignées dans l'obscurité du contre jour. Il le vit prendre une profonde inspiration, et ne put s'empêcher d'inspirer en cœur avec lui. Il sursauta quand le visage de Jean se tourna vers lui : son sourire était fin et léger, presque indistinct, mais empreint d'un soulagement bien réel. Et il était dirigé droit sur Marco.

La reconnaissance enfla dans la cage thoracique du jeune homme et il fit un pas en avant, presque inconsciemment, alors que Jean bondissait sur l'épaule du Titan fumant pour atterrir souplement au sol. Marco dut se retenir et coller ses bras le long du corps pour ne pas l'entraîner dans une étreinte vigoureuse.

-Ça va, pas de casse ? » demanda Jean avec naturel.

Marco secoua la tête sans le quitter des yeux, fasciné. Il ne savait pas quels mots utiliser pour exprimer ce qu'il ressentait en cet instant : soulagement, gratitude, espérance... Il se contenta de plonger dans le regard noisette de Jean, qui lui répondit par un haussement de sourcils intrigué.

-Mer...

-Marco ! T'es toujours vivant ?! »

Ruth les rejoignit à grandes foulées en toussant, et les deux jeunes hommes se tournèrent vers elle alors que les mots de Marco lui échappaient. Son regard se détourna de Jean à contrecœur.