Est-ce qu'on a appris à laisser un camarade se battre seul ?

OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance =

Zeek's Plan -

- Rittaikidou -

- Shingeki Pf –

Medley 20130629 Kyojin -

… ( ) …

Putain de soleil ! En temps normal, il ne la dérangeait pas, loin de là, Ymir l'accueillait avec enthousiasme car il représentait non seulement le début d'une nouvelle journée – et le lot d'opportunités qui allait avec – mais apportait un sentiment réconfortant de sécurité. De jour se tenaient les marchés ou les brocantes, là où elle faisait briller ses aptitudes tout en récupérant de quoi se remplir la panse. De jour, l'agitation de la foule détendait le froc des pacificateurs : plus discrets, et surtout moins agressifs, leur menace s'atténuait.

Le jour, l'insouciance régnait à Krolva et les chapardeurs festoyaient. Tandis que la méfiance abondait dans l'air nocturne et que faire profil bas l'emportait sur tout le reste. Tout de même, il suffisait de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre dans les vols à la tire, et ils ne risquaient jamais rien en pleine journée. Le soleil annonçait que leurs heures de gloire arrivaient, telle une bannière, c'était leur signal. Il affirmait que la journée était leur terrain de jeu, et il en mettait plein la vue à tout le District, à le clamer plus haut que les toits.

Au risque de rayer son disque, il fallait l'avouer encore et toujours : les choses avaient changé en un mois. Désormais, quand le soleil se pointait, il n'affichait plus l'ascendant des petits chenapans, mais bien le joug des Titans. L'aube paraissait alors qu'Ymir trimardait encore au beau milieu de la zone Sud.

Résultat : c'était comme si elle faisait du surplace dans la gueule du loup.

Quand était-elle devenue aussi suicidaire ? Depuis qu'elle s'était attaquée à plus coriace que prévu et sous-estimé deux demeurés, sûrement. Si l'Ymir de la veille surgissait de derrière les broussailles, elle lui foutrait une droite bien propre entre les dents !

Maintenant, elle trimait comme une débutante et n'avait d'autres choix que de rejoindre le Nord, où il y aurait le moins de tributs et de Titans. La brûlure qui lui lacérait le flanc, dès qu'elle faisait un geste trop brusque ou trop ample, lui rappelait constamment son nouvel objectif. Le manque de sommeil aussi. Sans une douleur aussi pressante pour la tenir éveillée, elle passerait son temps à bâiller à s'en décrocher la mâchoire.

Pour l'heure, ce qui l'agaçait le plus – hormis les bosses du terrain qui manquaient de la faire trébucher et d'aggraver sa blessure à chaque réception in extremis – c'était l'impression qu'un couteau se remuait de lui-même dans la plaie à chaque pas. Elle avait vérifié un paquet de fois, mais elle recommençait : elle écartait sa main et baissait les yeux vers la forme ovale cramoisie qui tatouait sa peau blême. Ses contours noircissaient de plus en plus, à moins que la vision fatiguée d'Ymir ne lui joue des tours (vu comment la taillade brûlait, elle ne pouvait pas se cautériser toute seule ?). Non, plus de balle, tout allait bien.

Aller au Nord lui donnerait le champ large pour se reposer, dormir et guérir, loin des autres. Du moins, loin des plus forts qui n'avaient pas besoin de se terrer là-bas pour éviter les Titans. Ensuite, une fois remise sur pieds, elle pourrait reprendre sa chasse à l'homme.

Elle se raidit au bruissement de feuilles d'un buisson : un bruit étranger qui sonnait désormais comme une sirène d'alarme, et cambra tous ses muscles, prête à fendre sur l'ennemi et à ignorer la douleur lancinante dans ses côtes. L'oiseau s'enfuit à tire d'aile, arrachant un soupir las à Ymir. Cela dit, elle préférait tomber sur des piafs que sur des lourdauds nudistes.

D'un coup sec qui la fit grincer des dents, elle réajusta sa prise sur le balluchon et continua sa route. Le léger tintement des conserves qui s'entrechoquaient réveilla son ventre. Il se remit à gargouiller mais ce n'était pas le moment de faire une pause. Elle savourerait son stock de nourriture une fois à l'abri, après un bon petit somme. La faim ne causait même pas sa traîne, non, c'était la blessure qui la retardait considérablement ! Tant et si bien qu'elle piétinait encore dans la zone Sud, qui puait le Titan, alors que la matinée battait son plein.

Son regard de voleuse affûtée ne manqua pas d'accrocher un sentier qui se dégageait au beau milieu d'un amas de bosquets. Le passage avait été tracé par une arme blanche, à en juger par les marques de découpage sur les branches, pour faciliter la progression… et pour bien indiquer à des poursuiveurs comme Ymir que l'ennemi était passé par là ! Un tel niveau d'insouciance ne pouvait être que l'œuvre de crâne rasé ou des tourtereaux.

La tribut amochée détourna le regard et reprit sa route, non sans pester intérieurement. Si elle n'avait pas sous-estimé les couillons aux packs d'eau, elle aurait pu régler leur compte aux abrutis qui donnaient l'impression de vouloir se faire repérés, sans mettre sa vie en jeu parce qu'elle était trop épuisée. Il était trop tard pour regretter – et Ymir horripilait cette sensation plus que la douleur qui lui rongeait la hanche – mais elle aurait troqué toutes les conserves de son balluchon pour dégommer la tronche de l'Ymir de la veille !

L'Ouest et ses ennemis bêtes comme leurs pieds lui tendaient les bras, mais elle devait prendre ses distances fissa pour sauver sa peau. Ça lui faisait une belle jambe… Nanaba devait se fendre la poire devant la télé.

Au moins, elle n'avait pas encore croisé le moindre Titan, et elle s'en félicitait. Elle n'avait plus qu'à continuer sur sa lancée et elle pourrait roupiller sur ses deux oreilles à la tombée de la nuit. Après quoi, elle serait parée pour la seconde manche des Jeux.

Jean arracha son esprit du sommeil avec une secousse de volonté, pressé par les sons alarmants qu'il avait entendus dans son demi-sommeil. Mais son corps fourbu peinait à suivre. Alors qu'il tendait les oreilles, ses paupières essayaient désespérément de rester agglutinées entre elles. Avec un grognement d'effort, il s'arracha du sol qui vibrait et se releva, clignant frénétiquement des yeux pour cerner son environnement.

Ce n'était pas l'aube ! La lumière qui perçait au-dessus de sa tête était éblouissante, il avait dormi plus longtemps que prévu, et c'était un miracle qu'il ne se soit pas réveillé entre les pattes avides d'un Titan ! Il grimpa hors de la crevasse en murmurant une série de jurons âpres, prenant soin de vérifier qu'il n'y avait aucun Titan dans son champ de vision avant de se hisser au sol. Il avait eu une chance incroyable. Il se frotta vigoureusement les yeux pour se débarrasser des dernières traces de sommeil.

Et il l'entendit à nouveau. Un hennissement.

Sa tête vira vers la source du son et il fronça sévèrement les sourcils, tous les sens aux aguets. Le sol tremblait sous ses pieds par saccades, et s'il était assez attentif, il pouvait entendre des bruits de cavalcade. Il comprit aussitôt la situation : un ou plusieurs tributs se faisaient poursuivre par des Titans et fuyaient à cheval. Ils devaient être sacrément appréciés pour recevoir un atout si tôt, et sacrément idiots pour se retrouver dans ce genre de situation même avec un avantage pareil. Et s'ils avaient un cheval, il était peu probable qu'ils aient des équipements.

De ce qu'il savait, parmi ceux encore en lice, les plus susceptibles de recevoir ce genre de faveur étaient Sasha, Marco ou Ruth...

Il étira brièvement ses doigts et les resserra autour de ses manettes, leur poids rassurant dans ses paumes. Il ferait mieux de déguerpir en vitesse, tant que les Titans qui les poursuivaient ne l'avaient pas repéré. Même avec un équipement tridimensionnel, il était à pied, et une cible facile.

Il tourna les talons mais la plante de ses pieds se ficha presque immédiatement dans le sol pour le freiner. L'image de Floch venait de se crocher à son esprit, et une vague de nausée se fraya un chemin depuis son estomac vide. Le corps déchiré, tout ce sang, ce dernier tressaillement qu'il se repassait en boucle dans sa tête, bordel, le reproche dans ses yeux... Un haut-le-cœur secoua sa cage thoracique, et il fit demi-tour sec, la mâchoire crispée, tout son corps tendu.

Presque comme un pilote automatique, ses doigts pressèrent les différentes détentes pour s'envoler vers la provenance du hennissement, qui résonna à nouveau. L'appel d'air lui claqua le visage, comme pour lui reprocher sa bêtise, et il était bien d'accord avec lui. Il était épuisé et affamé. Il courait peut-être droit vers sa mort.

Une nouvelle vision se superposa à celle de Floch, dansant derrière ses yeux, moins écœurante, plus douloureuse : Minha, qui avait presque l'air endormie, si ce n'était pour la tâche rouge qui décorait son épaule et la couleur blême de son visage. Il serra les dents presque assez fort pour endommager l'émail. Juste aujourd'hui. Il ne voulait pas voir un mort de plus quand il pouvait l'empêcher. Il avait déjà laissé mourir deux personnes, il ne voulait pas se carapater la queue entre les jambes quand il pouvait éviter à quelqu'un une mort aussi horrible ! Juste aujourd'hui, se promit-il.

Les bruits se rapprochaient. Un virage serré plus tard, il débouchait dans une zone moins boisée, juste à temps pour voir le cheval ruer et déséquilibrer ses deux cavaliers. Marco et Ruth, enregistra-t-il dans un coin de son esprit. Encerclés par une horde qui se refermait lentement sur eux. Son regard bondit de Titan en Titan pour évaluer la situation : un de trois mètres, deux de onze mètres, deux de sept ou huit mètres, et un de six mètres. Ils s'étaient mis dans une merde pas possible. Au moins, il n'y avait aucun déviant, ils étaient tous lents et patauds. L'adrénaline acheva de parcourir son système et il se sentit plus léger, prêt au combat.

Son grappin se ficha dans l'épaule du Titan de six mètres, et avec un cri de guerre déterminé il fonça droit sur sa nuque. L'entaille était tout juste assez profonde ! Il vrilla sur ses hanches et envoya ses grappins sur un des pins. La main d'un des deux plus grands se dressait sur son chemin, mais il taillada ses doigts pour atterrir souplement sur le bois.

-Ruth, non, attends ! »

La voix résonna, frappante dans le silence, suivie par le sifflement strident et le choc de métal qui indiquait un fumigène qu'on venait de tirer vers le sol et qui rebondissait pour envoyer de la fumée dans tous les sens. Mais quelle bande d'abrutis ! Il n'avait maintenant aucun moyen de les repérer, et la fumée n'allait certainement pas suffire pour détourner l'odorat anormal des Titans !

Il esquiva la main tendue du sept mètres et fonça droit sur la tempe du Titan de huit mètres, celui qui se trouvait un peu trop proche de la masse de fumée. Un plan commençait brièvement à se dessiner dans son esprit, un peu brouillon, mais il devrait faire l'affaire. Son talon s'abattit violemment sur la tempe de la créature, et Jean cafouilla et décolla d'urgence vers les hauteurs. Il avait perdu une bonne partie de son élan mais il était parvenu à attirer son attention.

Celui de onze mètres était déjà derrière lui, il était maintenant pris en sandwich entre ses deux nouveaux admirateurs, ceux qui étaient les plus proches des deux tributs, à l'exception de celui de trois mètres. D'un coup de grappin et de gaz pas loin de l'oreille du plus grand des deux, il se hissa vers le bras tendu du Titan et se mit à courir dessus. La sensation de marcher sur un objet qui bougeait également était un peu perturbante, mais il rajusta très vite son équilibre.

Exactement comme il l'escomptait, l'autre lui fonçait toujours dessus, et atterrit lourdement dans les pattes du colosse dans sa hâte de saisir Jean. Les deux Titans tombèrent à la renverse, Jean ayant déjà rebondi sur un arbre pour éviter d'être pris dans le chaos. L'accès à la nuque du huit mètres face contre terre était direct, et il n'hésita pas. Cette fois, l'entaille était bien profonde.

Il remonta aussitôt dans les arbres pour esquiver le sept mètres et reprendre son souffle, suspendu à la cime des pins. Ce dernier se plaqua avidement sur le tronc pour gratter de ses ongles sales la surface du bois. La poitrine de Jean se soulevait avec force, peinant à fournir assez d'oxygène. Il força sa respiration à se régulariser, et après une poignée de secondes de pause, il repartit à l'attaque, mâchoire serrée.

Il détacha ses câbles et courut à la verticale sur le tronc pour quelques pas. Le visage du Titan sembla s'écarquiller et il ralentit ses mouvements, la bouche entrouverte comme pour le réceptionner. Ha, pas aujourd'hui, pourriture ! songea Jean. Une fois à quelques centimètres du bras, il appuya tout son poids sur la surface et bondit en avant. Sa détente et son salto avant lui permirent de se retrouver face à la nuque de la créature, qui n'eut pas le temps de tourner la tête qu'il lui tranchait déjà les cervicales.

-Prends ça ! » s'écria-t-il avec fougue en effectuant une courbe horizontale pour se retourner, ses grappins perdus dans les hauteurs.

D'un coup d'œil, il vit que le gros dormeur de onze mètres essayait de rouler sur le côté pour se relever, et il devait profiter de l'occasion. Il décrocha ses grappins, flottant brièvement en l'air avant que la gravité ne cherche à reprendre ses droits, mais il avait déjà lancé les câbles à l'arbre opposé, frôlant la chair du Titan.

Il lui fonçait dessus à toute allure, mais il n'avait pas le temps de s'inquiéter de cette vision glaçante. Son adversaire se rendait compte qu'il se jetait droit dans la gueule du loup et tendait une main balourde vers lui. Il aurait pu agripper ses câbles, mais Jean les rembobina immédiatement et vrilla violemment ses hanches pour envoyer ses jambes par dessus ses doigts dans un salto de côté, s'aidant de la pression salvatrice du gaz. Il atterrit lestement sur le bras du monstre et se propulsa jusqu'à son épaule, sautant pour taillader sa nuque exposée à l'aide de la gravité.

La vapeur lui frappa le visage et il trébucha en arrière de quelques pas. D'un même mouvement, il tapota ses bonbonnes de gaz et sonda la brume rouge. Il n'en avait pas autant consommé qu'il le craignait, et le Titan de trois mètres était invisible. Il jura et son esprit s'attela aussitôt à la dure tâche d'estimer sa position dans le nuage. Au vu du temps écoulé, et de la vitesse qu'il avait...

Il envoya ses câbles dans le vide en priant pour ne pas blesser les deux tributs ou le cheval, dont il ne percevait plus la présence. Il sentit les grappins se ficher dans de la chair, molle et dense. Avec un petit sourire satisfait, il sauta de terre et se laissa emporter presque au ras du sol. La fumée lui caressa les joues mais lui brûla les yeux, et il retint brièvement sa respiration. Ça avait tout l'air d'être sacrément toxique !

Heureusement pour lui, le Titan de trois mètres se tenait au milieu d'une zone plus éclaircie à l'intérieur du nuage. Malheureusement pour lui, il s'était tourné face à Jean et l'attendait à bras ouvert.

-Pourriture ! » grogna Jean en découvrant le spectacle.

Il modifia son angle de chute et accéléra, les jambes tendues pour passer droit sous celles du Titan. Ses bras ballots avec lesquels il essayait d'enlacer le jeune homme refermèrent leur étreinte mortelle à quelques centimètres de sa tête, mais il lui échappa. Jean roula hors de portée et tournoya sur ses appuis pour envoyer ses grappins se crocheter aux deux épaules. Les commissures de ses lèvres étirées en un sourire un peu fou, il fonça en avant et se propulsa pour lui trancher le cou avec toute l'énergie dont il était capable.

Dès l'instant où le câlineur de service tombait au sol, il s'élevait vers la cime pour reprendre une respiration bien méritée. Il avait eu l'impression que sa gorge s'était refermée sur elle-même l'espace d'un bref instant !

Il jeta un coup d'œil vers le dernier colosse qui commençait à mettre les pieds dans la fumée -un hennissement retentit, mais il n'était pas sûr que leurs propriétaires soient juchés dessus. S'il se débrouillait bien, il pouvait terminer ça avec un seul coup de grappin ! Ses yeux scannèrent frénétiquement l'espace, son cerveau turbinant à cent à l'heure, mais il ne se laissa pas plus le temps de réfléchir. Il pouvait le faire.

Il projeta son grappin sur un arbre juste à côté du visage de son dernier adversaire, ce qui eut l'effet escompté: il s'arrêta et tourna son regard vers Jean, comme on tourne le regard vers un moucheron par lequel on a pas envie de se faire embêter. Jean fonçait droit vers le sol et en profita pour trancher la main qui se tendait doucement vers la brume, sûrement pour essayer de choper un des tributs. Puis il redressa sa position et effectua un virage serré autour du tronc: il rembobina ses câbles alors qu'ils étaient toujours accrochés, ce qui le faisait monter plus vite en même temps de virer.

Il atterrit juste derrière le cou du Titan et retint toute expression de soulagement à la justesse de ses calculs. Ce n'était pas encore fini ! Il rengaina définitivement ses câbles et utilisa l'inertie et la pression du gaz pour déchirer sauvagement sa nuque dans son passage. Le bout de sa lame droite resta fichée dans la chair et une profusion de jurons lui échappa instinctivement, mais il avait quand même réussi son coup.

-Attention en bas! »

Il tournoya et s'appuya sur la tête du Titan qui s'écroulait, et sauta en l'air au dernier moment avant l'impact pour éviter de se faire emporter, puis ratterrit sur le crâne de son dernier trophée de chasse.

Sa respiration était lourde, pesante, son cœur battait à tout rompre dans sa cage thoracique, ses yeux fouillaient l'horizon à la recherche d'autres Titans, il cumulait tous les signes d'un combat bien mené. Et il était toujours vivant. Il n'avait pas perdu un cheveu, et il avait massacré six Titans à lui tout seul.

L'élan de fierté et de soulagement qu'il retenait depuis un certain temps lui balaya le visage, un jet d'air qui l'incitait à relever la tête et redresser les épaules, à contempler avec un sourire féroce les cadavres fumants des Titans. Il avait réussi, il avait sauvé quelqu'un, il s'était battu, et la sensation était grisante.

Il inspira l'air des lieux, empreint de la fumée âcre du nuage, de la vapeur chaude des corps, de la rosée imperturbable du matin, de l'odeur de la forêt humide. C'était un air lourd, chargé de sens et de subtilité, bien plus riche que l'oxygène étroit qui lui avait à peine rempli les poumons pendant son entraînement. Et ce n'était certainement pas seulement parce que la forêt vierge lui avait manqué.

Ravivé, il se tourna vers le sol avec un reste de demi-sourire, et ses yeux tombèrent sur Marco.

Le jeune homme avait les yeux rivés sur lui, bouche bée. Il sauta à terre en vitesse avant de se prendre la vapeur du Titan dans la face, et atterrit juste devant Marco.

-Ça va, pas de casse ? »

Marco ne lui répondit pas, occupé à le dévorer de ses prunelles marron, et Jean se demanda s'il s'était cogné la tête en tombant de cheval. Cela dit, le choc de se retrouver encerclé par des Titans aurait réduit tout non-initié à un légume, donc il pouvait comprendre. Marco secoua la tête, et commença à ouvrir la bouche pour parler, mais Jean n'eut pas le temps d'entendre ce qu'il avait à dire, car la voix de Ruth résonna depuis la fumée :

-Marco ! T'es toujours vivant ?! »

Elle déboula à leurs côtés en toussant à s'arracher les poumons. Elle aurait dû s'éloigner du nuage dès qu'elle en avait eu l'occasion ! Elle jeta un œil aux cadavres de Titans, à la lame brisée de Jean, à la tronche de Marco, et ne fut pas longue à faire l'addition.

-Merci, déclara-t-elle laconiquement mais sincèrement.

-Oui, merci Jean, ajouta Marco.

-Pas de souci, vous avez eu de la chance que je passais dans le coin, déclara-t-il en rengainant ses lames poisseuses de sang fumant. Évitez le centre, c'est là qu'ils ont été lâchés. Partez plutôt vers le Nord, je crois qu'il y a moins de monde. »

Il commença à tourner les talons, mais son oreille interne tournoya trois fois plus vite que prévu et il sentit le sol se dérober brutalement sous ses pieds.

-Wow, attention ! »

En une seconde, le bras de Marco cingla en travers de son chemin et s'enroula autour de son torse pour le retenir, et il se retrouva solidement maintenu en l'air par la force du jeune homme. Ses jambes tremblèrent sous l'effort de se redresser, mais Marco n'eut aucun mal à le soutenir et l'aida à reprendre ses appuis, une main inquiète sur son épaule alors qu'il hochait la tête vers lui pour le remercier avec un soupir las.

-Ça va ? s'enquit aussitôt le jeune homme, la voix pleine de sollicitude.

-Tu m'as pas l'air d'avoir beaucoup dormi, toi, je me trompe? » asséna Ruth.

Jean se retourna vers elle et acquiesça, méfiant. Qu'est ce que ça pouvait lui faire, à elle ? Autant Marco était naturellement inquiet pour tout le monde et bienveillant, autant Ruth qui lui posait des questions sur son état de santé et de vulnérabilité, il trouvait ça suspect.

Il sentit la main de Marco presser son épaule et se tourna à nouveau vers lui pour découvrir un pli soucieux entre ses sourcils.

-On va pas te laisser comme ça. » déclara-t-il avec ferveur.

Ruth poussa un soupir sec mais hocha la tête.

-Fais une alliance avec nous, proposa-t-elle de but en blanc. Ça te permettrait de dormir.

-Qu'est-ce que vous y gagnez, vous ? demanda Jean en ignorant l'inspiration brusque de Marco, qu'il ne saurait interpréter de toute façon.

-Ha, des chances de survie en cas d'attaque de Titan peut-être ? rit-elle. Et puis on aura besoin de tes compétences. »

Jean la scruta du regard avec suspicion, mais tout son corps lui hurlait d'accepter la proposition. Si Marco n'était pas là pour le soutenir, il aurait déjà embrassé le sol tête la première.

Il devait lutter férocement avec lui-même pour prendre la peine d'y réfléchir. C'était tout à fait possible qu'ils profitent de la nuit à venir pour le tuer à deux dans son sommeil, vulnérable et épuisé comme il était. C'était une tactique courante, et il était cruellement en position d'infériorité.

En même temps, il venait de leur sauver la vie, en éliminant six Titans, et vu le réflexe qu'avait eu Ruth d'envoyer un fumigène, ils allaient avoir besoin de son aide et de ses informations. À l'évidence, ils n'avaient pas reçu une formation aussi approfondie que la sienne sur les Titans. En même temps, s'il était si compétent à leurs yeux, il représentait peut-être un danger plus grave que les Titans. Et d'un autre côté, Ruth était très calculatrice elle aussi, donc elle avait probablement déjà pensé à cette éventualité, et avait quand même choisi de lui proposer une alliance. Pour aujourd'hui au moins, il pouvait accepter.

À cette pensée, il sentit ses genoux vaciller et se rattrapa avec un pas en avant. Dans le même mouvement, Marco suivit son geste et sa main jaillit pour enserrer son autre épaule, juste le temps qu'il se redresse, et le relâcha presque immédiatement. Jean se tourna pour croiser le regard du tribut qui le dépassait de quelques centimètres, et y vit un tourbillon d'émotions, où la gratitude dominait. Il se félicita d'avoir pris le temps de prendre les choses rationnellement avant de regarder Marco, car il savait qu'il était désormais entièrement persuadé de pouvoir faire confiance au jeune homme.

-C'est d'accord.

-Parfait, annonça-t-elle en claquant ses paumes. Bon, on était partis chercher une nouvelle base, donc on va aller vers le Nord. Je prends les affaires, Marco, tu tiens Buchwald par la bride, et Jean tu dors sur le canasson.

-Attends, quoi ? Non, c'est n... ! se récria Jean.

-Si, tu dors, intervint Marco. T'en as besoin.

-Je suis pas un gamin, je sais gérer, déclara-t-il, bourru. Je dormirai quand on aura trouvé une cachette.

-Mais si on trouve des Titans pendant qu'on cherche notre cachette ? argua Ruth avec un haussement de sourcil sceptique. Comment tu vas t'en occuper si tu peux même plus tenir debout ? »

Jean voulut protester, mais il sentait à un niveau très instinctif que si Marco le lâchait, il donnerait raison à la jeune fille. Peut-être que le plus grand l'avait senti aussi.

-Dors et aide-nous quand tu iras mieux. » déclara Marco avec finalité.

L'autorité qui transparut dans le ton du jeune homme surprit Jean. Il ne s'attendait pas à se faire balader par les deux tributs comme ça. Est-ce qu'il était leur nouvel allié ou leur nouveau bambin ?! Presque aussitôt, Marco haussa la voix pour appeler Buchwald, toujours sans le lâcher. Le cheval rappliqua assez rapidement, et se mit docilement en position devant le jeune homme.

-Brave Buchwald, lui murmura Marco, probablement plus par réflexe, en lui caressant brièvement l'encolure. Présente lui ta main, pour qu'il te reconnaisse. »

Jean obtempéra avec un brin de crainte. Le garrot du cheval lui arrivait presque au visage, il respirait fort, et ça faisait longtemps qu'il n'avait pas chevaucher. Une fois fait, il agrippa le pommeau pour se préparer à se hisser, et grommela intérieurement : l'étrier était vachement plus haut que ce qu'il croyait ! En reculant, il sentit le contact avec la main de Marco dans le bas de son dos, comme prêt à le réceptionner au moindre problème. Il venait de tuer six Titans et il se faisait traiter comme une poupée de porcelaine !

Lever la jambe lui demanda un effort considérable, mais il parvint à bloquer son pied dans l'étrier, et se hisser exigea toute la maigre concentration dont il disposait encore. Il manqua de vaciller, mais la main de Marco soutint à nouveau sa hanche et l'aida à retrouver son équilibre, jusqu'à ce qu'il se retrouve enfin avachi sur la selle du fameux Buchwald.

-Merci, murmura-t-il dans un souffle fatigué.

-De rien. » répondit Marco sur le même ton.

Surélevé, il profita de la vue pour sonder les environs, et son regard tomba sur un autre Titan qu'il n'avait pas repéré auparavant, allongé à terre, et les yeux braqués sur lui. Il n'avait plus la force d'écarquiller les yeux, mais sa respiration tressaillit. Marco suivit son regard, et son sursaut ne lui échappa pas.

-Il ne devrait pas nous poser de problème, je ne crois pas qu'il puisse se relever vu la taille de ses bras, affirma le jeune homme avec un sourire contrit. On peut le laisser là. »

Il y avait une once de supplication dans sa voix, et Jean était trop fatigué pour y réfléchir plus longtemps. Il se contenta d'acquiescer.

Marco fit avancer Buchwald presque immédiatement et il dut puiser dans ses dernières forces pour se maintenir en selle. Il serra les cuisses et le pommeau et se laissa entraîner dans un rythme lent. Lent car Marco pouvait marcher à côté du cheval sans se forcer, et ils ne profitaient pas du tout de l'avantage de vitesse qu'offrait une monture.

-Tu peux aller plus vite, dit-il alors que Ruth partait devant d'un bon pas.

-Pas la peine, déclara Marco en secouant doucement la tête. Dors, on te réveillera si un danger approche. »

Jean hocha la tête, incapable de protester plus longtemps. Il avait fait de son mieux pour être bourru et méfiant, mais il ne pouvait plus lutter. Désormais libérées du devoir de le tenir debout, ses jambes pendaient mollement et il ne les sentait presque plus. Chaque petite secousse demandait à son bassin et ses abdominaux un effort atroce pour ne pas basculer, et il finit par trouver une pose confortable qui lui en demandait le moins possible. Sa tête dodelinait sans pouvoir se maintenir droite, et ses paupières papillonnaient déjà en abondance.

Quelques minutes de silence rassurant et de balancement constant suffirent à le faire sombrer dans un demi-sommeil éreinté, où son esprit plongea mollement dans une mélasse enveloppante et dénuée de rêves.