J'aimerais que tu m'écoutes sans te fâcher
OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance = - Titan Fem~9chiku -
- Shingeki Pf 20130218 Kyojin -
- Omake-Pfadlib -
- Shingeki Vc-Pf 20130218 Kyojin -
- Aots2m #3-
…()…
-Jean, Minha ! Il faut que vous alliez faire quelques recherches à la biblio ! déclama précipitamment Hansi en claquant la porte ouverte du salon.
-Et pourquoi ça ? » interrogea Jean en relevant un sourcil et en reposant la tasse de café bien noir et bien corsé qu'il venait de porter à ses lèvres.
Minha se contenta de lever le nez de ses précédentes notes pour dévisager leur mentor avec une expression dubitative.
-Qu'y a-t-il, Hansi ?
-J'ai oublié de vérifier quelque chose dans le traité de James Ham' aiyai ! Allez-y pour moi ! »
Jean sentit une réplique lassée rouler fluidement sur sa langue mais la retint à la dernière seconde, laissant le temps à son cerveau de raccrocher les wagons. Très franchement, Hansi pouvait y aller. Mais c'était toujours plus intéressant d'envoyer ses propres recrues, au cas où il y avait des alliances à former, n'est ce pas ? Il scruta le visage de leur instructeur et fut récompensé par un large sourire innocent -et toujours un peu fou- qui lui confirma tout ce qu'il avait besoin de savoir.
Avec un soupir, il avala une unique gorgée, reposa sa tasse sur le côté, fit le tour de la table, récupéra son sac avec son carnet et se dirigea vers la porte. Minha le rejoignit dès qu'elle eut rangé ses propres affaires. Le pouce en l'air que leur adressa Hansi et les dernières instructions pour retrouver l'œuvre en question le firent sourire. Parfois, iel manquait complètement de discrétion.
-Elle...iel pouvait nous dire ça autrement, pouffa Minha alors qu'ils s'engageaient sur le chemin qui menait au grand bâtiment.
-Trop de fatigue, probablement. Je me demande même si ça lui arrive de dormir. »
Lui même se sentait assez lourd, avec la nuit pas terrible qu'il avait passée. Ils laissèrent le silence les envelopper alors que Jean considérait ce qui l'attendait sur les lieux, les mains dans les poches. Il y avait probablement un cortège d'intellos, ou pire, des types véritablement compétents qui venaient récupérer juste ce qu'il leur fallait de savoir. Il ne savait quelle attitude adopter face à ce genre de personnages.
En passant les portes, ses oreilles captèrent tout de suite des éclats de voix feutrés, et il serra les dents comme pour se préparer au choc. Minha pressa le pas, mais lui ralentit. Quand faut y aller... La perspective d'une alliance était rassurante en théorie, mais dans les faits, Jean ne savait pas trop avec qui il pourrait s'entendre. Certainement pas avec Eren, ça c'était sûr.
-Parfait, ça nous fait passer devant eux ! » se réjouit Minha en repérant la section qu'ils devaient rejoindre.
Elle s'était concoctée un petit plan dans sa tête, hein ? Jean laissa échapper un sourire, qui se rembrunit très vite. Les murmures diminuèrent quand ils entrèrent dans leur champ de vision, et Minha ralentit pour leur parler alors que Jean continuait sur sa route.
-Salut ! On peut se joindre à vous ?
-Oui, bien sûr. » répondit Samuel.
Jean risqua un coup d'œil et croisa le regard de Marco, l'allumé du balcon, le seul qui le regardait lui et pas Minha. Il avait l'air à sa place dans ce genre d'environnement, mais en même temps, Jean avait l'impression qu'il était capable de s'en frayer une n'importe où. Son expression était soigneusement neutre. Jean décida de ne pas s'y attarder et les dépassa, Minha courant pour le rejoindre.
-Tu devrais dire bonjour, aussi. C'est nous qui formons une alliance, pas juste moi. »
Jean acquiesça distraitement alors qu'ils récupéraient les bouquins du fameux James. Elle avait raison, mais il ne voulait pas prendre de décision hâtive. Il n'avait même pas encore cerné la moitié des gens présents.
Ils rejoignirent la troupe juste après, Minha s'asseyant à côté de Marco et Jean à côté de Samuel. Il y avait également Sandra, la disciple de Levi et partenaire de Floch, et Thomas, le partenaire de Sasha et disciple d'Auruo. Au moins, les noms étaient rentrés, c'était déjà ça.
-Vous vous êtes faits expédiés aussi ? sourit Thomas.
-Oui, et de façon pas très discrète, sourit doucement Minha. Sur quoi vous êtes venus vous informer ?
-On essaie de faire une liste de tous les types d'armes à disposition pendant les jeux, et ceux qu'on peut demander en plus, répondit Samuel en feuilletant son manuel. Apparemment, c'est possible d'obtenir une arme qui n'est pas initialement dans le matériel du premier tour, mais il faut s'être sacrément bien débrouillé.
-En tout cas, c'est ce qu'on a déduit en voyant ce qu'ils nous mettent à disposition ici, ajouta Marco.
-Toujours plus de manières de nous forcer à leur faire de la lèche, quoi. » lâcha Jean.
Cinq paire d'yeux se dardèrent sur lui, et il se mordit la joue pour conserver une expression indifférente. C'était pas le moment de déblatérer tout ce qu'il avait sur le cœur, et surtout pas à des étrangers ! Il poussa un soupir de soulagement quand Minha intervint pour poser une question. Elle ne laisserait pas la conversation devenir trop tendue par sa faute, et savoir qu'elle faisait office de filet de sécurité le rassérénait.
Pour se redonner contenance, il saisit un des livres et le feuilleta, puis s'arrêta à une page qui détaillait le fonctionnement de l'intérieur d'un pistolet, et plus particulièrement la composition de la chambre. La conversation faisait écho à ce qu'il lisait :
-Et du coup, plus la chambre est striée, plus le tir est précis, expliquait Sandra.
-Je vois, acquiesça Minha en jetant un œil à l'image que la jeune fille lui montrait par-dessus les bras de Marco, qui avait pris la peine de reculer pour leur laisser de l'espace. Mais si c'est ça qui décide de la précision, qu'est ce qui décide de la puissance ? Je suis désolée, je n'y connais rien... »
Jean ricana légèrement et se vit gratifié d'un regard désapprobateur de la part de quelques uns et de Marco. Le jeune homme ajoutait à son malaise : il le détaillait en silence, sans rien dire, et pourtant il avait l'air de mourir d'envie d'ajouter son gros grain de sel pour critiquer son attitude. Ou alors c'était simplement le stress de Jean qui prenait le meilleur de lui-même, encore. Comme quoi, rien de nouveau sous le soleil.
-Ça se mesure à la taille de balle qu'ils peuvent contenir, indiqua Samuel avec un petit sourire. Le calibre, quoi. »
Ils étaient tous tout sourire, et pourtant bien droits sur leurs sièges, comme s'ils étaient prêts à s'enfuir au moindre geste suspect, nota Jean. C'est à peine s'il le remarquait chez Marco, mais c'était bien visible chez Samuel et Sandra. Et leur tension se répandait dans la pièce, jusqu'à lui. Les mains crispées sur les pages, il en sentait les filaments visqueux se rapprocher et l'encercler, lui caresser la nuque pour y déposer une fine couche de sueur froide. Lui aussi avait envie de partir en courant maintenant.
Tais-toi, se morigéna-t-il alors qu'il sentait sa bouche s'ouvrir. Tais-toi et ne fais pas tout péter.
-Et donc, intervint-il quand même, quels modèles on aura à disposition pendant les jeux ? »
Son ton était tranchant pour rien, mais Marco ne s'en soucia pas et lui répondit avec un sourire. Non, il ne souriait pas, mais son expression était si ouverte qu'il l'avait cru.
-Bertholt m'a dit que ce sont toujours des revolvers.
-Donc ce sont les armes les plus efficaces qu'on aura ? continua-t-il en pointant un schéma de l'objet en question. Vous vous rendez compte qu'avec ça l'un de nous pourrait flinguer tous les autres ici en moins de deux ? C'est vraiment pété... »
Un vent glacé et impalpable balaya les lieux, et cette fois Jean se mordit l'intérieur de la joue jusqu'au sang. Ils étaient tous soigneusement restés au bord du gouffre pour continuer à avoir une conversation décente et civile, et comme un con, il avait décidé de plonger la tête la première dedans !
Le soupir lassé que poussa Sandra le pétrifia sur place et l'empêcha de se ridiculiser encore plus en se frappant le front comme un dément devant eux.
-Oui, ce sont les armes les plus efficaces qu'on aura, confirma Thomas avec une expression forcée. En tout cas pour la distance.
-Qu'est ce qu'on a d'autre, du coup ? »
Il fit attention à garder un ton neutre et à relâcher le froncement de ses sourcils, et vit les épaules de Minha se détendre sensiblement à sa tentative de comportement civilisé.
-Eh bien, arc, dagues, couteaux de lancer, quelques sabres je crois, les lames striées, des lances, des haches...Je crois que c'est tout, mais si on compte les fumigènes comme...
-Autre chose ? le coupa Jean.
-Les arbalètes, répondit Marco du tac au tac.
-Et combien y a-t-il de chaque ?
-Trente dagues et couteaux de lancer, répondit Sandra à contre cœur en consultant ses notes. Six sabres. Quinze arcs. Vingt équipements tridimensionnel donc le double de lames striées au moins. Cinq haches. Quatre lances et une arbalète.
-Hah. Tordant. »
Un bref silence suivit son expiration railleuse. Comme s'ils attendaient la suite.
-Qu'est ce que tu veux dire ? demanda Minha.
-Ça fait beaucoup d'armes pour seulement vingt quatre personnes, vous trouvez pas ? »
Il se laissa aller en arrière contre le dossier de sa chaise, une main agrippant le rebord de la table et l'autre serrée dans sa poche, alors que tout le monde le dévisageait.
-Ça laisse simplement plus d'opportunités pour tout le monde, avança Samuel.
-Tu parles, cracha Jean. Quinze arcs, c'est bien gentil, mais vous savez combien de temps et d'efforts il faut pour maîtriser l'arc ?
-Plus de dix ans. » intervint Thomas, l'air grave.
Jean agita la paume dans sa direction.
-Exactement. L'arbalète, c'est beaucoup plus facile à maîtriser, mais il n'y en qu'une seule. Les couteaux de lancer, ça demande beaucoup d'entraînement quand on y connaît rien. Les lances, c'est quand même vachement plus pratique et puissant pour des dégâts de mi-distance, et pourtant il n'y en a que quatre.
-Jean... commença Minha.
-Et les équipements tridimensionnels ? enchaîna-t-il en priant pour qu'on le fasse taire. Il en faut absolument, si vous voulez échapper aux Titans. Ça veut dire que même si personne ne meurt au premier tour, il y a quatre pauvres ploucs qui se retrouveront coincés par la première vague de Titans. Ils veulent vous donner l'impression d'être préparés et d'avoir le nécessaire, mais c'est tout le contraire. Ça les fait tripper de voir des incompétents se dépêtrer avec plus gros qu'eux. »
Au moment où il reprenait sa respiration, la chaise de Sandra raclait violemment sur le sol.
-J'en ai marre, déclara-t-elle. Si t'as rien de constructif à dire, je m'en vais. »
Un florilège de sons retentit, remplissant le silence grave que Jean avait provoqué : Samuel et Thomas qui la rappelaient, les livres qu'on refermait, les chaises qui raclaient le sol, les bruits de pas... Minha se leva aussitôt et s'engagea à leur suite, lui adressant un regard pesant qui lâcha une pierre dans son estomac. Il avait merdé.
Il ne restait plus que Marco, et Jean n'osait pas regarder dans sa direction. Depuis qu'il l'observait s'entraîner tous les soirs, il avait gagné un certain respect pour le jeune homme. Et la chose n'était probablement pas réciproque. Il avait encore laissé son tempérament l'emporter et ferma les yeux en entendant claquer la porte de la bibliothèque.
-Tu ne voudrais pas aller la rejoindre... ? »
La tête de Jean cingla vers le jeune homme. Il avait le menton dans la main, et le considérait avec une curiosité prudente.
-Pourquoi, tu veux plus voir ma sale tronche, mais contrairement aux autres t'as le cran de me le dire en face ? »
Il bloqua brutalement sa respiration, avec la ferme intention de garder le contrôle. Il avait l'air assez pathétique comme ça. Quand il fut sûr qu'il n'allait pas encore sortir une autre connerie, il poussa un soupir et se passa la main sur son visage fatigué. Excessivement fatigué pour quelques minutes de dialogue. D'ailleurs, c'était un miracle que Marco ne lui ait encore rien rétorqué.
-...C'est pas la peine, confia-t-il. Je préfère la laisser gérer ça toute seule, elle s'en sort bien mieux que moi. Il vaut mieux pas que je retourne mettre le feu aux poudres.
-Justement ! Tu ne devrais pas la laisser seule ! »
Jean dévisagea Marco avec un mouvement de recul, surpris. C'était la première fois qu'il l'entendait hausser le ton. Le jeune homme le fixait avec engouement, et il devait croire à ce qu'il disait, le bougre.
-Vous êtes coéquipiers, reprit Marco, c'est pas pour que tu la laisses tout faire. Tu devrais y mettre du tien et faire en sorte qu'elle n'ait pas à réparer les pots cassés en premier lieux. »
D'accord, donc lui aussi il s'y mettait ?
-On est aux Hunger Games, mon vieux, grinça Jean en s'efforçant de ne pas élever la voix, -il avait dit qu'il se contiendrait !-. La camaraderie bon enfant entre tributs du même district, c'est du chiqué. On est tous voués à se trahir mutuellement !
-Dans ce cas, estime-toi heureux qu'elle soit là pour t'assurer un début de jeux sauf ! Avec ton attitude et sans Minha, tu te tires une balle dans le pied dès le début.
-Mais qu'est ce que tu cherches à prouver au juste ?! s'écria Jean en plantant ses pieds au sol, un poing sur le bois, l'autre toujours dans sa poche. Que tu as une meilleure relation avec ta partenaire, peut-être ? Que toi, t'as aucune chance de te faire poignarder dans le dos parce que t'es si angélique et vertueux ? C'est drôle, parce que de ce que j'ai pu voir, vous vous parlez pas beaucoup. »
Il sentait le venin suinter de sa langue et entacher l'expression de Marco, se distiller dans ses propres veines pour pétrifier tous ses muscles. Ce type avait officiellement un don pour venir taper sur ses nerfs les plus sensibles. Il ne savait même pas pourquoi il s'énervait à ce point.
Alors qu'il s'était redressé en écho à la position défensive de Jean, Marco retomba sur sa chaise comme un soufflé avec un soupir gros comme une montagne, la main sur le front.
-Non. Non, pas du tout, c'est juste que...t'as de quoi être un très bon partenaire pour les jeux. »
-Haah ?
-T'es honnête dans tes efforts et t'as les pieds sur terre : tu saurais toujours quoi faire… mais, pour une raison qui m'échappe, tu te caches derrière du dédain et de la provoc. Tu fais comme si t'étais juste lucide sur ton sort… mais j'ai plus l'impression que tu cherches à fuir, pas vrai ? »
Pendant quelques secondes, Jean n'entendait plus que le sang qui pulsait à ses tempes, comme s'il voulait absolument s'échapper et s'enfuir très loin d'ici, et les battements erratiques de son cœur. Il avait envie d'asséner quelques remarques sur ce que Marco disait de lui, de lui demander d'où il sortait tout ça... Mais son dernier commentaire le laissait sans force.
Une partie très puérile de lui voulait rétorquer aussi sec qu'il ne fuyait pas, au contraire, par rapport à eux, il était bien au courant de l'ironie de leur sort... mais Marco voulait parler d'autre chose. Il accusait Jean d'utiliser cette réalité pour fuir les autres, fuir l'idée de nouer des relations, fuir le risque de faire confiance à quelqu'un…et à lui-même. Et cette pensée provoquait un tourbillon débridé de confusion à l'intérieur de lui, qui venait faire trembler ses fondations.
Interdit, il ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois, sans rien trouver à dire.
-Jean ? »
Bien qu'il n'avait pas quitté Marco du regard, il lui fallut un moment pour que ses yeux se focalisent à nouveau sur le jeune homme, qui s'était levé pour se pencher vers lui. Ses sourcils étaient froncés, mais il avait l'air plus inquiet qu'autre chose. Inquiet de lui avoir balancer ses quatre vérités dans la tronche sans aucun tact ?
Il ouvrit la bouche en s'efforçant de trouver une réponse cette fois, mais fut interrompu par de nouvelles voix. Le fourmillement de sa nuque l'encouragea à se redresser et reprendre contenance.
-Oh ? Salut Marco ! »
Jean vit Marco se redresser subitement et agiter les mains d'un air embarrassé.
-Bertholt, Annie, Reiner ! Salut ! Qu'est ce que vous faites ici ? »
Jean se décida à se tourner vers les nouveaux arrivants, le coude sur le dossier de sa chaise, pour leur adresser un bref hochement de tête. Il croisa le regard inquisiteur de Reiner. Est ce qu'il avait entendu ? Non, il se contentait probablement juste de lire l'atmosphère tendue. Bertholt aussi semblait l'avoir capté, car il se mit à balbutier nerveusement :
-On ne vous dérange pas ? J'ai vu d'autres partir, peut-être que vous étiez sur le point de...
-Oh non, pas de souci. » le rassura Marco.
D'un autre côté, il avait presque toujours l'air gêné, le pauvre. Ils vinrent les rejoindre à leur table, et ce sans même aller chercher de bouquins. Ils n'essayaient même pas de faire illusion...
-Comment ça se passe, en ce moment ? demanda Bertholt. Pixis râlait sur le fait que Ness était introuvable ces derniers temps...
-Peut-être seulement au bar, alors, rétorqua Marco non sans continuer de jeter des regards en coin à Jean. Il est très présent avec nous.
-De toute façon, intervint Reiner, il me semble qu'on a le droit de demander à changer d'instructeur si le nôtre se montre trop lacunaire dans son enseignement. Enfin, pour les districts qui peuvent se le permettre. Donc tu n'as pas à t'en faire, Bertholt. »
Ces paroles eurent le mérite de détendre considérablement le jeune homme. Pendant un moment, Jean les observa discuter, se demandant s'il pouvait partir sans avoir l'air trop suspicieux. Après tout, ils faisaient clairement comme s'il n'était pas là. Mais le regard de Marco l'épinglait sur sa chaise comme un piaf entre les serres d'un rapace.
-Et toi, Jean ? » intervint Reiner.
Il se retrouva soudain épinglé par d'autres regards perçants, et un frisson lui traversa l'échine. Combien de fois encore est ce qu'il allait se retrouver sous les feux des projecteurs aujourd'hui ?
-De quoi ?
-Comment te traites ton instructeur ? Hansi, c'est ça ? »
Jean plissa les yeux en direction de Reiner. Il n'aimait pas le ton de ce type. C'est comme s'il voulait le jauger et le découper en morceau pour le disséquer.
-Hansi nous traite bien, répondit-il avec un soupçon d'acidité, même si parfois on tient plus des cobayes d'expériences que des tributs. »
La réplique de Reiner se retrouva avalée par le retentissement des portes de la bibliothèque qui s'ouvraient avec assez de force pour aller cogner contre les murs. Ça sent l'incision dans le vernis du bois, ça. Et accessoirement, ça sentait la nourriture. Il fit volte-face en direction du hall, d'où résonnait des pas précipités, et l'instant suivant, Conny et Sasha pointaient le bout de leur nez dans leur allée.
-Je t'avais dit qu'il resterait des gens ! triompha Conny.
-Tche, vous savez vous planquer, dis donc ! »
Nullement dérangés par leur entrée fracassante dans un lieu destiné au calme et au travail, les deux rejoignirent la troupe à la table, sac plastiques en main.
-...Qu'est ce que vous faites là ? demanda Reiner.
-Vous devez absolument aller voir le resto asiat' de la dixième rue, il est sensass ! s'enthousiasma Sasha.
-Vous êtes les derniers qu'on a pas prévenus !
-Attends, attends, intervint Jean en se pinçant le nez. Me dis pas que vous avez ramené les restes dans la bibliothèque ? »
Les deux jeunes gens eurent le mérite d'avoir l'air au moins un peu penaud.
-Mais il en fallait pour tout le monde ! » protesta Sasha avec dépit.
À sa riposte, un éclat de rire clair retentit alors que Marco couvrait précipitamment sa bouche de son coude, bientôt rejoint par Bertholt, tandis que Reiner et Annie ricanaient doucement.
-Quoi ? s'offusqua Conny. On vous fait une fleur, vous savez ! Soyez reconnaissant, un peu ! »
-Désolé, c'est juste que... Vous êtes incroyables ! fit le jeune homme.
-Ça, on le sait déjà, argua Sasha. Il va falloir que tu précises ta pensée, mon cher... »
Jean n'entendit pas la suite, déjà loin. Il valait mieux s'éclipser maintenant avant d'avoir d'autres comptes à rendre.
…
Marco observa la silhouette de Jean qui s'éloignait avec un pincement au cœur. Son entrevue avec le jeune homme s'était déroulée à l'opposé complet de ce qu'il avait prévu. Non pas qu'il ait prévu grand chose, au contraire ! Il n'aimait pas présumer le caractère d'un individu ! Mais il devait avouer que son ton glacial, son expression fermée, son attitude provocatrice l'avait déstabilisé. Comme s'il marchait sur un fil tendu au-dessus du gouffre et que quelqu'un était venu faire s'écrouler son équilibre précautionneux. Que quelqu'un était venu percer la petite bulle qu'il avait préparée autour de lui.
Jean lui rappelait Ruth, réalisa-t-il subitement, les yeux écarquillés. La même froideur, la même acidité... mais pas les mêmes ressortissants. Cette deuxième réalisation passa comme une vague sur la première pour l'enrouler sur elle-même et l'envoyer s'écraser sur les galets de sa conscience. Il venait de parler à Jean, de communiquer. Au moment même où il avait remarqué que le comportement de Jean était nocif pour sa partenaire, il avait exprimé ses craintes. Et Jean lui avait répondu. Certes, avec une certaine verve, mais il avait entendu ce que Marco lui avait dit, et d'après ce qu'il avait vu dans son expression livide juste avant l'arrivée de Reiner, Bertholt et Annie, il avait l'impression qu'il avait aidé le jeune homme à comprendre quelque chose. Mais encore une fois, il n'aimait pas présumer.
Dans tous les cas, il ressortait de ce face-à-face bien plus serein qu'avec Ruth. Le menton entre deux doigts, il fixa le bois clair de la table et le dernier manuel qu'il tenait encore entre ses mains, songeur. Il y avait quelque chose qui manquait encore. Une petite voix qui susurrait à l'arrière de son crâne, cachée par les couches d'émotions qui l'empêchait d'y voir clair. Une petite voix qui lui disait qu'il y avait encore quelque chose à déduire de cet échange.
J'aurais dû faire pareil avec Ruth. Une inspiration de stupeur lui échappa et il posa doucement sa main devant sa bouche entrouverte. Si Jean était similaire à Ruth, et avait apparemment besoin d'entendre les choses dites clairement et sans détour pour communiquer, alors il avait tout fait de travers avec la jeune fille, et ce dès le départ ! Il s'était persuadé qu'elle avait besoin de temps, parce que lui aussi en avait eu besoin, pour accepter, digérer leur situation, mais au contraire ! Il aurait dû reprendre Ruth immédiatement sur son comportement, ne pas la laisser rentrer dans une routine aussi insultante à son égard. Il avait creusé sa propre tombe.
Il était trop tard. Il ne pouvait pas prendre la jeune fille entre quatre yeux pour recommencer. Elle était trop confortablement installée dans cette dynamique, et lui était trop épuisé mentalement pour encaisser ce genre de discussion. Une image lui apparut à l'esprit le temps d'un éclair : le lierre grimpant qui s'entortillait autour du chêne derrière leur basse cour. Il grimaça.
-Marco ! »
Il sursauta violemment sur sa chaise en sentant une large main se placer sur son épaule et presser doucement. Il fit volte-face vers Reiner, l'air probablement plus effrayé qu'il ne le voulait à l'expression inquiète que le jeune homme lui adressa.
-Ça fait quatre fois que je t'appelle, l'informa-t-il. Est-ce que ça va ? »
Marco resta interdit une brève seconde, le temps de revenir à ses sens et à son environnement.
-Oui, oui, tout va bien. J'étais juste perdu dans mes pensées. »
Le regard acéré de Reiner lui vrilla un trou dans la tempe et montrait clairement que le jeune tribut n'était pas convaincu, mais il eut l'air de s'en contenter.
-Tu veux manger quelque chose ?! proposa aussitôt Sasha en lui fourrant un plat dans les pattes. T'as l'air tout pâle ! Il faut que tu reprennes des forces ! »
Marco eut à peine le temps de pousser son livre sur le côté pour réceptionner la boîte de plastique qu'elle venait de jeter dans sa direction. Du coin de l'œil, il vit Bertholt rassembler tous les livres qui traînaient pour les placer au bord de la table, loin des deux terreurs qui distribuaient des parts à toutes les personnes présentes.
-C'est très épicé ce genre de cuisine, non ? demanda Bertholt avec un brin d'appréhension dans la voix.
Conny poussa un grognement désespéré et Sasha éclata d'un rire un brin machiavélique alors que le jeune homme rétorquait :
-Ça, tu peux l'dire ! »
Marco scruta le jeune homme avec curiosité, surpris par sa véhémence, et encore davantage en remarquant les traces de larmes séchées qui striaient ses joues. Aussitôt, il sentit son cœur se serrer d'inquiétude et se pencha pour chuchoter :
-Conny ? Est ce que ça va ?
-Mieux qu'il y a vingt minutes, t'inquiète pas.
-Comment ça ? »
Sasha administra une claque dans le dos de Conny et ce dernier grimaça brièvement alors qu'elle expliquait :
-Conny a perdu le pari, et comme gage, j'ai décidé qu'on allait manger les plats les plus épicés possible, parce qu'il supporte pas du tout ! Vous auriez dû voir ça d'ailleurs, ajouta-t-elle avec une expression un peu alarmée, à un moment j'ai cru qu'il s'était mordu la langue jusqu'au sang ou quelque chose comme ça.
-C'est tout comme ! protesta Conny. Je sais pas comment tu fais pour pas avoir la bouche en feu quand t'avales ces trucs !
-J'en déduis que tu tiens plutôt bien ce genre de cuisine ? dit Marco.
-Pas qu'un peu ! déclara Sasha avec panache. Je dois dire que je suis plutôt fière de me proclamer comme championne invaincue d'endurance à l'épicé.
-Invaincue, mais non pas invincible. » riposta Reiner avec un petit sourire en coin.
Marco crut voir un courant électrique surgir entre leurs deux regards, l'éclat crépitant de Sasha et la braise soigneusement couvée de Reiner. Les muscles de son visage se détendirent enfin, et il laissa un petit sourire éclore. Il entendit Annie expirer et se tourna vers elle. Son visage était toujours impénétrable, mais elle avait l'air détendu.
-Je te mets au défi, déclama solennellement Sasha, vaillant Reiner Braun, de ne pas laisser une miette de ce plat, et de le manger en moins de cinq minutes. »
-Je relève ton défi, intrépide Sasha Braus. »
Tout le monde pouffa à la déclaration de guerre, et Reiner se pencha en arrière pour s'adosser à sa chaise et croiser les bras, la cage thoracique peut-être un peu plus gonflée qu'à son habitude. Marco remarqua le petit sourire que Bertholt avait aux lèvres, comme s'il se demandait s'il devait intervenir ou juste rester passif et profiter du spectacle.
-Je peux participer aussi ? » demanda Marco sur un coup de tête.
Toutes les têtes se tournèrent vers lui avec surprise et il ressentit le besoin impérieux de s'expliquer :
-Je tiens plutôt bien aussi, ma mère adore mettre beaucoup d'épices.
-Il faudrait faire un tournoi, alors ! s'enthousiasma Sasha en claquant ses baguettes. Que tout le monde ici fasse des duels pour voir qui tient le mieux ! Ah zut, il nous faudrait plusieurs plats par personne pour ça.
-Non, merci. »
Le ton d'Annie était sévère, presque boudeur, et Marco remarqua un léger froncement de ses sourcils alors qu'elle tenait son menton dans la paume de sa main. Elle n'aimait pas l'épicé ? À l'autre bout de la table, Bertholt hocha la tête d'un air entendu, et Marco devina que les deux ne devaient pas être très habitués à ce genre de cuisine. Il se souvenait qu'ils étaient amis d'enfance, et que Bertholt vivait avec sa grand mère. Peut-être que sa cuisine avait peu de goût ?
-Nan, y a pas moyen, argua Conny. Si moi j'ai souffert, vous souffrez tous.
-Non merci quand même, répéta Annie en lui lançant un regard mauvais.
-Conny, je ne crois pas que ce soit une bonne idée, intervint Marco doucement.
-Si tu étais au courant que c'était ton gage, dit Bertholt nerveusement, tu y es allé en connaissance de cause, c'est ta décision. Tu ne devrais pas forcer les autres. »
Reiner hocha fermement la tête et le jeune homme au crâne rasé poussa un râle d'amertume vaincu en se frappant la tête contre la table.
-Vous êtes pas drôle ! »
Sa remarque fut suivie d'un éclat de rire général, puis Reiner saisit le plat que Sasha lui avait confié.
-Par contre, il sont froids maintenant. Il vaut mieux pas qu'on les mange tel quel, c'est un cou à choper une intoxication alimentaire.
-Bouh ! Petite nature ! déclara Sasha en lui tirant la langue.
-Contrairement à toi, rétorqua Reiner avec une voix pincée, je tiens à mon estomac.
-Il y a peut-être un micro-onde dans le coin ? » suggéra Marco.
Aussitôt, la petite troupe se mit en quête de l'appareil en question, certains en gambadant et d'autres en traînant des pieds. Marco rit avec eux, soulagé d'être déchargé, même pour quelques instants, du poids qui lui pesait sur les épaules. Il reviendrait à ses considérations, probablement avant de dormir, mais en l'instant il profitait de la petite bulle de bonne humeur qu'ils lui offraient.
…
Christa descendit de tout son poids, sentant ses bras et son ventre trembler pour la maintenir à la hauteur exacte qu'elle désirait. Elle compta les secondes, puis se releva avec lenteur, soufflant à cause de l'effort. Elle tremblait moins, elle tenait plus longtemps que la semaine dernière.
Elle changea de position et ramena son torse du sol à ses genoux à un rythme soutenu. Le premier jour, elle avait eu une énorme pointe de côté. Maintenant, dès qu'elle sentait le moindre inconfort dans ses flancs,elle s'efforçait de bien expirer pour l'empêcher. Son corps se pliait de mieux en mieux à ses exigences. Elle se sentait plus souple, un peu plus agile, et plus forte.
Mais il n'y avait bien que sur son corps qu'elle avait le contrôle. Son esprit, lui, ne lui accordait pas un instant de répit et venait sans cesse ramener à la surface ses doutes, ses craintes, ses scrupules. Les paroles qu'elle cherchait à oublier. Elle se les ressassait sans interruption, et certaines particulièrement cinglantes venaient la frapper au cœur quand elle s'y attendait le moins.
Elle avait beau suer de toutes ses forces, la couche de transpiration n'arrivait pas à remplacer celle de sa culpabilité.
Tu nous fous quoi avec ton délire de gentille fifille ?
Bonne question. Elle se la posait elle-même tous les soirs.
Tu cherches un moyen de te faire pardonner parce que t'as abandonné ? Ou tu veux te laver des émotions dégueulasses qui pourrissent tes petites manières de princesse ?
Encore des interrogations, des accusations auxquelles elle ne pouvait pas répondre. Elle n'était même pas sûre de ce qu'Ymir avait voulu dire. Mais elle l'avait démasquée, et c'était cette terreur qui venait se nicher au creux de son estomac qui l'obnubilait.
Reiner se démène corps et âme pour toi. Et pourtant, tu lui caches ce que tu ressens vraiment. Ne crois-tu pas que c'est là manquer de respect à ses efforts ?
Non, au contraire ! Elle permettait à Reiner de s'adonner à son entraînement corps et âme. Ainsi, il pouvait acquérir des compétences qui lui seraient utiles pour survivre. Elle serait un poids pendant les jeux, mais pendant l'entraînement, elle était le catalyseur de la motivation de Reiner ! Elle devait le pousser dans la bonne direction, pas l'encombrer avec ses tourments !
Ne pas avoir peur de la mort, ce n'est pas vivre. Tu clames que tu n'as pas peur de la mort, mais tu fais ça pour dissimuler ta vraie terreur, Christa. Tu as surtout peur de vivre, n'est-ce pas ?
-aaAH ! »
Son poing s'abattit sur le mur de sa chambre et elle s'interrompit, la respiration lourde et la vision hagarde. Assez ! Elle ne voulait plus les entendre. Elle voulait que quelqu'un vienne s'emparer de sa mémoire, la triturer pour en retirer tout ce qui nuisait à la décision qu'elle avait prise. Que quelqu'un vienne lui apporter un peu de paix.
Si tu ne veux même pas essayer de vivre pour toi, Christa, fais-le au moins pour Reiner !
Mais je fais tout pour lui, justement ! s'écria-t-elle mentalement, une main sur sa tempe, les paupières fermement closes. Elle ne se faisait pas d'illusion : elle avait atteint le point de non-retour. Si elle révélait à Reiner ses projets, il prendrait tout de travers. Il lui demanderait pourquoi elle avait pris cette décision, pourquoi elle lui faisait si peu confiance, pourquoi elle rejetait tout ce qui faisait de lui ce qu'il était.
Petite, quand son père lui avait annoncé que Reiner était né ''pour elle'', elle en avait été enchantée. Elle s'était imaginée les histoires de ses livres, avec un prince au destin lié au sien pour l'éternité, un camarade qui ne la laisserait jamais se sentir seule. Non seulement elle s'était sentie seule malgré tout, mais elle avait découvert l'envers du décor, et les implications qui venaient avec le fait de vivre pour le bien de quelqu'un, et non pas pour quelqu'un. Au fil des années, elle avait vu Reiner changer. Un petit garçon timide et riant était devenu un jeune homme strict et stoïque.
Il avait lutté pour rentrer dans le moule que lui avait confectionné son père et monsieur Braun. Il avait travaillé de tout son cœur. Si elle lui disait tout maintenant, elle ruinerait tous ses efforts. Ce serait trop cruel. Elle voulait une cassure nette, franche, une absence irréparable, qui ne lui laisserait d'autre choix que de se préoccuper de lui-même et de la laisser partir. Si Reiner était né pour elle, alors Christa mourrait pour lui.
Il ne lui laissait pas le choix. Sa dévotion était obsessionnelle, voire maladive, ancrée par des années d'apprentissage, et elle était celle qui devait l'arrêter. Il ne pourrait pas s'arrêter lui-même.
Elle reprit ses exercices depuis le départ, les voix toujours plus bruyantes dans sa tête. Une nouvelle voix s'était ajoutée, plus petite, plus insidieuse, mais une voix qui était la sienne, et c'était ce qui la terrifiait le plus.
C'était à elle de libérer Reiner. C'était sa mission, et personne ne pourrait l'en empêcher. C'était sa mission.
J-19
