Je n'ai pas le temps de me demander si c'est juste ou pas !
OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance = - Symphonicsuite 7-B $ -
- Shingeki Gt 20130218 Kyojin -
- Call Your Name -
- The Reluctant Heroes (Modv) -
- Barricades (Movie Ver. / Instrumental) -
- Emaymniam -
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Buchwald s'ébroua et effectua un virage sec pour contourner le pin qui venait à leur rencontre. Sa monture renâcla et Marco lui tapota l'encolure en guise d'excuse. Voilà qu'il laissait Buchwald faire toutes les manœuvres ! Le jeune garçon resserra les reines, raffermit sa position, décidé à s'appliquer. Ce n'était pas en rêvassant qu'il réussirait son exercice… mais l'allure berçante du pas de Buchwald l'enveloppait dans une vicieuse torpeur. Chaque bruissement feutré de sabots sur l'herbe et la terre le recouvrait d'une nouvelle couche de velouté, identique à celle d'une couverture dans laquelle il s'emmitouflait, et le rapprochait de l'abysse du sommeil.
La canopée tamisait la lumière : dans un élan de générosité, elle cherchait à lui offrir un peu d'obscurité pour l'aider à s'endormir. L'atmosphère lui prêtait main forte, elle aussi : après le déluge de la veille, la température était rafraîchissante, douce à souhait. Parfaite pour s'assoupir. La forêt mettait tout en œuvre pour qu'il sombre…
Marco s'en voulait presque de n'avoir fait que ressasser les paroles de Ruth au lieu de dormir la nuit dernière. En ce jour, il n'était pas du tout apte à mener un exercice de traque et de discrétion. Le garçon aux cheveux noirs n'écoutait même pas les bruits alentours, alors qu'il était censé se repérer au son des oiseaux !
Le courant de ses pensées, qui se fracassait sur les rochers de son désarroi en un vacarme assourdissant, déséquilibrant, couvrait le moindre bruit. Hormis le pas régulier, ensorcelant, de Buchwald. Les chants des pics verts, des rossignols ou des pinsons se fondaient dans cette dissonance qui l'écartelait de l'intérieur. Entre apitoiement et appesantissement. Assiégé par la forêt, et par lui-même.
Lui-même, il ne savait plus qui c'était. Il devait l'oublier. Ruth l'avait rappelé à l'ordre la veille, il ne pouvait plus être l'ancien Marco. Il avait disparu le jour où la voix persiflante du représentant du Capitole l'avait appelé à monter sur l'estrade aux côtés de Ruth. Continuer à vivre en prétendant qu'il était toujours là, c'était s'empêcher de grandir et de se battre, étouffer dans l'œuf ses moindres chances de survie, et celles de Ruth au passage. C'était un serpent qui refusait de muer, qui traînait son ancienne peau avec lui partout où il allait, comme un précieux talisman, le souvenir d'une meilleure époque, morte bien avant lui, qui le laisserait agoniser seul. Un serpent inconscient du fardeau qu'il s'imposait, refusant plus que tout de laisser cette peau morte dépérir sur le coin de la route.
Il s'était voilé la face. Or Ruth, de sa voix tranchante, avait déchiré ce voile. Elle y avait pratiqué plusieurs incisions depuis leur arrivée, mais Marco était toujours repassé après elle pour le recoudre avec soin et ferveur. La veille, elle l'avait labouré, cisaillé, pourfendu. Et désormais, même la canopée des arbres ne pouvait atténuer l'éclat aveuglant de sa situation.
Les jeux l'avaient changé.
Il n'avait plus aucun repère. Tout ce sur quoi Marco aurait pu s'appuyer, des traits de caractère, des habitudes, des souvenirs, s'était évanoui. Et il venait tout juste de s'en apercevoir. Marco ne pouvait plus compter sur lui-même. Pour la première fois de sa brève vie, malgré la présence de Buchwald, il se sentait seul. Démesurément seul.
Sa poitrine l'étouffait à un tel point qu'il ne parvenait pas à se focaliser sur le chant d'un des trois oiseaux. Il devait en attraper un en se fiant à son ouïe, le ramener à Ness, puis le relâcher. Mais il ne trouvait aucun point d'appui pour se mettre au travail. Il avançait à tâtons dans une purée de pois d'incertitude et d'effroi qui l'intoxiquait. À la recherche d'une brèche qui lui indiquerait sans plus attendre comment s'atteler à sa tâche. Mais le brouillard s'épaississait.
Les oreilles de Buchwald obliquèrent en arrière. La culpabilité s'accrut en Marco et il porta la main à ses yeux pour imposer le noir, le vide, à sa vision aussi bien qu'à son esprit. Il contaminait Buchwald avec toutes ses ondes négatives…
Son compagnon devait se sentir aussi piégé que lui. Mais, dans le cas du cheval à la robe bai foncé, c'était son cavalier qui l'emprisonnait dans un tourbillon de pensées obscures. Un tourbillon qui avait beau les encercler, composé uniquement d'émotions, il se dissimulait dans l'atmosphère et ne conférait aucune protection contre la menace. Une quelconque menace. Ils étaient perdants sur tous les tableaux. Assaillis de l'intérieur et vulnérables de l'extérieur.
Un danger pouvait surgir des broussailles et les achever, ils étaient cernés. Marco s'efforçait de respirer avec calme et régularité pour se sortir ces idées cauchemardesques de la tête, quand un bruit de pas freina le courant assourdissant de ses pensées. D'un seul coup. Comme s'il l'avait frigorifié. Et ces pas qui craquaient sur la glace et les brindilles se rapprochaient de Marco. Il ne les avait entendus qu'au dernier moment, il ne pouvait plus fuir !
Il tira sur la bride. Buchwald freina donc en émettant un hennissement contrarié et Marco se raidit, il fléchit les genoux, se leva de la selle, les pointes des pieds dressées sur les étriers, prêt à détaler avec sa monture au moment de l'offensive. Si offensive il y avait… avec un peu de chance, songea-t-il, ce n'était qu'un lapin.
Ce ne fut pas un lapin, mais bien un être humain qui apparut derrière l'arbre. Il s'arrêta net et serra les poings en voyant Marco et Buchwald. Il était de grande taille, les cheveux aussi noirs que ceux de Marco et sa coupe au bol caractéristique permit au jeune garçon de le reconnaître sur le champ, malgré l'expression de surprise qui tordait son visage : Marlow.
Marco se laissa retomber dans la selle et détendit tout son corps. Même les oreilles de Buchwald pointèrent en avant, confirmant ainsi à son cavalier que Marlow ne représentait aucun danger. Pourtant, c'était bien Marlow qui semblait le plus effrayé d'eux trois. Des gouttes de sueur pointaient sur ses joues tandis que son torse récupérait, avec difficulté, le mouvement d'une respiration apaisée.
-Pardonne-moi… »
Marco contînt une petite exclamation de surprise. Malgré la frayeur qu'ils lui avaient faite, Marlow avait pris la parole et s'était excusé avant lui. Le jeune garçon avait envie de bafouiller quelque chose à lui répondre, mais Marlow poursuivit :
-Je t'ai fait peur et déconcentré dans ton exercice… Hitch m'a raconté que l'équitation faisait partie de ton entraînement. Je ne suis pas venu pour espionner, rassure-toi, juste me promener un peu durant mon temps libre, voilà tout. »
Il avait très vite repris son calme et s'exprimait d'une voix assurée. Cependant, Marco décelait encore une trace d'hésitation dans son regard.
-Oh, ne t'en fais pas pour ça, tout va bien. Je t'ai fait peur aussi alors je devrais tout autant m'excuser, sa voix s'estompait jusqu'à ce que Marco reprenne en la rehaussant. Mais t'inquiète pas pour mon exercice, j'étais pas très concentré de toute façon. Je te laisse imaginer l'horreur que c'est de guetter le chant des oiseaux dans un boucan pareil ! »
Il accompagna ses propos d'un petit gloussement pour finir de détendre l'atmosphère. Il n'avait jamais trop parler avec Marlow, il le connaissait de loin car il s'était vite construit une réputation de protestataire bruyant, malgré une nature assez réservée. Il l'avait donc surtout observé durant les Entraînements à 24. Marlow était du genre à s'enflammer une fois lancé sur un sujet qui déchaînait sa passion. Marco voulait s'assurer qu'aucun gaz combustible n'abondait entre eux deux.
Marlow se contenta de hausser un sourcil et de poser ses mains sur les hanches en changeant de jambe d'appui.
-Un « boucan » ?
-Euh, je voulais parler du boucan de la forêt… tu sais, le bruit du vent qui se faufile entre les cimes des arbres, les bruissements des feuilles. Sans parler de ses ronflements ! » expliqua Marco avec enthousiasme en se penchant pour caresser l'encolure de Buchwald.
Puis, il se redressa dans la selle pour refaire face à Marlow. Celui-ci hochait la tête sans grand transport d'intérêt, mais cela suffit à Marco pour qu'il se morde la lèvre. Il était en train de lui raconter son entraînement ! Il devait pourtant garder le secret de leur formation pour conserver l'effet de surprise le plus longtemps possible… Déjà que le Capitole disséminait quelques informations durant les « 24 », il ne pouvait pas empirer la chose et ruiner toutes les chances de Ruth par la même occasion ! C'était déloyal de sa part !
Son cœur battait de plus en plus vite à mesure qu'il prenait conscience de la gravité de sa situation. Comme un benêt, il avait lancé la conversation ! Il allait devoir l'arrêter, mais si Marlow posait d'autres questions auxquelles il ne répondrait plus, il prenait le risque de se retrouver confronter à l'ardeur explosive du jeune homme ! Marco agrippa le pommeau de la selle à en graver les traces de ses doigts sur le cuir. Il inspira du mieux qu'il pouvait pour recouvrer un semblant de tranquillité malgré les picotements dans sa cage thoracique.
-Ah, je vois. Un citadin comme moi n'est pas vraiment initié à tout ça. Stohess n'est pas réputé pour ses forêts. Mais j'essaie de rattraper le coup en marchant par ici, vois-tu. »
Une confidence. Pas une question. Marco n'en revenait pas. Avec tout ce qui s'était passé la veille, il avait oublié la sensation soudaine de légèreté qui allait avec le soulagement. L'air rentrait avec plus d'aisance dans ses poumons. Ses doigts se desserrèrent.
Le jeune homme à la coupe au bol se penchait pour regarder ses bottes, puis relevait la tête pour scanner un peu les environs et touchait son menton de la main. Apparemment, Marlow était plutôt calme, appliqué à contempler la forêt, et ne s'énerverait pas. Il était même probable qu'il ne fulmine vraiment qu'en présence du Capitole. Ce qui expliquerait ses bornés haussements de voix durant les interviews. Là où celle de Marco s'essoufflait en un petit son craintif qu'il s'efforçait de décrisper pour paraître naturel pendant que le miel qui dégoulinait des mots de Ruth l'engluait sur le siège. Pris au dépourvu, Marlow était du genre à montrer ses crocs, et Marco à serrer les dents. Ce n'était pas leur seule différence.
En regardant les interviews, Marco avait constaté que l'autre candidat ne souhaitait pas donner du sien aux jeux et préférait pointer du doigt toutes les injustices du système, les hurler sur tous les toits, un moyen pour lui de protester. Il était devenu assez admiratif de son panache, sans toutefois se laisser séduire par de telles méthodes. Démontrer ce qui n'allait pas était une chose, mais cela n'amènerait à rien. Marco préférait passer à l'action pour trouver la solution. Face aux jeux, il préférait tout donner et mourir pour la victoire de quelqu'un en qui il avait cru -il commençait à se faire à l'idée que cette personne n'était peut-être pas Ruth-, plutôt que de s'insurger devant les caméras et être alors tourné en ridicule.
Et il semblait que Marlow avait pris conscience de la position délicate vers laquelle son attitude l'avait conduit. Marco imaginait qu'il passait son temps à tout contester et remettre en question, quitte à manquer de sommeil et ne rien manger, qu'il s'épuisait émotionnellement. Pourtant, les cernes de Marlow avaient disparu, il se tenait plus droit et, malgré son gabarit mince, ses pommettes n'étaient plus saillantes. Soit Marlow s'était trouvé un nouvel objectif, soit il s'était fait une raison et envisageait désormais les jeux avec toute la résignation et le sérieux attendus d'un tribut ordinaire.
Marco fut alors pris d'une nouvelle angoisse : si Marlow était bel et bien devenu un tribut motivé à gagner les jeux, alors son attitude, d'apparence si calme, était peut-être le fruit d'une longue réflexion sur la meilleure façon de soutirer des informations stratégiques au District Neuf par l'intermédiaire de Marco !
Il devait fuir avant qu'il ne plombe à jamais les chances de Ruth. Il renforça son emprise sur les reines, prêt à indiquer à Buchwald de tourner. Marco devait fuir car l'expression apaisée de Marlow transperçait sa poitrine d'une fine pointe de jalousie. Maigre, mais agressive. Il horripilait cette sensation.
-Si je peux me permettre, tu m'as l'air soucieux… Ce n'est pas ton genre. Ça va ? »
Marlow levait la tête vers lui, le front plissé, les lèvres pincées. Marco n'en croyait pas ses oreilles. Tout dans cette phrase le submergea pour l'amener à s'apercevoir de quelque chose. Comme si Marlow venait d'arriver et d'apporter un peu de lumière pour aider Marco à faire le tri dans ses pensées. « Ce n'est pas ton genre » sous-entendait que l'autre candidat aussi l'avait observé pendant les « 24 », que Marco n'était pas le seul à passer sans vergogne les tributs adverses au crible fin. Et cela tranquillisa les battements de son cœur.
« Ça va ? », lui, manqua d'embuer ses yeux marron de larmes. Au frisson dans ses membres, Il comprit qu'il avait eu besoin d'entendre ces deux courtes syllabes. Ce n'était pas grand-chose, mais la lumière que Marlow lui avait apportée, il l'avait amenée en appuyant sur l'interrupteur qui se tenait à l'entrée de la pièce, tout simplement.
La gestuelle et les propos de Marlow le convainquirent qu'il était mûr et digne de confiance. De plus, il était suffisamment éloigné de son entourage pour que Marco ne s'inquiète pas des conséquences. Il veillerait à ne rien dire sur son entraînement, ni sur Ruth. C'était non négociable. Ils restaient tout de même deux tributs ennemis des Hunger Games.
Marco aimait à penser qu'il était un bon confident. Il allait devoir espérer que Marlow en soit un aussi. Il soupira.
-Oui, ça va… enfin… J-Je… L'échéance des jeux commence à avoir raison de mon calme, et avec ça, je doute un peu de ce que je vaux et de ce que je peux faire, annonça-t-il en s'efforçant de sourire.
-Ça n'a pas l'air d'aller bien, alors. »
La voix de Marlow était franche, directe, catégorique. Il était perspicace, mais son ton était aussi calme, doux, encourageant. À l'inverse de la voix tranchante de Ruth, celle de Marlow était réconfortante, un appui qu'il proposait à Marco.
-Je… »
Marlow inclina sa tête sur le côté, dubitatif. Marco contint un soupir, qui se transforma en un léger gémissement roulant au fond de sa gorge, et accepta de prendre appui.
-Non, t'as raison… Enfin, c'est pas comme si j'avais perdu toute motivation ! C'est juste qu'avec l'arrivée des jeux, je me rends compte que j'ai aucune raison valable de me battre… »
Marco jouait du bout des doigts avec les crins noirs de Buchwald, les nouant et les démêlant dans l'attente de la réponse de Marlow. Son petit rituel avec la crinière du cheval était presque comme un inoffensif charme qu'il effectuait afin de prier pour une réaction compréhensive de la part de Marlow, une preuve concrète qu'il ne s'était pas trompé sur son compte.
Il leva les yeux vers son interlocuteur. Marlow s'était adossé au tronc du pin, les bras ballants, le regard accroché au ciel.
-Je pense qu'on est tous plus ou moins passés par là, commença-t-il d'un ton pensif et mélancolique. Ceux pour qui ce n'est pas le cas ne tarderont pas, de toute façon. Les entraînements ne servent qu'à ça, au final ! Nous plonger dans le stress le plus total pour nous pousser à bout dès le début des jeux, et rendre le spectacle encore plus satisfaisant pour eux ! »
Il avait laissé sa voix exploser. Il reporta son attention sur Marco et baissa les yeux, les joues rouges.
-Je m'excuse, j'ai tendance à m'emporter quand on parle des Hunger Games. Je sais bien que c'est comme ça pour tout le monde. Tout le monde déteste les jeux. C'est ce qui a condamné notre vie, et la jeunesse paisible du seul d'entre nous qui survivra. On est tous perdants, dès le début, et ça fait peur. Mais… »
Marco l'écoutait parler, sans broncher, sans même hocher la tête, laissant chaque mot résonner en lui, faire le tour de son esprit. Si bien que le temps de pause marqué par Marlow ne le déconcentra en rien et il attendit la suite de ses paroles. Marlow, lui, releva les yeux vers le bleu du ciel et continua, son accent mélancolique désormais arrangé par une once de ferveur :
-Je pense qu'en se trouvant une ultime raison de vivre, et de se battre, en béton, on peut tenir le coup et mourir la tête haute.
-Et… tu l'as trouvée, ta raison de te battre, toi ? »
Marlow le considéra en écarquillant les yeux, il ne devait pas s'attendre à ce que la discussion dérive sur lui. Marco s'autorisa donc à en dire un peu plus à Marlow, pour l'encourager à lui partager la totalité de son conseil :
-Je veux dire… c'est ce qu'il me manque, une raison claire de me battre. À cause de ça, je développe une attitude contre-productive. J'ai des pistes, mais rien qui me paraisse solide comme du roc. Rien en quoi je peux croire. Et toi ?
-Quelqu'un à protéger. » lâcha Marlow en gloussant.
Son petit rire était attendri, pas du tout moqueur. Marlow cherchait juste un moyen d'alléger le poids de ses paroles et ce qu'elles voulaient dire pour lui. Cette personne à protéger, il l'avait trouvée, c'était certain. Cela expliquait tout le changement de mentalité que Marco avait observé sur l'autre candidat. Et Marlow venait de lui partager un peu de sa sagesse. Il gloussa lui aussi à ces paroles. Pour se redonner un peu contenance et lui assurer qu'il n'avait aucune raison de se sentir gêné, qu'il comprenait.
S'il y avait quelque chose que cette déclaration lui avait inspiré, c'était bien du respect. Il jeta un coup d'oeil sur le nœud de charme qu'il avait fait avec la crinière de Buchwald, le démêla à nouveau en songeant à ce que Marlow venait de dire. Ruth ne pouvait pas être cette personne. À moins que le nouveau Marco qu'il était devenu ne parvienne à se lier à elle. Peut-être qu'elle s'ouvrirait bientôt enfin à lui…
-Tu sais, t'as pas à te sentir gêné. »
Marco préférait rassurer le jeune homme de vive voix. Un sincère sourire se dessina sur le visage de Marlow. Léger mais sincère. Marco poursuivit :
-Je trouve que… »
Il allait continuer à partager son ressenti à Marlow quand il s'aperçut qu'il avait oublié ses bonnes manières ! Cependant, le « Merci » qu'il comptait lui adresser resta coincé au fond de sa gorge, n'osant pas sortir de son terrier après un retentissant :
-Ah, bah voilà que je te trouve enfin, Marloooooow ! »
Buchwald s'ébroua et Marlow se raidit, éloignant son dos du tronc d'arbre pour se planter droit comme un balai. Marco pivota sa tête dans la direction d'où était provenu le son. Il avait été trop concentré sur les conseils de Marlow pour prêter la moindre attention aux bruits de pas et de branches écrasées qui auraient trahi l'arrivée fracassante de Hitch bien plus tôt !
La jeune femme effectua une courbette devant Marco et dodelina de la tête en trottinant vers Marlow. Marco s'évertuait à apaiser Buchwald qui reculait de plusieurs pas, pendant que Marlow s'adressait à sa partenaire:
-Hitch, mais qu'est-ce que tu fais là ? Je te croyais aux magasins !
-Oh, tu sais… j'en ai fait tellement le tour que je les connais par cœur ! Il me fallait quelque chose de plus excitant ! Comme savoir à quoi tu occupais ton temps libre ! se justifia-t-elle dans un clin d'oeil. Et je dois avouer que je ne suis pas déçue !
-Qu... »
Elle l'empêcha de parler en agitant sa paume devant la bouche de Marlow.
-Attends-ttends-ttends-ttends ! Pas la peine d'en dire plus, très cher. Je ne suis que légèrement surprise par la tournure des événements. Qui eut cru que tu t'étais trouvé un amant champêtre à aller retrouver sous la canopée enveloppante des bois ? »
Marlow vit rouge tandis qu'Hitch jubilait. Elle se retourna l'espace de quelques secondes vers Marco, qui ne savait pas du tout comment réagir, et le salua avec enthousiasme de la main.
-Coucou, Marcooo ! chantonna-t-elle.
-Hitch, arrête un peu ton cinéma ! la réprimanda Marlow.
-Tu aurais pu m'en parler, tu sais ? l'ignora-t-elle en repartant à l'attaque de son coéquipier. Je suis très ouverte, là-dessus, sincèrement. Enfin, ce qui est fait est fait ! Dorénavant, ces aveux intimes dans la forêt à ta confidente de toujours resteront dans les annales !
-Qu-Quoi ? Quelles annales ?! Tu sais même pas de quoi tu parles ! s'offusqua Marlow.
-Ah ? Je ne t'ai jamais montré mon journal intime ? Je répertorie tout ce qu'il y a de plus croustillant dedans, il faut que je te fasse la lecture du « best-of » alors ! Ça te distraira, t'es un peu pâlot ces derniers temps !
-Euh… Alors… non merci ! »
Par malheur pour Marlow, Hitch lui saisit le coude et l'invita à la suivre. Le jeune homme était encore écarlate et se frottait les cheveux afin de remettre un peu sa dignité en place. Marco, lui, se retenait de rire.
Le comportement excessif de Hitch envers son camarade districtuel l'aurait presque mis mal à l'aise, et convaincu de venir en aide à Marlow, n'eut été son observation attentionnée qui laissait entrevoir une fine connaissance et un attachement débordant pour le jeune homme. Dans un simple « t'es un peu pâlot », Hitch avait balayé, d'un revers de son verbe, les doutes de Marco pour qu'ils se désintègrent dans le lointain. Alors, il répondit au salut énergique de Hitch en agitant la main.
-Allez, empoté ! On embarrasse le pauvre petit Marco avec ton numéro, là ! le pressa-t-elle un peu plus.
-Mais qui est-ce qui nous fait un numéro là, à ton avis? »
Marlow tourna la tête vers Marco, alors qu'Hitch continuait de l'entraîner vers l'orée de la forêt, et lui adressa un discret :
-Désolé.
-Y a pas de mal. » le rassura Marco en étouffant encore un rire.
Après une subtile inclination de son buste en guise de salut, Marlow, un sourire en coin, se laissa entraîné avec souplesse et docilité dans le sillage électrique de Hitch. Marco put entendre le babil incessant de la jeune femme et la voix grave, qui peinait à rester posée, de son acolyte le temps de trois battements de cils, avant que les sons ne se dissipent dans l'atmosphère verte.
La tempête du District Trois s'était retirée aussi vite qu'elle était survenue. Elle avait tout emporté sur son passage : l'inquiétude de Buchwald, le courant assourdissant qui avait hurlé dans les oreilles de Marco, l'étreinte oppressante de la forêt qui avait cherché à l'hypnotiser. Seul le concert des bruits naturels de la forêt subsistait.
Buchwald changea d'appui, Marco l'autorisa donc à reprendre leur marche par une douce pression des talons. Satisfait du vide qui s'était enfin fait dans sa tête, il tendit l'oreille et crut discerner les chants d'oiseaux qu'il lui fallait repérer. Le jeune garçon se réjouit de pouvoir à nouveau entendre les plus discrets des sons. De plus, la poisse qui avait pullulé dans ses veines depuis la veille, et l'avait démangé en tirant sur ses muscles et articulations, disparaissait. Elle ne se diluait même pas, sinon il en dénicherait encore quelques traces en lui. Il sentait bel et bien la raideur enfin quitter ses muscles. Elle se volatilisait. Aigrette de pissenlit s'évanouissant, hors de portée et de vue, dans le vent. Emportée par la tempête, elle aussi ?
Désormais attentif aux bruits qui l'entouraient, Marco reconsidéra les paroles de Marlow. Elles, et le cirque qu'il venait de voir, lui avaient fait l'effet d'une bouffée d'air frais, après tout. Tout portait à croire que Marlow avait trouvé sa personne à protéger en Hitch, et que cela lui avait fait un bien fou, il semblait nettement plus épanoui. Non, il ne s'était pas agi d'une simple bouffée d'air frais !
La venue de l'autre candidat avait glacé le fracas du courant de ses pensées. Et après l'intervention de Hitch pour le récupérer, les conseils de Marlow avaient fondu, relâchant ainsi le flot impétueux des émotions de Marco. Cependant, telle la fonte de la glace à la venue du printemps, Marlow avait non seulement émancipé le torrent en Marco, il l'avait aussi attiédi. Voilà pourquoi le jeune garçon n'était plus assourdi par le hurlement déchaîné qui n'avait eu de cesse de déferler contre ses tympans. Les courants, désormais tous à la même température ambiante, douce et plus sereine, participaient à l'écoulement calme, soutenu et plus paisible, presque harmonieux, de la rivière.
Elle demeurait encore quelque peu fraîche, mais Marco savait, au plus profond de lui, que les chaleurs de l'été ne tarderaient pas.
Il aspirait à suivre l'exemple de Marlow, à continuer ses efforts envers Ruth ou envers cette personne à protéger. Pas quelqu'un à qui il donnerait le peu de chances de victoire qu'il avait, mais quelqu'un à soutenir, assister et chérir durant les jeux. Sa raison de se battre. L'exercice impliquant de la discrétion, Marco rassembla ses forces pour se retenir de commander le triple-galop à Buchwald et laisser éclater son hardiesse.
…
Les trois bols de nouilles étaient en train de disparaître dans un concert de slurps enthousiastes, mais Jean avait beaucoup trop d'appétit pour se préoccuper des bonnes manières. Il avala goulûment trois gorgées de bouillon sous le regard amusé de Hansi, alors que Minha faisait de même.
-Alors, ça vous plaît ? déclara-t-iel en s'adossant à la rambarde. Des ''la mian'' au balcon un jour d'été, y a que ça de vrai !
-C'est super bon ! confirma Jean. Et c'est cool qu'on puisse mettre la dose d'épice qui nous convient.
-Ça veut dire quoi, ''la mian'' ? demanda Minha, se rappelant de justesse d'avaler avant de demander.
-Oh, ch'est he mot hinois pou' ''nouilles chautées'', ch'est tout. » répondit Hansi, qui n'avait pas ses scrupules.
Ils discutaient et mangeaient tranquillement, Jean savourait le repas et la sérénité du moment. Il déglutit avec gourmandise, et jeta coup d'œil au bref croquis des plats qu'il avait gribouillés pour patienter avant que Hansi n'arrive avec le sien. Il en était plutôt content.
-Il est réussi, intervint Minha, qui avait vu le glissement de son regard. On reconnaît les ingrédients, et t'as même réussi à retranscrire l'idée de vapeur et le reflet du bouillon. »
Jean resta silencieux quelques instants, surpris. Ses remarques étaient plus pertinentes que la dernière fois, dis donc.
-Il s'améliore ? demanda Hansi à la jeune fille, et le jeune garçon eut brièvement la vision et de sa mère et sa voisine qui discutaient à propos de lui alors qu'il était juste à côté.
-Je ne sais pas s'il progresse, mais il est très fort ! affirma la jeune fille avec aplomb. Jean, est ce que je peux lui montrer le dessin des nuages ? »
À nouveau, il resta silencieux un moment, puis finit par hausser les épaules et saisir son carnet posé sur la table d'à côté pour le passer à Minha. Il n'y avait pas de mal, et il était curieux de voir ce qu'elle avait à dire à une tierce personne. Minha le remercia poliment et tourna rapidement les pages pour montrer le dessin en question à ses deux interlocuteurs.
-Là, celui-là. Je ne savais pas avant, mais j'aime beaucoup comment tu doses le contraste des ombres sur ce dessin. C'est ça qui donne l'impression de légèreté à certains endroits, et celle de lourdeur à d'autres, et c'est vraiment joli ! »
Jean hocha la tête, appréciateur.
-Mais encore ? »
Minha avait dû lire la lueur d'intérêt et d'estime qui brillait dans son regard, car elle enchaîna, en rougissant un peu :
-Eh bien, ça ne se voit pas sur ce dessin, mais tes proportions et tes poses sont très dynamiques. Ici, dit-elle après avoir tourné quelques pages en pointant un des dessins qu'il avait réalisés après le combat entre Mikasa et Reiner. C'est de mémoire, donc je crois que les visages sont pas tout à fait justes, mais le fait de flouter de plus en plus les membres en fonction de la vitesse du geste, c'est très réussi ! »
Jean dut abattre ses baguettes sur celles de Hansi pour l'empêcher de piquer dans son bol avant de pouvoir répondre :
-Vingt sur Vingt, Minha, dix en flatterie et dix en baratin pour complimenter. J'en aurais presque l'impression que tu connais ton sujet ! déclara-t-il sans pouvoir empêcher le rictus taquin qui étirait sa bouche.
-Hé, je suis sérieuse ! s'offusqua-t-elle. J'ai fait mes recherches, tu sais ! »
C'était ce qu'il voulait savoir.
-Ah, vraiment ? »
Il la regarda par-dessus son bol, goguenard, et elle rougit davantage en réalisant ce qu'elle venait d'avouer. Elle détourna les yeux avec embarras.
-Oui, enfin... je sais bien que j'y connaissais rien, donc que mes compliments avaient l'air un peu creux, et je me suis dit que j'allais me renseigner...
-C'est la bonne attitude à avoir, Minha ! approuva Hansi. Si quelque chose t'intéresse, tu fonces !
-C'est pas une raison pour piquer dans mon bol à moi. » rétorqua-t-elle en récupérant son bien pour en vider le reste d'un trait.
Jean ne répondit rien, ému. Minha avait un large éventail de centres d'intérêts, il l'avait découvert assez vite. Elle s'intéressait à plein de choses, et il était heureux qu'elle ait pris la peine de se renseigner sur le dessin et toutes ses nuances, juste pour pouvoir discuter de sa passion à lui. C'était une amie précieuse. Il freina sèchement toute autre pensée plus sombre qui menaçait de pointer le bout de son nez.
-Plus important encore, Jean, dit Hansi avec un regain de sérieux, est ce que tu as redessiné des titans ? »
Il se doutait qu'iel poserait cette question. Il fit signe à Minha qui lui rendit son carnet et tourna quelques pages.
-Pas grand chose, j'ai juste reproduit ceux qu'il y avait dans un manuel. Mais ça me permet de retenir tous les types de corpulences qu'on est censé rencontrer. »
Il termina son bol alors que Hansi s'extasiait sur ses titans.
-Très réussi Jean, très bonnes proportions titanesques ! s'écria Hansi avec un pouce en l'air.
-C'est marrant, de ta part, j'ai l'impression que c'est pas très objectif, déclara-t-il avec sa meilleure expression blasée alors qu'il se levait pour débarrasser ses couverts.
-Je peux te confirmer que si, si tu veux, sourit Minha en l'imitant. Pour des proportions qui sont faites en majorité de mémoire, c'est impressionnant. »
Son expression s'assombrit d'un coup, mais elle la maîtrisa presque aussitôt, ne laissant échapper qu'un petit sourire triste. Jean comprit pourquoi dès qu'elle enchaîna :
-Notamment les dessins de Mikasa et de son visage, on sent que tu as passé du temps à l'observer... Il y en a beaucoup, d'ailleurs ! »
Son petit rire nonchalant était trop faux, il grinça aux oreilles de Jean et à son tour, il retint une grimace. L'ambiance venait de tomber au plus bas d'un seul coup. Il ne dit rien, Minha se tut, et Hansi les considérait tous les deux avec cette tête chercheuse de hibou qu'iel avait pour décortiquer les tenants et aboutissants d'une nouvelle expérience.
Il se retourna et ouvrit la porte du balcon avec un peu plus de force que nécessaire, et se dirigea vers le lave-vaisselle à grands pas. Minha fit de même, sans un bruit, et il évita soigneusement de croiser son regard.
-Je vais aller me coucher, dit-elle. Bonne nuit vous deux !
-'Nuit. »
Il revint pour chercher son carnet alors qu'elle se dirigeait vers sa chambre, et poussa un soupir lourd. En passant, Hansi lui tapa dans le dos, ce genre de claque faite pour être douce, et il leva les yeux vers leur mentor.
-Vous devriez parler tous les deux, pour votre bien. Et pas vous adresser la parole comme tous les jours, petit malin, dit-iel alors qu'il ouvrait à peine la bouche. Je parle de vraie communication, et tu vois tout à fait ce que je veux dire. »
Jean ferma son clapet aussi sec alors que leur mentor s'éloignait. Il voyait exactement ce que Hansi voulait dire. Il avait besoin de communiquer avec Minha. La situation actuelle lui allait pour le moment, mais c'était une solution de facilité, et elle ne convenait qu'à lui. Il n'en devinait pas la teneur exacte, mais il se doutait que Minha était stressée et angoissée. Et il ne voulait pas la voir comme ça.
Mais il avait beau savoir tout ça, il ne put retenir l'expiration irritée qui lui échappa aux paroles de Hansi. Leur mentor avait immédiatement vu que Jean cherchait encore un moyen de fuir, presque avant que lui-même ne le remarque ! Est ce qu'il était transparent au point où tout le monde pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert ?!
Il n'aimait pas du tout cette idée. Seule sa mère était censée en être capable, et il se targuait d'être perçu parfois comme difficile à comprendre dans son groupe d'amis. Il était censé maîtriser ses expressions et sa démarche.
Il fixa son regard brûlant sur le sol, plongé dans sa réflexion. Il n'aimait pas que l'on puisse lire aussi facilement en lui. Le secret de ses pensées était le sien, et il voulait choisir à qui le confier. Être aussi lisible, c'était être faible. Si ses émotions étaient aussi faciles à percevoir, ça voulait dire qu'il était tout aussi facile de deviner quand Jean était fragile, vulnérable. Ça voulait dire qu'il était facile de lui faire du mal, de taper exactement là où ce serait le plus douloureux. Et il ne voulait laisser cette occasion à personne.
En plus, dès que quelqu'un avait le loisir de mettre le doigt sur ce qu'il avait au fond de lui, c'était toujours pour lui reprocher son attitude, mettre ses secrets à découvert, et faire chavirer sa petite barque fragile d'humeur.
Il inspira sèchement pour retenir un nouveau soupir et fit volte-face pour retourner sur le balcon. La table était débarrassée, il avait toujours son matériel à côté, et il avait besoin de faire quelque chose de ses doigts. Faire quelque chose du courant nerveux qui grésillait à la surface de ses empreintes digitales. Rassembler toute sa frustration accumulée dans une balle agitée d'émotions et la balancer sur le papier pour s'en décharger. Un processus qui marchait de moins en moins bien au fur et à mesure que les jeux se rapprochaient, mais ce n'était pas ça qui l'empêcherait de continuer.
Il empoigna le papier et un crayon, se laissa tomber sur une chaise et balaya son regard orageux sur ses environs. Le soleil commençait à se coucher. D'habitude, il appréciait avoir le temps de l'observer descendre, mais là, il aurait pu jurer que la grosse boule de feu ne frétillait pas d'un millimètre.
-Tch. »
Il n'y avait rien qui lui donnait envie de dessiner. Pas de petite étincelle. Il tambourinait du crayon sur son carnet et s'arrêta quand il réalisa qu'il faisait ça avec la pointe, pas la gomme, et avait donc déjà commencer à tracer une série de traits furieux au milieu de sa page. Il prit son temps pour expirer et gomma en prenant soin de ne pas froisser la feuille.
Plus calmement, il passa son regard aux alentours, et son regard finit presque naturellement par se poser plus bas, vers le balcon du District Neuf. Immanquablement, il y distingua une silhouette énergique qui s'agitait avec entrain, et il fallut qu'il passe une main sur sa mâchoire inférieure pour remarquer qu'il arborait un petit sourire narquois. Toujours au rendez-vous, celui-là, hein ?
Il était imperturbable. Combien de fois il s'était attendu à ne pas le voir ? Peu importe l'heure, même si c'était souvent la même, Jean était sûr de le voir sur les lieux. Et il ne se décourageait jamais. Même les fois où il avait plus eu l'air de frapper un visage en particulier que le vide, il respectait son programme à la lettre.
On voyait immédiatement ce qu'il ressentait lorsqu'il s'acharnait sur le vide. Jean pouvait deviner s'il était frustré, déterminé, énervé, concentré, et toutes ces autres choses. Dans ces moments, à son insu, Jean pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert.
Les premières fois, il s'était senti un peu mal à l'aise. Il serait de très mauvaise foi s'il se permettait d'observer les gens quand ils étaient aussi vulnérables, alors qu'il détestait lorsqu'on faisait de même avec lui. Puis il avait fini par se dire que c'était idiot de s'installer au balcon, là où tout le monde pouvait voir, mais où peu de monde regardait. C'était idiot de présenter son cœur au su et vu de tous. Puis il avait réalisé que Marco n'était pas idiot.
Il s'en fichait. Si un regard indiscret -Jean- avait l'occasion de l'observer dans ces moments d'émotions brut, si quelqu'un -Jean- avait l'occasion de le juger, se moquer, il s'en fichait. Marco était probablement quelqu'un qui disait naturellement ce qu'il pensait, qui faisait face à lui-même et aux autres avec une honnêteté déconcertante et profondément ancrée en lui. Il en avait fait l'expérience directe après tout.
Depuis, Jean n'avait plus vraiment de scrupules. Il l'observait, et pire encore, il l'admirait. Il aurait aimé être aussi à l'aise avec l'idée d'être vulnérable devant n'importe qui, et en même temps il n'arrivait même pas à le concevoir sur lui-même. Il aurait aimé ne pas avoir envie de partir en courant à la moindre gêne. Il pouvait essayer, en tout cas.
Sa mine se brisa sur sa feuille, et il baissa des yeux écarquillés sur son carnet. Sans s'en rendre compte, il avait commencé à dessiner le jeune homme : un poing fermé avec détermination trônait au milieu de sa feuille, et il se morigéna. Il n'avait même pas fait de croquis préliminaires pour donner la forme de la silhouette auparavant !
Il était embarrassé, puis se dit qu'il n'avait pas de raison de l'être. Haussant les épaules, il orienta sa chaise face au balcon du District Neuf, jucha la plante de ses pieds sur un barreau de rambarde, et continua le dessin qu'il avait commencé. Ses yeux faisaient des allers-retours frénétiques entre son carnet et Marco, à la recherche d'une pose dynamique et décente.
Cette fois, ce n'était pas un substitut pour Mikasa, c'était bel et bien Marco qu'il voulait dessiner. Il détailla à loisir le jeune homme. Après tout, ce n'était pas tous les jours qu'il avait un modèle masculin qui exécutait des mouvements répétitifs, donc faciles à ajuster, et qui s'y adonnait pendant assez longtemps pour que Jean puisse prendre tout son temps sur les détails. Enfin, si, techniquement, c'était tous les jours depuis quelques semaines. Il n'en revenait pas de ne pas y avoir penser avant !
Tous ses gestes avaient gagné en assurance, et il s'aplatissait au sol, ou se courbait sur lui-même, avec une confiance en son corps qui donnait une certaine langueur à ses mouvements, une certaine virilité maîtrisée qu'il n'avait pas remarquée auparavant.
Jean secoua la tête et s'attela à un bras droit tendu, traça les légères courbes de l'avant-bras, le relief de ses phalanges, un trait pour marquer le délicat creux du poignet, le coude verrouillé, la ligne solide de son biceps qu'il devinait veiné par la chaleur, comme le sien, et d'ailleurs, le soleil mourant lui chauffait le dos. Il s'interrompit pour retirer sa veste d'uniforme d'un coup d'épaule et la laissa glisser au sol sans un regard.
L'épaule était révélée par le tissu qui se tendait autour, comme pour l'étreindre. Il allait devoir contacter les couturiers ou autres du Capitole pour ajuster ses vêtements, le pauvre. Pour Jean, c'était une aubaine, l'occasion de travailler le pli du tissu par-dessus les muscles, quelque chose qu'il laissait toujours un peu au hasard.
Mais il aurait dû se rappeler que Marco avait probablement une température corporelle bien plus élevée que la sienne, et donc une tendance à abandonner son haut dans un coin. C'est ce qui eut lieu à peine quelques instants plus tard, et Jean était partagé entre la déception et la satisfaction. Il avait maintenant un modèle tout désigné pour travailler le torse ! Les muscles de Marco ne tremblaient plus sous son poids ou l'effort, mais son rythme ne s'emballait pas. Ils se contractaient à un tempo maîtrisé, juste ce qu'il lui fallait.
Jean ne manqua rien des détails de sa carrure auxquels il n'aurait pas pensé auparavant : la fine ligne sinueuse qui séparait son abdomen en deux et s'étirait jusqu'au creux de son nombril. La saillie de ses clavicules qui se prolongeait pour marquer ses pectoraux. Le relief de ses deltoïdes qui faisaient rouler ses omoplates. La courbe de sa colonne vertébrale qui ne disparaissait que pour laisser place à un aperçu de l'arc léger de son fessier.
Distraitement, il glissa une main sur son propre abdomen, sous son vêtement, de son bas-ventre jusqu'à son sternum. Lui aussi était athlétique, mais pas aussi bien bâti que Marco. Ses muscles étaient plus secs, et pas aussi prononcés. Avec un soupir, il reprit son croquis.
Il doutait d'être capable de reproduire le léger reflet causé par la transpiration, qui donnait un éclat supplémentaire à son épiderme. Mais une part de son esprit turbinait à toute vitesse pour déterminer quelle combinaison de couleur il pouvait utiliser pour reproduire la teinte bronzée de sa peau, lui qui n'avait jamais été très intéressé par autre chose que le noir et blanc.
Il avait enfin trouvé une pose qui lui plaisait vraiment, et se démena pour griffonner couche sur couche de détails : les ombres qui accentuaient les muscles, l'épaisseur des traits pour marquer leur fermeté, des courbes plus douces pour marquer les creux comme les clavicules ou le nombril. Si possible, il voulait indiquer l'emplacement, la taille et la teinte exacte de chaque tâches de rousseur, mais ça lui prendrait des heures. Il se contenta donc de les disséminer où elles avaient l'air d'être plus proéminentes.
Il arriva au visage, et soudain son ardeur artistique s'apaisa. Son poignet le tirait, et il en profita pour le ménager un peu. Avec des gestes presque langoureux, il traça la forme de son visage, les angles de sa mâchoire, le creux de sa bouche qui faisait ressortir sa lèvre inférieure -il devait être terrible s'il se mettait à bouder-, la rondeur de son nez, la finesse de ses sourcils droits.
Il s'arrêta de justesse avant de lui ajouter des pattes d'oie inexistantes, car ses yeux avaient toujours l'air très doux, et Jean ne doutait pas que son visage s'adoucirait encore avec l'âge. Ils étaient ronds et bienveillants, mais il ne se souvenait pas l'avoir déjà approché d'assez près pour retenir leur couleur. Pendant leur altercation, peut-être ? Il se rappelait davantage du froncement de ses sourcils, et se promit de faire attention la prochaine fois.
Il y avait aussi ses cheveux, qu'il avait déjà amplement étudiés en détails, mais qu'il observait pour eux-même cette fois. Ils étaient juste un peu plus longs que la dernière fois, s'il se référait à la mèche qui surplombait son oreille -comment avait-il retenu cet élément là ?. Ils épousaient chacun de ses mouvements avec déférence, comme un groupe d'adorateurs fébriles qui voulaient caresser son visage à chaque seconde.
Il s'arrêta brièvement de dessiner, les lèvres pensivement enroulées autour de sa gomme et un index traçant machinalement quelques arabesques sur son biceps. Il manquait quelque chose, conclut-il en mordant dans le bois avant de se pencher en avant à nouveau.
Malgré la douceur globale des traits de Marco, toute son expression exsudait la détermination, et Jean arrivait à ce qu'il ne se sentait pas capable de reproduire. Il ne pouvait saisir qu'un seul instant sur le papier, pas la poignée de secondes pendant laquelle Marco étirait son poignet pour faire craquer le cartilage sans même y jeter un œil, comme s'il montrait qui de son squelette ou de sa volonté aurait raison de l'autre.
Il ne pouvait pas saisir le mouvement de sa pomme d'Adam alors qu'il avalait avidement quelques gorgées d'eau, il ne pouvait pas saisir ce petit geste de la tête pour repousser les quelques mèches qui collaient négligemment à son front, puis ce petit claquement de langue agacé qu'il devinait alors que Marco devait se résoudre à passer sa main sur son front pour les dégager vivement.
Il ne pouvait pas saisir l'ampleur de cette ténacité mesurée, qui remplissait tous ses gestes d'intention, qui gardait ses yeux braqués sur l'objectif qu'il s'était donné et qui lui donnait une prestance digne d'un géant.
Il ne pouvait pas réussir, mais il pouvait essayer.
En quelques coups de crayons, il acheva sa première œuvre, et enchaîna aussitôt sur une autre pose, dans un autre angle peut-être plus susceptible d'approcher ce qu'il captait chez le jeune homme. Il en essaya plusieurs, en détaillant moins que le premier croquis, en espérant que la quantité lui permettrait de trouver la qualité.
Lorsque Marco passa à ses étirements, Jean poussa un grognement de défaite en se laissant partir en arrière sur sa chaise. Et juste après, il poussa un nouveau râle, de douleur cette fois, et se massa le poignet puis les yeux. Il avait oublié d'allumer la lampe et la luminosité des lampadaires était clairement insuffisante pour ses yeux fatigués. Cela dit, ce n'était pas une bonne idée d'allumer la lumière, il se ferait repérer. Dans tous les cas, il n'avait rien remarqué de son propre inconfort, trop absorbé dans sa tâche.
Mais tant que Marco n'avait pas fermé la porte de son balcon, il n'avait pas l'intention de s'arrêter. L'extension de ses muscles qui se déployaient sous sa peau, le soulèvement de sa cage thoracique qu'il peinait à contrôler après tant d'efforts, c'était autant d'éléments qui méritaient une place dans son carnet.
Et accessoirement, c'était la séance de purge la plus efficace qu'il ai jamais eu. Hormis son poignet et son avant-bras, le reste de son corps était détendu, autant sinon plus relaxé qu'après une bonne séance de tridimensionnalité. Par sa simple présence, Marco l'avait embarqué très loin de lui-même et des considérations auxquelles il avait voulu échapper. Il allait devoir y revenir, éventuellement, mais il voulait d'abord profiter de cet instant paisible et comblé.
Marco finit par s'éclipser, et Jean rangea son matériel en bâillant, les yeux embués. Il allait peut-être passer une bonne nuit, pour une fois.
J-13
… () …
-Marlow c'est Gandalf, le vieux barbu qui guide les persos principaux.
-Et Hitch c'est le fou du roi.
Marlow paniqué. Nous: "Awww"
