Je veux l'épouser.

OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance = - Aots2m #4 -

- Zero Eclipse (Instrumental) -

- 2chijou -

- Eye-Water -

- Army Attack -

- Counter Attack-Mankind -

- Shingeki St – Hrn- Egt 20130629 Kyojin -

- Len Zo 97N10 Hi Kyosetsu Mahle -

- Ymniam – Orch -

- Zero Eclipse -

- Call of Silence -

() …

Christa promenait ses pensées le long des ruelles de la zone commerciale, le long de ce dédale qui abritait une galerie d'artifices, où chaque alléchante – ou écœurante – vitrine ensorcelait la rétine d'illusions. De doux mensonges affirmant qu'une vie banale subsistait, malgré le compte à rebours qui pesait au dessus de la tête des vingt quatre tributs, de plus en plus bruyant et pressant.

On était l'après-midi, il ne restait donc même pas sept jours pleins. Six jours, il restait six jours avant le début des jeux. Ça pouvait se compter sur les doigts des mains.

La demoiselle n'osait pas baisser les yeux sur ses mains : elle avait commencé à ronger les extrémités de ses ongles, elle en avait honte. Il allait lui falloir un vernis à ongle particulièrement acide, en plus de l'anti-cernes et du fond de teint.

Tout pour atténuer les poches sous ses yeux. Tout pour estomper les pâleurs de son visage. Tout pour dissiper le plus possible les doutes d'Erwin et Reiner.

Erwin ne l'avait pas confrontée à ses angoisses une nouvelle fois, mais il continuait de lui jeter des regards intransigeants et soucieux. Tout pour le pousser à penser que le corps de la jeune fille tenait le coup, qu'elle en était restée maîtresse, à l'instar de ses émotions… tout pour que Christa aussi s'en persuade.

Pourtant, la tribut le savait, elle avait bien vu que son corps touchait à ses limites. Elle dormait trop peu, digérait à peine la moitié de ses repas, et était sujette à des vertiges après chaque mouvement un soupçon trop brusque. Elle ressentait bien plus la morsure du froid à la tombée de la nuit et devait s'enrouler jusqu'aux joues dans la couverture avant de s'assoupir, si elle ne voulait pas être gelée. Bien que frêle depuis la naissance, Christa avait encore plus maigri. Désormais, elle pouvait compter ses côtes à l'œil nu et avait besoin d'une ceinture pour nouer autour de sa taille l'uniforme qu'elle avait reçu à son arrivée.

Relever ces points-là nécessitait une pointilleuse observation et une fine connaissance de la jeune fille. Par bonheur, Erwin ne pouvait pas prétendre à la deuxième condition. Reiner, si. Et Christa savait pertinemment qu'il s'était aperçu de tout, mais qu'il n'osait rien dire. Au plus profond de son être, elle priait pour que le fond de teint et l'anti-cernes arrangent sa mine et soulagent Reiner. Au moins, un petit peu. Qu'il songe qu'il avait peut-être exagéré la plupart de ses observations…

Christa avait encore franchi un palier dans les cachotteries qu'elle faisait à son confident de toujours. Or, si elle faisait tout ça, c'était pour le protéger. Elle l'avait compris en lui offrant le bracelet si elle venait à lui parler de ses angoisses, Reiner s'en tiendrait pour unique responsable et ne s'en remettrait jamais.

-Hé, mais c'est la petiote ! » retentit une voix forte qui freina ses pensées.

Christa tourna la tête vers la droite, d'où provenait le son, et se retrouva nez-à-nez avec Ymir. La tribut au teint mat venait de débouler d'une ruelle parallèle pour rejoindre la plus grande rue, que Christa foulait de ses pas depuis plusieurs minutes déjà.

La demoiselle se raidit, appréhendant l'issue d'une nouvelle altercation avec Ymir dont l'attitude la déstabilisait plus que tout. Après tout, non seulement l'avait-elle démasqué très tôt, elle se permettait de la remettre à sa place à ses moindres faits et gestes, sans aucune subtilité, comme si elle détenait le savoir universel. Et c'était bien ça qui intimidait la jeune fille : la perspicacité d'Ymir en soi était redoutable, mais mise de paire avec ses nombreux reproches – qui faisaient douloureusement mouche –, elle était destructrice.

Christa n'avait aucune idée de comment tenir une conversation avec elle car, d'un simple mot claquant de franchise – et bien trop souvent de vérité –, Ymir était capable de fracasser le mur qui défendait la scène, de déchirer le rideau et de mettre Christa à nu. La jeune blonde sentit sa gorge se nouer quand Ymir, qui s'était approchée, commença la discussion :

-Ton chevalier servant est pas là ?

-Euh… Reiner ?

-Hahem, bah qui d'autre ?! Daniel peut-être ?! T'en as pas trente-deux non plus ? renifla Ymir.

-Euh… non, en effet, il… non, il n'est pas là… »

Bouche bée, Christa considérait Ymir qui haussait un sourcil et pinçait ses lèvres dans l'attente d'une réponse plus élaborée. Cherchait-elle à faire la conversation ? Ce qui frappa le plus Christa fut surtout la mention de ce « Daniel ».

-Euh… Daniel… tu voulais dire Samuel, non ? Le garçon du District Cinq ? »

Les sourcils d'Ymir se froncèrent et elle se mordit la lèvre. Un rire éclata en Christa et, bientôt, elle sentit des larmes d'hilarité poindre dans ses yeux. Elle avait presque oublié qu'il était aussi possible de pleurer de rire.

-Mais qu'est-ce qui t'arrive, toi, maintenant ?! s'indigna son interlocutrice d'un ton râleur. Ça va, hein ! Il a qu'à pas être aussi remarquable qu'un lampadaire !

-Haha, j'a-j'arrive pas à… haha, croire que tu connaisses tou-toujours pas… hahahaha, nos noms, haha !

-J't'arrête tout de suite : vos noms, j'les sais quasi tous !

-Haha, maintenant j'aurais aimé savoir quel prénom tu aurais trouvé pour Reiner si je ne t'avais pas donné la réponse tout de suite ! ajouta Christa, entre deux nouveaux éclats de rire. Quel dommage…

-Bon, tu passes à autre chose ?! la pressa Ymir, une note presque contrariée dans la voix, avant de se pencher vers elle. À moins que tu soies encore plus vicieuse au fond que je le pensais… »

Le rire de Christa s'évanouit. C'était plutôt comme s'il avait immigré vers les prunelles d'Ymir qui brillaient d'une lueur taquine tout en la dévisageant. Avec une telle expression, Ymir aurait pu se lécher les babines que cela n'aurait même plus choquer Christa. Elle l'observait. Ça ne pouvait être que dangereux. Christa devait se trouver une échappatoire, se frayer un chemin hors de cette conversation.

-Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour toi ? » lui demanda-t-elle en posant les mains sur ses hanches, relevant le menton.

Pour son plus grand soulagement, Ymir se redressa et… se mit à se frotter la nuque, le regard fuyant. Christa papillonna des yeux, pourtant il ne s'agissait pas d'une des illusions des vitrines. Ymir était bel et bien gênée !

-Ben, maintenant que tu le dis… j'y connais rien en maquillage. »

Elle s'interrompit pour reconcentrer son regard sur Christa. La demoiselle l'incita à poursuivre en hochant la tête, le sourire aux lèvres. Elle préférait attendre d'avoir l'histoire entière avant d'émettre le moindre avis, mais l'idée de maquiller Ymir lui plut instantanément. Elle avait le teint mat et les cheveux sombres : de quoi tenter plein de nuances et de couleurs, que Christa ne pouvait même pas rêver d'arborer !

-Et je cherche un rouge à lèvres pour Nanaba ! » acheva-t-elle d'une plus petite voix qu'à son habitude.

Le sourire de Christa s'épanouit davantage. C'était là une adorable attention ! Mais ce commentaire, il valait sûrement mieux le garder pour elle. Ymir ne devait pas être du genre à apprécier ce genre de remarque. Christa préférait attendre d'en savoir plus sur elle. La demoiselle allait peut-être avoir besoin de revoir son jugement sur la tribut adverse. Elle joignit ses mains et déclara :

-Mais ça tombe bien, ça ! Je devais aller au magasin de maquillage justement ! »

ooo

L'un des avantages à une zone commerciale entière pensée pour combler les moindres désirs d'une centaine de personnes était que l'atmosphère, habituellement oppressante, des magasins de maquillage s'allégeait. Aucun mélange d'odeur. Aucune bousculade. Aucune chaleur humaine étouffante. Aucun testeur vide. Juste des produits agencés par couleur et matière dans des rayons spacieux pour seulement deux clientes et trois esthéticiennes. Un personnel calme et poli. Une petite musique de fond au rythme entraînant. Un éclairage naturel conféré par la gigantesque baie vitrée qui servait de façade d'entrée au magasin.

-J'aime tout particulièrement les produits de ce magasin ! expliqua-t-elle à Ymir en la guidant vers les rayons de rouge à lèvres. Ils sont assez naturels et de bonne qualité ! Et puisque tu es prête à y mettre un certain prix…

-Si tu le dis… »

Elles arrivèrent devant le présentoir où était disposée la plupart des rouges à lèvres. Christa allait se tourner vers Ymir quand une des esthéticiennes vint à leur rencontre :

-Mesdemoiselles, puis-je vous renseigner ? »

Christa ouvrit la bouche pour lui expliquer ce qu'elles cherchaient, mais Ymir fut plus rapide et secoua la main devant l'employée.

-Pas la peine ! (Elle pointa Christa du pouce.) J'ai déjà une spécialiste avec moi !

-Très bien, nous restons à votre disposition, déclara l'employée dans une inclination respectueuse avant de s'éclipser.

-M-merci ! balbutia Christa, ne sachant pas trop à qui d'Ymir ou de l'esthéticienne elle destinait son remerciement.

-De rien, lâcha Ymir comme si elle le savait.

-Bon, qu'est-ce que tu cherches plus précisément ? Tu as une idée de la couleur ? » l'interrogea « la spécialiste » pour se concentrer sur autre chose que la pelote de fierté qui grossissait dans sa poitrine.

Ymir mit un doigt à sa bouche, apposa ses paumes sur les rebords du présentoir en scannant les différents produits durant plusieurs secondes, puis reporta un doigt à son visage.

-Hmm, elle en avait du rose mais j'aimerais lui trouver une autre couleur… répondit-elle en se grattant le cuir chevelu.

-Très bien, elle a des lèvres fines si je me souviens bien, non ?

-Assez oui…

-Okay et, dis-moi si je me méprends, elle a des racines brunes ?

-Yep ! Couleur chocolat !

-Alors dans ce cas, tu vas pouvoir me servir de référence ! » déclara Christa en retenant un gloussement attendri, se saisissant d'un stick pour le brandir sous le nez de la jeune femme.

Ymir eut un mouvement de recul et, le nez pincé comme si elle était sur le point de vomir, agita les paumes devant Christa.

-Holà, attends un peu là ! Il est hors de question que je mette du rouge à lèvres, c'est pour les… »

Elle ne termina pas sa phrase et finit par baisser les bras, pourtant Christa n'avait rien dit. Intriguée, la demoiselle pencha la tête sur le côté. De toute évidence, Ymir n'avait jamais mis de maquillage de sa vie et devait s'en féliciter, un peu comme un enfant indépendant. Christa pouvait comprendre qu'il n'y avait rien de plus frustrant que d'être brusquée à faire quelque chose qui vous répugne. Afin de l'encourager à se laisser faire, Christa entreprit de se justifier :

-En fait, vous avez toutes les deux des lèvres fines et des cheveux bruns… et puis, je me disais que si tu pouvais tester le rouge à lèvre que tu vas lui offrir, ça vous ferait un sujet de discussion et de comparaison. Je pense même que Nanaba sera touchée que tu l'aies pris tant à cœur. Tu crois pas ? »

Ymir la considéra comme s'il lui était poussé une deuxième tête et posa une main sur sa hanche avant de soupirer.

-Ça marche… »

Christa n'aurait même pas osé espérer une coopération aussi rapide, et pourtant Ymir venait d'accepter. Réprimant un nouveau gloussement attendri, elle la remercia et saisit délicatement le poignet de la jeune femme pour commencer par y appliquer le stick, afin de lui montrer de quelle couleur il s'agissait.

-On va partir sur une teinte brillante qui sied aux lèvres fines, avec de quoi aller aux nuances chaudes qu'ont vos deux teints et, en s'aidant de tes cheveux, on pourra jouer sur le rappel aux couleurs de ses racines, ça sera plus discret que le platine de sa teinture. (Elle accompagna le poignet d'Ymir vers le regard de la jeune femme.) Corail, ça te va ?

-Bah, c'est déjà sur ma peau maintenant… alors autant se lancer… grommela Ymir.

-Je vais prendre ça pour un oui. Penche-toi un peu vers moi, s'il te plaît.

-Quoi ? Même sur la pointe des pieds, t'es trop petite ? ricana la jeune femme au poignet coloré.

-Je vais prétendre que tu n'as rien dit sur ma taille et te redemander de te pencher vers moi. S'il te plaît.

-D'accord, d'accord, mademoiselle ! » gloussa Ymir en s'exécutant.

Christa pinça ses lèvres afin de s'appliquer – et aussi de camoufler le sourire qui s'était esquissé sur son visage – à maquiller la lèvre inférieure d'Ymir. Le produit était définitivement de bonne qualité : le rouge à lèvres teintait vite la peau, il n'y avait pas besoin de donner plusieurs coups pour que la couleur se voit bien.

-Présente un peu plus tes lèvres, s'il te plaît, lui ordonna Christa dans un murmure concentré.

-Hein ?! »

Christa ne retint pas son râle quand l'exclamation d'Ymir ouvrit sa bouche en grand et manqua de gâcher tout son travail. Cependant, elle retrouva vite son calme : il lui fallait expliquer à Ymir ce qu'elle voulait dire par là, tel un enfant, comme établi plus tôt.

-Comme si tu allais faire un bisou, comme ça ! (Christa embrassa l'air pour illustrer son propos.) Pousse tes lèvres, ça les fait ressortir et ça me permet de recouvrir plus de surface avec le stick.

-Oh, okay, comme ça ? »

Ymir s'exécuta dans un mouvement brusque, sûrement fait exprès, qui envoya un peu d'air dans la direction de Christa. Son haleine sentait la menthe poivrée. Fronçant les sourcils, Christa se passa le bout de la langue sur les lèvres comme si elle pouvait sceller son haleine à elle et l'empêcher de pâlir en comparaison. Cela faisait deux heures qu'elle ne s'était pas brossée les dents après tout !

Christa s'éloigna d'Ymir et reposa le stick sur la table. Elle se décala pour inviter Ymir, d'un signe de la main, à s'approcher du miroir et lui donner son verdict. La jeune femme effectua toutes sortes de pirouettes buccales, ricana et pressa ses lèvres entre elle. Elle avait l'air satisfaite et Christa sentit les commissures de ses lèvres s'élever.

-Ça te va bien, commenta-t-elle.

-Et tu crois que ça ira à Nanaba ? »

Christa se tourna vers la table pour saisir un nouveau stick ainsi qu'une lingette imbibée de démaquillant qu'elle tendit à Ymir.

-Oui, mais je te propose d'essayer aussi le pêche. Peut-être qu'il te plaira plus…

-Vendu ! clama Ymir en attrapant la lingette pour nettoyer le corail de ses lèvres. Et après, c'est à mon tour de te maquiller.

-Pardon ?!

-Pour voir si j'ai bien appris ma leçon ! » se justifia la brune en lui adressant un clin d'oeil.

Christa gloussa qu'elle était d'accord puis s'arma du stick couleur pêche pour l'appliquer sur la lèvre inférieure d'Ymir. Elle n'eut pas à lui demander de se pencher ni même de présenter ses lèvres, la jeune femme le fit d'elle-même en affichant un air narquois, elle devait être ravie de son coup. Christa n'y prêta pas la moindre attention et se contenta de la maquiller.

-Voilà, c'est fait ! Je te laisse en juger, annonça la demoiselle en s'écartant pour laisser le miroir à Ymir.

-C'est d'enfer ! »

Ymir recommençait à enchaîner toutes sortes de grimaces devant la glace, après quoi elle colla ses lèvres entre elles comme pour colorer un peu sa lèvre supérieure de la teinte fruitée. Christa bomba la poitrine et posa les poings sur ses hanches.

-Et comment ! En plus de faire ressortir le brun des cheveux, le pêche complimente à merveille une peau pâle. Autrement dit, c'est parfait pour Nanaba ! déclama-t-elle en replaçant ses cheveux.

-Et, le délire des teints chauds aussi ça joue, non ? » marmonna la maquillée sans décrocher le regard du miroir.

Christa laissa ses épaules retomber. Elle ne s'attendait pas à ce qu'Ymir apprenne aussi vite ! La jeune femme était décidément très investie dans le choix de son présent à l'instructrice du District Six ! La demoiselle s'attendrit de constater qu'elle allait devoir ajouter l'attention aux qualités d'Ymir.

-Oui, les nuances fruitées se prêtent bien aux teints chauds… comme les fruits qui ont besoin du soleil pour pousser, tu vois ? lui sourit-elle. Si je peux me permettre d'ajouter un petit commentaire : celui-là te va très bien. Tu as des lèvres humides et fermes en plus. C'est dommage que tu ne te soies jamais maquiller car tu portes le rouge à lèvres avec beaucoup de naturel. »

Ymir écarquilla les yeux, puis s'esclaffa, tout en se munissant d'une lingette de démaquillant. Elle trouvait son commentaire si ridicule que ça ? Si elle continuait, Christa n'essaierait plus d'être aimable et tant pis pour Ymir ! La brune, toujours hilare et en train de se démaquiller, vira la lueur amusée de son regard sur elle. Christa maintint le contact visuel. Il n'était pas question de jouer la fillette docile qui baissait les yeux en présence d'Ymir ! La plus grande prenait toujours un malin plaisir à attaquer son amour propre, la demoiselle blonde lui prouverait qu'elle n'en avait cure et valait mieux que ça !

Contrairement à ce qu'elle avait anticipé, leur affrontement oculaire s'acheva en deux secondes avec Ymir qui fondit vers Christa. La femme au teint mat se pencha vers elle avec précaution, même ses cils battaient dans la plus grande discrétion. Un mélange atypique de bois fumé et de menthe poivrée se fraya un chemin dans les narines de Christa et elle retint sa respiration. Puis, Ymir saisit un stick qui s'était trouvé derrière la demoiselle, se redressa et ouvrit le rouge à lèvres comme si elle dégainait une lame, tout ça sous les yeux médusés de la jeune blonde.

-C'est vrai que ça commence à me plaire… Et maintenant, à mon tour ! » s'écria-t-elle.

Une expression d'impatience recouvrait le visage de la jeune femme. Christa lâcha un soupir, soulagée qu'il ne ce soit agi que de cela, et légèrement contrariée qu'Ymir se soit permise de la taquiner en instaurant un tel suspens ! Elle venait encore de la faire tourner en bourrique ! Christa dépoussiéra sa veste d'uniforme et leva le menton en direction de la brune. Elle ne tiendrait pas compte de ses farces et se montrerait plus ferme encore qu'Ymir, et pour cela il lui fallait garder toute sa dignité ! Ymir se pencha vers elle et Christa, muette de résolution, présenta ses lèvres en fermant les yeux.

Ymir avait bien appris car elle ne passait le stick que sur la lèvre inférieure. Or, ce qui surprit bien plus Christa fut la douceur avec laquelle la plus grande s'exécutait. La demoiselle s'était attendue à une application ferme et décidée, au risque d'étaler le produit sur la bouche de Christa – et non pas l'apposer. Et pourtant, elle sentait la pointe du stick peindre sa lèvre par de légers à-coups. C'était plutôt impressionnant de la part d'Ymir pour un premier essai ! La plus grande était décidément très adroite. Bien sûr, tout n'était pas parfait : Ymir dépassa un peu et Christa devina la présence d'un fin trait de rouge à lèvres sur ses commissures. Aussi vive qu'une flèche, Ymir l'estompa du bout du doigt. Christa n'avait eu que la vague impression d'une brise caressant son visage.

La demoiselle rouvrit les yeux et constata que le visage d'Ymir aussi était maquillé, peint d'une profonde concentration. Sourcils froncés, nez plissé, elle se pinçait les lèvres, le bout de sa langue pointait au coin de la bouche. Après quelques secondes, Ymir se redressa et posa le rouge à lèvres sur le rebord de la table, puis elle effectua une courbette à l'attention de Christa :

-Si mademoiselle voudrait bien se donner la peine de miser un peu sa bouche… »

Christa leva les yeux au ciel et s'approcha du miroir. Vin foncé. Bien essayé.

-Alors ? la pressa Ymir dans une grimace d'impatience.

-Il y a de l'idée mais le rouge à lèvres mat m'affine un peu trop la bouche… (Elle se tourna vers elle en pointant ses lèvres du doigt.) Tu crois pas ? »

Ymir, une main enveloppant son menton, acquiesça.

-La couleur est très grasse et pleine, ce n'est pas la meilleure combinaison pour les peaux pâles comme la mienne. C'est quelque chose qui t'irait mieux, par exemple… mais tu as bien vu que la couleur se prêtait aux teints froids ! »

Christa avait veillé à garder les compliments pour la fin dans le but de ne pas trop décourager la jeune femme. Ymir haussa les épaules en ricanant puis elle fit volte-face, ramassa un autre stick et le présenta à Christa, sourire aux lèvres :

-Okay, vas-y ! Venge-toi !

-Pardon ? Mais pourquoi ?

-J'ai fait une connerie, alors à ton tour de me donner un look pas possible ! » argua-t-elle et la grimace d'impatience s'afficha à nouveau.

Christa avait déjà vu plusieurs fois cette grimace sur le visage d'Ymir. Elle se demandait s'il ne s'agissait pas d'une trace de l'enthousiasme de la brune à voir ce que Christa était capable de faire, car elle l'esquissait à chaque fois qu'elle la mettait au défi. Comme si elle était persuadée que, quoiqu'elle fasse, elle ne serait pas déçue.

Christa n'allait pas la décevoir, en effet. Elle saisit le rouge à lèvres et l'ouvrit. Il était abricot. De toute évidence, Ymir avait pris le premier qui était venu à ses mains.

-Très bien mais, abricot, ça fera pas l'affaire. (Elle se rapprocha de la table, à la recherche de la meilleure arme.) Il me faut plutôt celui-là ! » triompha-t-elle en présentant le stick à Ymir.

Sa future victime haussa les épaules et, habituée au rituel, se pencha en présentant ses lèvres. Christa n'aimait pas regarder les esthéticiens quand on la maquillait, elle préférait fermer les yeux. Ymir, quant à elle, la dévisageait alors qu'elle œuvrait à colorer sa bouche. C'était assez perturbant mais il n'y avait aucune animosité dans son regard, juste beaucoup de calme et de patience, et Christa s'y fit vite.

La jeune blonde referma le capuchon du rouge à lèvres, satisfaite de son office, et invita Ymir à découvrir le résultat. La jeune femme écarquilla les yeux avant d'éclater de rire à la vue du vert forêt mat qui recouvrait sa bouche. Christa se joignit à son hilarité, encore plus satisfaite de la réaction d'Ymir.

Une fois que la précipitation comique s'était levée, elles se démaquillèrent ensemble, en silence, savourant un petit temps de répit en bonne compagnie. Christa remarqua que les esthéticiennes s'affairaient toujours dans leur coin elle avait oublié leur présence. Ymir l'interpella en se dirigeant vers la rangée de stick couleur pêche :

-Dis, Christa, lequel je prends exactement ?

-Puisque Nanaba a les lèvres fines, évite le mat. Tu m'as bien dit que ses lèvres brillaient, non ? répondit-elle, s'efforçant de contenir un surplus de joie qui menaçait de se déverser dans sa voix.

-Yep !

-Dans ce cas, elle doit utiliser du brillant tout simplement… mais ils se dissipent en séchant durant la journée. (Christa porta deux doigts à son menton.) Je te conseillerais plutôt le glossy, ça tient beaucoup plus et, quand on a les cheveux courts, c'est royal ! »

Ymir acquiesça et s'empara du stick que Christa pointait du bout de l'auriculaire. Après avoir payé et emballé le rouge à lèvres dans un petit paquet cadeau, les deux jeunes femmes quittèrent le magasin. Le soleil du milieu d'après-midi cognait si fort qu'il avait de quoi les assommer. La climatisation de la boutique manqua tout de suite à Christa. Pourtant Ymir, elle, semblait comblée de revenir à l'air libre, elle s'étira en lâchant un profond soupir, se gorgeant déjà de la lumière estivale pour recharger ses batteries :

-Raaahh, je suis vannée ! Heureusement que t'étais là sinon j'y serais restée des plombes !

-Hihi, de rien. (Christa baissa les yeux.) Je devrais te remercier d'ailleurs. »

Ymir la fixa avec de grands yeux, aussi ouverts que des soucoupes, et laissa ses bras retomber le long de son corps dans un froissement de tissu et de carton du petit sachet, qu'elle tenait dans le creux de son coude.

-Bah pourquoi ?

-J'ai passé un bon moment, merci. »

Les prunelles de la jeune femme s'adoucirent et, décochant un sourire en coin à Christa, elle l'entraîna dans un élan affectueux en l'entourant de son bras. Elle pressa l'épaule de la plus petite en moins de temps qu'il n'en faut pour un battement de cœur avant de s'éloigner.

-Au plaisir, petiote ! » ricana-t-elle en s'éclipsant d'un signe de la main.

Christa resta interdite, fixant la valse des lames croisées qui ornaient le dos d'Ymir au gré du vent. Elle n'avait pas l'impression d'avoir passé du temps avec une future ennemie dans un magasin du Capitole. Et c'était peut-être bien la première fois en trois semaines.

ooo

Ce ne fut qu'une fois arrivée devant la baraque du District Un que Christa s'aperçut qu'elle avait oublié l'anti-cernes et le fond de teint.

Les arbres défilèrent sous forme de tâches de verdure vibrantes et floues l'espace de quelques secondes, le temps que Jean tournoie dans un virage sec pour arriver plus vite que Minha sur les lieux. La sensation de flotter en l'air quelques secondes lui laissa le temps de balayer la clairière du regard, pour situer avec précision la nuque en mousse du Titan de bois qui trônait au milieu.

-Les dames d'abord ! s'écria Minha en passant devant lui.

-Mais je rêve ! »

Il savait qu'elle était sur ses talons, mais pas qu'elle irait jusqu'à le bousculer en plein vol pour le devancer ! Excédé, Jean changea immédiatement de stratégie. Il aurait été tenté de croiser sa trajectoire avec celle de la jeune fille pour emmêler ses câbles avec un des siens et la déséquilibrer, mais l'opération pouvait se révéler dangereuse, autant pour elle que pour lui. Il se contenta donc d'un virage pour prendre de la distance.

-T'aurais pu me blesser ! lui cria-t-il.

-Chuis sûre que tu t'en serais sorti ! » rétorqua Minha avec un éclat de rire en tranchant la nuque de mousse.

Jean s'éloigna en grommelant, à la fois agacé et flatté. Il avait l'impression qu'elle avait un peu trop confiance en ses compétences de manœuvre tridimensionnelle.

Du coin de l'œil, il repéra un autre Titan un peu plus petit à sa gauche et vira immédiatement. Le sifflement distant de bonbonnes de gaz l'incita à accélérer. Qui était-ce ? Mikasa ? Eren ? Annie ? Bertholt ? Les deux autres districts avaient rejoint l'entraînement, sous prétexte que l'installation d'un tel exercice prenait du temps, mais Jean était prêt à parier que quelqu'un voulait voir les tributs s'écharper et la tension monter encore davantage avant les jeux.

La réponse apparut pile dans son angle droit.

-Dégage, Kirschtein ! » hurla Eren.

Jean ne répondit pas, fermement déterminé à lui bloquer le chemin. Il se crocheta directement sur la tête du Titan de bois et profita du léger changement de direction pour virer juste devant la trajectoire d'Eren. Il y avait des chances pour que ce dernier le taillade à la lame par réflexe, mais au moins Jean était sûr d'arriver avant lui. Il accéléra après l'exclamation indignée d'Eren et trancha la nuque factice de toutes ses forces.

-La prochaine fois peut-être, Jäger ! » ricana-t-il avant de s'éclipser aussi sec sous les jurons du jeune homme.

Il poussa un soupir de soulagement crispé et essaya de détendre ses muscles. D'un coup d'œil, il avait vu qu'Eren s'était trouvé beaucoup plus proche qu'il ne s'y était attendu, de la rage plein les yeux, et il avait vraiment cru qu'il allait se faire couper en deux. Il avait bondi hors de portée juste à temps, et même le timing pour atteindre le Titan avait été très juste.

Il observa autour de lui, la mâchoire serrée. Il avait eu de la chance de tomber sur l'autre abruti. S'il était tombé sur Annie, elle aurait peut-être abandonné ses lames pour lui mettre un poing dans la face et prétendre qu'il s'était envoyé tout seul contre un arbre. Tomber sur Bertholt l'inquiétait, parce qu'il ne savait pas à quoi s'attendre. Il était à peu près sûr d'être meilleur que lui en tridimensionnalité, mais il savait que Bertholt était un de ceux dont il avait le plus de mal à saisir les capacités. Il ne voulait pas tomber sur lui, et d'un autre côté il savait qu'il ne pouvait y couper, s'il voulait se tenir prêt pour les jeux.

Il savait encore moins s'il voulait tomber sur Mikasa. Il avait envie de la croiser, lui prouver sa valeur, mais il sentait que ses nerfs risquaient de l'emporter sur lui. Il ne voulait vraiment pas se ridiculiser devant la jeune femme.

Ses oreilles captèrent le bruit ténu du gaz dans la distance, et il s'éleva vers les hauteurs. Peut-être Bertholt. Son regard accrocha un reflet métallique et il freina sec, amortissant le choc contre un tronc en pliant les jambes. Ses yeux fouillèrent les environs avec frénésie. Là ! Une clairière !

Il s'en rapprocha, et avec un petit soupir de fierté, il repéra le Titan de bois. Sa nuque était juste en face de lui ! Avec une exclamation d'effort, il fusa vers le monstre de bois et sectionna profondément la mousse en deux, plongeant vers le sol dans le même mouvement. Il rembobina ses câbles et atterrit au sol pour reprendre son souffle.

Il leva ses lames pour les examiner : elles commençaient à s'émousser, surtout celle de droite. D'un mouvement sec de chaque bras, il envoya les lames sur les lattes du bois de Titan. Elles se plantèrent avec un bruit net satisfaisant et il emboîta de nouvelles sur ses manettes. C'était mieux que de les ranger dans ses gaines et de les confondre avec les neuves, ou de les abandonner dans la nature et donner plus de travail à Moblit et aux autres.

Un bruissement le tendit comme un ressort, et avant qu'il n'ait le temps de se retourner, un « Bonjour ? » timide se fit entendre.

Il fit volte-face et empêcha de justesse sa mâchoire de le lâcher. Marco se tenait à l'orée de la minuscule clairière du Titan, juché sur son cheval, et le regardait avec de grands yeux déconcertés.

-Encore ?! » s'étrangla Jean avant de refermer la bouche pour s'empêcher de lâcher une autre bêtise.

La dernière fois qu'il lui avait adressé la parole, ça c'était très mal terminé. Et pourtant, c'était il y a plus de dix jours ! Ils ne s'étaient pas parlés depuis le fiasco de la bibliothèque, et pourtant l'allumé du balcon était devenu une constante dans la vie quotidienne de Jean. Le jeune homme mesura l'écart entre les deux images, et se sentit très mal à l'aise.

Contrairement à lui, l'image que Marco avait de Jean n'avait sûrement pas beaucoup changé. Il avait probablement encore en tête un ado immature et malpoli qui méritait une bonne claque à l'arrière de la tête. Comment pouvait-il changer cette image ? Pourquoi est-ce qu'il voulait absolument changer cette image ?

Marco ne sembla pas se formaliser de l'exclamation presque accusatrice, ni du temps de latence maladroit, car il laissa échapper un éclat de rire léger, qui détendit toute sa posture. Il ne s'avança pas, ni ne descendit de cheval, et de son côté, les pieds de Jean demeuraient fermement greffés au sol, tourné de trois quart seulement vers Marco.

-Tu t'entraînes à la tridimensionnalité ? demanda le cavalier d'un ton plaisant. J'ai vu Annie me passer au-dessus tout à l'heure, vous devez être plusieurs districts. »

Une question presque idiote tellement la réponse était simple. Une tentative de conversation civilisée, surtout. Si Marco lui donnait une chance de rectifier le tir, Jean n'allait pas la rater. Quelque chose en lui le motiva à se mouvoir.

-On est trois districts, répondit-il en rengainant ses lames pour porter la main à la gourde attachée à sa hanche (il remerciait le lui du passé d'y avoir pensé). Il y a aussi Bertholt, Eren et Mikasa avec nous. »

Il décapsula et avala quelques gorgées, et manqua de s'étouffer en croisant à nouveau le regard de Marco. Le jeune homme avait la bouche légèrement bée, et soudainement ses yeux se mirent à pétiller et son expression s'adoucit sensiblement, comme si Jean venait de lui faire le compliment le plus émouvant. Mais qu'est-ce qu'il lui arrive ? songea-t-il.

-C'est pour ça que j'entendais beaucoup plus de bruit ! reprit Marco. Il y a souvent du monde en forêt quand je m'entraîne à cheval, mais d'habitude c'est juste toi et Minha.

-Heh. C'est vrai qu'on s'est croisés quelques fois. » répondit Jean avec un sourire absent en rattachant la gourde après l'avoir rebouchée.

Le sourire de Marco devint malicieux, comme s'il savait quelque chose que Jean ignorait, puis disparut presque aussitôt. Ce garçon était un mystère, décidément.

-J'ai rencontré Marlow et Hitch une fois, mais en général je ne me fais pas repéré, ajouta Marco. Vous vous êtes croisés, ou c'était un entraînement prévu ?

-Prévu. » répondit Jean avec un petit rire gêné, sans trop savoir quoi faire de ses bras inactifs.

Est-ce qu'il devait admettre qu'il observait Marco s'entraîner tous les soirs ? Lui non plus ne se faisait pas repérer. Il n'y avait jamais songé parce qu'il n'avait jamais pensé qu'il parlerait à nouveau au jeune homme, mais maintenant qu'il y était, c'était peut-être l'occasion d'être honnête. Les pouces distraitement enfoncés dans les courroies de son équipement, il sonda le visage de Marco en même temps qu'il continuait à parler :

-Ils disent que c'est parce qu'installer toutes les structures en bois prend un bon moment. J'y crois pas trop, parce qu'avec l'argent qu'ils ont, ils pourraient même acheter du temps.

-Tu penses que c'est parce qu'ils veulent réveiller votre esprit de compétition encore davantage ?

-J'en suis même certain, répondit Jean, satisfait de voir que Marco était sur la même longueur d'onde. Comme s'il y avait pas déjà assez de tension avec les Entraînements à 24. »

Des bruits résonnèrent vers les hauteurs et Jean se mit aussitôt en garde alors que Marco posait la main sur l'encolure de son cheval, les deux paires de regards sondant le ciel.

Fausse alerte. Encore un peu surpris, Jean se tourna vers Marco, dont les yeux tombèrent à nouveau sur lui. Il hésita un instant, puis reprit ses manettes en main.

-Je vais y aller, annonça-t-il. L'exercice est pas terminé et j'ai une réputation à tenir. »

Marco pouffa avec une pointe d'ironie que Jean choisit de ne pas relever.

-Va vers l'est, à quelques quatre cent mètres d'ici, j'ai croisé un Titan encore intact, suggéra le jeune cavalier.

-Merci ! » s'écria Jean avant de s'envoler vers les hauteurs.

Il attendit une poignée de secondes avant de se retourner, sans savoir pourquoi il en prenait la peine, et fut surpris de voir que Marco avait la tête toujours tournée dans sa direction. Il se détourna et se reconcentra sur son objectif.

Bertholt retint un gloussement en entendant un cri de guerre dans la distance, qui lui indiquait où Jean et Eren se trouvaient. Les deux avaient tendance à évoluer dans la section Sud de la forêt, tandis que le plus grand préférait passer la zone au crible fin dans un mouvement de spirale.

Il fonçait droit devant lui, sans lâcher un seul instant des yeux la tâche marron qu'il avait aperçue. Les arbres et les branches étaient des obstacles flous qui ne faisaient que mesurer la distance entre lui et son objectif. Il déboucha dans la clairière et vit immédiatement que la nuque était intacte. Il brandit ses lames, mais un sifflement agressif sur sa gauche le fit tourner la tête, et il eut le réflexe vif de les placer devant lui.

Le pied de Mikasa s'esquiva en une pirouette gracieuse et la jeune fille tournoya sur elle-même, les sourcils froncés de détermination, ses hanches clairement tournées vers le titan de bois. Elle n'avait pas pu l'éliminer de la course, alors elle comptait passer devant lui. Il n'avait pas le temps d'admirer les réflexes éclairs de son adversaire et il crocheta à son tour le bois.

Avec son poids et sa taille, il pouvait désarçonner Mikasa s'ils étaient au coude à coude ! Le tout serait de savoir si la jeune fille lui donnerait l'occasion. Tous ses muscles étaient crispés alors qu'ils fonçaient en lignes parallèles, et il s'orienta légèrement pour foncer vers elle, se retenant de déglutir s'il ne voulait pas s'étouffer avec sa langue dans la tension.

Mais Mikasa ne lui laissa pas le temps de tenter quoi que ce soit, car elle exécuta l'idée avant lui et tenta d'envoyer son talon dans la hanche de Bertholt pour le déséquilibrer, avant qu'il ne l'atteigne. Le jeune homme leva le genoux pour se protéger et empêcha Mikasa de l'envoyer bouler. Il perdait un peu d'élan et devait ajuster sa trajectoire, mais c'était toujours mieux. Il accéléra et parvint à passer devant la jeune fille, qui était plus déstabilisée que lui. Il y était presque ! Dans une poignée de secondes, il allait trancher la nuque du Titan et s'éclipser en vitesse.

-Bertholt ! »

L'appel le surprit tellement que sa tête vira vers Mikasa, et il vit très distinctement la jeune fille disloquer ses lames pour les envoyer droit sur lui. Avec un hoquet de terreur, il paniqua brièvement et ses réflexes prirent le dessus. Son bassin s'axa sur le côté et il enfonça le gaz pour esquiver l'attaque.

La seconde suivante, Mikasa avait déjà dégainé de nouvelles lames et taillait dans la chair du Titan. En s'élevant à nouveau vers les hauteurs avec un grognement défait, Bertholt eut tout juste le temps de la voir afficher l'ombre d'un sourire satisfait avant de foncer dans l'autre direction.

Il atterrit sur une branche pour reprendre son souffle, le cœur battant. Redresse-toi, résonna la voix de Reiner dans sa tête alors qu'il s'empêchait tout juste de passer par-dessus bord. Elle venait d'essayer de le tuer ! C'était interdit, et extrêmement dangereux ! Pourquoi avait-elle pris un risque pareil ? Et s'il ne s'était pas écarté à temps ? Il n'était pas sûr qu'elle ait visé un organe en particulier, mais à cette distance, elle l'aurait mis hors-jeu pour les Hunger Games à coup sûr !

Il se força à reprendre le contrôle de sa respiration. C'était le genre de situation auxquelles il allait devoir faire face pendant les Hunger Games, et d'un certain côté, il était reconnaissant à Mikasa pour l'expérience. Plus vite il se remettait, plus il serait efficace. Il sauta de sa branche et repartit à la recherche de nouveaux titans.

À l'oreille, il garda ses distances avec Eren, toujours bruyant, comme s'il mettait quiconque au défi de venir l'affronter. Il n'entendait plus Jean non plus, donc il devait être trop loin. Quant à Annie et Mikasa, elles étaient toujours impossibles à repérer.

À nouveau, il aperçut un autre titan de bois, et tous ses muscles s'orientèrent vers l'objectif avec une vitesse qui frôlait l'habitude. Il aurait pu sourire, car il sentait qu'il commençait à être prêt, mais il était trop concentré.

Eren déboula d'entre les arbres à sa gauche, tout juste dans son champ de vision, et Bertholt comprit immédiatement qu'ils avaient le même objectif quand le plus petit croisa le regard avec lui, ses prunelles embrasées.

Bertholt n'avait aucune intention de se laisser faire et accéléra. Pile avant d'entrer dans la clairière, il vit Annie juste en face, aussi rapide qu'eux, et il retint un sursaut. Elle aussi ?! Les enjeux venaient d'augmenter sévèrement, et il n'était plus si sûr de pouvoir s'en sortir.

Mais l'énergie qu'Eren dédiait à son objectif et la détermination tranchante d'Annie lui donnait envie de leur faire honneur et de faire de son mieux. Avec un frisson tendu, il pressa le bouton de gaz de toutes ses forces pour la première fois. Les trois sifflements fendirent le silence de la clairière.

La vitesse demandait une technique qu'il n'avait pas l'impression d'avoir, et pourtant son corps se plaça instinctivement pour soutenir son élan, presque allongé dans les airs pour lui permettre de frayer son chemin à travers. Il lui fallut un certain effort pour soulever ses lames malgré la pression du vent, mais le tranchant s'enfonça presque en silence dans la mousse et il fonça droit vers l'arbre d'en face, se rattrapant de justesse pour y appuyer ses jambes plutôt que son visage.

Il se retourna aussitôt, et tout allait presque trop vite pour son regard. Une encoche plus petite s'était ajoutée à la sienne, Annie tourbillonnait pour se jucher sur la tête du titan presque délicatement, Eren changeait de trajectoire et faisait le tour avec une expression féroce mais autrement indéchiffrable, et la voix de Pixis retentit d'entre les arbres sans que Bertholt ne sache d'où elle venait.

-Excellent, monsieur Hoover! Continuez comme ça ! »

Soit il était planqué dans les arbres, soit il avait la voix qui portait, soit il y avait un microphone de très bonne qualité. Il n'eut pas le temps d'essayer de répondre à sa question qu'Eren atterrissait sur l'arbre d'à côté, et cette fois Bertholt put voir que la férocité de son expression était causée par la largeur de son sourire.

-Joli, Bertholt ! T'as filé comme une flèche tout droit vers celui-là, c'était géant ! »

Le plus grand pouffa légèrement, toujours flatté par la sincérité brute d'Eren.

-En effet. déclara une voix sur leur côté, trop grave pour être celle d'Annie, et les deux garçons retinrent à grand peine des exclamations de frayeur en faisant volte-face.

-Monsieur Pixis !? »

Le vieil homme se tenait sur un troisième arbre de l'autre côté de Bertholt, pleinement équipé hormis pour les lames.

-Depuis combien de temps étiez-vous planqué là ? s'offusqua Eren, et Bertholt était encore trop surpris pour lui dire de faire attention à sa façon de parler.

-Depuis le début, ricana-t-il dans sa moustache. Je vais de titan en titan pour observer certains de vos exploits de mes propres yeux. Et monsieur Hoover, je me dois de vous féliciter.

-Pour quoi ?

-Eh bien, pendant tout votre enchaînement, votre forme était excellente ! D'ordinaire, vous vous penchez trop en avant, sûrement pour compenser votre trop grande taille, ce qui a tendance à vous déséquilibrer. Et ici, vous étiez parfaitement droit quand il le fallait !

-C'était ça ! »

Bertholt fit volte face cette fois vers Eren, qui ouvrait de grands yeux surpris et ne lui laissait même pas le temps d'être embarrassé.

-Je me demandais tout le temps pourquoi il tombait souvent en avant alors qu'il se débrouille très bien en l'air, c'est pour ça ! »

Cette fois, Bertholt rougit distinctement alors que Pixis éclatait de rire. Il était entouré de ses deux mentors de tridimensionnalité qui lui jetaient des fleurs, et ce n'était pas l'émotion la plus reposante du monde.

-Je... merci beaucoup, je ferai attention la prochaine fois. » déclara-t-il en se préparant à décoller.

Il s'envola vers les hauteurs, dans la même direction qu'Annie sans vraiment trop s'en rendre compte, par habitude, et Eren le talonna immédiatement.

-Hey, attendez-moi ! »

Eren s'envola à leur poursuite, alors que Bertholt arrivait presque au niveau de sa partenaire. Juste à ce moment, Jean arriva de plus haut dans leur diagonale droite, remarquable par l'écart total entre la discrétion de sa manœuvre et sa voix tonnante :

-Haha, bah alors Jäger, on est rouillé maintenant ? Fais gaffe ! Faudrait pas que ça infecte tes grappins ! »

C'était comme si l'arrivant venait d'appuyer sur un interrupteur. Hors de lui, Eren accéléra pour le rejoindre, et Bertholt était à peu près sûr qu'il n'avait pas réfléchi à ce qu'il allait faire. Heureusement pour sa santé mentale, Annie accéléra et dépassa les deux garçons à toute vitesse, les réduisant au silence alors qu'ils se dépêtraient pour ajuster leurs manœuvres et la dépasser, pour sauver l'honneur ou quelque autre raison de continuer à interagir qu'ils n'admettraient pas.

Il sursauta en voyant Annie regarder par-dessus son épaule et lui décocher un sourire fier, discret mais bien présent, et elle s'envola plus loin, en pleine course avec Jean et Eren.

Bertholt se retrouva un peu laissé derrière, mais il en était satisfait. Il avait le temps de penser à ce que Pixis lui avait dit. Son dos ? Même Eren n'avait apparemment pas été capable de comprendre ce qu'il fallait pour que Bertholt soit à cent pour cent de ses capacités. De la part de Pixis, c'était plus naturel, le vieil homme avait entraîné un nombre incalculable de recrues.

Alors pourquoi Reiner avait-il été capable de lui montrer le problème avant tout le monde ? Il se souvenait de ces quelques discussions, ces quelques claques dans le dos bien placées qui l'avaient incité à remettre sa colonne vertébrale en place. Des phrases en passant, des moments où Reiner lui demandait s'il avait rétréci en se mesurant à la hauteur de Bertholt de sa main...

Le jeune blond était extrêmement observateur, songea Bertholt, qui pourtant se targuait d'en être un également, et il avait à peine remarqué. Reiner devait avoir un don pour la tridimensionnalité peut-être, au vu du peu de temps qu'il lui avait fallu pour rattraper son retard. Ou alors il avait un sens de l'observation très aiguisé. Pourtant, Bertholt ne l'avait pas vu faire de même avec Annie ou Eren. Avec Christa, il ne pouvait pas savoir. Peut-être qu'il avait juste remarqué ça à propos de Bertholt...

Il se promit de faire attention la prochaine fois qu'ils se verraient tous ensemble.

Les derniers soupirs du gaz qui sifflait s'évanouirent dans un bruissement sylvain. Peu à peu, le concert du vent et des oiseaux – qui s'accordaient à la cime des pins – termina d'envelopper le petit air cyclique du harnais de Jean. Malgré les puissants accents, quasi flûtés, de sa manœuvre tridimensionnelle, l'orchestre de la forêt eut raison de son solo, et finit par le recouvrir.

Marco n'avait pas bougé de la tête. Trois ébrouements de Buchwald plus tard, il continuait de fixer le hêtre massif derrière lequel Jean s'était volatilisé. C'était à croire que, contre son gré, ses yeux avaient décollé, pris dans le souffle du mouvement aérien. Et maintenant, le jeune tribut ne pouvait qu'attendre leur paresseuse retombée.

Fort heureusement, la disparition du son accéléra leur chute et il put enfin détourner le regard du fameux hêtre, enfin sortir de sa torpeur. L'agilité de Jean l'avait pour le moins surpris. Surpris une fois de plus, à vrai dire. Le simple fait de l'avoir vu atterrir avec élégance dans la clairière, puis redécoller dans cette même légèreté subtile, avait démangé Marco d'enfiler un harnais sitôt son exercice terminé.

Il appréciait plutôt la manœuvre tridimensionnelle, bien qu'il ne la maîtrisait pas aussi bien que Jean. Ses mouvements avaient beau être plus bruts et tendus que ceux du jeune homme, il savait s'orienter dans l'espace et comment organiser sa gestion du gaz. Peut-être aurait-il pu rivaliser avec le niveau de Jean, si Ness l'avait plus entraîné à manier câbles et grappins ? Cette éventualité ne décevait pas Marco : il était reconnaissant de pratiquer l'équitation, d'en faire son atout. Il préférait considérer ses aptitudes très correctes, en équitation comme en tridimensionnalité, et s'en estimer heureux. Ness était l'instructeur parfait pour lui, il le savait. Si tout était à refaire, il ne changerait rien… hormis, bien sûr, comment il s'était débrouillé avec sa partenaire.

Le sabot de Buchwald tapa contre le sol et un nuage de poussière s'éleva, soulevant un peu de terre meuble. Marco lui tapota l'encolure en guise d'excuse, puis il claqua la langue. Son compagnon avait vraiment dû s'impatienter car il démarra au quart de tour ! Le pas énergique et volontaire du cheval à la robe baie foncé fit glousser son cavalier. Il décida, pour bien se faire pardonner, de lâcher la bride. L'exercice consistait juste à tenir plusieurs heures en selle, au pas, dans la plus grande discrétion possible. Comme Marco adorait chevaucher, il n'avait aucun problème avec cette épreuve. En plus, il savait qu'il pouvait compter sur l'autonomie de Buchwald pour se laisser emporter par la rivière de ses pensées, le temps de quelques minutes.

Il leva le nez vers le ciel et, les bras en arrière, vint cramponner le troussequin de la selle. Il laissa sa tête dodeliner à l'allure berçante de Buchwald. Puis, un nouveau rire germa en lui quand il se rappela qu'il venait de croiser Jean en plein exercice de tridimensionnalité pour la troisième fois ! Il laissa son hilarité éclore : décidément, ils n'arrêtaient pas de se tomber dessus !

Puisque Jean ne l'avait pas aperçu la première fois, et que leur deuxième rencontre avait été tout aussi brève que la première, ils ne s'étaient jamais échangés un seul mot, juste des regards indiscrets. Marco appréciait suffisamment la teinte noisette des yeux de Jean pour s'en contenter. Mais cette fois-ci, ils s'étaient quand même parlés ! Et il avait eu le grand plaisir de constater que le jeune homme était devenu bien plus abordable qu'à la bibliothèque ! Marco était ravi.

Il repensa à Minha, qui avait eu l'air plus sereine aux derniers « 24 », et son soulagement se transforma en un frisson de contentement qui lui chatouilla l'échine. Il avait la sensation d'avoir accompli sa mission, Jean ressemblait un peu plus à Marlow, c'est-à-dire à un tribut épanoui.

Et ça, Marco l'avait remarqué, tout naturellement, dans l'attitude du jeune homme dans l'application assurée avec laquelle il avait envoyé ses lames se ficher dans le bois d'une des cibles de Titans, dans ces deux dépliements secs et précis des coudes, qui avaient ouvert ses paumes avec force, par exemple. Le tout, juste avant de les remplacer par de nouvelles lames, dans un mouvement fluide et poli par l'habitude, d'ailleurs. Rien à voir avec la fébrilité nerveuse qu'il avait démontrée à la bibliothèque, il y avait quelques jours de cela.

Marco avait quand même eu peur que Jean ne retombe dans ses travers agités lorsqu'il avait aperçu le cavalier : le jeune homme du District Sept s'était étouffé sur un « Encore ?! » presque déplaisant, après tout ! Pourtant, il s'était ravisé juste après en prenant une respiration plus calme : il s'était ouvert à la présence de Marco ! Et, encore mieux, il avait veillé à garder la conversation en répondant à ses questions !

Plus qu'une évolution, ç'avait été une vraie transformation du côté de Jean ! Durant leur petite discussion, son regard n'avait pas été fuyant du tout. Cette fois, il avait tenu le contact visuel avec Marco de manière simple, honnête, agréable. Et le cavalier n'allait pas se plaindre d'avoir pu détailler à satiété ses fameuses prunelles noisette !

De toute évidence, Jean avait pris beaucoup d'assurance, ce qui lui avait fait défaut jusqu'alors. Marco se réjouissait d'avoir vu juste : plus que de la confiance, c'était vraiment une foi en ses capacités et qualités que le jeune homme avait eu besoin d'acquérir. Et, au vu de son attitude engageante, qui respirait le contrôle, avec un bienvenu soupçon d'ardeur, il l'avait développée… tout en restant lui-même : observateur, réfléchi et hardi ! Il y avait juste ajouté cette nuance de sérénité, d'acceptation de lui…

Maintenant, Marco était certain d'une chose : il admirait beaucoup Jean.

L'image précise du dernier coup d'oeil qu'il lui avait lancé, avant de disparaître dans le vert touffu de cet hêtre, lui revint aussi vive que le vent. Une lueur intriguée et très affûtée qu'il ne saurait trop expliquer, mais qui l'avait indéniablement frappé.

Son dernier petit « Merci ! » se mit à résonner aussi et Marco sourit en reprenant les reines de sa monture. Quelque chose, au fond de lui, lui intimait que ce remerciement était pour l'avoir confronté à ses angoisses, et à ce qui l'entravait, le jour de la bibliothèque. Qu'il y avait comme un double merci.

C'était peut-être contradictoire, mais se dire qu'il avait pu assister Jean dans son épanouissement en un tribut confiant et redoutable, pour Marco, c'était une forme de victoire aux Hunger Games. Une victoire contre la bestialité froide et assassine que le Capitole semait en eux, qui avait pris le contrôle de Jean à un moment… et que, désormais, le jeune homme avait dompté pour en faire sa force !

Le crissement métallique des câbles parvint à nouveau à ses oreilles, et Marco recommença à accrocher son regard dans la canopée. Avec un peu de chance, il s'agissait de Jean qui revenait de l'est !

Les sons distinctifs des équipements tridimensionnels tapissaient toujours la mélodie touffue de la forêt, mais pas un seul voltigeur n'était en vue… Il devait être plus loin et ne croiserait sûrement pas la route de Marco…

Le jeune garçon n'eut pas le temps de s'en désoler car il discerna l'intonation claironnante de Jean, qui traversait les nuages de feuilles :

-Haha, bah alors Jäger, on est rouillé maintenant ? Fais gaffe ! Faudrait pas que ça infecte tes grappins ! »

Selon toute vraisemblance, il avait déjà réglé son compte au mannequin de la zone est. Peut-être l'avait-il même transpercé de deux de ses lames, signant ainsi la maîtrise de son travail ? En tout cas, il s'attaquait désormais à la zone ouest où Eren – à l'entendre – avait l'air de se trouver…

-Hein ?! Mais t'es sérieuse, Annie ?! Je l'avais vu avant toi, bordel !

-Hehe… » pouffa Marco.

Annie aussi devait traîner dans le coin ! Il sourit, c'était comme si les mouvements aériens de la tridimensionnalité allégeaient l'ambiance entre les tributs qui s'y entraînaient. Sinon, il n'aurait pas pu être témoin d'un échange qui paraissait si banal – et, étrangement, si anormal étant donné les circonstances. Mais, avec les jeux, ils avaient tous découvert que, en vérité, banal rimait avec réconfort. Il laissa un soupir apaisé se mêler à l'air forestier.

Ça devait être ce qui lui manquait pour avoir la certitude que tout s'améliorait avec Ruth : du banal. Il sentait qu'il remontait dans l'estime de sa partenaire et s'en félicitait. Il en dormait mieux le soir, il ne voulait pas s'en plaindre, mais ce qui freinait leur symbiose, c'était l'absence cruelle d'une décontraction innocente et sincère entre eux.

Cette sincérité, Jean l'avait maintenant. Peu importe ce qui s'était passé, ses paroles à la bibliothèque ou bien le soutien et la présence bénéfiques de Minha et Hansi aux côtés du jeune homme, Jean s'était bien écarté du chemin qu'avait pris Ruth. Il aimait à espérer qu'il avait peut-être joué un petit rôle là dedans, et il en tirait une fierté très spécifique, une fierté sincère, elle aussi.

La petite fierté d'avoir laissé une marque sur quelqu'un, quelque chose de discret, d'invisible, mais de bel et bien présent. Le genre de délicatesse que Marco aimait. Non pas une victoire officielle aux Hunger Games, une gloire qu'il s'était lui-même approprié parce qu'elle lui convenait.

Son petit exploit à lui.

En dépit de ce qu'il adviendrait de lui, il pourrait toujours le garder à l'esprit, personne ne pourrait jamais s'en emparer. Le Capitole pouvait bien attendre de lui qu'il arbore la fameuse cape ailée, – qu'ils s'extasient dessus si cela leur tenait tant à cœur ! – Marco, lui, conserverait sa petite victoire personnelle, bien au chaud, en privé et à l'abri au fond de lui. Et ce serait ça, son étendard.

Les bras d'Eren se tendaient sous le poids des tapis de mousse qu'il transportait. Leur attirance vers le sol était presque magnétique, mais le tribut serrait les dents et tenait bon. C'était essentiel de ne pas flancher sous l'effort physique tout en portant le harnais. Aider les roses à ranger le matériel après leur exercice était une méthode efficace pour les endurcir encore plus.

Dans un grincement dentaire, Eren raffermit la position de ses coudes, puis il cramponna le tissu moelleux de la cible, comme s'il s'agissait d'une des dernières rations de l'hiver et qu'on allait la lui arracher des mains. Il était bientôt arrivé à la clairière où se trouvait la camionnette qui acheminait le matériel. Plus que quelques mètres et c'était bon, c'était pas le moment de faire une pause !

Il sentait comme une braise qui crépitait à l'arrière de son crâne et qui le brûlait de plus en plus : le feu d'un regard braqué sur lui ! Il pivota la tête pour jeter un coup d'oeil à son admirateur secret par dessus son épaule.

C'était Mikasa qui progressait plus vite que lui… avec plus de tapis de mousse dans les bras aussi… Dans son champ de vision, le tribut vit une des roses, un type assez grand avec un sacré nez droit, étudier sa camarade de Shiganshina, bouché bée. Il le comprenait, le pauvre. Même pour les habitués, c'était toujours assez impressionnant de voir la robustesse de Mikasa à l'œuvre. On ne voyait plus que sa tête tellement elle soutenait quantité de matériel !

Ce fut sur ce visage concentré, qui ressortait, qu'Eren ne manqua pas un petit pli d'inquiétude, entre les sourcils de la candidate. C'était gentil de se soucier de lui, mais là elle l'humiliait plus qu'autre chose ! Et, de toute façon, ce n'était pas comme si Eren croulait sous l'effort : il n'était même pas essoufflé !

-Eren, on devrait s'entraîner ensemble pour se coordonner avant le début des jeux. » lui annonça-t-elle comme si elle n'était pas en plein exercice physique.

Eren lâcha un puissant soupir de ses narines. Si puissant que les charges dans ses bras manquèrent de chuter au sol. En un éclair, il contracta tous les muscles de ses bras et serra le précieux matériel contre sa poitrine. Il soupira : il l'avait échappée belle, cette humiliation là.

-J'te l'ai déjà dit, je… préfère m'entraîner avec les autres pour mieux les observer. On aura le temps de s'organiser au début des jeux, t'inquiète ! »

Il pensait ce qu'il disait mais il voulait surtout construire sa propre force sans l'aide de la jeune femme. Eren savait pertinemment qu'il valait mieux qu'ils s'émancipent l'un de l'autre, et il se doutait que Mikasa en avait conscience mais n'osait pas le concevoir. Si ce n'était que ça, il ferait tout pour lui donner le petit élan qui l'encouragerait, elle aussi, à s'éloigner un peu.

Sur ces paroles, le tribut brun adressa une grimace de complicité à sa sœur et se réjouit de voir que le message était passé : elle acquiesça avec un petit sourire avant de le dépasser, en silence. Eren la regarda donc agrandir la distance entre eux à pas larges et sereins. Elle était définitivement très forte et si afficher sa vigueur avec une telle nonchalance pouvait dissuader les autres tributs présents de seulement songer à s'en prendre à elle… Par contre, si elle montrait de la compassion pour Eren, ils verraient vite qu'il était son point faible. Il ne voulait pas pourrir Mikasa comme ça… Elle le frôla encore, en route vers la forêt où il restait du matériel à ranger, et son frère frémit.

Eren se morigéna : c'était pas parce que les jeux commençaient bientôt qu'il fallait s'apitoyer sur son sort ! Il secoua la tête et, alors que la camionnette était toute proche, commanda à ses jambes de passer à la vitesse supérieure, il profiterait de l'exercice/corvée pour développer son endurance !…

Il aurait aussi pu s'en servir pour affiner son observation car son torse buta d'un coup sec contre une épaule ! Le choc le fit reculer et chuter, dans une averse de matelas blancs tranchés par des lames.

La main sur la jonction des clavicules, et l'autre qui compressait sa tempe comme s'il pouvait échapper un peu de sa frustration en l'éclatant, il toussa pour reprendre son souffle. Autour de lui s'amoncelaient ses cibles en tapis, ainsi que celles de Jean.

L'autre tribut était resté debout, malgré l'impact, et il affrontait le regard furieux d'Eren. Bizarrement, son expression était bien moins nette qu'à l'accoutumée. Eren n'aimait pas ça. Déjà qu'il pouvait pas piffer ce connard prétentieux, s'il le scrutait comme s'il concoctait un sale coup, Eren enragerait. Il fronça donc encore plus les sourcils alors que Jean continuait de le dévisager. Il avait l'impression que leur duel oculaire avait duré des semaines quand l'autre tribut se décida enfin à détourner le regard, et à commencer à ramasser. Eren l'entendit grommeler :

-… 'scuse. »

Eren ouvrit ses yeux si grand qu'il les sentit protester en piquant ses paupières.

-… c'est rien… j'regardais pas où j'allais… » grogna-t-il en s'appuyant sur son genou pour se relever.

Pour son plus grand bonheur, l'autre tribut ne réagit pas, ne persifla rien, ne ricana rien, ne souffla rien par les narines. Il avait juste hoché la tête en continuant de ramasser les cibles et de les charger à l'arrière du véhicule. Si Jean était décidé à ne pas faire d'histoire, Eren pouvait se montrer coopératif : il l'aida à tout ramasser, en silence.

Minha leur avait apporté son assistance quelques minutes plus tard, et les trois tributs avaient tout juste fini de ranger lorsque Mikasa revint de son nouvel aller-retour… du moins, ce fut la conclusion à laquelle Eren arriva en voyant Jean se figer sur place, une moue tendue au bec, comme un brigand pris sur le fait. Il devait être tout émoustillé de la voir afficher sa force de guerrière comme ça !

Le jeune homme lâcha un soupir épuisé qui siffla entre ses dents. Minha vint une fois de plus détendre la situation : elle posa la main sur l'épaule de Jean, et invita son partenaire à retourner chercher du matériel à ranger dans la forêt. La jeune fille aux couettes salua Eren en dessinant quelques demi-cercles dans l'air de l'avant-bras le candidat du District Sept, sur les talons de Minha, s'éclaircit la gorge en détournant le regard de Mikasa. Eren rendit son salut à Minha… ou il faisait carrément signe aux deux du District Sept… il ne savait plus trop, son corps s'était propulsé tout seul dans cet élan amical.

Il sentait un inconfort fébrile frémir en lui et il tourna vite le regard, bien décidé à retourner au boulot. Ses prunelles captèrent aussitôt l'arrivée d'Annie et de Bertholt, en plein rangement aussi ils revenaient de l'autre côté de la clairière. C'était l'occasion d'aller leur toucher un mot à propos de l'entraînement du lendemain ! Eren fonça à leur rencontre et s'étonna à peine de constater la vigueur de ses camarades d'entraînement. Les discrets du District Deux étaient capables de soulever quasiment autant de poids que Mikasa ! Après tout, Annie était aussi robuste qu'elle, et Bertholt avait une satanée force dans les bras !

-Hé, les gars ! » haleta Eren en les rejoignant.

Malgré les nombreux regards hésitants de Bertholt à sa camarade, ils ne s'étaient pas arrêtés pour Eren. Le jeune homme se doutait qu'Annie avait sûrement hâte de se débarrasser de son fardeau et qu'elle n'avait pas le temps pour une halte. Il vint donc se poster à côté d'elle et marcha à leur allure en expliquant le sujet de sa venue :

-J'vais avoir pas mal de trucs à faire demain. On peut décaler l'entraînement à plus tôt ?

-Pas d'objection, lâcha la martialiste.

-Non, pas de problème, Eren ! Je me charge de passer le mot à Reiner, si tu veux, lança Bertholt en tournant la tête vers le candidat brun.

-Hein ?! Comment ça ? »

L'effort devait commencer à fatiguer Bertholt. Le visage de la grande perche rougissait alors qu'il détournait le regard, comme s'il voulait le noyer dans le blanc délavé des cibles en mousse.

-Je… je sais pas si je suis autorisé à te le dir… »

Un léger coup de coude d'Annie interrompit Bertholt et le grand brun se mit à la fixer, elle. Eren ne voyait que l'arrière de sa tignasse blonde, il n'avait aucun moyen de savoir quelle expression elle pouvait bien afficher à son partenaire. Mais il vit les traits de Bertholt se décrisper. Le tribut adverse avait l'air rassuré : à croire qu'Annie venait de lui donner l'autorisation quelconque qu'il cherchait.

-Euh, c'est juste que Reiner s'entraîne toujours aux mêmes heures au gymnase, le matin et le soir. Une fois qu'on le sait, il est plutôt facile à trouver. Je ne savais juste pas s'il voulait que je te le dise…

-Si Eren vient et finit par le gonfler, il changera ses horaires de passage, intervint Annie en balançant presque les tapis dans la camionnette.

-Hé, pardon là ?! Qu'est-ce qui te fait dire que je vais le « gonfler » ?! Je suis pas non plus un gros forceur ! »

Pour toute réponse, Annie lui décocha un haussement de sourcil désabusé et tourna les talons, laissant Eren en plan. Il fronça ses sourcils à lui : est-ce que Reiner avait déteint sur Annie au point où, elle aussi, commençait à le titiller ? Bertholt gloussa, déposa le matériel avec précaution, puis il baissa le menton pour s'excuser auprès d'Eren et rattrapa sa partenaire en trois foulées. Eren déglutit : est-ce que Bertholt pensait la même chose, d'où son fichu rire ?

Le départ de Bertholt révéla la silhouette de Mikasa, adossée contre une des portes arrière du véhicule, et freina net le train de ses pensées. Il ne l'avait pas vue ! Intrigué, Eren allait s'avancer vers elle, mais elle fut plus rapide et retourna vers la forêt d'un pas ferme.

Comme ça. Sans rien dire. En feignant de ne pas l'avoir remarqué. Il se mordit la lèvre : est-ce qu'elle était restée pour les écouter parler ? Qu'est-ce qu'elle avait entendu ? D'un seul coup, l'ombre des arbres lui paraissait plus oppressante. Mikasa était calme et discrète, mais pas autant qu'Annie. Et elle n'était jamais silencieuse avec lui.

Là, elle l'avait juste ignoré et il ne savait même pas pourquoi. Un frisson remonta son échine. Une ascension rouillée qui lui tordait la colonne vertébrale. Pour la première fois, il eut la désagréable sensation que Mikasa lui cachait délibérément quelque chose. L'atmosphère vert forêt l'enserrait. Un étau qui se resserrait.

-Bon, qu'est-ce que tu cherches plus précisément ? Tu as une idée de la couleur ? »

Christa la regardait sans trouble apparent mais Ymir voyait bien qu'elle pinçait ses joues. Elle essayait d'éclater la bulle de fierté qui gonflait en elle, hein ? Pourtant Ymir ne voyait pas ce qu'il y avait de si extraordinaire à insister pour que ce soit Christa qui la conseille, et pas la première vendeuse venue. C'était quand même vers Christa qu'elle avait fait l'effort d'aller, c'était pas pour la remplacer juste après ! Ymir aimait les choses simples : elle avait demandé à la petite blonde, ce serait donc elle qui l'accompagnerait, point.

Elle se pencha vers la flopée de rouges à lèvres. Il y en avait de toutes les couleurs et toutes les teintes : ça devait être impossible de tous les avoir sans jeter jusqu'à la dernière de ses pépettes par la fenêtre ! Heureusement que le Capitole lui refilait de l'argent de poche tous les jours… Ymir ne pouvait pas les sentir, et encore moins comment il faisait d'elle une de leurs pouliches en achetant sa docilité (comme si elle avait eu le choix de se retrouver là en plus!), mais elle devait admettre que ça lui permettrait de remercier un peu Nanaba pour tout, pour avoir cru en elle.

La jeune femme reconnut une teinte similaire au rose brillant qu'elle avait vu sur son instructrice et se redressa en posant un doigt à sa bouche, sans détacher le regard de toutes ces couleurs flashy, son autre main grattant sa tête.

-Hmm, elle en avait du rose mais j'aimerais lui trouver une autre couleur…

-Très bien, elle a des lèvres fines si je me souviens bien, non ? »

L'image de Nanaba la veille revint à Ymir et elle l'approcha pour l'étudier de plus près. Sa mentor avait de petites lèvres qui se posaient toujours délicatement sur les choppes de bière. L'humidité, mais aussi le maquillage brillant qu'elle appliquait dessus, leur donnaient du charme. Mais rien de criant. Une discrétion solennelle qui se gravait dans la mémoire aussi soudainement et brutalement que le marteau dans la pierre. Une sorte de dignité redoutable, agressive si on tombait dans le piège. Tout Nanaba en somme…

-Assez oui…

-Okay et, dis-moi si je me méprends, elle a des racines brunes ? poursuivit sa conseillère attitrée.

-Yep ! Couleur chocolat !

-Alors dans ce cas, tu vas pouvoir me servir de référence ! »

Et là, comme ça, elle lui colla un rouge à lèvres sous le nez, toujours avec cette petite bouille ravie ! Cette enfant gâtée prenait Ymir pour un jouet ou quoi ? Les sens en alerte face à la menace, Ymir prit ses distances et brandit ses mains devant elle pour défendre son intégrité.

-Holà, attends un peu là ! Il est hors de question que je mette du rouge à lèvres, c'est pour les… »

Les pimbêches. La petite tête blonde eut la décence de s'immobiliser pendant qu'Ymir cogitait. C'était vrai qu'elle avait trouvé du bon au maquillage, mais de là à en mettre sur elle-même, il fallait pas pousser Mémé Fierté dans les orties ! Ça lui irait pas, Ymir était plutôt habituée à avoir de la crasse, des bleus ou des croûtes sur le visage : ça, ça lui allait mieux. La tribut allait juste se ridiculiser là.

-En fait… »

L'irruption de la voix de l'autre jeune fille incita Ymir à incliner la tête sur le côté. Est-ce qu'elle se lançait pour passer à l'offensive, comme elle faisait parfois ? Si oui, Ymir était toute ouïe. Christa joignit ses mains, mêla et démêla ses doigts tout en continuant d'une voix posée :

-… vous avez toutes les deux des lèvres fines et des cheveux bruns… et puis, je me disais que si tu pouvais tester le rouge à lèvre que tu vas lui offrir, ça vous ferait un sujet de discussion et de comparaison. Je pense même que Nanaba sera touchée que tu l'aies pris tant à cœur. Tu crois pas ? »

Elle lui décocha un sourire bien niais. Pas franchement convaincant. Pourtant, elle venait de lui dire qu'elle avait les mêmes lèvres et cheveux que Nanaba… y avait-il donc une chance que ça lui aille autant que les traces de sang séché aux commissures ? Ymir posa la main sur sa hanche, résolue.

-Ça marche… soupira-t-elle.

-Merci. » chantonna la gagnante.

Et là l'imprévisible se produisit ! Dans le plus grand des calmes, la petite tête blonde lui chopa le poignet ! Mais ça n'avait rien à voir avec les marchands qui la surprenaient en train de chaparder, c'était beaucoup plus doux. Même le tartinage de la couleur sur sa peau était aussi léger qu'une plume. Sans rien dire, Ymir laissa Christa faire. La tribut s'occupa en regardant ses mains à l'œuvre : elles étaient si minuscules ! Même la petite Annerose devait en avoir de plus grandes ! Petites et frêles comme des brindilles et pourtant duveteuses à souhait. Elles lui rappelèrent les lits de fortune qu'Ymir se faisait avec des amas de morceaux de couvertures trouvés par-ci par-là. Pendant un instant, la jeune femme voulut les serrer le plus fort possible contre elle et s'imprégner de leur douceur une dernière fois avant de se lever et affronter une nouvelle journée…

-On va partir sur une teinte brillante qui sied aux lèvres fines, avec de quoi aller aux nuances chaudes qu'ont vos deux teints et, en s'aidant de tes cheveux, on pourra jouer sur le rappel aux couleurs de ses racines, ça sera plus discret que le platine de sa teinture. »

Toutes ces belles paroles rentraient dans l'oreille d'Ymir pour sortir de l'autre. Elle entrevoyait la couleur rosée s'affirmer sur sa peau, le regard fourré dans ses souvenirs.

L'instant intense se dissipa pour de bon quand elle s'aperçut que son propre poignet se rapprochait d'elle contre son gré : dans cette même douceur apaisante, Christa l'orientait. Ymir n'avait plus l'énergie de s'en scandaliser. Elle laissa la petiote faire, de plus en plus intriguée par l'étendue de son potentiel.

-Corail, ça te va ?

-Bah, c'est déjà sur ma peau maintenant… alors autant se lancer… lâcha-t-elle comme si elle revenait d'un lourd sommeil.

-Je vais prendre ça pour un oui. Penche-toi un peu vers moi, s'il te plaît. »

Une idée se fraya un chemin dans son esprit et arracha un sourire jubilatoire à Ymir. Elle venait de trouver le meilleur moyen de bien se réveiller.

-Quoi ? Même sur la pointe des pieds, t'es trop petite ?

-Je vais prétendre que tu n'as rien dit sur ma taille et te redemander de te pencher vers moi. S'il te plaît. » rétorqua Christa du tac au tac, martelant les politesses d'usage de sa langue au passage.

Le sourire d'Ymir s'élargit jusqu'à grandir en gloussement. Elle n'attendait que ça ! Et, en toute honnêteté, Christa venait de la jouer fine comme elle aimait. Sa curiosité toute piquée, elle accepta de se prêter au jeu pour mieux observer Christa et se pencha.

-D'accord, d'accord, mademoiselle ! »

Elle maintenait droit le menton d'Ymir du bout des doigts et plaquait ses lèvres l'une sur l'autre, visiblement aussi concentrée qu'une artiste. Même ses yeux étaient verrouillés sur la jeune femme comme deux oiseaux de proie bleus. Ça chatouillait un peu. C'était toujours aussi doux, presque sirupeux sur ses lèvres. Ymir sentit une note sucrée se déposer sur le bout de sa langue, qui confirma ses pensées.

-Présente un peu plus tes lèvres, s'il te plaît, lui demanda la petiote, toujours aussi polie.

-Hein ?!

-Rrhaa… Comme si tu allais faire un bisou, comme ça ! »

Voilà qu'elle revenait à la charge sans prévenir ! Comme ça, elle venait de voler un baiser aux centimètres qui les séparaient. Les lèvres de Christa, elle les vit se présenter, oui ! Elle vit l'humidité de sa peau – à l'endroit qui baignait tous les jours dans sa salive – les faire briller, et une petite entrée vers la langue de Christa s'ouvrir comme une fleur, avant de se refermer et de lâcher un discret smooch. Ymir eut soudain très soif.

-Pousse tes lèvres, ça les fait ressortir et ça me permet de recouvrir plus de surface avec le stick, continua Christa comme si de rien n'était.

-Oh, okay, comme ça ? »

Elle allait lui montrer ! Si la mistinguette – après avoir montré les crocs, il y avait trois jours de cela – lui mettait l'eau à la bouche comme ça, Ymir n'allait pas se laisser faire ! Elle avait même très hâte de voir comment Christa se défendrait face à ses attaques.

Alors, dans la plus grande nonchalance, elle entrouvrit sa bouche et laissa l'air entrer par le petit passage qu'elle dégageait, non sans s'assurer qu'elle soufflait suffisamment fort pour faire frémir les narines de la blondinette ! Le nez de Christa frissonna, ses sourcils se froncèrent : bingo ! En plus, elle lui faisait le plaisir de tordre sa mâchoire pour tenter de dissimuler sa gêne. Ymir appréciait cet élan de générosité autant que l'expression impressionnée qui se peignait sur le visage de la jeune fille, et ce malgré les efforts de Christa pour la cacher.

Malheureusement, la damoiselle avait fini de la maquiller. Elle reposa le rouge à lèvres et fit signe à Ymir de s'approcher du miroir. Elle avait peur de trahir son embarras si elle parlait, hein ? Pas peu fière d'elle, Ymir gambada vers son reflet et se découvrit un tout nouveau visage avec stupeur !

Elle n'aurait jamais pensé que ses lèvres pouvaient être aussi épaisses… le pire étant que ça ne lui allait pas trop mal. Le reste de son visage apparaissait plus fin, ses yeux plus perçants. Si les regards étaient des armes, Ymir ferait un carnage… et elle se maquillerait plus souvent !

-Ça te va bien. »

La petiote avait retrouvé sa voix a priori. Elle était aussi posée qu'à l'habitude, Ymir décida de lui laisser quelques secondes de répit.

-Et tu crois que ça ira à Nanaba ?

-Oui, mais je te propose d'essayer aussi le pêche, répondit-elle en lui tendant une lingette. Peut-être qu'il te plaira plus…

-Vendu ! (Ymir constata à l'odeur qu'il y avait du démaquillant sur cette lingette, ça empestait le chimique!) Et après, c'est à mon tour de te maquiller.

-Pardon ?!

-Pour voir si j'ai bien appris ma leçon ! » s'expliqua-t-elle dans un clin d'oeil.

Elle avait bien dit « quelques secondes » de répit et, oh quelle bonne surprise, Christa ricana en attrapant le stick pêche. Ymir se retint de se frotter les mains et l'accueillit déjà penchée, déjà sur le point de l'embrasser.

Christa ne broncha pas, ou du moins ne le montra pas. Mais il allait en falloir plus si elle comptait décourager Ymir, surtout quand la jeune femme s'amusait à ce point ! Face au malin plaisir pris par Ymir, l'application de Christa forçait le respect. Elle prenait très au sérieux son ouvrage et Ymir en était un peu touchée. Après tout, c'était bien la première fois que quelqu'un essayait de la rendre plus belle. En plus, avec cet air digne qu'elle maîtrisait à la perfection, Christa était du bonbon pour les mirettes !

-Voilà, c'est fait ! Je te laisse en juger. » déclara-t-elle avant de la laisser aller vers le miroir.

Le résultat plut encore plus à Ymir. Le pêche était moins brillant que le corail et cela lui rappela tout de suite la discrétion de Nanaba, elle l'aima sur-le-champ.

-C'est d'enfer !

-Et comment ! »

À ses paroles, elle jeta un coup d'oeil vers Christa et… Waouh… elle avait les poings serrés sur les hanches, se tenait toute droite, toute fière, toute pimpante et… Est-ce qu'elle avait toujours eu d'aussi beaux cheveux ? De loin, ils lui avaient paru un peu ternes, secs comme de la paille. Mais quand elle se passa la main dedans, c'était comme si le contact avec ses doigts de fée leur avait redonné tout l'éclat dont ils avaient eu besoin, d'un coup de baguette magique. Elle venait de changer la paille en blé doré ! De peur de s'aveugler si elle continuait à regarder, Ymir reposa ses yeux sur le miroir le plus furtivement possible.

-En plus de faire ressortir le brun des cheveux, le pêche complimente à merveille une peau pâle. Autrement dit, c'est parfait pour Nanaba ! continua Christa.

-Et, le délire des teints chauds aussi ça joue, non ? glissa Ymir pour sauver la face, elle se décida à tourner à nouveau la tête vers Christa.

-Oui, les nuances fruitées se prêtent bien aux teints chauds… comme les fruits qui ont besoin du soleil pour pousser, tu vois ? lui sourit-elle de toutes ses dents. Si je peux me permettre d'ajouter un petit commentaire : celui-là te va très bien. Tu as des lèvres humides et fermes en plus. C'est dommage que tu ne te soies jamais maquiller car tu portes le rouge à lèvres avec beaucoup de naturel. »

C'était trop beau pour être vrai ! Christa n'avait donc pas conscience de ses charmes ou alors faisait-elle exprès d'être aussi irrésistible avec ses petites mimiques adorables, ses petites façons de parler qui faisaient encore transparaître des traces d'innocence, sa petite politesse outrancière de fille de bonne famille qui lui donnait un naturel si précieux, son petit sourire ? Ymir saisit une lingette de démaquillant et laissa éclater sa joie dedans. Elle prit la forme d'un rire claironnant.

Elle s'amusait tellement aux côtés de Christa, bien plus qu'elle ne l'aurait jamais soupçonné ! Maintenant qu'elle la cernait un peu mieux, elle s'apercevait qu'elle ne l'agaçait pas le moins du monde. Au contraire, elle la fascinait sur tous les plans. À l'instar de Nanaba, Christa avait du charme, ce même charme digne qui commandait beaucoup de respect. Mais, contrairement à l'instructrice d'Ymir, la dignité de Christa était moins redoutable que celle de Nanaba, moins éclatante. C'était parce qu'elle la cachait derrière des bonnes manières de demoiselle, mais la véritable dignité de Christa – celle qui jaillissait quand elle posait les mains sur ses hanches ou revendiquait son droit à la parole –, cette flammèche qui brûlait au loin, lorsqu'elle se révélait, elle était destructrice. Ymir en avait fait les frais.

La jeune femme déposa son regard sur elle et s'aperçut avec délice que Christa avait l'air vexée et décidée à ne pas laisser Ymir rire d'elle. Pour être certaine, Ymir continua de détailler ses prunelles azur quelques microsecondes, le temps qu'il fallait pour que sa rétine les apprennent par cœur, puis laissa ses yeux retomber. Elle savait quoi faire !

Cette petite flammèche de dignité n'avait l'air de rien comme ça, surtout comparé à Nanaba et son marteau qui gravait sur la pierre, mais si Ymir trouvait le moyen de l'embraser, elle se transformerait en une tornade de flammes. Si Ymir trouvait le moyen de faire éclater au grand jour tout le potentiel de Christa, si elle comprenait comment le maintenir constamment éveillé, qu'il n'ait plus à se cacher et réapparaître par-ci par-là à de rares et discrètes occasions, Christa resplendirait. Incandescente, personne n'y résisterait et Ymir en succomberait la première. Cela tombait bien, Ymir adorait jouer avec le feu !

Christa venait de passer une bonne demi-heure à la rendre plus belle, il était temps pour Ymir de lui rendre la pareille. Et, très égoïstement, elle brûlait d'envie de continuer à admirer la beauté cachée de Christa.

En deux foulées, sur la pointe des pieds, elle réduisit l'écart entre elles à une poignée de piteux centimètres. Christa se raidit, l'air incrédule, alors qu'Ymir se penchait au dessus de son épaule sans la lâcher des yeux. Christa continuait d'affronter son regard, de la perplexité plein les yeux. Elle avait beau tressaillir, ses prunelles ne ployaient pas sous le poids de celles d'Ymir, elles paraissaient ensorcelées. Le petit nez de Christa remua quand Ymir expira. La jeune femme savoura sa victoire. Elle laissa son menton froisser la veste de la petiote avant de se redresser, l'objet de sa quête en main et le sourire aux lèvres.

Parmi la pléthore de couleurs pétantes qui s'étalait sur le présentoir, Ymir avait dû trouvé celle qui valoriserait le mieux Christa le temps d'un coup d'oeil et d'un geste de la main improvisé. Instinctivement, elle avait opté pour un rouge très sombre, qui faisait assez noble, et qui – elle l'espérait – irait à ravir avec la peau pâle, couleur mie de pain, de la blondinette.

-C'est vrai que ça commence à me plaire… Et maintenant, à mon tour ! » annonça-t-elle, le goût de son triomphe encore dans la bouche.

Malheureusement pour Ymir, Christa n'allait pas la laisser se reposer sur ses lauriers. La damoiselle rappliqua aussitôt en dépoussiérant son uniforme de deux coups de mains secs, puissants, impérieux. Après quoi elle releva la tête vers Ymir, son expression était toujours aussi assurée et imperturbable. Qu'est-ce qu'elle vendait du rêve comme ça ! Ymir ne retint même pas un rictus d'excitation de se dessiner sur son visage. Christa venait de contre-attaquer et elle devait s'avouer touchée.

L'exemple dressé par Christa encore bien à l'esprit, elle s'inclina vers la jeune blonde et constata avec effarement que, sans dire un mot, celle-ci fermait les yeux et lui montrait ses lèvres ! Ymir se mordit la langue pour résister à la tentation de lui voler un baiser. Ce n'était pas le but, si ? Elle se méprenait, pas vrai ? Alors pourquoi est-ce qu'elle ne faisait pas preuve d'un peu de pitié envers la misérable Ymir, la miss sainte-nitouche ?

La jeune femme déglutit et posa, dans la plus grande déférence qu'elle pouvait, le bout de ses doigts sur le menton de la demoiselle. Elle effleura le rose pâle de ses lèvres et s'appliqua à leur apporter plus de caractère. Une férocité assumée qui les raffermirait et qui embellirait leur propriétaire. Ymir ignorait si les rouges à lèvres étaient inflammables, s'ils l'étaient, elle se les serait tous appropriée pour alimenter le feu de Christa, faire grossir cette flammèche et déchaîner tout un brasier. Ce ne fut qu'à cet instant qu'Ymir songea qu'une couleur rouge flamme lui serait peut-être mieux allée.

Horreur ! Perdue dans ses pensées extasiantes, elle venait de dépasser et de tâcher la peau de Christa d'une vulgaire trace de maquillage toute graisseuse ! Hors de question de la laisser la souiller plus longtemps ! D'un coup furtif et calculé du petit doigt gauche, elle l'effaça. Ymir avait voulu que ce contact soit aussi doux qu'une caresse, mais elle ne savait même plus qui du menton de Christa ou de son auriculaire venait de s'émoustiller le plus dans l'histoire !

Elle lâcha un soupir en reposant le produit et offrit à Christa, qui venait de rouvrir ses beaux yeux azur, le spectacle de sa meilleure révérence en énonçant :

-Si mademoiselle voudrait bien se donner la peine de miser un peu sa bouche… »

Christa s'approcha de la glace, et silence. Ymir sentait que la couleur n'était pas des plus judicieuses et elle s'en maudissait déjà, pourtant il lui fallait entendre l'avis de Christa, c'était important pour elle.

-Alors ?

-Il y a de l'idée mais le rouge à lèvres mat m'affine un peu trop la bouche… Tu crois pas ? »

Ymir n'eut pas le temps de se dire qu'elle était adorable à pointer sa propre bouche du bout du doigt comme ça, tout venait de cliquer et de faire sens dans sa tête ! Voilà ce qui n'allait pas ! Christa continua ses explications :

-La couleur est très grasse et pleine, ce n'est pas la meilleure combinaison pour les peaux pâles comme la mienne. C'est quelque chose qui t'irait mieux, par exemple… mais tu as bien vu que la couleur se prêtait aux teints froids ! lui sourit-elle, éclatante.

-Okay, vas-y ! Venge-toi ! lança Ymir en lui tendant un stick à lèvres qu'elle venait de choper.

-Pardon ? Mais pourquoi ? »

Voilà qu'elle recommençait avec le jeu de la lady parfaite ! C'était rageant de savoir qu'elle gâchait un aussi beau potentiel ainsi… et en même temps jouissif car c'était à Ymir qu'il incombait de titiller suffisamment Christa pour la mettre sous son plus beau jour, réveiller la reine, le feu en elle. Rien que pour avoir le luxe de se régaler de cette somptueuse vue plus longtemps.

-J'ai fait une connerie, alors à ton tour de me donner un look pas possible ! »

Après un vif temps de réflexion, Christa lui prit le stick des mains pour juger de la couleur. Les lèvres d'Ymir se tordirent de joie et de hâte. En refermant le rouge à lèvres d'une couleur orangée, Christa dépassa Ymir, en direction des autres produits de maquillage. La jeune femme la suivit du regard, impatiente.

-Très bien mais, abricot, ça fera pas l'affaire. Il me faut plutôt celui-là ! »

Une étincelle de malice pétillait dans ses prunelles et Ymir dut fournir un effort surhumain pour, une nouvelle fois, défendre ses lèvres d'embrasser la bouche de Christa. Au diable les contradictions ! Elle se retiendrait car ça, c'était plus important ! Elle désirait ardemment voir Christa aussi assurée et irrésistible, même si ça lui demandait une rude retenue. Malgré sa grâce lumineuse et chaleureuse, on se blessait si on s'approchait trop du feu. On devait apprendre à le contempler de loin, envoûté par la danse des flammes.

Alors Ymir se résignait à guetter la flammèche qui s'annonçait dans l'azur.

J-7

() …

ça y est, Ymir est convertie au christannisme

Doki aime sacrément caser des baies vitrées dans le décor...