Rien n'a changé, pauvre crétin ! Tu ne peux rien faire ! Absolument rien !
OST SNK qui se prêtent bien à l'ambiance = - Shingeki St 20130218 Kyojin -
- Ymniam – Orch -
- Shingeki Pf – Adlib – C 20130218 Kyojin -
- Aots3-Pf2 -
- Nightmare -
- Omake-Pfadlib -
- Aots2m #1 -
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Le vacarme rugissait dans ses tympans et des ombres tourbillonnaient autour de lui, le scrutant, l'évitant, l'immobilisant, l'attaquant. Ses mains le brûlaient de lâcher prise mais il ne pouvait s'y résoudre parce que quelque chose le poussait en avant. Il se retournait et les ombres s'étaient évanouies, pourtant il n'y avait toujours pas la moindre lumière. Ses mains fondaient, en continuant de supplier, tandis que ses os déteignaient sur l'acier des dagues. Il se mélangeait et s'avançait dans la pénombre, sans savoir comment s'arrêter. Il tomba dans le précipice.
Les yeux d'Eren sursautèrent alors que son corps commençait à émerger d'un sommeil pesant. Le tribut porta une main à son front. Il y avait encore de la peau dessus, ce n'était qu'un cauchemar. Par contre, c'était au tour de son front de le brûler. Il serra sa couverture plus fort en remarquant qu'elle était verte et qu'elle affichait deux ailes. Les Jeux avaient commencé et il avait survécu au premier tour.
Comment ? Ses souvenirs se dégageaient petit à petit du brouillard de l'éveil, mais Eren avait beau se creuser la mémoire, il ne lui revenait que toutes les hésitations, les occasions ratées, les terribles décisions, les impardonnables moments de flottement rien qui ne justifiait sa survie, que les signes d'un gigantesque faux départ.
Trente jours d'entraînement et de préparations pour un plantage. Un mental d'acier qu'il avait affûté pour un échec déplorable. Une condition simple, tuer pour gagner, qui lui avait fait défaut au beau milieu du carnage pour un fiasco total.
Il ne s'était pas assez préparé pour le premier tour : Mikasa avait eu plus que raison de s'inquiéter. Il aurait dû l'écouter, comme d'habitude. S'il avait tout raté, il ne lui restait plus qu'à tout réparer et se rattraper auprès d'elle ! À la fraîcheur qui parfumait l'air, il se doutait qu'il s'agissait du matin du deuxième jour : il n'y avait plus une minute de plus à perdre.
Un tapis de feuilles lui servait de matelas, une deuxième cape soigneusement repliée (à coup sûr celle de Mikasa), d'oreiller. Il détailla les environs de sa couchette de fortune et comprit qu'il avait dormi dans le tronc d'un arbre creux. L'odeur de l'écorce et de l'humidité lui réchauffait les narines.
Son dos aussi gagnait en température et, maintenant que ses yeux s'adaptaient à la clarté du lever de soleil, il jeta un coup d'oeil par dessus l'épaule. Une large brèche dans le tronc laissait la timide lueur matinale pénétrer à son rythme, montrer les nuances de la nature sous un nouveau jour : celui de la première journée complète aux Hunger Games. Et même s'il ne se remémorait pas comment il avait perdu connaissance, Eren ne savait que trop bien qu'il devait chacun des battements de son cœur à sa sœur.
Le jeune homme s'extirpa de la couverture pour enfiler la cape. Celle de Mikasa dans les mains, il sortit du trou d'écureuil à échelle humaine, en prenant soin de faire le moins de bruit possible et de s'assurer qu'il n'y avait aucun danger dans les parages.
Une sale pointe compressait encore les parois de son crâne, comme si sa tête s'apprêtait à exploser. Espérant que l'air frais l'apaiserait, il enjamba la brèche, baissa la tête pour éviter de se cogner et d'aggraver son cas, avant de s'avancer vers sa partenaire. Elle montait la garde entre des buissons, à moins de deux mètres du grand arbre. À l'arrivée de son frère, elle se raidit et le fixa. Il allait la saluer mais elle le devança :
-Comment tu te sens ? »
Il s'assit péniblement à côté d'elle, une main sur le front.
-Ça va, j'ai juste un peu de mal à me réveiller. »
Elle lâcha ses lames et brandit ses doigts devant lui. Les mains de la jeune femme avaient beaucoup changé en l'espace d'une seule journée.
-Q-que…
-Eren, combien j'ai de doigts ? »
Il fronça les sourcils en lui tendant sa cape.
-Mais qu'est-ce qu'il te prend ?
-Réponds, insista-t-elle en s'emmitouflant dans l'habit vert.
-Okay… soupira-t-il, cinq. Pourquoi tu me demandes ça, au juste ? »
Elle rapprocha son front du sien. Eren eut à peine le temps de s'étonner, qu'elle reprenait déjà son poste en répondant :
-Tu es brûlant, confus et tu as beaucoup dormi. Après le choc que tu as reçu, je crois que c'est une commotion cérébrale.
-Mais non, ça va, j'te dis !
-Très bien : comment t'es-tu évanoui ? »
Les prunelles noires de Mikasa se verrouillèrent sur lui, et son absence de réponse. Elle reprit ses armes en mains et Eren se frotta le crâne comme si une explication pouvait tomber, telle une pomme d'un arbre, mais rien. Il cheminait à tâtons dans le brouillard de ses souvenirs. Où brillaient quelques douloureux phares : Ymir qui assassinait Ursula Annie, Bertholt et Reiner qui se battaient le désespoir dans les yeux de Franz la peur dans ceux de Thomas…
« … c'est bien ce que je me disais, reprit Mikasa sans le regarder, tu as aussi des troubles de la mémoire. »
Il déglutit et plongea son regard vers la terre, incapable de continuer à mentir à sa partenaire, même dans le but de la rassurer. À la place, il hocha la tête. À nouveau, il lui mettait des bâtons dans les roues. Eren venait tout juste de se réveiller d'un sommeil d'une dizaine d'heures – Mikasa n'avait sûrement pas fermé l'œil pendant une seule seconde de ce laps de temps –, prêt à se relever et à en découdre, et voilà qu'il n'apportait rien à sa coéquipière, hormis du souci et des corvées en plus. S'ils devaient s'occuper de son cas, autant se montrer coopératif et régler ce contretemps au plus vite.
-Je suis désolé. »
Elle s'arrêta dans sa besogne pour le considérer, yeux grands ouverts. Eren se racla la gorge avant d'élaborer :
« Pour mon faux départ, hier. J'ai complètement merdé et voilà où on en est… »
Il accompagna ses paroles en pointant du doigt les lames de sa sœur encore tâchées de sang, qu'elle s'affairait à nettoyer depuis son réveil, au moins. Elle s'interrompit le temps d'une profonde inspiration, avant de se remettre à frotter ses armes avec de larges feuilles, de ses délicates mains rouge séché.
-C'est celui de Samuel. »
Le soupir des feuilles qui se lacéraient contre l'acier poisseux les enveloppa. Mikasa greffait ses yeux au fer, et Eren à la terre. Il voulait prendre le temps de penser au jeune homme du District Cinq, avant de relever la tête et de contempler le ciel pour la première fois, avec la certitude qu'il était mort. Il se doutait qu'il ne serait plus du même bleu à ce moment.
-J'ai vu Ursula… souffla-t-il, le regard toujours attaché à l'herbe. Mais ils ne sont pas les deux seuls, non ?
-… non. Il y a aussi Tom, Laura, Sandra, Floch, Minha et Thomas.
-Minha et Thomas aussi ?
-… oui…
-Je vois… on n'aura jamais eu à les tuer, au moins. »
Mikasa frémit et Eren leva la tête. La canopée cachait le ciel.
« J-je devrais peut-être manger quelque chose, poursuivit-il.
-Euh, oui ! J'ai demandé un bol en terre cuite hier. Il y a du lièvre qui mijote dedans depuis quelque temps, ça devrait être bientôt prêt.
-Haha, je me disais bien que je sentais un chouette fumet ! »
Il progressa vers le feu qu'elle avait allumé, leur piètre nouvelle cuisinette. Un frisson de gloussement échappa à Mikasa et Eren se retourna pour voir qu'un rictus fier s'esquissait sur ses lèvres. Mais le spectre du sourire se volatilisa quand elle prit la parole :
-Il y a de l'eau potable aussi.
-Attends, y'a vraiment personne dans les parages ?! Ç'a pourtant l'air d'être l'endroit rêvé ?!
-Non, rassure-toi, l'endroit est sûr. On est loin du centre. Les Titans n'ont pas encore atteint cette zone de la forêt. On est même dans une petite cuve formée par le sol, à l'abri des regards… pour aujourd'hui au moins.
-Hmm, donc il faudra déguerpir et chercher une nouvelle planque après ?
-Oui, je pense que la meilleure solution est de constamment se déplacer. On devrait dormir de jour et se déplacer la nuit pendant que les Titans sont inactifs, avant de trouver la base parfaite. »
Eren se contenta d'acquiescer aux paroles de sa partenaire. Il avait dit qu'il lui ferait confiance et mettrait tout en œuvre pour ne plus jamais l'encombrer, après tout. Le jeune brun saisit un morceau de viande bouillant et le fit sauter d'une main à l'autre, au risque de se brûler sinon. La scène refit doucement glousser Mikasa et il s'en félicita.
-Je suis désolé de t'avoir laissé tout le boulot pendant que je végétais…
-Ce n'est rien. Mange et prends des forces. » sourit-elle.
Eren mordit sans plus attendre dans le bout de chair cuite. Il découpa la viande sous ses incisives, broya la purée qu'elle devenait et mâcha avant de déglutir. Puis, il répéta l'opération. Au fond, il se réjouissait d'avoir quelque chose à se mettre sous la dent pour affronter le reste de la journée, mais il ne savait plus comment faire pour apprécier le goût de la viande.
Elle ne lui avait jamais paru aussi fade. À Shiganshina, il en raffolait, débordant de joie à chaque fois que Mikasa acceptait de lui donner un peu de sa part. Sûrement parce qu'il s'était habitué à en consommer plus régulièrement au Capitole, le gibier avait perdu de sa saveur et de sa valeur. Le palais gavé par tous ces bœufs en sauce et ces agneaux en brochettes, il décelait un drôle d'arrière-goût au lièvre de l'arène.
…
Roulée en boule et recroquevillée dans les bras de Reiner, Christa ne s'était que rarement sentie aussi petite. Elle était si petite et si légère que le tribut masculin pouvait la porter sans problème, et elle aurait eu l'impression d'être moins consistante que de l'air si la prise qu'avait son partenaire sur ses genoux et ses côtes (qu'elle s'efforçait de gonfler pour qu'il ne remarque pas à quel point elle s'était amincie) n'étaient pas là pour l'ancrer dans la réalité.
Son emprise sur son propre esprit commençait à lui échapper doucement, lentement dérobée par la fatigue. Elle n'avait pas fermé l'œil depuis plus de vingt-quatre heures, et malgré le recul de l'adrénaline après le premier tour, ses nerfs avaient continué à vibrer de panique. Plus les heures avançaient, et plus ses mains cessaient de lui appartenir. Elles reposaient mollement sur son ventre alors qu'elle se laissait ballotter dans les airs.
-Désolé. » s'excusa Reiner après une secousse particulièrement forte.
Elle ne répondit pas, se contentant de garder les yeux obstinément fermés et sa respiration régulière. Il continuait à s'excuser alors même qu'elle était censée dormir. Un mois et deux jours plus tôt, l'idée lui aurait arraché un sourire. Aujourd'hui, c'était ses tripes qui s'arrachaient à cette pensée.
Prendre le premier tour de garde n'avait pas été une grosse affaire. Il lui obéissait encore au doigt et à l'œil, mais combien de temps encore ? Combien de temps avant qu'il ne réalise à quel point elle le manipulait, pour assouvir ses désirs égoïstes de sacrifice ?
Il dormait presque paisiblement. Une fois dans une position confortable, il ne s'agitait pas beaucoup. Parfois, il fronçait les sourcils, lorsqu'un bruit un peu trop fort attirait l'attention de son subconscient, mais pas plus. Un sommeil léger mais réparateur. Il l'accueillait comme un fidèle compagnon toujours à l'heure. Christa avait beau se démener, les barrières de son esprit ne la laissait pas entrer, érigeaient de gigantesques murs de ronces qu'elle n'osait franchir.
Ses os lui semblaient moins lourds que ses paupières, et elle ne pensait plus qu'à ça. Dormir, si possible indéfiniment, jusqu'à ce qu'elle se sente prête à affronter de nouveau le monde, si possible jusqu'au moment de le laisser partir.
Elle n'avait même pas de sang sur les mains pour les enchaîner à la terre. Reiner si, et pourtant il continuait à bouger.
Une étincelle de volonté s'alluma dans son esprit, et elle décida d'essayer au moins un peu. Elle devait prendre des forces. Que devait-elle faire pour dormir ? Peut-être, être dans un environnement favorable, comme un lit qui ne bougeait pas.
Mais son corps était si fatigué qu'il ne devrait pas avoir besoin de ça. C'était cette barrière mentale qu'elle devait éliminer. En quoi consistait-elle ? Elle avait l'impression que les rouages de son cerveau pataugeaient dans la boue. Le stress. Le stress empêchait les gens de se détendre. Le stress était ce qui aidait les personnes en danger de morts à continuer à veiller.
Mais elle n'était pas en danger de mort. Bien sûr, ses conditions étaient bien plus risqués qu'à la maison. Mais elle n'était pas en danger immédiat. Et elle savait qu'elle se réveillerait au moindre bruit suspect. Reiner était sa meilleure garantie de survivre.
Son cerveau appuya sévèrement sur les freins et elle arrêta de penser, dérangée par quelque chose. Le raisonnement n'était pas logique. Non, il l'était. Il l'était mais quelque chose n'allait pas.
Pendant quelques instants, son esprit sembla s'échapper de son enveloppe, et tous les câbles qui l'y retenaient se détachèrent, et elle se retrouva sans défense, enserrée par les murs blancs de ses parois cérébrales. Elle n'avait plus que ses sensations, qui lui parlaient de la température, le tissu de ses vêtements, la crasse et la sueur qui s'accumulaient déjà sur elle, le vent qui la frôlait, les mains chaudes de Reiner.
Il lui fallut un effort intense pour parvenir à se reconnecter. Et lorsqu'elle y parvint, la réponse à sa question lui vint avec une simplicité déconcertante : elle ne se sentait plus en sécurité avec lui.
Elle ne savait pas vraiment ce qui en était la cause. Peut-être que la finalité de sa décision effaçait déjà Reiner de ses considérations, comme s'il était déjà loin. Peut-être que le fait de se sentir responsable de lui le remplaçait à ses yeux par un pantin manipulable par le destin. Peut-être que le pouvoir qu'elle avait l'impression d'avoir sur lui le rendait trop vulnérable.
Quoi qu'il en soit, et peu importe l'explication qu'elle pouvait trouver, elle sentit le dégoût sonner l'alarme dans tout son corps, et elle ne pouvait pas l'arrêter. Le dégoût n'avait que faire de ses résolutions, la nausée n'avait que faire de son sens du sacrifice, les tremblements n'avaient que faire de sa lutte pour penser comme elle le devait.
Une remontée acide lui brûla la gorge, et elle déglutit férocement, ne laissant échapper qu'un léger grognement. Elle voulait s'échapper de tout son corps, c'était son esprit qui la faisait suer, chauffer, trembler comme ça. Si elle parvenait à s'en arracher, il aurait le temps de se remettre. Peut-être que c'était ça, dormir.
Dormir. Dans un lit. Le lit deux places qui trônait au milieu de sa chambre, à la maison. Celui dans lequel elle s'était réveillée tous les matins pendant des années. Dans la chambre où elle avait passé des heures. L'ambiance était similaire, la température, la lumière. Y penser apaisait une toute petite partie d'elle-même, quelque part dans son épaule, peut-être.
C'était une époque heureuse, où elle n'avait pas besoin de grand-chose. La présence de Reiner ne lui avait jamais paru plus grande que nature avant. Elle était même plus petite que nature, avec la tendance qu'il avait à marcher un demi-pas derrière elle. Depuis, elle avait pris l'habitude de marcher à reculons pour pouvoir lui faire face.
Elle l'avait vu comme un grand frère aimant et attentionné, le seul avec lequel elle pouvait vraiment jouer, qui ne la prenait ni de haut ni de bas. Elle se sentait protégée quand ils avaient fait une bêtise et qu'il encaissait les cris des adultes, mais elle se sentait fière d'intervenir lorsqu'il était blâmé pour rien. Elle aimait voir la reconnaissance sur son visage.
Elle ne se sentirait plus jamais digne de recevoir sa reconnaissance. Elle ne la méritait plus. Elle aurait pu, si elle avait dit ce qu'elle avait sur le cœur bien plus tôt. S'ils avaient parlé de ce qui les entravaient. Mais elle ne parvenait pas à imaginer comment les choses se seraient déroulées.
Elle était un poids, maintenant. Il avait trente-sept kilos de honte et de brisures sur les bras.
Un mouvement brusque la tira de ses pensées. Reiner venait d'atterrir d'en haut d'une branche, ses deux câbles crochetés vers des branches supérieures pour se maintenir en l'air. Ses bras s'enroulèrent autour de la jeune fille, la recroquevillant contre lui. Elle leva la tête et vit que son visage crispé était tourné vers le sol.
Elle baissa les yeux et retint un cri de surprise : Bertholt et Annie ! Là, juste en bas !
« Désolé de t'avoir réveillée, murmura-t-il, mais on a de la compagnie. »
Ils étaient au sol, mais tous les deux munis d'équipements tridimensionnels. Ils avaient l'avantage. Que faire ? Il leur fallait une solution, et rapidement.
Son cerveau déjà épuisé se remit à turbiner, péniblement. Que Reiner la dépose et qu'il les attaque ? Elle était un poids, mais tout seul, il ne pourrait pas s'en sortir. S'enfuir ? Peut-être, mais il aurait fallu le faire avant, car les deux semblaient avoir remarqué un son et s'étaient inconsciemment mis en garde, les sens aux aguets.
Allait-elle mourir ici ? Maintenant ? Elle ne cessait de penser à chaque seconde comme sa dernière, mais le moment venu, elle était à peu près sûre que toutes ses préparations mentales s'écrouleraient comme un tas de paille soufflé par le vent. Pourquoi Reiner ne faisait rien ? Était-il en train de monter un plan ? Comment pouvait-elle l'aider ? Elle savait sans avoir besoin de demander qu'il ne l'impliquait pas dans ses plans. Il la gardait dans un petit coffre en sécurité.
Comme pour confirmer toutes ses pensées, Reiner se décala légèrement pour se cacher d'eux, et déposa Christa sur une branche touffue, bien à l'abri. Elle agrippa les branches pour s'empêcher de plonger ses ongles dans son propre bras. Il ne la regardait même pas alors qu'il se retournait vers les deux tributs pour les scruter.
Elle pouvait aider, n'est-ce pas ? Elle pouvait les appâter, par exemple. Elle était petite, frêle, fatiguée. Elle pouvait servir à quelque chose, alléger son fardeau. Elle ouvrit la bouche.
« Christa... est-ce que tu penses pouvoir t'allier avec eux ? »
La question lui coupa tout son souffle. Elle avait eu faux sur toute la ligne. Elle ne le connaissait plus.
Au même moment, les deux tributs levèrent la tête vers Reiner.
…
Jean portait une fournaise sur le dos. La sueur suintait sur son uniforme, à en dissoudre le tissu sous les assauts langoureusement ardents du soleil. Les arbres et tous leurs troncs, et toutes leurs branches, et tous leurs feuillages ne lui portaient aucun secours. Il se prenait de plein fouet la nausée de la canicule. Celle qui le liquéfiait de la tête aux pieds, de l'épiderme à la moelle.
Celle qui le soudait au sol par ses éternelles attaques. Décoller le talon lui demandait un effort toujours plus fatiguant et plier le genou – il ne le sentait plus. Comme le tronc où il posa sa main afin de reprendre son souffle, d'ailleurs. Il n'aurait pas su déterminer s'il était rugueux, lisse ou infesté de vers. Même sa salive s'était évaporée. Une quinte de toux rauque et sèche s'échappa, mais elle n'arrangea rien. En reprenant la route, Jean tenta de garder sa bouche fermée, afin qu'elle ne s'assèche plus, mais son nez n'arrivait plus à faire circuler l'air. Il arriva vite à court d'oxygène et dut rouvrir la bouche.
Sa gorge le brûlait plus que le soleil. Il avait déjà connu la fatigue, mais jamais une telle anémie. S'il n'avait pas aussi peu mangé, il aurait supposé une intoxication. Certes, il avait ramassé des baies apparemment comestibles, mais il aurait très bien pu halluciner et voir du rouge à la place du bleu.
Déjà qu'il voyait le chemin se gondoler, se trémousser, valdinguer sous ses yeux… Ses sens tourbillonnaient, se calant sur le rythme sournoisement languissant. Peut-être parce qu'il n'avait pas cligné depuis longtemps, les couleurs et les formes se rassemblèrent en une bouillie qui l'encerclait et tournoyait, et il trébucha.
Le choc de sa chute eut le mérite de raviver son discernement. Au moins, il ne s'était pas bêtement blessé en se prenant une racine dans le pied, ou alors la chaleur étouffait sa douleur, aussi alarmante était-elle. Il releva le menton vers un arbre tout proche et progressa à quatre pattes pour s'y adosser. Il avait grand besoin d'une pause et il fallait qu'il reprenne des forces.
Il prit une peine insoupçonnée à amener un peu de salive dans sa gorge, pour l'abreuver comme il pouvait, et recueillit quelques baies dans le creux de sa main. Elles ressortaient indemnes de leur voyage dans ses poches. Il en goba trois et s'appliqua à mâcher, dans l'espoir que le jus lui hydrate un peu la langue.
Ses molaires s'attelaient tout juste à leur tâche que les petits fruits couinèrent, écrasés sous ses dents. Ils éclatèrent, giclant sur son palais. Jean passa sa langue sur le liquide. Il avait un goût de sang.
Un torse sectionné, secoué d'une ultime convulsion de terreur.
L'image envahit son esprit, s'imprégna dans sa bouche et il recracha les petites baies. Une nouvelle quinte de toux rappliqua. Jean se tenait à genoux, maintenu au-dessus du sol à la seule force de ses bras faiblissants. Un tumulte de crachats, de hoquets et de halètements s'empara de lui et il constata qu'il tremblait. Il avait beau être carencé, son organisme s'obstinait à rejeter toute nourriture il ne pouvait pas s'alimenter. Les mauvais souvenirs malmenaient les besoins primaires.
Jean était pris au piège dans un cercle vicieux qui le condamnait à ressasser des cauchemars bien réels, jusqu'à ce qu'il se vide de toute énergie vitale. L'angoisse le drainait de sa combativité, vampirisait ses maigres espoirs. Au rythme où allaient les choses, Jean n'aurait même pas à compter sur un Titan pour laisser la terre se réapproprier son corps.
Le jeune homme se rappela qu'il devait s'accorder une pause et se morigéna : il avait mieux à faire que de se torturer le cerveau, comme trouver un autre moyen de conserver sa vitalité par exemple ! S'il ne pouvait pas encore récupérer, il valait mieux prendre garde à ne pas gaspiller ce qui lui restait de forces. Pour cela, il s'obligea à clouer ses lèvres entre elles et aspira tout l'air environnant, l'engouffrant dans ses narines par une franche inspiration.
Sa poitrine se serra à l'irruption de la bourrasque de souffle, lui arrachant plusieurs toussotements au passage, mais il venait de retrouver une respiration stable. Il s'acharna à garder le rythme, à refaire le plein dans ses réserves d'oxygène, malgré les aiguilles qu'il avait l'impression d'inhaler avec.
Entre les sifflements de son souffle, il laissait son jugement récapituler la situation. Il marchait sans interruption depuis la veille. À contourner le centre comme il l'avait fait, il se rallongeait la route vers le Nord mais il évitait de tomber sur des Titans. Ces gros tas de chair pullulaient dans les alentours du centre et, à ce stade des Jeux, ils n'étaient pas encore assez nombreux pour grouiller dans tous les parages : Jean devait en profiter et avancer vers le Nord. C'était la zone de l'arène la plus réputée comme rude, donc il y aurait moins de tributs. Moins de tributs, c'était moins d'humains, c'était moins de Titans.
À en juger par la course du soleil, il se trouvait encore au Sud-Ouest. S'il se débrouillait bien et continuait à prendre ses distances avec le centre, il atteindrait l'Ouest le lendemain sans croiser le moindre mangeur d'hommes. Il pourrait donc gagner le Nord d'ici deux jours. C'était faisable, à condition qu'il sorte de son foutu cercle vicieux.
Enfin, tout cela reposait aussi sur l'espoir que le deuxième Lâcher ait lieu suffisamment loin du Nord. Et rien n'était moins sûr. Les Lâchers se faisaient là où se regroupaient le plus de tributs, pour les forcer à se déplacer. L'étau allait se resserrer. Tôt ou tard, les survivants s'agglutineraient tous au Nord, les Titans sur leurs talons, prêts à les accueillir au fond de leurs estomacs puants. Ils les cueilleraient tous comme des fleurs.
Jean ne pourrait pas éternellement fuir. Il allait devoir sérieusement envisager une alliance s'il voulait tenir le coup. Sans quoi, il risquait plus de se faire descendre par d'autres tributs, que de finir démembré sous des dents plus grosses que sa tête. Mais pouvait-il prétendre à une meilleure diplomatie que Minha ?
Sa respiration dérapa et il dut se reconcentrer dessus. Il venait vraiment d'arriver au point où il devait surveiller ses poumons ? Alors que Hansi lui avait assuré qu'il était prêt pour les Jeux ? Galérer à avancer, à reprendre son souffle, sans aucune perspective d'échappatoire immédiate, seul parce qu'il avait laissé crever Minha, c'était bien loin de sa définition de « être prêt ».
Il avait eu raison de douter de lui et de ses efforts. Au final, ils n'avaient servi à rien, à part le rapprocher de Minha et de Hansi pendant les entraînements. Tout ça pour freiner sa partenaire et causer sa mort dès le début, tout ça pour bientôt mordre la poussière sans jamais revoir son mentor : s'il avait su qu'il échouerait aussi lamentablement, il s'en serait passé.
En rangeant les restes de baies à l'intérieur de sa veste, ses doigts effleurèrent la souple couverture du carnet. Machinalement, il le sortit et, sans prêter attention à sa rationalité qui lui grinçait d'abandonner, feuilleta les pages vierges à la recherche de quelque chose : une énigme, un signe, un mot, une quelconque trace qui aurait pu échapper à l'inspecteur des douanes, et qui n'attendait que Jean pour dévoiler tous ses mystères. Rien du tout, il s'y attendait. Hansi avait sûrement voulu lui laisser le champ libre pour une fois…
Il remit le carnet à sa place et commanda à son corps de se remettre en route, satisfait de voir ses mouvements s'enchaîner de mieux en mieux. Il ne pouvait pas se permettre de s'assoupir au beau milieu de l'après-midi alors qu'il n'avait encore aucune cachette ! À même le sol, la zone n'était pas exemptée de la menace des autres tributs, et Jean devait économiser le plus de gaz possible, surtout après un début de jeu aussi catastrophique. Ses sponsors l'avaient probablement délaissé : il ne pouvait pas compter sur un prochain ravitaillement. Il devait dénicher une planque digne de ce nom, s'il voulait être sûr de se réveiller après une sieste.
Les ombres des arbres ne changeaient rien à la chaleur suffocante, qui abondait dans la forêt et qui continuait de noyer Jean dans un torrent de contours et de teintes abstraites. La forêt fondait autour de lui. À bout de force et de souffle, son corps se mouvait molassement ; ses talons se clouaient au sol, traînant le boulet invisible de sa fatigue. L'équipement tridimensionnel ne lui avait jamais semblé aussi lourd, et son corps si léger, insignifiant, spectral. Sa présence, elle aussi, se vaporisait dans l'atmosphère asphyxiante.
Il ne sut même pas comment, ni pourquoi, mais il s'écroula.
Pour la combientième fois ? Des racines réceptionnèrent son torse, les hautes herbes lui caressèrent le front, un bouquet de trèfles lui chatouilla le dos de la main. Sa joue frottait la terre, calme et généreuse. Répondant à l'appel du sommeil, son corps ne se releva pas. Jean ne voulait plus se relever.
Dans un grognement étouffé, il déploya son bras le long du sol, l'approcha de son épaule, empoigna la capuche et s'en servit pour recouvrir sa tête, après quoi il laissa sa main venir se reposer, s'allonger près de son visage. Le somme n'avait plus qu'à le recueillir.
Il avait prévu de trouver une cachette, il s'était promis qu'il n'infligerait pas ça à Hansi, mais au fond Jean s'épuisait à la tâche. Maintenant qu'il était exténué, il reconnaissait qu'il avait tout de même tenu un jour de plus. Il avait accordé un jour à Hansi pour se remettre de la mort de Minha, et se préparer à la sienne. Jean méritait de se détendre, enfin. De toute façon, il ne se voyait plus poursuivre les Jeux dans cet état. Le sommeil lui importait plus que tout au monde désormais. Il aspirait à ne plus jamais se soucier de ce qu'il pourrait bien faire à son lever. Jean méritait de se détendre, enfin.
La légèreté de son propre corps – qui l'avait pris de court auparavant tellement il lui paraissait vulnérable, prêt à se briser en mille morceaux au moindre choc – l'alarmait moins à présent. Contre la terre, il retrouvait la sensation rassurante de son poids, de sa présence en ce bas monde : le sol l'accueillait à bras ouverts, malgré sa dureté. Il prenait la peine de bercer Jean et le jeune homme souhaitait ne jamais avoir à quitter ce réconfort inespéré.
Ses muscles devaient déjà dormir car il n'arrivait plus à bouger. Les extrémités de ses doigts tressaillaient encore, cela dit. Ses jambes se relâchaient, son torse s'apaisait, ses bras sombraient dans une immuabilité douillette.
Le soleil le scellait à la terre, sous son vigoureux tapage de fier forgeron. La duveteuse température s'alliait avec tout naturel à l'exquise fraîcheur du tapis d'herbe. L'atmosphère sirupeuse l'emmaillotait. C'était l'heure rêvée pour la sieste. Ses doigts s'étaient enfin endormis, même sa respiration s'approfondissait.
Ses paupières n'étaient pas encore closes mais sa vue se mit à rêvasser. À demi-consciente et guidée par l'odeur familière de l'écorce et de la sève, elle commençait à vagabonder de pensées en pensées, de souvenirs en souvenirs. Ceux des matins de congé où il se permettait de rester tête sous la couette, à dessiner ou à flâner, où il traînait au lit jusqu'à midi… sauf lorsque sa mère venait le déjouquer, bien entendu.
Au bout du compte, c'était bien le matin de la moisson qu'il l'avait vue pour la dernière fois. Une telle finalité frappait dans sa simplicité : en effet, ç'avait été ce jour-là, le dernier. Il pouvait tirer un trait sur ce qui le liait à elle par cette simple idée. « La dernière fois », la fin. Déconcertant. S'il avait su, il aurait rangé sa chambre avant de partir.
Il ne se rappelait plus si elle lui avait demandé la veille de son départ. Mais il l'aurait fait. Pour lui faire plaisir, pour la remercier, pour lui épargner cette corvée. C'était trop tard. Il la forcerait à le faire elle-même, à fouiller dans les affaires de son fils mort pour figer, dans l'ordre définitif et sempiternel, un petit chaos débordant de vie. Peut-être que, pour cette raison, elle n'irait jamais la ranger…
Un papillonnement de paupières invisibles et, doucement, sa vue s'extirpa de l'endormissement. Il avait vu sa chambre du District Sept. Désormais, il constatait qu'il s'étalait bel et bien par terre, enfoui dans l'herbe, une caméra pile dans son champ de vision. Un fichu drone. Posé au sol, à une poignée de centimètres. En train d'immortaliser sa sale gueule de perdant. Par un fabuleux gros plan sur sa tronche alors qu'il avait jeté l'éponge. Et ce n'était que maintenant qu'il s'en rendait compte.
Ils prenaient leur pied à le voir galérer, au moins ?
Il saisit sa dague et abattit la lame sur la caméra. Et là ? Ça vous fait toujours tripper ? Le drone décolla de justesse, à une demi-seconde de finir scindé en deux ! L'appareil s'envola hors de la portée de sa dague, mais pas hors de celle de son regard mitraillant. Si Jean n'avait pas été aussi amolli, il n'aurait eu aucun mal à le pourfendre !
Dans un soupir frustré, il se redressa et rangea sa lame : il avait une base sûre à se dégoter ! D'un bon pas, il reprit sa progression à travers les bois. Il parvint même à avaler quelques baies.
Tout son organisme acclama la venue de l'apport nutritif tant attendu et, alors que ses sens s'affûtaient, même son équilibre reprenait une balance satisfaisante. Il décala sa trajectoire afin d'éviter un périmètre dégagé : mieux valait rester dissimulé dans le touffu des arbres. Au bout de quelques mètres dans cette nouvelle zone dense, son regard accrocha un large buisson aux couleurs éclatantes. Jean y reconnut de nouvelles baies, il s'accroupit donc afin de les détailler.
Elles affichaient une teinte orangée alléchante, et aucune fleur ravissante, ni épine, n'étaient à déplorer. En les inspectant de plus près, Jean s'aperçut que des petits poils se dressaient sur le minuscule fruit. Ravi, il se mit à cueillir plusieurs églantines. Il y en avait une sacrée ribambelle sur le buisson, de quoi suffisamment garnir ses réserves jusqu'au lendemain ! Un élan d'optimisme croissait en lui à mesure qu'il s'imaginait reprendre du tonus grâce à ses récoltes, et peut-être parvenir à chasser.
Pour le moment, le jeune homme choisit de ramasser le plus de fruits possibles. Il se redressa pour sonder les alentours, en quête de myrtilles, de baies de sureau ou même d'airelles. Un frisson d'adrénaline le frappa comme la foudre et électrocuta tous ses membres lorsqu'une chevelure châtain pénétra dans son champ de vision !
Jean plongea derrière le buisson d'églantines, roula sur le côté pour atteindre le chêne le plus proche et se terrer derrière. La chevelure châtain était nouée en queue de cheval, il en aurait mis sa main au feu ! Ses muscles se transirent alors qu'il prenait conscience de la menace qui planait sur lui. Ou plutôt qui avançait d'un bon pas, improvisant un sentier parmi les herbes sauvages et les arbustes qu'il avait foulé quelques minutes auparavant.
À son grand soulagement, les nombreux obstacles du terrain l'informaient de la progression de la chasseresse. Tapi derrière le chêne, Jean ne pouvait pas la voir mais il ne se la figurait que trop bien. Or, l'expertise de la jeune femme lui donnait du fil à retordre : elle se déplaçait comme si elle glissait au-dessus des brindilles. Seuls les soupirs des feuilles qu'elle effleurait trahissaient sa position. Et le tambour effréné de ses battements de cœur n'assistait pas du tout Jean. Il l'entendit chantonner dans un ricanement maniaque :
-Aboule ta bidoche,… bichette… »
Sa chasse devait la griser car elle continua à glousser en répétant ces paroles, très certainement l'eau à la bouche. Elle se rapprochait du chêne derrière lequel Jean se dissimulait. Le jeune homme se raidit, espérant se fondre dans le tronc et avoir une chance d'échapper à l'intuition et à la dextérité de Sasha. Seulement, il était face au vent. Elle allait forcément continuer dans cette direction, afin que cette biche infortunée ne sente pas l'odeur de sa prédatrice.
Il se représentait la jeune femme arc à la main, tenant une flèche entre les doigts. En avait-elle des empoisonnées, elle aussi ?… Il se réprimanda intérieurement : ce n'était pas le moment de raviver de mauvais souvenirs, il risquerait de se laisser submerger par ses émotions, et il savait pertinemment que ça ne lui réussissait jamais. Il devait veiller à rester caché, et surtout silencieux, sinon Sasha le dénicherait dans une aisance déconcertante.
Et elle le tuerait.
Parce qu'ils étaient aux Jeux. Parce qu'ils étaient obligés. Parce que tous leurs entraînements, et la camaraderie du mois passé, n'avaient été qu'une énorme blague. Et que Jean avait déjà témoigné de l'adresse de Sasha quand elle avait un arc dans les mains.
Comme prévu, elle avançait vers le chêne. Jean l'entendait. Bientôt, elle dépasserait l'arbre et, depuis un nouvel angle, n'aurait plus qu'à tourner la tête pour repérer Jean. À moins qu'il ne contourne le tronc à mesure qu'elle le longeait, de l'autre côté, de sorte à ce que le bois serve continuellement de bouclier au jeune homme. Il devait se protéger du champ de vision de Sasha.
En se calant sur les sons de piétinement de la chasseresse, il s'appliqua à ramper autour de l'arbre. Aplati, il crapahutait, se tirait à l'aide de ses coudes, laissant l'herbe et les brindilles chatouiller et griffer son menton, petit à petit, afin que les bruits de Sasha étouffent ceux de sa présence. Les gaines frôlaient des racines proéminentes et il devait ralentir considérablement, le temps qu'elles glissent dessus dans la plus grande discrétion possible. La chamade, qui se déchaînait dans la poitrine de Jean, rugissait dans ses oreilles aucun moyen de mesurer sa furtivité. Sasha l'avait peut-être déjà grillé.
Un grincement pincé ! La corde de l'arc et Jean se tendirent. Il plaqua une main à sa bouche et s'immobilisa contre le sol. Il bloqua sa respiration. Sasha était à l'affût il n'avait plus le luxe de respirer.
Le couinement de la corde et le crépitement des brindilles écrasées Ba-doum Ba-doum Ba-doumun froissement de tissu Baa-doum. baaa… doum… ses poumons brûlaient et il se suppliait d'ouvrir la bouche et de laisser l'air regorger son corps.
Voilà il n'entendait plus son cœur battre.
-Y a quelqu'un ? » demanda Sasha d'une voix méfiante, plus grave que d'habitude.
Jean ferma les yeux et employa toute la force qu'il lui restait à mordiller sa paume surtout pas respirer pas respirer pas respirer. Après une inspiration sèche, gonflant tout son corps d'ardeur et de combativité face à l'adversaire, Sasha reprit :
« Montre-toi. »
Il se noyait mais pourquoi est-ce qu'il faisait ça ? si c'était pour mourir de toute façon il pourrait très bien la laisser le transpercer de ses flèches non ? ça ferait moins mal car ses poumons se comprimaient sa tête asphyxiait son cœur s'étouffait et il ne sentait plus rien à part sa tête qui commençait à imploser et un vague chatouillement sur sa paume humide et il s'écrasait sous sa suffocation et sa conscience se décourageait sous la charge et l'envers et l'endroit tourbillonnaient et il voulait juste respirer.
L'arc se détendait ?
Sasha reprenait sa traque en gambadant ?
Il retira sa main et se remit à ramper toujours dans la même application toujours dans la même précaution toujours dans la même discrétion. Il prenait garde à ce qu'un choc sur l'équipement ne le trahît pas. Et s'autorisa à reprendre son souffle. Par de brèves inspirations. Il avait l'impression que son cœur s'agitait. Dans sa poitrine. Hors de contrôle. Qu'il remontait jusque dans sa gorge. Pour le réprimander. Ses poumons le lacéraient. Ils réclamaient leur dû. L'oxygène. Mais il n'avait pas essuyé une telle peine pour tout faire flamber au dernier moment !
Pour l'instant, Jean ne pouvait s'accorder que de fugaces inspirations saccadées, dont il s'efforçait de minimiser le bruit tout en contournant le chêne. Il avait sacrifié beaucoup d'air au profit du silence. Pourtant il fallait encore rester invisible. Se traîner hors de la vue de l'ennemi. Étouffer les indices de sa fuite. Sans s'étouffer.
Il venait de faire la moitié du tour du chêne. Il s'immobilisa, afin de ne plus se concentrer que sur son souffle et les sons émis par Sasha. Elle s'éloignait, dos à lui, l'arbre toujours entre eux. Son allure sonnait pressée, un peu nonchalante, rien de naturel lors d'une traque. En faisait-elle exprès ? Jean ne chercha pas à y songer plus. Il laissait des bribes d'air infiltrer ses narines. Par à-coups. Des morceaux que tous ses muscles s'arrachaient comme des petits pains. Sans se rassasier. Tout son organisme hurlait encore famine. Mais la chasseresse rôdait trop près.
Son cœur s'affolait, mais au moins il battait, ses poumons l'éperonnaient, mais au moins ils se gonflaient, sa gorge le brûlait, mais au moins l'air circulait.
Les bruits de pas de Sasha moururent, se fondirent dans les sons des bois le calme reprit ses droits et Jean pensa enfin être en sécurité.
Il n'en fallut pas plus pour qu'il ouvre la bouche en grand et aspire tout ce qu'il pouvait trouver de brise, de vent ou de courant ! Après quoi, il toussa à en cracher ses poumons ranimés il avala, absorba, engloutit tout ce qu'il trouvait de fraîcheur, dans des inspirations si profondes, si longues, si reconnaissantes, que même ses cordes vocales vibraient de soulagement. L'air pur se déversait, se propageait, le ravivait.
Jean resta une poignée de minutes, adossé au chêne, à respirer, avant de reprendre la route vers le Nord, vers une base où s'abriter et récupérer. Il veilla à effectuer un autre détour afin de ne pas recroiser la tribut adverse qui arpentait encore ces bois, à la recherche de sa proie.
