Chapitre 2 : Retour sous tension

Galessin et Gauvain n'avaient jamais vu Anna d'Orcanie dans un tel état de rage. Ils étaient habitués à la colère froide de la reine et la violence physique était quelque chose qu'elle exprimait essentiellement en privé (Loth en savait quelque chose). En cet instant, Anna donnait des coups de pied et de poing sur les parois de la carriole.

« Votre attitude est ridicule… puérile… et STUPIDE ! » hurla-t-elle. Elle s'adressait ainsi à son mari qui était, lui, à l'extérieur de la carriole et pilotait l'engin.

Au lieu de rentrer sagement dans la carriole, Loth avait pris la place du soldat en charge du pilotage, lui avait sommé de prendre sa place dans la carriole, puis avait démarré en trombe.

La carriole comptait donc un nouvel occupant : le pauvre soldat orcanien, habitué à ce que la noblesse ne lui adresse pas la parole et ne pose pas les yeux sur lui, n'avait rien demandé, ne savait pas où se mettre et tentait de se fondre dans les parois du véhicule en respirant le moins possible.

Après plusieurs heures à taper de manière épisodique contre les parois en bois jusqu'à s'en faire mal aux mains et à insulter son mari, Anna d'Orcanie s'était fatiguée et foudroyait à présent du regard l'ensemble de l'équipage. Les différents occupants de la carriole utilisaient divers stratagèmes pour éviter de croiser le regard noir de la reine : tête baissée, examen attentif de leurs chaussures ou du paysage extérieur, simulacre de sieste, etc.

À force de faire semblant, Galessin avait fini par s'endormir. Il fut brusquement réveillé par les soubresauts de la carriole, qui devait passer sur une route particulièrement accidentée. À l'extérieur, il faisait nuit noire. Le reste des occupants dormait. À ses côtés, le soldat s'était recroquevillé dans le coin du véhicule. En face de lui, Gauvain dormait en appuyant l'arrière de sa tête contre la paroi de la carriole. Anna était assoupie et avait posé sa joue sur l'épaule gauche de son fils.

Galessin réveilla le soldat. Il avait besoin de savoir où ils se trouvaient.

« Hé, vous ! Depuis combien de temps voyageons-nous ? Vous savez où nous sommes ? »

L'homme papillonna des yeux et se rappela soudainement où il était. Bâillant bruyamment et secouant la tête pour évacuer la torpeur du sommeil, il se pencha pour constater à son tour qu'il faisait nuit noire.

« Je ne sais pas… on voit rien… mais, ça commence à faire long pour les chevaux ! Ils doivent être fatigués… » murmura-t-il à Galessin.

« Pas que les chevaux d'ailleurs… Le roi ne doit plus être très frais non plus… » rétorqua Galessin. Il prit la décision de frapper sur la paroi du véhicule pour interpeller Loth, ce qui réveilla Anna et Gauvain.

« Monseigneur ! Nous devrions trouver une auberge pour trouver des chevaux frais et nous restaurer… »

Aucune réponse. Galessin frappa à nouveau.

« Monseigneur ! Les chevaux vont nous lâcher si nous continuons à ce rythme ! »

Aucune réponse. Cependant, la vitesse de la carriole diminua sensiblement.

Les occupants échangèrent des regards. Ils supposèrent que Loth avait décidé de faire une pause très prochainement.


« Aubergiste ! Cinq chambres, s'il vous plaît. »

L'aubergiste, un homme entre deux âges avec des manières obséquieuses, n'avait pas l'habitude de recevoir un équipage aussi riche et nombreux au milieu de la nuit.

« Je suis désolé, Monseigneur. Je n'ai malheureusement que trois chambres libres », répondit le commerçant avec déférence.

Courte pause. Le roi d'Orcanie se retourna brièvement pour balayer du regard son entourage.

« La dame dormira seule », déclara Loth d'un ton péremptoire en montrant du pouce Anna située à sa gauche. « Gauvain, je sais que vous ne pouvez me souffrir… comme votre mère. Vous partagerez une chambre avec Galessin. Quant à vous… »

Il se tourna vers le soldat.

« Vous irez prendre soin des chevaux et nous partagerons une chambre. Je ne mords pas et je ne ronfle pas. Une grande bataille approche. Je dois commencer à bien traiter mes troupes si je veux avoir des gars de confiance à mes côtés. Au fait, vous vous appelez comment, mon brave ? »

Le soldat, pétrifié de peur, prit la parole d'une petite voix gênée, qui détonnait avec son visage un peu rustre et son corps musculeux.

« Logan… ? »

« Parfait. Bonne nuit à tous. Rendez-vous ici demain à la première heure. Nous repartons au plus tôt », conclut Loth d'une voix ferme avant de partir vers la chambre indiquée par l'aubergiste.

Logan sortit à l'extérieur pour prendre soin des chevaux. Galessin suivit l'aubergiste pour monter dans sa chambre. Gauvain regarda quelques secondes sa mère dans les yeux avant de suivre le mouvement initié par Galessin. Anna d'Orcanie était désemparée.

« C'est… je… c'est… absolument ridicule ! »

Au milieu de l'accueil d'une petite auberge de campagne de la Carmélide, Anna d'Orcanie avait été laissée seule avec son indignation.


Ils repartirent en silence le lendemain matin après un rapide petit-déjeuner. Le couple royal n'avait pas échangé un seul mot.

Au moment du départ, Anna avait tenté de rester devant l'auberge, l'œil mauvais, les bras croisés et la bouche crispée pour provoquer son mari. Loth avait regardé sa femme de pied en cape, puis lui avait tourné le dos. Logan avait tenté de s'installer à la place du conducteur, mais Loth lui avait fait rapidement comprendre qu'il devait aller dans la carriole et rejoindre Galessin et Gauvain.

Le roi d'Orcanie avait vérifié le harnachement des chevaux, avait fermé la portière, puis était parti en trombe sans un dernier regard pour sa femme… avant de s'arrêter à quelques centaines de mètres sur la route.

« Cinq minutes ! » hurla Loth à l'adresse de sa femme.

Le message était clair. Anna les rejoint après quelques minutes de marche. Les joues rouges de colère, elle monta dans la carriole sans dire un mot. La menace avait porté ses fruits.


Anna d'Orcanie fulminait. Gauvain, Galessin et Logan avaient trop peur pour oser se moquer d'elle. Loth ayant repris les rênes, Logan était dans la carriole aux côtés de Galessin. Peu habitué à côtoyer les nobles, le pauvre soldat ne savait toujours pas où se mettre et tentait à nouveau de disparaître dans la banquette.

L'ambiance à l'intérieur du véhicule était pesante et personne n'osait prendre la parole, même pour énoncer des banalités. L'arrêt à l'auberge avait néanmoins permis de faire des provisions et le reste du voyage fut ponctué par du grignotage.

Habituellement, le voyage en carriole entre Kaamelott et l'Orcanie se faisait en huit jours si l'on comptait les pauses d'usage pour permettre de changer de chevaux, de dormir et de se restaurer dans une bonne auberge.

En cette occasion particulière, le voyage avait duré moins de quatre jours grâce (ou à cause ?) du zèle et de l'entêtement de Loth à voyager à vive allure et pratiquement sans interruption, de jour comme de nuit. Loth faisait des arrêts rapides pour changer de chevaux, car les pauvres bêtes étaient épuisées. Il avait aussi daigné faire une seconde pause dans une auberge de Calédonie et avait plusieurs fois cédé aux suppliques de Gauvain pour quelques arrêts « hygiéniques » le long de la route.


Lors de l'arrivée en Orcanie, tous les domestiques furent surpris de voir le roi Loth aux commandes de l'équipage. Loth descendit de l'avant de la carriole et caressa l'un des chevaux, comme pour remercier la bête de son courage.

Les deux chevaux étaient épuisés et, par contraste avec le froid orcanien, leur corps fumait sous l'effort qu'ils avaient fourni. Des palefreniers s'en occupèrent dès leur arrivée.

Logan sortit en premier de la carriole pour prendre soin des chevaux. Des compagnons de la garde se pressaient déjà autour de lui pour lui demander des détails croustillants sur ce qui avait bien pu se passer pour qu'il se retrouve à l'intérieur de la carriole et le roi à l'extérieur. Galessin espérait que le garde saurait se montrer un minimum intelligent et garder le silence.

Galessin sortit en deuxième, suivi de Gauvain. Cela faisait plusieurs mois que le jeune prince n'était pas revenu en Orcanie. Il leva la tête pour contempler le château et humer l'air frais. Il était visiblement soulagé que le voyage soit terminé. Anna sortit en dernier. Fourbue physiquement et fatiguée mentalement, elle arborait un air sombre et fermé.

Alors que Loth rentrant à l'intérieur du château sans avoir adressé un mot à sa famille, un domestique, plus hardi que les autres, s'adressa au roi :

« Monseigneur, est-ce que tout va bien ? »

« J'ai des préparatifs à faire. Que personne ne me dérange. J'insiste sur le mot PERSONNE. »