Lettre n°9

De Duo Maxwell à Quatre Raberba Winner

Rome, le 26 Avril 227

Dans la confusion, sous le choc, je tente d'y voir clair, tu me pardonnera l'incohérence, alors voilà...cette nuit, ce fut...Je vais essayer de commencer par le début. Cette nuit, quand le taxi a enfilé la longue allée d'arbres noirs qui mène à La Posta Vecchia...

Attend...Déjà, il faut, Quatre, que je te raconte un épisode.

Au moment de monter dans le taxi, alors que le chauffeur- une espèce de grosse brute au crâne rasé, qui affectait la galanterie- me tenait la porte, ma mallette s'est répandue sur le siège. J'ai vu son regard dériver sur chaque objets et vêtements, se fixant...Sur les menottes ! Inutile de te dire que j'ai remballé le tout vite fait, mais le mal était fait. Il ne m'a plus quitté des yeux, même en prenant place au volant. Et quand il a démarré, les portes de la voiture se sont verrouillées automatiquement.

J'ai recommandé mon corps à Dieu, mis mes lunettes de soleil, pris l'air aussi absent et désagréable que possible (tu te rappelles la technique pour empêcher la prof de math de m'interroger ? C'est la même). Peine perdue. L'homme me dévisageait grossièrement dans le rétroviseur. Ses yeux faisaient de rapide allers-retours entre la route et le miroir. Dieu seul sait se qu'il se passait dans la tête de ce mec ! Quelles idées, quelles images avaient suscités en lui la découverte d'une paire de menottes dans mon sac ? Quel fantasme éveillait leur promiscuité ? Moi, sans oser lui parler, même par allusions, du contenue de ma valise, lui expliquait mentalement : » c'est un truc d'enfant, un jouet en plastique ! » . Trop tard. Il avait vu la panoplie de l'amour, ou du moins une certaine sorte d'amour, et il en rêvait.

Enfin, une heure plus tard, le taxi contourna la fontaine. Les roues crissèrent sur le gravier. J'émergeais...Sauvé, oui, mais groggy.

Le luxe de la salle me rendit à moi-même. Imagine des sols en marbre polychrome, des plafonds peints à fresques et , dans d'immenses vases chinois, des gerbes de lys, de roses et de fleurs d'oranger...Une merveilleuses odeur d'église : mariage ou béatification.

Le concierge prit bonne note de mon nom, me délesta de mon passeport avec d'infinis égards, me remit une clef ouvragée avec un long pompon vert, et m'assura que j'étais très attendue à La Posta Vecchia. Il me parlait en américain, jugeant sans doute que seuls les milliardaires californiens restaient dignes des lieux : « Your friend, votre ami, a téléphoné qu'il serait un peu en retard. Il s'en excuse et recommande que vous vous fassiez servir à dîner. Malheureusement, la grande salle du restaurant est déjà fermée. Mais, si vous le souhaitez, vous pouvez prendre un verre au bar. Vous pouvez aussi faire le tour des salons. A moins que vous ne préféreriez remettre votre visite à demain ? Ce soir, la pluie et la nuit empêcherais que vous jouissiez de la vue, ce qui serait fort regrettable. De toute façon, votre ami a réservé la plus belle chambre : l'appartement de M. Getty, une suite décorée par le grand historien d'art Federico Zeri... »

Le retard de mon « ami », comme le concierge s'escrimait à l'appeler, loin de décevoir mon attente, m'arrangeait. Les émotions du taxi m'avaient défraîchi. Je jugeais préférable de me refaire une beauté en sirotant une coupe de prosecco dans mes quartiers.

Un rêve.

Alors là, mon vieux, le Cold Fish havit bien fait les choses. La baignoire de marbre rose, un bassin bordé d'un balcon au milieu de la chambre, invitait au plaisir. Oui, un hymne à l'Amour... Sans te parler du temple : un lit gigantesque, flanqué de quatre colonnes torses qu'ornaient des feuilles d'acanthe, comme le palanquin de Saint-pierre au Vatican. Les drapés du ciel rose et or et les plissés de la courtepointe évoquaient une tente dans le gynécée royal de Soliman le magnifique ou un boudoir du Parc aux cerfs de Louis XV... Sur la table basse, devant la cheminée, mon japonais avait fait apporter une bouteille de Moët et un grand panier de fruits qui devaient combler mon appétit. Manifestement, il se prenait pour le Roi Soleil et moi pour Angélique Marquise des Anges dont, un soir, il avait vu la cassette.

Peu familier de ce genre de film, il avait regardé Angélique avec délectation, en intellectuel que les clichés ravissent et fascinent...

Restait à me montrer à la hauteur du rôle.

Je me déshabillai.

Alors que je mijotais sous les bulles de mon bain, mon portable sonna : le signal d'un SMS. « Fais joujou en m'attendant, m'écrivait-il en anglais, enivre-toi de champagne, attache-toi au lit, bande-toi les yeux, j'arrive... »

Ce message ludique datait d'une petite heure. Décidé à lui renvoyer la balle, je me hâtai de sortir de l'eau.

J'ai orné mon poignet droit du bracelet d'une des menottes. Je me suis bandé les avec le foulard que j'avis e ma possession. Et, tout nu, je me suis installé sur le lit.

Je savais qu'une fois attaché, je ne parviendrais plus a éteindre la lampe, aussi ais-je tourné l'interrupteur et plongé la pièce dans l'obscurité.

Le noir total.

J'ai gardé libre ma main gauche. Mais fixer la seconde menotte à la colonne du baldaquin ne fut pas une mince affaire. Même grande ouverte, le bracelet de plastique ne pouvait encercler la colonne qu'à un seul endroit, exactement dans l'étranglement de la torsade. Au moment où je réussi à boucler la menotte, mon Japonais frappait à la porte...