Plop bonsoir !

J'ai enfin terminé les différents textes du défi numéro 1, j'ai eu... un peu trop d'inspiration

CE TEXTE NE COMPTE PAS POUR L'EVENT


N° défi : 1

Consigne : Écrivez un texte contenant l'une des trois thématiques suivantes, à choix :

Time travel= Un personnage retourne dans le passé ou est projeté dans le futur, avec autant de voyages que vous le souhaitez et sans obligation de retour à l'époque d'origine à la fin du texte.

Amnésie= Un personnage est atteint d'amnésie partielle ou totale, temporaire ou définitive.

Fake dating= Pour une raison de votre choix, deux personnages sont amenés à ou choisissent de faire croire aux autres qu'ils sont en couple.

- La consigne choisie pour ce texte est Time Travel

Personnage(s) : Shigaraki/All for One, Shigaraki Chiharu/Peggy Carter, Possesseurs du One for All principalement

Rating : T/M

Avertissements : Meurtres, Manipulation, mention de dépression et suicides, QUE DES JOYEUSETÉS

Notes : ... J'ai dérapé, d'accord ? Il fait 11k ce bébé monstre, alors il est possible de trouver des incohérences, je suis désolée d'avance


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02# Et le temps tournera comme un vieux disque rayé

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Encore un échec. Le monde brûle devant Chiharu et elle se demande à quoi serve les années qu'elle a volées à d'autres si c'est pour voir Shigaraki gagner, au final. Comme si elle n'avait jamais eu la moindre chance. Il y a une boule dans sa gorge et un trou dans son cœur ; Yoichi ne respire même plus dans ses bras. Elle a donné une victoire totale à son ainé.

Elle doit partir. Si elle reste, Shigaraki viendra la chercher et lui prendra son Alter. C'est tout ce qui lui reste pour espérer changer les choses. Elle a besoin de temps pour remettre une organisation sur pied, pour développer la résistance à la tyrannie de All for One.

Cet homme n'est plus son frère. Il n'est même plus humain. Il ne mérite plus qu'elle l'appelle par son nom.

— Je suis désolée, grand-frère. La prochaine fois, je réussirais.

Chiharu dépose le corps de son frère à terre, ouvre la bouteille d'alcool qu'elle utilise d'habitude pour soigner ses blessures, avant de sortir une boîte d'allumettes. Bientôt, une épaisse fumée grise montera dans le ciel et All for One s'y intéressera sans doute. Mais il ne trouvera que des cendres, ou du tout moins un cadavre calciné. Elle ne lui laissera pas l'occasion de jouer aux dieux avec le corps de leur frère. Que serait-il capable de faire ?

La combattante est terrifiée par cette idée, alors qu'elle jette un regard sur le corps enflammé de Yoichi. Elle n'a pas le temps pour les remords. L'horloge avance impitoyablement et les aiguilles courent sur le cadran ; si elle se laisse rattraper, elle sera impitoyablement éjectée.

Tic-tac, tic-tac.

Le Temps attend son heure.

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Depuis combien de temps Chiharu fuit-elle ? Elle a l'impression que la mort de Yoichi a eu lieu il y a des siècles et pourtant, elle a encore l'impression de baigner dans son sang. Un haut-le-cœur la parcourt et une main se pose doucement dans son dos. Elle a trouvé des alliés précieux, dans sa bataille contre All For One ; peu lui importe de devoir collaborer avec les Américains si cela lui permet de venir à bout du monstre qui a été un jour son aîné.

— Chiharu ? Tu as l'air pâle, est-ce que tout va bien ?

La voix inquiète de Steve la fait tristement sourire. Le jeune homme du Bronx est issu d'une expérience pour compenser l'absence d'Alters chez la grande majorité de la population. Est-ce que le super-soldat serait toujours aussi prévenant s'il connaissait ses liens avec leur adversaire ? Il n'y a pas plus déterminée qu'elle pour éliminer All For One une bonne fois pour toutes, mais est-ce qu'il voudrait la croire ? Est-ce que les Commandos Hurlants voudraient bien lui laisser le bénéfice du doute ou l'abattraient-ils comme leur ennemi ?

Il y a des questions qu'elle ferait mieux de ne pas se poser.

— File donc un remontant à Madame, Rogers, qu'elle s'évanouisse pas !

— Dugan, même évanouie, je serais encore capable de te filer la dérouillée du siècle.

— Alors vazy, ma petite dame, je n'attends que ça !

Chiharu rit pour ne pas pleurer. Est-ce que c'est ça, d'avoir des amis ? Elle se souvient d'une enfance et d'une adolescence entre quatre murs étouffants. All for One n'a jamais laissé Yoichi ou elle sortir ; lorsqu'elle a réussi à mettre le nez dehors, elle a cru enfin naître.

La liberté a le goût du vent humide après un orage. L'amitié a l'odeur du feu de camp et de l'alcool fort.

— Je garde mes forces pour affronter les sbires de AFO, Dugan, je refuse !

Steve la serre dans ses bras, peu dupe de son pieu mensonge ; Chiharu accepte l'étreinte sans broncher et personne parmi les Commandos Hurlants serait assez stupides pour faire la moindre remarque.

Les aiguilles ralentissent sur le cadran ; pour quelques instants, le temps paraît comme suspendu, parenthèse dans sa course effrénée à la survie.

L'Amour est le calme avant la tempête ; Chiharu espère que son cœur y survivra.

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— Pensais-tu vraiment pouvoir m'arrêter, Chi-chan ? Tant de candeur, cela me rappelle pourquoi je voulais te garder auprès de moi. Où est donc passée ton admiration à mon égard ? Ce sont ces hommes qui t'ont corrompue ?

— Comme si je pouvais revenir vers toi ! Tu as tué Yoichi !

Chiharu se tient droite devant le monstre qui hante ses cauchemars ; les Commandos Hurlants n'ont pas fait le poids. Elle aurait dû le savoir, mais l'espoir l'a aveuglé, lui a fait miroiter un avenir de liberté qu'elle n'aurait jamais pu atteindre. Elle aurait dû rester isolée. Elle n'aurait pas dû s'attacher ; ses amis ne seraient pas morts ou sur le point d'être tués si elle avait su se contenter de sa solitude.

All for One prend son temps. Il veut sans doute les voir perdre foi en elle et crier à la trahison ; il veut sans doute la voir supplier pour la vie de ses proches, la voir s'agenouiller devant lui et abandonner toute fierté. Mais elle n'en fera rien.

Il a tué Steve. Elle ne peut pas plier. Steve ne le ferait pas, Captain America ou non. Elle ne piétinera pas sa mémoire en s'abaissant à quelque chose d'aussi dégradant. Et puis, elle sait qu'All for One les tuera tous. Il ne peut pas laisser vivre des graines si promptes à la révolte. Elle gardera la tête haute jusqu'au bout.

Une dernière rébellion, jusqu'à son dernier souffle.

— Tu n'auras rien de moi. Ni supplications, ni plaintes. Je ne suis plus une enfant.

— Je pourrais t'épargner. Je pourrais tous vous épargner.

— À quel prix ? Notre liberté, notre Alter ?

Chiharu se fige. Se pourrait-il qu'All for One connaisse son Alter, alors qu'elle a tout fait pour le lui dissimuler ? Se pourrait-il qu'il n'attendait que le moment où elle reviendrait le confronter pour s'en emparer ? L'arme à feu au bout de son bras tremble.

Elle n'a pas seulement condamné ses amis. Elle a condamné la population entière à tomber sous le joug de ce tyran. Elle n'aurait jamais dû l'affronter de face.

— Tu viens de comprendre. Tu n'as jamais été à la hauteur, Chi-chan. À peine un insecte que j'ai laissé vivre pour voir ce qu'il ferait, par curiosité. Tu n'as jamais eu aucune chance. C'est comme si tu avais pointé ton arme sur tes petits amis pour les tuer. Tu les as condamnés, comme Yoichi. Il serait encore en vie si tu n'avais pas essayé de le récupérer.

All for One s'avance et pose sa main sur le canon de son arme ; il sait qu'elle ne tirera pas, qu'elle retient sa culpabilité de la bouffer sur place. Elle est trop fière pour s'effondrer et trop faible pour continuer à lutter. Elle n'a jamais eu la moindre chance.

Yoichi. Steve. Bucky. Junior. Tous morts par sa faute et le reste des Commandos ne tardera pas à y passer. Elle les entraîne dans sa chute et elle aimerait à cet instant remonter le temps pour prendre d'autres décisions, pour choisir un chemin où ses amis ne mourraient pas.

— Ne l'écoute pas, Chiharu !

Le cri de Dugan est comme une claque ; il y a du raffut, derrière elle, des bruits de tir. Le visage de All for One se teinte d'agacement, avant que la surprise ne remplace toute autre émotion. Une main se place sur l'épaule de Chiharu, une poigne dure qu'elle attribue sans hésiter à son ami Dugan. Qu'est-ce qu'il fait ? Il devrait être en train de fuir, s'il a réussi à se libérer de ceux qui le retenaient ! Mais il est trop loyal pour les abandonner, n'est-ce pas ?

— Nous avons choisi d'être là. Tu n'es pas responsable.

Chiharu a à peine le temps d'intégrer ses mots que tout disparaît dans un flash.

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Chiharu rit, agenouillée dans la terre.

Chiharu hoquette, l'orage mouillant ses joues d'autres gouttes que ses larmes.

Dugan a un Alter d'Altération de Temps et l'a renvoyé avant les Commandos, avant même la mort de Yoichi. Il l'a renvoyé le jour de son évasion de sa prison. Les aiguilles sur le cadran du Temps ont remonté leur course, mais à quel prix ? Elle est de nouveau seule. Elle a vu mourir ses amis de la main même de celui qu'elle a un jour appelé son frère.

Il lui semble qu'un bout de son cœur est mort en même temps que Steve.

Mais, lorsque la pluie s'arrête enfin, Chiharu se relève, chancelante. Elle ne peut pas gâcher cette deuxième chance. Yoichi est encore en vie. Les Commandos Hurlants sont encore en vie, voire peut-être même pas encore nés. Elle n'a pas le droit d'abandonner maintenant, même si elle a l'impression de mourir de chagrin.

Sa vie ne lui appartient plus. Elle appartient à ceux que sa stupidité a tués. Chiharu ne s'arrêtera pas avant d'avoir réparé la trame du Temps, avant d'avoir tué dans l'œuf ses propres erreurs.

Est-elle-même encore Shigaraki Chiharu ?

Non. Elle est morte en revenant dans le passé et puis, si jamais son alter-ego de cette époque existe encore, elle ne peut pas porter le même nom. Ça serait se tirer une balle dans le pied.

Margaret – Peggy – comme la sœur de Dugan. Carter, comme le nom de jeune fille de la mère de Bucky. Ça lui semble bien.

All for One ne gagnera pas cette fois, elle se le jure.

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— Peggy ? On a, heu, comment dire…

— Crachez le morceau, Niji.

Margaret esquisse un sourire anxieux ; qu'est-ce que l'homme a à lui dire ? Elle a réussi à trouver deux suicidaires capables de faire sortir Yoichi de sa prison et qui détestent assez All For One pour prendre le risque de mourir en se rendant dans sa cachette. Elle leur a fait croire que l'homme serait là, mais elle s'est assurée de refaire surface assez longtemps pour que son frère aîné la cherche et ne soit pas dans son repaire au pire moment.

— AFO a un petit frère. Il était là quand on est arrivé, mais pas AFO.

Je sais, se retient-elle de dire.

— Vos infos étaient pas bonnes, l'informatrice, mais au moins on repart pas les mains vides ! Le petit frère veut nous aider. On a un moyen de l'abattre. Peut-être pas cette année, peut-être pas dans cette décennie, mais on y arrivera !

Margaret en doute, à vrai dire, surtout parce qu'elle ignore jusqu'où vont exactement leurs compétences. Et même s'ils échouent, elle a son propre plan. Elle ne laissera plus aucun de ses proches mourir, aussi ne confiera-t-elle pas à un autre la pleine responsabilité du meurtre de All for One.

— Comment ça, tu veux lui parler, Yoichi ? Hein ? Tu veux… Mais t'es malade, mec, c'est pas parce que Peggy a cafté l'emplacement de AFO qu'elle est de confiance ! Ne touche pas à…

Le rire de Yoichi retentit dans le combiné et Margaret sourit tristement à ce son si familier qui semble pourtant être un souvenir d'une autre vie. Elle se mord la lèvre et tamponne le coin de ses yeux de ses manches, espérant que sa voix ne trahira pas son émotion.

— Bonjour. Margaret Carter, c'est cela ? Est-ce que j'ai envie de savoir pourquoi Niji vous appelle Peggy ?

— C'est un idiot, je le crains.

— Est-ce que je peux continuer à t'appeler Chiharu ?

Margaret se fige, avant de soupirer en fermant les yeux. Son frère l'a reconnu au simple son de sa voix ; elle ne s'y attendait pas vraiment. Mais elle n'a pas envie de nier. Elle n'a pas envie de repousser son petit frère, même si elle sait qu'il mourrait en étant à ses côtés. Tant qu'il reste loin d'elle, il devrait réussir à survivre avant de mourir de vieillesse.

— Est-ce que je peux vraiment te le refuser ?

Un rire amer lui échappe, avant qu'elle ne pose la question qui la taraude.

— Quand tu dis que tu as un plan pour éliminer AFO…

— Il m'a donné un Alter, sauf qu'il a réagi avec celui que, surprise, je possédais ! Je suis trop faible pour l'utiliser à sa pleine puissance, mais je peux passer cet Alter à d'autres si je le souhaite. On peut emmagasiner assez de puissance pour l'éliminer, tu te rends compte ?

Oui, Margaret s'en rend compte. Plusieurs générations seront nécessaires. Yoichi mourra bien avant de voir le jour de leur victoire, mais elle sera toujours là, tant qu'elle aspirera des jours de vie à des gens. Elle pourra être le lien entre tous les possesseurs de ce formidable pouvoir. Elle pourra les aider.

Elle pourra garder vivantes les convictions et rêves de Yoichi, tout comme ses amis.

— Alors que chacun de tes héritiers viennent me trouver lors de leur investiture, petit frère. Je les attendrais.

— Je crois que tu reverras bientôt Niji, dans ce cas. Voire Sanji.

— Mais lui dévoile pas tout, idiot !

Yoichi éclate de nouveau de rire sous les imprécations de ses deux sauveurs – au fond d'elle, Margaret les espère amis – puis elle raccroche sans un mot, observant le Japon se faire de plus en plus petit à l'horizon. Maintenant que la situation de son frère est réglée, il est temps de passer à son problème suivant. Elle se doute que les Commandos Hurlants seront bientôt de nouveau mis sur pieds ; l'attaque envers les États-Unis ne devrait plus tarder.

Elle a hâte de revoir Dugan et de plaisanter avec lui, de taquiner Bucky sur sa relation avec Steve, de profiter de ses amis qui lui sont si chers. Et cette fois, elle les protégera. Elle ne refera pas les mêmes erreurs, quel qu'en soit le prix.

Et peut-être que cette fois, elle ne gardera pas ses sentiments dans son cœur.

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Le battement d'aile d'un papillon provoque un ouragan à l'autre bout du monde. Margaret connaît ce proverbe, mais elle ne pensait pas avoir l'occasion de l'expérimenter. Et pourtant. All for One n'est plus aussi visible qu'auparavant ; les actions des possesseurs du One for All l'ont poussé à se retrancher dans la clandestinité.

Sanji est déjà le troisième porteur ; il lui a annoncé qu'il avait trouvé un successeur, aussi devrait-elle avoir de ses nouvelles bientôt. Niji est malheureusement décédé en combattant et Yoichi a fini par être emporté par un cancer à ses quarante ans à peine sonnés. Elle a fait son deuil de manière plus paisible, peut-être parce qu'elle l'avait déjà fait une fois, ou peut-être parce que cette fois, elle ne pouvait rien y faire.

Lutter contre la nature même revient à jouter contre des moulins à vent.

— Alors, Mam'zelle Carter, on rêvasse ?

— Bucky, un mot de plus et je te couds les lèvres. Et Dugan, ne l'encourage pas !

Un rire lui échappe. Malgré la course différente du Temps, les Commandos Hurlants ont été créés, cette fois pour lutter contre une organisation malfaisante nommée Hydra. Leur rencontre n'a pas été la même ; cette fois, elle a aidé Steve à faire s'évader tout un régiment de prisonniers de l'organisation et elle y a retrouvé ses vieux amis, même si elle a parfois du mal à soutenir leur regard.

Il y a leurs cadavres d'un passé manqué qui la hantent.

L'existence d'Hydra ne la rassure pas non plus, pas après ce qu'elle a vu dans leurs laboratoires. Au premier abord, ils ne semblent pas lié à All for One, mais Margaret n'y parierait pas un cheveu pour autant. Son ennemi est doué pour créer un réseau, si bien qu'elle serait stupide de ne pas se méfier. Et Hydra s'intéresse d'un peu trop près à la technologie et aux mutations des Alters à son goût.

Elle espère avoir tort, alors que Steve claque l'arrière du crâne de son meilleur ami, avant de lui adresser un sourire à la fois tendre et contrit. Les yeux de Margaret pétillent de joie ; dans cette vie aussi, Steve a eu accès au sérum et est devenu Captain America. Elle ne l'en aimerait pas moins sinon, loin de là, mais elle est heureuse de l'avoir à ses côtés pour se battre.

— Mais pourquoi c'est moi que tu frappes, elle m'a menacé ! Faux-frère !

— C'est parce qu'elle lui fait tourner la tête, Bucky, tu ne peux pas rivaliser !

— Attends voir, je suis sûr que dans une robe et avec du maquillage, j'y arriverais aussi !

— Attention à tes propos, Bucky, je pourrais te prendre au mot.

Margaret esquisse un sourire malicieux ; Dugan éclate de rire et tape le dos de Bucky, qui a considérablement pâli en se rendant compte qu'elle l'a entendu. Elle ne compte pas le défier de le faire, elle ne veut pas l'humilier non plus, ni le forcer. Bucky parle plus vite qu'il ne pense la plupart du temps, elle le taquine simplement.

— C'est là qu'on lui fait remarquer que notre Peggy a charmé le Captain avec son caractère et qu'il en a un trop mauvais pour tenir la course ?

— Oh, Dugan, va te faire foutre.

Margaret rit et derrière ses paupières closes, des flashs d'un futur que ses amis ne connaîtront jamais dansent. Mais elle s'y fait ; elle peut bien souffrir si cela signifie voir sourire et vivre ses amis. Tant pis pour ses nuits blanches à fuir le sommeil, pour ses cauchemars qui la poursuivent bien loin de son lit.

Elle sait qu'elle a fait le bon choix quand Steve s'assoit à côté d'elle pour lier ses doigts aux siens.

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— Est-ce que tu as des nouvelles ?

— Je suis désolée. Ils n'ont rien retrouvé.

Margaret a le cœur qui saigne lorsque Steve tombe à genoux face à la nouvelle. Elle s'accroupit à ses côtés pour l'enlacer, retenant ses larmes amères. Bucky a disparu en mission ; une chute depuis un train de montagne. Elle n'a que peu d'espoir, mais son compagnon brûle de retrouver son ami d'enfance, si fort qu'elle craint qu'il en vienne à se consumer.

Son regard tombe sur la bouteille d'alcool déjà bien entamé et elle fronce les sourcils, avant de soupirer. Elle ne veut pas avoir ce genre de conversation dans cette vie après avoir perdu un camarade ; il y a des disques qu'elle ne veut pas rejouer.

— Ce n'est pas ta faute.

Dugan lui a dit la même chose face à All for One ; Margaret est certaine que Steve n'y croit pas plus qu'elle à l'époque.

— Tu as lu le rapport, non ?

— Oui. Tu as fait ce que tu as pu. Et on a toujours l'impression que ce n'est jamais assez. Qu'on aurait pu faire mieux. Qu'on aurait dû faire mieux.

Margaret ferme les yeux et déglutit. Elle ne comprend que trop bien ces sentiments pour les avoir déjà éprouvés tant de fois, à croire que sa vie est un vieux disque rayé.

— Il y a cette petite voix dans ta tête qui te murmure que si tu avais fait d'autres choix, ceux que tu aimes seraient encore en vie. Ne l'écoute pas, je t'en prie.

Margaret ignore si elle devrait manipuler Dugan pour la forcer à utiliser son Alter sur elle, qu'elle puisse éviter la disparition de Bucky, mais elle a encore trop peu d'informations. Elle ignore sur quels paramètres elle peut jouer pour éviter qu'une telle tragédie recommence.

— Qu'est-ce que tu en sais ?

Steve la repousse ; Margaret tombe au sol, éberluée, et un goût étrange sur les lèvres. L'homme devant elle est un homme meurtri et elle est trop brisée pour l'empêcher de se disperser en morceaux à son tour. Elle est impuissante face au deuil d'un autre. Peut-être pourra-t-elle l'atteindre lorsque la colère passera, peut-être pourra-t-elle l'aider, à ce moment-là.

La solitude est le pire des maux pendant un deuil. Oh, elle ne le sait que trop bien.

— Pardon, je ne voulais pas…

— Tu es tout excusé.

— Je ne m'arrêterai pas avant qu'Hydra soit entièrement tombée.

Une promesse à soi-même. Margaret se pince les lèvres ; elle n'aime pas ça. Les dégâts engendrés par ce genre de promesses sont incontrôlables. Ne devrait-elle pas le convaincre d'être raisonnable et de ne rien en faire ?

Un sourire triste étire ses lèvres, alors qu'elle lui murmure une bonne nuit et s'esquive, les larmes aux yeux. Elle n'est pas la bonne personne pour ce genre de remontrances. Ce serait l'hôpital qui se moque de la charité. Alors elle ignore son cœur qui se tord d'angoisse, elle ignore les mises en garde chuchotées par son esprit.

Margaret regrettera de ne pas s'être écoutée lorsque Steve se suicidera après avoir vaincu Hydra, mourant dans un avion qu'il a fait se crasher pour faire disparaître la technologie de son organisation.

C'est sa faute. Toujours. Comment pourrait-elle en douter ?

Alors elle remet le vieux disque rayé, en espérant cette fois échapper aux soubresauts qui arrêtent leur chanson.

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Margaret s'effondre comme une poupée aux fils coupés. La tonalité résonne à ses oreilles comme le son de son échec ; c'est la voix de Steve qu'elle voudrait entendre, une voix qui lui dirait qu'il va bien et qu'il a survécu à ce fichu crash. Est-ce la sixième, septième fois peut-être, où elle essaye de sauver Bucky, tout du moins d'empêcher Steve d'abandonner pour le garder égoïstement à ses côtés, ou est-elle à bien plus d'essais ratés ? Pourquoi n'arrive-t-elle pas à changer les choses cette fois ? Ils ont arrêté Hydra, All for One se fait de plus en plus discret, alors où a-t-elle commis une erreur ?

« C'est comme si tu avais pointé ton arme sur tes petits amis pour les tuer. »

Pourquoi doit-elle se souvenir des propos d'All For One maintenant ? Elle n'est pas responsable de la mort de Bucky en mission. Mais elle est peut-être la raison de la mort de Steve. Et si à son prochain essai, elle l'empêchait de devenir Captain America ? Est-ce qu'elle pourrait le sauver, comme ça ?

Un haut-le-coeur la secoue alors qu'elle réalise l'horreur de son idée. Quand est-elle devenue aussi insensible aux sentiments des autres ? Quand a-t-elle fait passer ses propres émotions avant les souhaits des autres ? Peut-être est-ce pour ça qu'elle échoue ; Bucky et Steve ne sont pas destinés à survivre, quelle que soit la version de l'histoire. La mort de l'un entraîne la mort de l'autre.

Jusqu'au bout de la ligne. Leur devise. Elle le sait, pourtant, non ?

— Peggy.

Dugan. Margaret n'a pas la force de l'affronter. Ni ce soir, ni jamais. Lui a-t-elle fait du mal, à lui aussi, en essayant d'améliorer les choses ? Est-elle en train de perdre son humanité ? Commence-t-elle à suivre les pas de son frère ? Elle le refuse. Elle préfère mourir que de lui ressembler. Et pourtant, elle a glissé si rapidement de l'héroïne au vilain de l'histoire.

— Je me souviens, tu sais, de tous ces passés que tu as essayé de corriger. C'est pas joli-joli d'utiliser mon pouvoir à mon insu pour remonter dans le temps.

Dugan sait. Son Alter ? Sans doute ; elle n'a pas réfléchi aux effets secondaires que son ami pourrait rencontrer. A-t-elle-même envisagé qu'il puisse savoir qu'elle se servait de lui ? Et pourquoi ne l'a-t-il pas arrêté plus tôt ? Voulait-il voir jusqu'où elle était prête à aller ?

Son ami pose une main sur son épaule, en silence. Au moins, il ne lui crie pas dessus. Est-ce seulement le calme avant la tempête ?

— Pour être honnête, j'espérais à chaque fois que tu y arrives. Alors je me suis tue, mais là, je ne peux plus. Je t'en supplies, arrête. Tu vas te détruire, à force. Ce n'est pas ta faute, Peggy. Bucky a choisi de suivre Steve, à la vie à la mort. Il connaissait les risques. Steve aussi. Tu ne peux rien faire. Ça ne dépend pas de toi. On ne peut rien y faire.

— Ils meurent tous parce que je ne suis pas assez forte.

— C'est faux, Carter. Je mettrais ma vie entre tes mains sans hésiter. Chaque gars des Commandos Hurlants le ferait. Tu es forte. Mais tu ne peux pas porter la misère du monde à toi toute seule. Tu n'es pas Dieu. Tu n'es pas le Diable non plus. Tu es un être humain qui se bat pour ceux qu'il aime et pour ses idéaux.

Dugan serre un peu plus fort son épaule ; Margaret a les joues baignées de larmes silencieuses. Elle ignore si ces mots lui font du bien ou lui rappellent cruellement toute la vanité de la lutte contre All for One. Elle se sent vide, si vide, dépouillée de toute son énergie pour ne plus que laisser sa solitude et sa culpabilité ronger ses os.

— Steve s'en voudrait que tu abandonnes parce qu'il est mort. Je crois qu'il aimerait que tu chérisses son souvenir sans t'y perdre, que tu continues ton combat sans t'appesantir sur les morts.

— Depuis quand tu es aussi philosophe, Dugan ?

— Depuis que j'ai une bouteille de vodka dans le nez. Allez, ma grande, lève-toi, on va aller noyer notre chagrin et ça ira mieux demain. Ou peut-être seulement dans un mois, un an, plus peut-être, qu'est-ce que j'en sais.

Margaret laisse Dugan la relever et la traîner auprès des autres, pour boire en mémoire de leurs compagnons d'armes disparus. Ce soir, elle baignera dans sa tristesse et sa culpabilité ; ses amis maintiendront sa tête hors de l'eau. Elle ne veut pas penser à ce futur qu'elle tente d'éviter depuis plusieurs voyages, à cette histoire dont elle ne pourra pas réécrire la fin.

Demain sera un autre jour.

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L'aube se lève toujours après la nuit, quelle qu'en soit la durée. Margaret peine à se rendre compte de tout ce qu'elle a accompli pour avancer, pour ne pas se laisser bouffer par son chagrin et sa sensation d'impuissance. Dugan l'a soutenue, que ce soit lorsqu'elle a intégré la Section Scientifique de Réserve pour étudier les Alters et d'étranges objets d'origine inconnus, lorsqu'il y a fallu sauver les fesses de leur ami Howard Stark, ou même lorsqu'elle a créé avec l'aide de ce dernier le SHIELD, officiellement pour lutter contre toutes les menaces envers la paix mondiale.

Officieusement, c'est son moyen de garder un œil sur les activités de All for One et de protéger les porteurs du One for All, qui prennent contact avec elle passation après passation. La personne qui le détient actuellement est Nana Shimura, une héroïne japonaise. Margaret n'aime pas la savoir médiatisée, mais que peut-elle dire ? Elle n'affronte pas de face son ennemi, aussi elle laisse le soin à Shimura de décider de comment elle veut vivre.

Elle a pris le temps de panser ses blessures. Elle n'oublie pas Steve – comment le pourrait-elle ? – mais elle a accepté, désormais, que la mort de son amour n'était pas sa faute. Sa force ou son intelligence ne sont pas à remettre en cause. Steve ne pouvait pas vivre sans Bucky et la mort de Bucky ne dépendait pas d'elle.

Elle aurait pu remonter le temps encore mille fois qu'elle n'aurait rien pu y changer et, comme Dugan le lui a dit, elle aurait fini par se détruire.

— Peggy, tout va bien ?

Daniel l'observe avec inquiétude. Margaret lui sourit doucement en retour, passant une main pensive sur son ventre rond. Elle n'imaginait pas qu'elle arriverait à retomber amoureuse, encore moins d'un collègue de travail. Mais Daniel a su se creuser une place dans son cœur grâce à sa gentillesse, son empathie et sa détermination à renverser des montagnes. Il a mis longtemps à gagner sa confiance, puis son respect, jusqu'à ce que leur amitié devienne bien plus.

Pour être honnête, Margaret ne cesse d'être terrifiée à l'idée de le perdre ; pendant longtemps, elle a nié ses sentiments pour lui de crainte de le voir disparaître comme Steve. Mais elle a fini par surmonter cela comme tout le reste, et voilà qu'elle est fiancée, attendant un enfant. Jamais elle n'aurait pu l'imaginer il y a encore quelques années.

La vie continue et, même si elle s'inquiète pour le futur de son enfant à venir, même si la peur insidieuse qu'All for One découvre qu'elle est encore en vie la ronge, Margaret tiendra bon et continuera à avancer. Elle porte en étendard les convictions de son frère Yoichi et de Steve. ; elle fera de ce monde un meilleur endroit pour que son enfant grandisse, un endroit débarrassé de l'ombre menaçante de son ennemi.

Margaret ne veut pas penser que sa famille disparaîtra peut-être bien avant, emportés par la vieillesse ou les incidents de la vie, parce qu'All for One semble immortel, tout comme elle.

Malédiction ou bénédiction ? Elle n'en a aucune idée, car si abandonner son pouvoir signifiait mettre un terme au règne de l'ombre de All for One, elle le ferait volontiers.

Margaret se tuerait si cela pouvait assurer le bonheur de sa famille.

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— Je suis rentrée !

Margaret perd son sourire lorsque seul le silence lui répond. Daniel est parti avant elle du travail pour récupérer les enfants à l'école ; ils devraient être déjà rentrés. Son époux a-t-il fait un détour pour leur acheter une glace ? Il aurait pu trouver un moyen de la prévenir, tout de même. Elle n'aime pas s'inquiéter pour rien.

Un soupir lui échappe alors qu'elle dépose ses clés dans le bol dans l'entrée, envoie valser ses talons contre le mur et laisse tomber son sac au sol. Elle rangera quand sa famille rentrera, elle peut bien se le permettre. Elle s'étire en passant le seuil du salon, avant de se figer en voyant la silhouette de son époux assis dans le canapé. Peut-être s'est-il endormi en rentrant ? Un mauvais pressentiment lui noue l'estomac alors qu'elle s'avance et qu'elle passe la tête par-dessus le dossier.

— Daniel, est-ce que…

Margaret ne finit pas sa phrase ; sur la chemise de Daniel a éclos et séché une fleur de sang autour d'un impact de balle. Elle oublie de respirer alors que ses doigts tremblants se glissent dans le cou de son mari, sans grand espoir. La peau est froide sous ses doigts ; il n'y a plus rien à faire. Qui ? Comment ? Pourquoi ? Non !

Les questions jaillissent dans sa tête au rythme de sa douleur et du choc. Ses enfants. Elle doit trouver ses enfants. La maison est trop silencieuse. Seigneur, pourvu qu'ils aillent bien. Pourvu qu'ils n'aient rien. Elle se détourne de son époux, court jusqu'à la chambre de sa fille, le cœur battant à ses oreilles.

« Tu n'as jamais été à la hauteur »

« Tu n'as jamais eu aucune chance »

« Tu les as condamnés »

La porte claque ; Alice a l'air de dormir dans son lit respectif, mais son oreiller est teinté de rouge. Titubante, elle se rue vers la chambre de son fils Michael pour y trouver le même genre de scène ; le cri qui s'échappe de sa gorge n'a rien d'humain alors qu'elle s'effondre au sol. Pourquoi tous ceux qu'elle aime doivent mourir violemment ? Pourquoi doit-elle voir leurs cadavres en sachant qu'elle en est responsable ? C'est forcément sa faute, c'est forcément personnel, pour qu'on lui arrache toute sa famille ainsi.

Le SHIELD. Elle en est la directrice et plusieurs fois déjà, elle a refusé de prendre sa retraite. Peut-être que leurs ennemis ont décidé de frapper fort pour la mettre hors circuit. Ces bâtards. Ils réussiraient presque, mais elle a un atout dans sa manche. Malgré la douleur qui transperce sa poitrine, Margaret se relève, titube jusqu'au téléphone, avant d'appeler le numéro qu'elle connaît par cœur.

— Dugan ? J'ai besoin de ton pouvoir. Je t'en supplie.

Pourvu que son ami ne refuse pas. Seul l'espoir de réparer les choses la maintient encore debout.

Si elle perd sa famille encore une fois, Margaret ne le supportera pas.

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La radio grésille en arrière-fond sonore.

— Ça te ressemble pas, Tante Peggy.

Son neveu de cœur continue de trifouiller les câbles de sa dernière création, tout en lui tournant ostensiblement le dos. Margaret ignore pourquoi il semble lui en vouloir de son choix de se retirer du SHIELD, mais elle ne changera pas d'avis. La mort de sa famille est trop fraîche dans sa mémoire ; même si sur cette ligne de temps, elle a réussi à l'éviter pour l'instant et qu'elle rentre le soir en retrouvant les siens, elle refuse de les perdre de nouveau si violemment.

Sur cette ligne de temps, elle a même donné naissance à une autre petite fille, Sharon. Était-elle déjà enceinte avant de remonter le temps ? Le bébé a-t-il voyagé avec elle ? Margaret déteste ce genre de questions auxquelles elle ne trouvera pas de réponses, tout du moins satisfaisantes.

Tony n'est pas le seul à s'interroger sur les motivations de son départ, d'ailleurs ; son remplaçant à la tête du SHIELD lui a tenu le même genre de discours. Mais elle ne s'inquiète pas pour ce dernier – Nicholas a été formé pour reprendre sa place, après tout – contrairement à l'adolescent devant elle.

— Pourquoi tu dis cela ? Et puis, j'aurais plus de temps pour venir te-

— Ne me mens pas ! explose-t-il soudain.

Il jette sa pince de rage contre le mur et Margaret tressaille à peine, retenant un soupir. Qu'est-ce que Howard a encore fait pour mettre Tony dans cet état, à douter de tout ? Elle a toujours eu beaucoup trop sur son plateau pour prêter autant d'attention à son neveu qu'elle l'aurait souhaité, mais elle sait pertinemment que son vieil ami est un père qui ne rate jamais l'occasion de détériorer sa relation avec son fils.

Elle ne compte plus le nombre de disputes qu'ils ont eu à ce sujet sans qu'Howard ne change de comportement.

— Pourquoi te mentirais-je ? J'ai conscience de ne pas avoir été très présente pour toi, certes, mais je ne t'ai jamais fait de promesse que je n'ai pas tenue.

— Tu l'es plus qu'eux en bossant. Mais maintenant, tu vas t'occuper de tes enfants, non ? Tu n'auras plus de temps à m'accorder.

Les sanglots dans la voix de Tony brise le cœur de Margaret, ajoutant une plaie ouverte aux mille et une cicatrices qui le scarifient. Elle s'approche de lui et l'enlace par-derrière, maudissant Howard pour être un père aussi incapable. Il n'aurait pas dû faire d'enfants, ou peut-être aurait-elle dû s'assurer un peu plus souvent de l'état de son neveu.

Elle pourrait remonter dans le passé pour tenter de donner une meilleure enfance à son neveu, mais l'idée de jouer encore avec le Temps la rend nauséeuse. Et si, en modifiant une nouvelle fois les lignes temporelles, elle perdait encore sa famille ? Si cette fois, Tony s'ajoutait aux victimes ? Elle refuse de prendre le risque, même si elle s'en veut pour toute la douleur que doit transporter son neveu et qu'elle n'a pas le courage de lui enlever.

Elle préfère un présent imparfait qu'un futur rêvé, mais hypothétique. Elle ne jouera plus au poker avec la vie de ses proches tant qu'elle ne sera pas certaine que ce soit la moins terrible des options à sa disposition.

— Au contraire, j'en aurais bien plus. Et puis, Sharon, Alice et Michael seraient heureux de passer du temps avec toi, ils t'admirent, tu sais. Alice m'a dit qu'elle voulait devenir mécanicienne pour pouvoir travailler avec toi.

— Elle a aussi dit qu'elle serait une princesse guerrière qui régnerait sur le monde pour y apporter la paix et les licornes.

— Elle avait cinq ans. Elle te bouderait si elle t'entendait remettre cette histoire sur la table.

Tony ricane, avant de se retourner pour se lover dans son étreinte. Il s'agrippe à sa chemise comme un enfant perdu et Margaret se mord la lèvre. Elle sait que jouer avec le temps est dangereux, elle a bien déjà failli s'y perdre une fois. Recommencer seulement pour son neveu est déraisonnable, Dugan refusera sûrement et elle-même sait qu'elle risque d'y perdre trop de ses proches. Cependant, elle a l'impression de se prendre une balle en plein cœur lorsque Tony lève des yeux mouillés de larmes vers elle, avec tant d'espoir qu'elle a envie de lui faire de fausses promesses, juste pour ne plus le voir aussi malheureux.

Le contrecoup à payer n'en vaut pas la peine. Margaret ne veut pas perdre la confiance de son neveu.

— Je peux venir chez toi pour les vacances ? Je veux pas rentrer.

— Ma maison est ta maison, Tony. Tu y seras toujours le bienvenu.

Au moins, lorsque Tony est chez lui, elle peut s'assurer qu'il mange et boit un minimum, elle peut être là lorsque l'inspiration ou l'insomnie le frappe – et l'un vient rarement sans l'autre – ou lorsque ses pensées lui murmurent qu'il ne compte pour personne. Elle a bien tenté de lui faire consulter un psychologue ; Tony avait accepté et montrait des signes de progrès, quand Howard a décrété que ceux qui consultaient étaient faibles. Elle a mis un poing dans la figure du PDG de Stark Industries lorsqu'elle l'a appris, mais le mal était déjà fait.

— Si tu veux, on pourra aller voir ton parrain Dugan ensemble. Ce vieux râleur n'arrête pas de se plaindre que je te vois plus souvent que lui.

— Tu crois que je pourrais lui présenter mon projet, ou il risque de le faire exploser par erreur ?

Tony arbore un sourire mutin ; Margaret lève les yeux au ciel sans retenir son propre amusement, ébouriffant les cheveux de son neveu au passage.

— Si Dugan t'entendait, il crierait à la diffamation.

— Il connaît des mots de quatre syllabes ? Qui ne soient pas des noms d'alcool, je te vois venir.

Margaret ricane en songeant à l'amour de son ami pour le bon alcool et admet que son neveu n'a pas tort ; l'éducation dans les années 20 n'était pas aussi efficace, aussi Dugan n'est pas l'homme le plus raffiné qu'il soit. Mais pour Tony, c'est une bonne chose. Il vit dans un milieu de faux-semblants et d'apparence ; côtoyer quelqu'un qui se contrefiche de savoir quel couvert utiliser pour le poisson lui permettra de garder les pieds sur terre.

— Alerte information : Nous venons d'apprendre le décès après un combat contre un Vilain, l'héroïne numéro deux du Japon, Nana Shimura, connue sous le nom de…

Margaret se fige alors que la radio continue à diffuser son bulletin d'information. Nana Shimura est morte ? Ce n'était pas arrivé dans sa précédente ligne temporelle ; que s'est-il passé ? Elle relâche son neveu, un frisson de peur lui parcourant la colonne vertébrale.

Alors, c'est son prix à payer pour son voyage dans le temps, cette fois ? Sa famille contre un possesseur du One for All ?

— Tu la connaissais ?

Margaret pose une main sur la tête de son neveu, lui ébouriffe les cheveux au passage. Tony proteste avec un rire qui chasse le début de culpabilité qui l'envahit. Nana Shimura connaissait les risques. Ce n'est pas le premier porteur qui décède violemment et elle ne sera pas la dernière non plus. Le One for All a déjà été transmis, alors la relève est assurée.

Margaret refuse d'avoir des remords. Aussi terrible que ce soit, elle préfère la mort d'un porteur à celle de ses proches. Peut-être Yoichi la hantera pour ce choix, peut-être qu'All for One en profitera pour prendre plus de pouvoir. Mais elle est fatiguée de lutter, elle est fatiguée de corriger sa vie en manipulant le temps. Elle n'en peut plus de voir ses proches mourir et parfois, elle n'arrive plus à savoir si les événements se déroulent réellement ou si elle reste coincée dans un rêve pour échapper à la réalité.

Peut-être qu'elle n'a pas réussi à sauver Yoichi. Peut-être que les Commandos Hurlants sont morts face à All for One. Peut-être que son aîné a volé un Alter d'illusion et qu'elle y est enfermée jusqu'à en perdre la raison.

Peut-être que tout ça n'est qu'un rêve dont Margaret refuse de se réveiller. Aussi, elle pose définitivement les armes. Elle continuera à aider les porteurs du One for All à la hauteur de ses moyens, mais la lassitude a fini par vaincre. Elle éteint la radio avec un soupir, secouant la tête.

— Non. C'est dommage, c'est tout.

Il ne s'agit même pas vraiment d'un mensonge ; Margaret ne connaît Nana que des messages qu'elles ont échangés. Elle ne l'a même pas rencontrée en personne. Elle devrait néanmoins envoyer un message de condoléances à son apprenti. Comment s'appelle-t-il, déjà ? Toshinori Yagi, ou quelque chose du genre ? Elle devra demander à Fury le droit d'emprunter quelques minutes la base de données du SHIELD ; son successeur le lui autorisera sans doute, avec un peu de persuasion.

— Et si tu me parlais un peu plus de ton projet ?

Le visage de Tony s'éclaire et il l'attrape par le poignet pour l'attirer à son bureau, se lançant dans des explications avec de grandes gestes des bras. Un sourire ourle les lèvres de Margaret, alors qu'elle écoute attentivement ; son neveu semble s'épanouir comme une fleur au soleil alors qu'il partage ses idées, sans attendre de réponse. Si elle avait continué à travailler, elle n'aurait pas vu ce sourire si heureux sur le visage de Tony. Elle n'aurait pas été si fière de lui, elle ne l'aurait pas encouragé, elle ne lui aurait pas donné ce dont il a tellement besoin.

Pourquoi sauver le monde si c'est pour manquer ces instants si importants ?

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— Tu comptais me parler de ton demi-frère quand ?

Tony a beau être adulte depuis trois ans désormais, il se fait toujours aussi petit devant Margaret lorsqu'elle est en colère. Elle a bien essayé de se calmer – ce n'est pas contre lui qu'elle est en colère, mais contre son père qui n'a pas su garder sa queue dans son pantalon et bon sang, ne lui avait-il pas attiré assez d'ennuis en étant un coureur de jupons ? – mais son agacement transparaît dans sa voix.

— Je voulais juste régler ça vite. Avant que les médias tombent là-dessus et s'emparent du scoop. Je voulais les protéger.

Oh. Margaret avait songé que Tony avait agi pour se protéger lui, mais elle ne s'attendait pas à ce qu'il l'ait fait pour son demi-frère et la mère de celui-ci. Son neveu soupire, avant de désigner le canapé d'un signe de tête.

— Tu veux bien t'assoir, s'il te plaît ? Inko et Ana occupent Izuku pour l'instant, mais il risque de débarquer d'un instant à l'autre pour me demander s'il peut m'accompagner à l'atelier.

— Tu ne veux pas qu'il me rencontre ?

— Je ne veux pas que tu le rencontres tant que tu es énervée, nuance. Tu lui ferais peur.

Margaret cligne des yeux ; depuis quand Tony se soucie-t-il d'enfants qui ne sont pas ses cousins ? Une partie de l'histoire lui échappe sans nul doute. Elle s'installe donc dans le sofa, croisant les bras sur sa poitrine en attendant de plus amples explications.

— Comment tu l'as découvert ? demande-t-elle pour entamer la discussion.

— Par le testament. Howard leur laissait quelque chose, donc Inko a été convoqué chez le notaire, Stark Industries a payé le billet d'avion pour qu'elle vienne.

— Tu aurais pu régler ça à distance, non ?

— Je voulais mettre les choses au clair sur les droits d'Izuku sur l'entreprise.

Margaret hoche la tête. Tony a dû mal prendre sur le coup l'existence d'un deuxième héritier de l'entreprise. Elle ignore exactement ce que Howard a écrit dans son testament, mais pour sûr, cela ne lui plairait absolument pas.

— J'étais pas heureux d'apprendre son existence, tu t'en doutes, et j'étais plutôt disposé à lui nier tout droit sur l'entreprise. Puis, le jour où Inko et son fils ont atterri, Ana s'est fait renverser par une voiture. Inko était là ; c'est elle qui a appelé les secours et tenue compagnie à Ana jusqu'à ce qui soit là. Elle est même allée aux urgences pour l'accompagner et qu'elle ne reste pas seule.

— Attends, tu veux dire…

— Elle a manqué le rendez-vous chez le notaire pour aider et soutenir une inconnue. Et c'était Ana.

Oh. Margaret pense mieux comprendre pourquoi Tony tient à protéger la dénommée Inko et son fils. Un service pour un service ; son neveu leur est reconnaissant d'avoir sauvé sa gouvernante qu'il aime comme une mère et il tient à ne pas avoir de dette envers eux. Un maigre sourire étire ses lèvres, alors que Tony se laisse glisser au fond du canapé, les mains dans ses poches.

— Izuku, il est comme moi. Sans-Alter, mais l'esprit vif. Je ne pouvais pas… Il me rappelait moi quand j'étais encore innocent. Je refuse de laisser le monde le détruire. J'ai de l'argent et du pouvoir à ne plus savoir quoi en faire, alors autant qu'il serve pour une bonne cause.

Tony se relève d'un bond, une colère que Margaret ne connaît que trop bien au fond de ses yeux.

— Tu le verrais, à me demander s'il a le droit de vivre ! Il n'a que six ans, Peggy, et ils l'ont déjà abîmé ! Je suis son grand frère, je dois le protéger ! Rien à foutre qu'il soit d'une autre mère !

— Je suis si fière de toi.

Les mots échappent à Margaret, bien qu'elle les pense du plus profond de son cœur. Tony ne s'est pas laissé corrompre par la haine ou la colère envers les actes de son père ; il a enfin trouvé quelqu'un pour qui se battre et rester en vie. Il y a une lumière dans les yeux sombres qui n'existait pas jusque-là ; elle ne le remarque que maintenant.

Tony rougit jusqu'à la pointe de ses oreilles, avant de se rasseoir, visiblement gêné. Margaret retient un rire, décroisant ses bras avec un rire.

— Si tu veux, on pourrait faire un repas de famille pour que je puisse rencontre mon plus jeune neveu et sa mère. On pourrait même inviter Dugan, ton parrain serait heureux de te voir.

Tony a les yeux qui brillent alors qu'il accepte avec une joie palpable. Margaret ignore si c'est à l'idée de présenter ses proches à Inko et Izuku, ou pour présenter à tout le monde son petit frère qu'il a l'air de chérir.

— Tony-nii-san !

Une comète verte déboule brusquement dans le salon pour atterrir sur les genoux de Tony. Celui qui est sans doute Izuku est un peu petit pour un garçon de six ans, mais son sourire chaleureux illumine son regard aussi vert que ses cheveux.

— Qu'y a-t-il, Izuku ?

— Regarde, regarde, j'ai terminé de fabriquer ma maquette !

Izuku met sous le nez de Tony une maquette de voiture de super-héros et un rire échappe à Margaret, alors qu'elle songe qu'elle n'a plus à s'inquiéter pour son neveu. Il semble avoir remarquablement bien pris le fait d'avoir un demi-frère et sans doute l'innocence et la joie qu'exultent Izuku en sont en partie responsables.

Elle repart de la villa de Malibu avec le cœur plein de rires et d'amour pour ses deux petits monstres de neveux.

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— J'ai été surprise de votre appel, Toshinori. J'avais cru comprendre par votre silence après la mort de Madame Shimura que vous ne vouliez pas avoir à faire à moi. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?

All Might esquisse une grimace lorsque Margaret l'appelle par son identité civile, mais il ne lui donne aucune envie de fournir des efforts. D'ailleurs, elle n'a consenti à se déplacer en personne uniquement parce qu'après le collège, Izuku a fait les yeux doux à Tony pour qu'il puisse passer le concours d'entrée de Yuei et qu'il l'a réussi. Elle compte bien passer voir son neveu et Inko après cette rencontre des plus déplaisantes.

Cet idiot n'a même pas parlé à son apprenti du danger de All for One avant de lui passer son pouvoir ; si elle n'essayait pas de garder son calme, elle lui aurait enfoncé la tête dans la table. Et ce n'est qu'un lycéen en plus, de ce qu'il lui en a raconté. Bon sang, ne pouvait-il prendre un adulte pour cette tâche plutôt qu'un adolescent ? N'a-t-il aucune honte à mettre un poids pareil sur les épaules d'un enfant ?

Au moins, elle lui a arraché les informations au téléphone, lorsqu'il l'a contacté pour programmer un entretien. Elle a eu le temps de décolérer durant le trajet, mais son agacement est toujours là, rampant sous sa peau en attendant le meilleur moment pour ressurgir.

— Je reconnais vous en vouloir pour la mort de ma mentore. Je pensais que vous seriez capable de voir venir un tel événement.

— C'est pourtant un risque que tous les porteurs du One for All prennent en acceptant ce pouvoir. Et pourtant, vous l'avez remis entre les mains d'un adolescent. Êtes-vous complètement stupide ?

Toshinori tressaille. Margaret ne s'en sent pas coupable une seule seconde, alors qu'elle sort de la poche intérieure de sa veste une clé USB, qu'elle dépose sur la table avec violence ; le bois tremble sous son geste.

— Je…

— Je n'attends pas de justification. Ce qui est fait est fait, mais j'espère pour vous qu'il ne mourra pas à cause de votre négligence. Shimura avait au moins bien vécu avant de mourir ; pourrait-on en dire autant de votre élève ?

All Might se fait petit ; Margaret le gratifie d'un regard noir, avant de se lever, grimaçant en sentant son genou manquer de se dérober sous elle. Les effets de l'âge la rattrapent, maintenant qu'elle n'utilise plus son Alter. Mais cela lui convient comme cela. Au moins, elle peut vieillir avec son Daniel et elle n'infligera pas à ses enfants une mère qui refuse de mourir. Elle aurait peut-être dû arrêter plus tôt, tout compte fait, et charger Fury de la longue tâche de protéger les porteurs du All for One. Peut-être est-ce égoïste, mais elle a le droit de se reposer définitivement, tous comme les porteurs.

La mort ne l'angoisse pas plus que cela. Elle serait la bienvenue, après une vie aussi longue et remplie que la sienne. C'est le cycle naturel des choses et elle l'a trop souvent tordu à sa volonté pour continuer.

— Si jamais All for One refaisait surface… Est-ce que vous nous aideriez ?

Margaret se fige sur le pas de la porte. Pardon ? A-t-elle bien entendu ? Ses mains tremblent, alors qu'elle se souvient de Yoichi qui agonise entre ses bras, du corps sans vie de Steve, de son époux et de ses enfants tués d'une balle. Elle a quitté le champ de bataille pour ne plus mettre ses proches en danger et cesser de les voir mourir.

Elle sait ce qui pourrait lui faire reprendre les armes et la simple idée que ceux qu'elle aime souffrent la rend malade de peur.

— Je n'ai plus l'âge de ce genre de choses, Toshinori. Et priez pour ne pas me voir reprendre le chemin du champ de bataille, car cela signifierait que mes proches auront été impliqués.

Margaret reprend son chemin et claque la porte derrière elle, sans même un au-revoir. Toshinori a réussi l'exploit de la replonger dans des doutes auxquels elle n'avait plus prêté l'oreille depuis des années.

Si elle doit combattre de nouveau, elle n'est pas certaine que cette fois, son esprit tiendra le coup.

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— Vous avez cinq minutes de mon attention, Toshinori. Pas une de plus.

Margaret ne devrait pas être là alors que le Japon s'effondre. Elle devrait être avec Tony, en train de chercher Izuku et Inko. Elle ne devrait pas être retenue par Daniel et Dugan pour éviter de sauter à la gorge du huitième possesseur.

— Hé bien, il semblerait que mon élève ait décidé de faire cavalier seul. Il a peur d'entraîner la mort de ses proches, qu'All for One cible ses amis pour l'atteindre.

Margaret se fige. Elle connaît ce sentiment ; elle ne peut pas blâmer un adolescent de chercher à protéger sa famille et ses amis, d'autant plus lorsque l'adversaire est All for One. Un soupir lui échappe et Daniel serre sa main dans la sienne pour l'aider à garder son calme. Elle remercie son époux d'un regard doux, avant de se concentrer de nouveau sur Toshinori.

— J'ai besoin de votre aide. Vous avez connu plusieurs possesseurs, vous pourriez le raisonner !

— Je n'ai plus l'âge de traverser un monde en ruines pour jouer à chat, All Might.

— Ce n'est qu'un enfant !

— Il fallait y penser avant, claque Margaret.

À vrai dire, elle cherche déjà un moyen de le retrouver et de prendre contact avec le lycéen – pourrait-elle demander l'aide du SHIELD ? – mais elle ne se sent pas avoir la forme nécessaire pour aller chercher le gamin elle-même, à moins de voler des années de vie à d'autres personnes. Mais elle n'est pas entourée par des criminels ; elle refuse de s'abaisser à cette action tant que d'autres options seront viables.

All Might cache sa tête dans ses mains, abattu ; son murmure n'échappe pourtant pas à Margaret.

— Qu'est-ce que je vais dire à Midoriya-san…

La vieille dame se fige, pâlit à vue d'œil ; Daniel l'entoure de ses bras pour l'empêcher de se ruer sur l'ancien héros et lui extorquer de force des informations. Dugan ne se gêne cependant pas. Il attrape All Might par le col, une colère inextinguible dans les yeux alors qu'il demande d'une voix tranchante :

— Votre successeur, est-ce que c'est Midoriya Izuku ? Répondez-moi !

Toshinori hoche la tête ; les jambes de Margaret se dérobent sous elle et elle s'écroule au sol, Daniel incapable de la retenir. Un sanglot la secoue, alors qu'elle réalise que c'est son petit neveu qui est désormais le possesseur du One for All. Ses mains tremblent et lorsqu'elle y jette un coup d'œil, elle a l'impression de les voir aussi rouges que le jour où elle a brûlé le corps de Yoichi. Ça ne devait pas se passer comme ça. Elle ne devait plus perdre personne des mains de All for One.

All Might a envoyé son neveu courir vers sa propre mort.

— Peggy ? l'interpelle doucement Dugan, se détournant de l'ancien héros pour s'approcher d'elle.

— Non… Non, pas encore, pas encore, pas après Yoichi, je ne peux pas… Dugan, dis-moi que j'ai mal entendu, s'il te plaît, s'il te plaît !

— Après Yoichi ? Le premier porteur ? Mais qui êtes-vous ? s'interroge Toshinori.

— La ferme, le rabroue Dugan.

Son ami s'agenouille à ses côtés pour la prendre dans ses bras et l'empêcher de se briser en mille éclats. Pourquoi est-ce toujours ses proches qui se retrouvent impliqués ? Margaret est fatiguée ; elle voudrait juste que ce cauchemar sans fin s'arrête. Elle voudrait se réveiller aux États-Unis aux côtés de Daniel et qu'il lui assure que c'est un mauvais rêve.

Mais lorsque son époux se laisse tomber à côté d'elle pour remplacer Dugan, sa présence est bien trop réelle pour appartenir à un mauvais rêve. Son compagnon passe une main dans ses cheveux, la berçant doucement pour l'aider à se calmer.

— Je sais que tu es terrorisée. Mais Izuku n'est pas sans défense et tu le sais très bien. C'est toi qui l'as en partie formé. C'était la condition pour qu'Inko accepte qu'il aille à Yuei, tu te rappelles ?

Bien évidemment qu'elle s'en souvient. Elle a cédé sans peine aux supplications d'Inko ; pourquoi aurait-elle refusé d'aider son neveu à suivre la voie qu'il a choisi ? Elle était inquiète, certes, le métier de héros a toujours été loin d'être tranquille, mais jamais elle n'aurait imaginé qu'il se verrait confié le One for All. Si elle l'avait su, peut-être serait-elle retournée dans le temps pour l'en empêcher.

All for One sait comment manipuler les âmes aussi pures que celle d'Izuku ; elles finissent par devenir aussi grises que la sienne.

Margaret ne peut pas laisser cela arriver. Son neveu ne doit pas tomber dans les ténèbres vers lesquelles All for One le pousse. Elle se redresse, emportant Daniel avec elle, qui la fixe avec tristesse dans les yeux. Il sait toujours lorsqu'elle compte partir seule ; combien de fois a-t-il essayé de l'en empêcher ?

— Fais attention à toi, je t'en supplie.

— All for One a échoué à me tuer un certain nombre de fois. Je ramènerais Izuku à la maison, je te le jure. Tu veilleras sur Inko et Tony pour moi ?

— Si seulement je pouvais te suivre…

— Je ne la laisserai pas affronter ce malade tout seul, Daniel, je l'accompagne. Il faudra me passer sur le corps avant qu'il arrive quoi que ce soit à Peggy, bougonne Dugan.

Margaret se fige alors que son vieil ami pose sa main sur son épaule. Non, il n'a pas le droit ! Ne se souvient-il donc pas de ce qu'il s'est passé, la première fois qu'ils ont affronté All for One ensemble, la première fois où elle a profité de son Alter ? Les cadavres de leurs amis au sol et All for One qui se gausse d'elle, qui se pavane et s'amuse devant leur pathétique spectacle.

Margaret n'est pas certaine de réussir à faire face à son frère si jamais leur chemin devait se recroiser.

— Je n'oublie pas l'emprise que All for One a sur toi, Peggy, chuchote Dugan à son oreille. Je ne le laisserai pas emporter la tante et le neveu dans ses magouilles. Clair ?

Margaret hoche la tête en silence, incapable de se retourner pour faire face à son ami et le regarder dans les yeux. Est-ce que d'autres morts referont surface si elle l'observe maintenant ? Est-ce qu'il y aura des futurs évités qui se rappelleront cruellement à elle, lui murmurant toutes ses faiblesses ?

— Tu n'as pas le droit de mourir, murmure-t-elle.

— Je sais. Toi non plus.

Il y a de ces promesses qui naissent mensonges.

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La première fois, Margaret ne rejoint pas à temps son neveu, malgré les années offertes par All Might pour qu'elle retrouve la forme ; une sniper abat Izuku et elle ne retrouve que son corps, sous la pluie battante qui étouffe son cri de douleur. Elle le berce et l'orage cache ses larmes alors que Dugan lui offre une nouvelle chance, comme d'habitude.

Les aiguilles du Temps tournent, tournent et stoppent au moment où elle apprend que son neveu détient le One for All.

La deuxième fois, ils échouent à tuer Shigaraki en plus de All for One et Peggy ne peut qu'observer les Vilains danser sur les cendres de son petit neveu dans un décor de cauchemar.

Tournent, tournent, stoppent.

La sixième fois, Margaret n'a même plus de larmes pour pleurer Izuku, alors même que la paix est revenue grâce à son sacrifice. Elle ne peut supporter une telle fin, alors elle relance les dés, espérant un meilleur résultat.

Tournent, tournent, stoppent.

La dixième fois, Margaret enterre Tony et Izuku côte à côte alors que le monde brûle les héros.

Tournent, tournent, stoppent.

La quinzième fois, Dugan pleure pour la première fois devant elle. Les morts recommencent, encore et encore ; leurs cœurs s'usent, toujours plus.

Tournent, tournent, stoppent.

La vingtième fois, Izuku enterre Tony et Inko ; Margaret songe un bref instant à arrêter les dégâts là, qu'elle devrait s'estimer heureuse d'avoir encore un neveu en vie après tous ces échecs.

Puis Izuku se laisse mourir sous la culpabilité et inlassablement, Margaret relance les dés qu'elle commence à croire pipés.

Tournent, tournent, stoppent.

Est-ce qu'il s'agit même d'un jeu où Margaret peut gagner ?

Tournent, tournent, stoppent.

La vingt-cinquième fois, c'est toute la classe 1A qui décède sous les assauts des Vilains, sans qu'Izuku ne puisse rien y faire. Et même si Margaret sait qu'elle devrait se réjouir d'avoir sa famille en vie, qu'elle devrait se réjouir d'avoir cette fois réussie à protéger tous ses proches, elle n'y arrive pas. Le goût d'échec danse toujours sur ses lèvres.

Elle ne connaît trop bien le syndrome du survivant pour imposer ça à son neveu, alors elle rejoue en croisant les doigts. Qu'importe son cœur lessivé, qu'importe son esprit à deux doigts de se briser. Qu'importe si dans le processus, elle se perd elle-même.

Ses neveux méritent tout le bonheur du monde et elle se doit de le leur offrir.

Tournent, tournent, stoppent.

Trentième essai ; Daniel finit par se douter de quelque chose, confronte Dugan et elle, découvre le pot aux roses. Faible, épuisée par tant d'échecs, Margaret dévoile tout, toutes les lignes du temps qu'elle a changées, toutes ses défaites, ses rares victoires. Elle s'effondre dans les bras de son mari qu'elle a déjà perdu une fois, qu'elle est terrifiée de perdre encore.

Daniel l'embrasse sur le front, lui promet de régler le problème. Dugan s'éclipse pour les laisser seuls ; Margaret se love dans les bras de son époux et l'écoute lui chantonner une chanson, leur chanson, jusqu'à ce que le sommeil l'emporte.

Les mots qui lui parviennent alors qu'elle glisse des bras de Daniel à ceux de Morphée semblent provenir d'un rêve.

— Je suis désolé, Peggy. J'espère que tu me pardonneras. Veilles sur tout le monde pour moi. Tu me promets de me rejoindre le plus tard possible ?

Et le manège de leur vie tourne, tourne, stoppe.

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— Tu lui en veux ? chuchote Dugan.

— Tu as d'autres questions stupides ?

Margaret dépose des fleurs devant le monument de ceux tombés pendant la Grande Guerre des Alters avec la poitrine vide. Son cœur bat mécaniquement, mais elle a l'impression de vivre dans un brouillard permanent, comme après la mort de Steve. Mais elle n'a plus le courage de surmonter son deuil en s'occupant, comme après la disparition de Captain America. Elle a vécu près de cinquante ans avec Daniel ; ils auraient bientôt dû fêter leurs noces de Vermeil. La douleur de son absence est bien plus immense.

Comment continuer à vivre en sachant qu'il s'est sacrifié pour leur offrir un meilleur futur, à leurs neveux, à leurs enfants et à elle ? En sachant qu'il a agi pour qu'elle n'ait plus à revivre mille temps aux fins tragiques ?

Elle lui en veut, tout comme elle lui en est reconnaissante de l'avoir délivrée de cette malédiction incessante qu'est la possibilité de voyager dans le temps.

— J'aurais aimé qu'il laisse le soin à un autre de tirer cette balle Anti-Alter sur All for One. J'aurais aimé… J'aurais aimé qu'il me confie son plan, qu'il me laisse l'aider à mettre fin à ce monde d'Alters et à la vie de mon frère. Et en même temps… Si tu savais à quel point je suis soulagée que tout ça soit enfin fini.

Les larmes coulent sur ses joues et Dugan lève la main pour serrer son épaule. Daniel a recréé la drogue Anti-Alter et son antidote à durée limité avec l'aide de Tony. Stark Industrie a répandu la drogue dans l'atmosphère et donné l'antidote temporaire aux supers héros pour leur permettre de vaincre la Ligue des Vilains et All for One. Un plan aux conséquences terribles qu'elle n'aurait même pas osé envisager.

Si cela venait à être officiel, le scandale serait immense. Pourtant, Margaret sait que son neveu recommencerait sans hésiter pour protéger Izuku, pour protéger tous ces adolescents-soldats qui n'avaient pas demandé à être autant traumatisés, si jeunes. Elle sait que son époux redonnerait sa vie pour mettre un terme à ses démons et à ses voyages qui lui ont usé l'âme.

Margaret aurait pourtant préféré mourir à sa place.

— Je pense qu'il voulait que tu te sentes libre au moins une fois dans ta vie.

— Je préférerais vivre enchaînée par mes démons à ses côtés que toute seule mais libre, Dugan.

Il y a des sanglots dans sa voix que Margaret ne peut pas effacer. Elle aimerait tant retourner dans le temps pour empêcher son mari de se sacrifier pour elle, mais il lui a retiré cette possibilité. Elle est certaine qu'il est allé aussi loin pour qu'elle ne puisse pas retourner en arrière, cette fois, pour mettre un terme à des décennies de paris avec une destinée capricieuse.

— Je sais. Il le savait aussi. Mais il y a ce que l'on souhaite et ce dont on a besoin.

— Qu'est-ce que tu insinues ?

— Tu avais besoin qu'on te retire le choix de pouvoir remonter dans le temps. Tu avais besoin d'être libéré de ce que tu voyais comme tes responsabilités.

— Je devais arrêter All for One.

— Pourquoi ? Parce que c'était ton frère ? Parce qu'il voulait ta mort ou ton Alter ? Parce ce que tu as fait des promesses à des morts ? Combien de fois t'es-tu réellement battue pour toi et non pas pour les autres ?

Dugan n'attend pas vraiment de réponse de sa part, aussi Margaret se tait en baissant la tête. Chaque mot touche juste, même si elle refuse de l'admettre.

— Madame ?

La petite voix qui vient de derrière eux fait sursauter Margaret ; lorsqu'elle se retourne, une enfant aux cheveux blancs et aux yeux rouges triture nerveusement sa robe. Sa corne est toute petite sur son front ; Margaret se demande si ce vestige de l'Alter d'Eri – elle l'a reconnue – grandira avec elle ou si cela ne restera qu'un souvenir.

D'un geste vif, elle essuie ses larmes avant de s'accroupir devant elle.

— Que puis-je pour toi ?

— Je…

Eri avale sa salive, détourne le regard.

— Je vous demande pardon. C'est à cause de moi que votre époux est mort. Et qu'Izuku a été blessé, aussi.

Oh. Margaret sent ses larmes de nouveau affluer à ses yeux, alors qu'elle enserre la petite dans ses bras. Jamais les choix des autres ne seront sa faute. Izuku a choisi de se mettre en danger pour la protéger ; Daniel a choisi de se sacrifier pour protéger ceux qui lui étaient chers et leur monde.

— Jamais, mon cœur. Ce n'est et ne sera jamais ta faute, je te le jure. Je ne t'en veux pas, alors ne demande pas pardon, tu n'en as pas besoin.

— J'ai tué votre mari, vous devriez, vous devriez me détester ! J'ai tué Papa ! Si j'existais pas…

— Il y aurait eu bien plus de morts, petit ange. Si tu n'avais pas été là, il y aurait eu bien plus de morts. Je sais que c'est douloureux, que tu ne me crois pas pour l'instant. Mais pense à tous les gens qui sont en vie grâce à toi.

Le soupir à moitié étouffé de Dugan ne lui échappe pas ; Margaret réalise que ses mots s'appliquent aussi à elle. Elle ferme les yeux et cache ses larmes dans les cheveux de l'enfant, qui éclate en sanglots contre elle.

— Ce n'est pas notre faute.

Ses sanglots rejoignent ceux d'Eri.

Ce n'est pas notre faute.

Elle ignore pendant combien de temps elles pleurent toutes deux leurs morts avant qu'une paire de bras ne les enserre toutes les deux ; lorsqu'elle redresse la tête, Tony lui adresse un sourire humide. Derrière lui, Alice, Sharon et Michael l'observent avec inquiétude et tristesse. Ont-ils peur de s'approcher, ou leur chagrin est si vif qu'ils restent à l'écart pour ne pas fondre en larmes aussi ?

Izuku doit encore être inconscient, ou il serait avec le reste de leur famille.

Non. Margaret ne doit pas penser à l'état incertain de son neveu. Il est encore en vie, bien qu'estropié ; c'est le plus important.

— Vous vous servez mutuellement de mouchoirs ? Vous savez, je suis milliardaire, je suis outré que vous ne soyez pas venu m'en demander. Surtout toi, tante Peggy, Eri a le bénéfice de l'ignorance et l'avantage d'être adorable.

— Je suis désolée ! s'exclame aussitôt Eri en baissant la tête.

Une ombre passe sur le visage de Tony. Il saisit l'enfant dans ses bras, avec une aisance que la proximité d'Izuku a engendrée, avant de lui caresser les cheveux.

— Tu n'as pas besoin de t'excuser, tu n'as rien fait de mal, d'accord ? Ça te dirait qu'on aille voir Izuku ?

Eri le fixe avec de grands yeux ronds, avant de hocher doucement la tête. Alice et Michael échangent un regard avant de se placer part et d'autre de leurs cousins, commençant à se chamailler pour tenter de faire sourire l'enfant. Sharon hésite brièvement, avant de se glisser entre Alice et Tony, tremblante ; son cousin lui adresse un petit sourire, avant de la laisser glisser son bras sous le sien pour bénéficier de son soutien.

Margaret esquisse un sourire devant cette scène adorable ; sa poitrine lui semble un peu moins vide, son cœur un peu moins lourd, alors que Dugan la rejoint. Daniel devrait être à ses côtés pour observer la scène, à cet instant, mais Margaret sait aussi qu'elle n'y aurait pas eu le droit s'il ne s'était pas sacrifié.

— Daniel ne t'a pas laissé sans bouée.

— Je sais.

Margaret ne recollera pas les morceaux de son cœur avec seulement l'aide de Dugan, cette fois. Elle a une famille qui la soutiendra et dont elle veut prendre soin. Elle n'a plus besoin de se soucier d'autre chose.

Le temps a terminé de lire son disque rayé ; il est grand temps d'en changer.

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