Plop bonsoir !

J'ai enfin terminé les différents textes du défi numéro 1, j'ai eu... un peu trop d'inspiration

CE TEXTE EST CELUI QUI COMPTE POUR L'EVENT


N° défi : 1

Consigne : Écrivez un texte contenant l'une des trois thématiques suivantes, à choix :

Time travel= Un personnage retourne dans le passé ou est projeté dans le futur, avec autant de voyages que vous le souhaitez et sans obligation de retour à l'époque d'origine à la fin du texte.

Amnésie= Un personnage est atteint d'amnésie partielle ou totale, temporaire ou définitive.

Fake dating= Pour une raison de votre choix, deux personnages sont amenés à ou choisissent de faire croire aux autres qu'ils sont en couple.

- La consigne choisie pour ce texte est Amnésie

Personnage(s) : James Buchanan "Bucky" Barnes/Le Soldat de l'Hiver, Eri

Rating : T

Avertissements : De la culpabilité, des regrets et des cauchemars en série. Mention de lavage de cerveau et tortures.

Notes : ... Non j'ai pas dérapé et ce texte ne fait absolument pas 15,5k. DU TOUT.

Oh et pour ceux pas familier du MCU, Hydra est une organisation du même typer que les Huit préceptes ou la Ligue des Villains, pour comparer.

Le SHIELD, c'est plutôt une organisation type Commission Héroïque. En très schématique


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04# De l'Ombre à la Lumière

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— Qu'est-ce que je vais faire de toi ? soupire Eri.

Mic ronronne sur ses genoux, tandis que Eraser se cache sous la commode, visiblement incommodé par l'homme inconscient qu'elle a ramené chez elle. Il lui a même craché dessus avant d'aller se réfugier sous le meuble. Eri a beau le savoir méfiant, cela ne la rassure pas tant que ça de voir l'accueil qu'Eraser réserve à l'inconnu.

Elle aurait dû l'emmener à l'hôpital ou appeler les pompiers. Même si les blessures qu'il arbore sont dans ses compétences, tout crie en lui le danger. Elle a retrouvé plus de lames sur lui qu'elle n'a de thés différents dans son placard – soit beaucoup trop –, des chargeurs remplis et un putain de bras en métal qui ferait passer l'armure de son père pour un jouet.

En fait, il est même trop dangereux pour l'hôpital. Il y a trop d'innocents dans ces bâtiments. Au moins, ici, il n'y a qu'elle. Kota appelle toujours avant de passer et ses parents la laisse choisir quand elle rentre à la maison plutôt que d'imposer leur présence, alors ils ne viennent jamais à son appartement.

Eri triture son arme de capture enroulée autour de son cou comme une écharpe. C'est Hitoshi qui lui a appris à s'en servir à sa demande, lorsque son Alter n'était pas encore revenu.

Un goût amer se répand dans sa bouche à ce souvenir. Son père l'avait prévenue que des cas d'Alter qui revenaient spontanément étaient de plus en plus recensés, mais elle a prié – en vain – pour que le sien ne lui revienne jamais. Il a causé trop de morts et destruction ; elle préférait encore lorsqu'elle ne l'avait plus. Au moins, elle était libre.

Maintenant, elle craint chaque événement qui pourrait lui faire perdre le contrôle.

Un soupir lui échappe alors qu'elle repose Mic au sol et qu'elle se relève. Elle a choisi d'aider et de soigner ce type, elle l'assumera donc, mais prendre un peu de précautions ne serait pas de trop. Elle récupère les cadres photos représentant sa famille et sort de sa chambre pour les dissimuler dans sa salle de bain, sous les paquets de serviettes hygiéniques et de tampons qu'elle a en stock.

Comme le dit si bien sa mère, la plupart des hommes mourraient plutôt que d'aller fouiller à un endroit pareil.

Lentement, elle passe en revue son appartement pour cacher tout ce qui pourrait être compromettant ou personnel, pour s'assurer que le blessé n'ait pas de nom à se mettre sous la dent. Dans le pire des cas, si les choses deviennent trop dangereuses, Eri l'assommera et appellera ses parents pour régler le problème.

Mieux vaut se faire passer un savon qu'être mort et des héros sauront mieux gérer une personne violente qu'elle.

Les yeux d'Eri se posent soudain sur son sac de cours et elle jure. Bon sang, elle a cours demain matin, elle avait complètement oublié ! Sa main s'empare d'un morceau de papier et d'un crayon ; elle griffonne un mot à la va-vite et le dépose sur la table de chevet, à côté du blessé endormi. Avec un peu de chance, songe-t-elle, il sera parti avant qu'elle ne rentre de cours et elle ne se posera plus de questions.

Eri préfère ignorer l'étendue de la plaie à la jambe qui empêchera sans doute son patient de prendre la poudre d'escampette.

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Le Soldat ignore s'il doit se considérer en terrain ennemi ou non.

Certes, ses blessures sont soignées, il est dans un lit avec des draps propres et le chat roux qui ronronne contre ses côtes sont de bons indices pour lui indiquer qu'il n'est au moins pas retombé entre les mains d'Hydra. Il y a aussi le mot sur la table de chevet, écrit visiblement à la hâte malgré une écriture plutôt soignée, toute en rondeur.

Je rentre vers 16h. Il y a des restes au frigo, faites attention à votre jambe gauche si vous vous levez.

Chez quel genre de bon samaritain est-il tombé ? Il devrait partir ; sa régénération a déjà dû agir et il doit pouvoir se déplacer. Il ignore qui est son bienfaiteur, mais il refuse de le mettre dans la ligne de mire d'Hydra parce qu'il l'héberge. Peut-être même que des agents sont en ce moment-même en train de l'éliminer pour venir le chercher.

Pourquoi les civils doivent-ils toujours mettre leur nez là où il ne le faut pas ?

Un grognement échappe au Soldat alors qu'il met les pieds au sol. Un éclair de douleur remonte le long de sa jambe gauche ; il a vu pire, aussi se lève-t-il quand même. Il songe que peut-être, il s'agissait d'une mauvaise idée lorsque qu'il rencontre brutalement le sol, son épaule blessée percutant le lino.

Un nouvel éclair de douleur le parcourt et il serre les dents. Il a vu pire, il est le Soldat, il va se relever et partir d'ici avant de mettre en danger la personne qui l'a soigné.

Le chat roux saute du lit pour venir lui miauler bruyamment à la figure. Il a de la voix, pour un chat aussi petit. Le Soldat lève une main pour venir le caresser et un fantôme de sourire passe sur son visage alors que la boule de poils ronronne de contentement. L'homme tâtonne pour voir si l'animal porte un collier avec une médaille, mais sa recherche est infructueuse ; un grognement frustré lui échappe.

— Je me demande bien comment tu t'appelles.

Le Soldat se fige cependant lorsqu'il entend des clés tourner dans une serrure ; le chat roux file vers la porte d'entrée et le Soldat tente de se redresser pour ne pas avoir l'air trop pathétique. Il arrive à s'assoir contre le mur, observant le bandage sur sa jambe gauche qui se teinte à vue d'œil de rouge. Il a dû rouvrir sa blessure ; il ne peut s'en prendre qu'à lui-même.

— Hé, mes bébés, bonjour !

Un rire qui lui semble féminin retentit dans l'appartement, alors que deux miaulements différents lui répondent. Conclusion, la personne qui l'a soigné est vraisemblablement une femme possédant deux chats. Une infirmière ou un médecin, peut-être ?

La réponse apparaît devant lui lorsqu'elle entre dans la chambre et hausse les sourcils en le voyant. Il grimace devant la jeune adulte qui semble à peine sortie de l'adolescente ; elle est sans doute encore étudiante. Cependant, il se tend alors que son sixième sens lui crie qu'elle est plus dangereuse qu'il n'y paraît. Ses bras musclés sont visibles avec le t-shirt sans manches qu'elle porte, alors qu'elle croise les bras sur sa poitrine.

— Vous m'avez tout l'air d'un idiot. Je vous avais dit de faire attention.

Le Soldat ne peut même pas la contredire.

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Eri sort ses onigiris du frigo et les met dans le micro-onde pour les réchauffer, avant de poser sa tête contre le mur froid. L'homme n'a pas pris la poudre d'escampette, comme elle l'avait craint ; il a même réussi à aggraver sa blessure. Elle a bien conscience qu'il est nécessaire qu'elle en sache plus à son sujet, au moins pour effecteur des recherches sur Internet, quitte à demander un petit coup de pouce à Jarvis sans que son père ne l'apprenne.

Eraser semble la juger depuis le haut de l'arbre à chat où il s'est réfugié ; il n'y a visiblement que Mic qui apprécie le nouveau venu, au point de squatter le lit. Elle n'a même pas eu le cœur de rappeler au chat roux que ses draps sont un espace interdit ; de toute façon, ce n'est pas elle qui supportera les poils pendant quelques temps.

— Je sais que j'aurais pas dû, pas besoin de me regarder comme ça. Tu voulais que je fasse quoi, que je le laisse crever comme un rat ?

Eraser se contente de lui montrer son cul, en chat au caractère bien trempé. Un soupir amusé lui échappe alors que le minuteur du micro-onde bipe. Elle sort l'assiette d'onigiris de la machine, avant de se diriger vers sa chambre. Le blessé n'a pas visiblement pas tenté de bouger de nouveau depuis qu'elle l'a remis au lit. Au moins, il n'est pas stupide et entêté.

Eri installe sa chaise de bureau à côté du lit et pose l'assiette sur les genoux de son patient, avant de se saisir d'un onigiri.

— Tenez, on partage.

— Qu'est-ce que c'est ?

Elle tressaille alors que le blessé lui adresse pour la première fois la parole. Sa voix est rauque et faible, comme s'il l'utilise peu d'habitude. Elle lui adresse un regard en coin, avant de prendre une bouchée de son repas.

— Onigiri. Riz vinaigré, ici avec du thon mayonnaise à l'intérieur. C'est une recette japonaise.

— Vous êtes… Japonaise ?

— Nippo-américaine. Ma mère est japonaise, mon père américain. Mais on va dire que la nourriture américaine n'est pas à mon goût.

La seule chose qu'Eri aime, ce sont les frites ou les burgers, à condition qu'ils soient faits maison. Sinon, elle ne s'approche pas à cent pas de la nourriture américaine. Trop de viande et trop de gras à son goût.

Elle hausse cependant un sourcil lorsqu'elle n'entend pas de protestations de la part de son invité. N'est-il pas américain pour ne pas en défendre la cuisine ? Elle l'aurait pourtant cru ; il n'a pas l'air d'être un étranger, ni même un descendant d'immigré qui défendrait sans doute la nourriture de sa patrie d'origine.

— Et vous ? Vous êtes d'ici ?

— Je… ne sais plus, admet l'homme.

Eri cligne des yeux, alors que le blessé se saisit avec précaution d'un onigiri pour y goûter du bout des lèvres, avant de l'entamer plus franchement. Mic monte sur le lit et miaule en quémandant des caresses ; l'homme lui sourit avant de bouger son bras blessé pour le contenter. Il aime les chats, aussi Eri n'a pas l'impression qu'il soit une mauvaise personne, mais sa réponse l'inquiète. Serait-il possible qu'il soit amnésique ?

Eri n'aime pas du tout cette idée.

— Vous avez un nom ?

Le blessé se fige, détourne les yeux. Eri devine la réponse avant même qu'elle n'arrive.

— Pas vraiment.

Et merde. La poisse familiale a encore frappé.

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L'adolescente prend plutôt bien le fait d'avoir un amnésique sous son toit. Le Soldat est surpris de voir qu'elle ne panique pas, reprenant au contraire un morceau de ce qu'elle appelle onigiri en râlant à voix basse. Il ne comprend pas la langue ; sans doute est-ce du japonais, si elle est métisse. À vrai dire, le Soldat aimerait bien se souvenir de choses comme son nom, avant Hydra, parce que plus les jours passent, plus il est certain qu'il y a eu un avant Hydra. Un avant le Soldat de l'hiver.

Un « avant » qui implique Captain America, d'une manière ou d'une autre.

— Je suis désolé. Je ne me souviens de rien avant de me réveiller ici. J'ai paniqué et c'est pour ça que je suis tombé sur ma jambe blessé.

Le Soldat tord la vérité pour ne pas se rendre trop suspicieux. Est-ce que son hôte avalera le mensonge ou sera-t-elle encore sur ses gardes ? Vu le long regard qu'elle lui rend en retour, elle reste méfiante. Il en est soulagé, d'un certain côté ; la vérité ne lui fera pas trop de mal si elle l'apprend un jour.

— Ah. Vous n'avez même pas un vague souvenir de nom ? Rien de rien, écran noir ?

Écran noir ? Le Soldat n'est pas certain de comprendre l'expression. Un soupir lui échappe, alors qu'il se demande s'il se plie au jeu de fouiller dans sa mémoire qu'il sait défaillante et effacée, ou s'il s'enfonce un peu plus dans son mensonge.

— Bucky.

Le prénom que Captain America – Steve – n'a pas cessé de lui lancer lui échappe malgré lui ; le Soldat se maudit alors qu'il aperçoit le visage de son hôte se fermer sous le coup de la suspicion.

— Je crois. Je me souviens de quelqu'un m'appelant comme ça.

Il tente de se rattraper, mais il ignore si cela sera suffisant. Heureusement, à l'air perplexe de celle qui l'a soigné, il a l'air de s'en sortir pas trop mal. S'il n'était pas aussi blessé – il admet qu'il a besoin de repos, il n'est pas en état de bouger – il l'aurait simplement assommé et serait parti comme un fantôme avant qu'elle ne pose trop de questions. Actuellement, il ne peut que faire avec et espérer que ça passe.

— Hum… Une amnésie partielle ou totale ? Je me demande exactement laquelle vous touche… Arg, j'ai pas encore vu ça en cours, moi !

La jeune femme termine son onigiri avec agacement, avant de reprendre.

— Enfin, bref, je verrais ce que je peux trouver dans les livres de l'Université. Au fait, je suis Eri Usagiyama. Mais Eri suffira.

Elle désigne ensuite le chat roux qui ronronne à ses côtés, essuyant sa bouche d'un geste du pouce. Elle est déjà étudiante, mais elle n'a pas l'air si vieille que ça. Elle doit avoir à peine vingt ans. Comment une fille de cet âge a-t-elle pu le traîner de la rue jusqu'à chez elle ? C'est que le Soldat est loin d'être léger ; peut-être n'est-elle pas la seule impliquée dans son sauvetage.

Comme s'il n'avait pas déjà assez à se soucier.

— Le rouquin qui miaule tout le temps, c'est Mic. Le ronchon noir, c'est Eraser. Il aime pas les inconnus, alors il risque de surtout vous montrer ses fesses les premiers jours.

Le Soldat avait cru remarquer, en effet. Il se fige cependant lorsqu'Eri reprend la parole et un onigiri.

— Vous pouvez rester ici autant de temps qu'il vous plaira.

— C'est dangereux.

Les mots lui échappent – encore – et il peut voir Eri plisser les yeux de suspicion. Vite, vite, une explication avant qu'elle ne creuse un peu trop et ne découvre des choses qu'elle ne devrait pas savoir.

— J'ignore ce qui m'a mis dans cet état-là, mais ils risquent de ne pas être heureux de me savoir encore en vie.

Une pirouette qu'Eri semble accepter. Le Soldat retient un soupir soulagé ; c'est plus simple de résoudre les situations à coup de poing. La subtilité, ça n'a jamais été son truc. Ou peut-être que cela l'avait été, avant Hydra ? Qu'est-ce que l'organisation lui a retiré, en plus de son humanité et sa mémoire ?

— Alors je m'en occuperais. Ne vous inquiétez de rien d'autre que votre guérison.

— Petite, je ne crois pas…

— Ne m'appelez pas « petite ».

Le ton d'Eri est soudain froid et tranchant ; elle reprend un onigiri avant de quitter la pièce, claquant la porte derrière elle. Le Soldat esquisse une grimace. Il ignore ce qu'il a déclenché chez la jeune femme, mais il est certain qu'il n'a pas à en être fier.

Il n'empêche qu'elle n'a aucune idée de ce qu'elle risque s'il reste trop longtemps.

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Eri préfère la nuit au jour. C'est le monde auquel elle appartient, même si Izuku et Mirio l'ont tirée vers la lumière, il y a quatorze ans de cela. C'est le monde qu'elle comprend le mieux, avec les criminels endurcis et ceux qui font tout pour survivre.

L'éducation et l'amour qu'elle a reçus n'a pas effacé le sang sur ses mains. Le sang de héros, de vilains, de civils qui ont été touché par les actes des Huits Préceptes et plus tard du choix de son grand-oncle Daniel d'effacer les Alters pour donner une chance aux héros de gagner. Elle a accepté de l'aider en toute connaissance de cause, mais elle n'ignore pas que le chaos qui en a découlé reste sa responsabilité, en partie.

La responsabilité de son sang.

Eri sait qu'elle a des dettes qu'elle ne pourra jamais payer, des péchés qu'elle ne pourra jamais laver. Le Paradis n'est pas pour elle ; elle s'est faite à cette idée. Cela ne la terrifie plus depuis longtemps. Si elle est déjà perdue, alors autant se perdre un peu plus à la place des autres.

Sous son masque de Yokai, elle erre dans les rues de son quartier lorsque ses cauchemars la hantent et que le sommeil la fuit de toute façon. Il lui arrive de soigner ceux qu'elle croise, de donner les premiers soins après une agression avant d'appeler la police ou d'emmener la personne aux urgences.

Il arrive bien plus souvent de frapper des malfrats ou des violeurs et de finir la soirée à se soigner elle-même. Au moins, elle a l'impression de mériter d'être en vie, de mériter d'être encore là alors que tant de bonnes personnes ont disparues. Heureusement que ses parents ne l'entendent pas. Eri sait que cela blesserait son père, qu'il aurait l'impression de ne pas en avoir fait assez alors qu'il lui a tant appris, tant offert ; sa mère s'en voudrait, sans doute, mais ils ne peuvent qu'imaginer sa culpabilité, pas la comprendre.

Ce n'est pas sa faute. Eri le sait. Elle n'a pas eu le choix. Mais elle ne peut pas oublier, elle ne peut pas vivre comme si de rien n'était, comme si elle n'y avait pas participé, même forcée. Les cauchemars ne disparaissent pas seulement parce qu'on le souhaite ; ils restent, gravés dans les os, resurgissant dès lors qu'on pense enfin s'en être débarrassé.

Au moins, maintenant qu'elle est à l'Université, elle n'inquiète plus ses parents par ses mauvais rêves réguliers et elle peut lutter contre eux comme elle le souhaite.

Ses parents mourraient d'inquiétude de la savoir seule dehors à une heure pareille, même si sa mère lui a appris à se battre comme elle, même si Hitoshi lui a appris à se servir de l'arme de capture comme Aizawa, même si tous ses oncles et tantes de cœur sont d'anciens héros qui lui ont appris à se défendre.

Eri est dangereuse, avec ou sans Alter. Les gens ont tendance à l'oublier ; est-ce parce qu'elle est une femme, parce qu'elle est jeune ou parce que les adultes qui l'entourent rêvent pour elle d'une vie paisible ? Elle l'ignore et elle n'est pas certaine de vouloir de réponse.

Cette nuit est calme ; lorsqu'elle rentre à l'appartement, elle n'a aucune blessure à déplorer. Seulement, sur son canapé, Bucky l'attend visiblement, un éclair de soulagement traversant son visage alors qu'elle traverse le salon pour se servir un verre d'eau. Elle pose son masque à côté de la carafe, un soupir sur ses lèvres.

— Tu n'aurais pas dû me voir comme ça.

— Une Vigilante. C'est comme ça que tu m'as trouvé et ramené, n'est-ce pas ?

— Est-ce que tu veux vraiment une réponse ?

— Je ne suis pas vraiment amnésique. Pas totalement.

Eri souffle. Elle s'en doutait, mais elle comprend surtout ce que veut faire son invité. Une information pour une information. Ce n'est pas son jeu préféré, mais si cela lui permet d'obtenir de plus amples informations sur le blessé, elle ne crachera pas dessus.

Il suffit seulement de faire attention à ses propos pour ne rien lâcher de compromettant.

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Une Vigilante. Une héroïne qui n'en a que les actes et pas le nom. Une illégale – tout comme lui – qui l'a aidé sans rien attendre en retour. Le Soldat a l'impression qu'il peut lui faire confiance. Non. Il veut lui faire confiance. Elle est la seconde à le regarder comme un humain et non comme une arme. Avant, il y a eu Steve, mais elle n'est pas lui. Elle ne connaît ni l'avant, ni le pendant Hydra.

Elle le voit comme une feuille vierge. Le Soldat veut être une feuille vierge. Il n'est pas certain d'avoir le droit de changer, de tenter de réparer ce qui peut l'être. Mais il rasera Hydra. Il est le chien qui se retournera contre son maître violent.

Eri s'installe à l'autre bout du canapé, triturant son étrange écharpe qui ressemble à un bandage enroulé plusieurs fois autour de son cou. Elle a l'air agacé, méfiante. Épuisée, surtout ; les cernes sous ses yeux sont visibles. Une étudiante comme elle ne devrait-elle pas chérir son sommeil plutôt que de le fuir ?

— Quel âge as-tu, exactement ?

— Vingt ans. Et je suis Vigilante depuis que j'ai commencé l'Université.

Eri anticipe ses questions ; est-ce que ça comptera comme deux réponses ? Le Soldat n'aime pas les imprévus. Il ne maîtrise pas la situation, avec des imprévus. Est-ce qu'il maîtrise même quoi que ce soit depuis que la jeune femme l'a recueilli et soigné ?

— Qu'est-ce que tu entendais par « Je ne suis pas vraiment amnésique ? »

— Hum. On m'a effacé la mémoire. Je me souviens de certaines choses, mais pour le reste, c'est… Un écran noir ?

Dans le doute, le Soldat réutilise l'expression qu'Eri a utilisé la première fois qu'ils ont discuté ensemble. Elle tressaille, sans doute surprise qu'il s'en souvienne, avant de hocher la tête. Elle n'a pas l'air en colère, c'est déjà ça. Il devine sa prochaine question, mais elle devra attendre ; il a la sienne à poser avant.

— Pourquoi es-tu Vigilante ? Une étudiante assez aisée pour ne pas avoir besoin de petit boulot à côté ne devrait pas faire ce genre de choses.

Le Soldat a remarqué qu'elle rentrait et sortait en suivant des horaires identiques. Elle finit tôt dans l'après-midi, ce qui lui fait penser qu'elle vient d'une famille assez aisée pour ne pas avoir à se soucier de comment payer ses études. Alors pourquoi met-elle sa vie en jeu en étant Vigilante, alors qu'elle pourrait se la couler douce le soir, qu'elle pourrait sortir s'amuser avec des amis ?

D'ailleurs, a-t-elle des amis ? Pas une fois elle n'a eu de visiteur depuis qu'il est là, pas même imprévu.

Eri tourne les yeux vers la fenêtre, les mains serrées sur son écharpe insolite. Il y a une étrange émotion sur son visage, que le Soldat n'arrive pas à décrypter.

— Il y a des dettes qu'on ne peut jamais rembourser. J'ai déjà une place en Enfer, alors autant en profiter pour aider ceux qui n'ont pas encore emprunté le mauvais chemin.

La culpabilité. Le Soldat connaît bien cette sensation. Est-ce ce à quoi il ressemble lorsqu'il regrette les actes qu'Hydra lui a fait commettre ? Eri pourrait le comprendre. Est-ce qu'elle voudrait l'aider ? Est-ce qu'elle le pourrait ?

C'est la première fois qu'il rencontre quelqu'un qui paraît être passé de l'ombre à la lumière.

— Eri, est-ce que le nom d'Hydra te dit quelque chose ?

L'horreur qui se peint sur le visage de la jeune femme lui offre la pire des réponses.

Est-ce qu'il aura même une chance de s'expliquer ?

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Hydra. Seigneur, de tous les ennuis qu'elle pouvait apporter dans son appartement, elle est peut-être bien tombée sur le pire. Est-ce que Bucky en fait toujours parti ? Est-ce qu'il sait qui elle est vraiment depuis le début ? Non, il aurait déjà agi sinon. Ce n'est pas dans le genre d'Hydra de faire dans la subtilité. Mais si elle se trompe ? S'il cherche à gagner sa confiance pour la trahir plus tard ? S'il cherche à la manipuler ?

Il pourrait probablement lui donner une explication rationnelle et pourtant lui mentir.

Eri doit être certaine que Bucky n'est plus avec Hydra. Sa main se resserre sur son arme de capture ; avant que le blessé n'ait eu le temps de comprendre ce qui lui est arrivé, il se retrouve ligoté, une lame de couteau sous la gorge.

Eri n'a plus jamais tué directement quelqu'un depuis son père biologique, mais si c'est pour sa liberté, elle ne doute pas un instant en être capable. Sa grande tante Peggy et Dugan lui ont raconté assez d'histoires pour qu'elle sache qu'elle ne doit surtout pas tomber entre leurs mains avec son Alter de nouveau actif.

— Tu as deux minutes pour me convaincre. Sinon, je te tue.

— Tu devrais. Ça t'épargnerait beaucoup de problèmes et le SHIELD t'en serait reconnaissant.

Il y a une lueur de résignation dans les yeux de Bucky. Il ne compte pas se battre pour sa survie. Eri tremble, alors qu'elle a l'impression de ressentir le vide qui habite son patient. Alors qu'elle a l'impression d'avoir de nouveau six ans et de ne plus avoir l'espoir de rien, de juste espérer mourir pour mettre fin à sa vie misérable.

Cela vaut plus que tous les mots à ses yeux et elle range le couteau, sans pour autant libérer Bucky.

— Je veux comprendre.

— Tu me laisses m'expliquer ?

— Tu me ressembles. Je ne sais pas comment, mais tu me ressembles. Alors je te laisse une chance, comme on m'en a laissé une. Ne me le fais pas regretter.

— Tu es beaucoup trop gentille, tu sais.

— Peut-être. M'as-tu donné une raison de ne pas l'être ?

Bucky reste un instant silencieux, avant de soupirer profondément. Eri se rassoit à l'autre bout du canapé, sans relâcher l'étreinte de son arme de capture. Elle craint un peu d'entendre les aveux de Bucky, à vrai dire. Est-ce qu'elle risque de le détester ? Est-ce qu'il risque de lui rappeler Chisaki ? Est-ce qu'elle risque de s'enfoncer dans ses cauchemars qui rôdent autour d'elle depuis le début de la soirée ?

Eri ne peut rien prédire, alors elle ne peut qu'espérer. Elle a beau être au cœur de la nuit, désormais, elle a toujours un peu de lumière avec elle, parce que sa famille la soutiendra quoi qu'il arrive, parce qu'elle a des parents merveilleux, quoi qu'imparfaits. Ses oncles et ses tantes de cœur ont toujours veillé sur son bonheur, alors elle ne craint plus de se faire avaler par les ténèbres et de ne plus réussir à remonter.

— J'ai fait parti d'Hydra sous le nom de Soldat de l'Hiver. Ils m'ont lavé le cerveau, à chaque fois. Je ne pourrais même pas te dire qui j'ai tué. Je ne m'en souviens pas.

Eri inspire profondément. Nom de Dieu. Elle a un assassin sous son toit. Un assassin qu'elle devine doué pour avoir réussi à survivre à plusieurs missions et à échapper au SHIELD depuis ce qu'elle suppose être un moment. Mais s'il ne se souvient de rien, d'où vient le surnom de « Bucky » qu'il a laissé échapper lors de première discussion et dont elle l'affuble depuis ?

— Alors, pourquoi Bucky ?

Le Soldat grimace.

— Ce surnom… C'est Captain America qui l'a prononcé en me voyant. Steve. C'est la seule chose dont je suis certain. Je l'ai connu, un jour. Il y a eu un avant Hydra. Il y a eu un type bien avant qu'ils ne me détruisent.

Eri se fige alors que les pièces s'imbriquent. Elle a trop entendu d'histoires des Commandos Hurlants de Dugan et Peggy pour ne pas faire de liens. Elle a vu des photos d'époque, pourtant, et se demande comment elle n'a pas compris avant.

Captain America. Bucky. Hydra.

Elle a chez elle le Sergent James Buchanan Barnes, censé être mort durant la guerre contre Hydra.

Eri libère Bucky de son arme de capture et l'enroule de nouveau autour de son cou, avant de se relever pour se préparer une théière entière. Ses mains tremblent, alors qu'elle tente de garder son calme. Elle a chez elle un ami de sa grande-tante, manipulé, le cerveau lavé, assassin pour l'organisation qu'il a combattu de toutes ses forces.

Eri a besoin d'un remontant avant de continuer cette discussion.

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— Je sais qui tu étais. Avant Hydra.

Le Soldat n'est qu'à moitié surpris. La réaction d'Eri quand il lui a parlé de Steve lui a suffi. L'étudiante a eu besoin de deux tasses de thé brûlantes avant de pouvoir recommencer à parler. Leur petit jeu est terminé, il en a bien conscience ; si elle sait qui il est, alors il a sous la main tout ce qui lui manque pour comprendre ce qu'Hydra a fait de lui.

— Alors s'il te plaît, dis-le moi.

— Bucky, ça ne va pas être agréable à entendre, tu sais.

— Plus que d'être un assassin à qui on a lavé le cerveau pour le faire obéir ?

Il hausse un sourcil, mais Eri n'a pas l'air convaincue pour autant. Elle l'observe avec un mélange de compassion et d'horreur qui devrait l'agacer ; il n'en fait cependant rien. Elle ne le juge pas. Elle ne l'observe pas avec dégoût ou crainte. Il ignore ce qu'elle sait exactement, mais ça a l'air d'être assez pour qu'elle lui accorde le bénéfice du doute, à défaut de sa confiance.

— Sergent James Buchanan Barnes, surnommé Bucky. Membre des Commandos Hurlants lors de la guerre contre Hydra, il y a plus de soixante-dix ans.

Attendez, le Soldat a lutté contre Hydra ? L'organisation l'a utilisé alors qu'il était au départ leur ennemi ? Une sensation de nausée remonte le long de son œsophage. Il refuse d'y croire. Hydra n'aurait pas pris le risque qu'il se retourne contre eux, même en lui lavant le cerveau, n'est-ce pas ?

Et soixante-dix ans ? Le Soldat se rappelle le Frigo et sa nausée s'intensifie. Ce n'est pas si improbable. Cela ne l'est même pas du tout. Eri doit avoir raison.

— Est-ce que j'avais été forcé de combattre contre eux ?

Bucky veut entendre qu'il n'a pas été déformé au point de servir ceux qu'il combattait par idéologie. Il veut entendre qu'il a été utilisé par les deux côtés ; ce sera moins difficile à accepter.

— Je t'avais prévenu que ça ne serait pas agréable. Je suis désolée.

— C'était mon choix de les combattre, n'est-ce pas ?

— De ce que je sais, tu avais fait prisonnier par Hydra avec les membres de ton unité et Captain America vous a sorti de là. C'est après qu'ont été crées les Commandos Hurlants et je ne pourrais pas dire si tu voulais réellement être là ou non. Mais tu n'aurais pas abandonné Steve.

— Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il était pour moi ?

Eri soupire et évite son regard.

— Vous étiez meilleurs amis. De ce que Dugan m'a dit, si l'un allait quelque part, l'autre suivait sans se poser de questions.

Dugan. Le nom lui est familier, mais Bucky n'arrive pas à se rappeler d'où. Sa tête est douloureuse et il masse ses tempes du bout des doigts, sous le regard inquiet d'Eri.

— Je ne pense pas que je devrais…

— Continue. S'il te plaît. J'ai besoin de savoir.

Eri se mord la lèvre, hésitant visiblement à en dire plus. Bucky la supplie du regard et le Soldat songe même un bref instant à la menacer pour obtenir ce qu'il souhaite, avant de se reprendre. Il n'a pas à menacer la jeune femme. Elle finira par parler, que ce soit cette nuit ou plus tard. Elle n'est pas du genre à garder les informations pour elle afin de le manipuler, ou elle l'aurait déjà fait.

— « Jusqu'au bout de la ligne ». C'était votre credo, souffle l'étudiante.

La bombe est lâchée ; des flashs de souvenirs dansent soudain dans l'esprit de Bucky et la douleur s'intensifie d'un seul coup. Il a à peine le temps de voir Eri se précipiter vers lui qu'il sombre dans l'inconscience.

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Eri aurait peut-être dû se taire. Elle sait pourtant que certains sont plus facilement atteints par les nouvelles douloureuses ; oncle Mick lui dit toujours de faire attention à ce qu'elle dit en présence de grande-tante Peggy parce qu'elle a le cœur fragile.

Ses ongles grattent ses poignets. Eri a cessé de compter depuis combien de temps.

Et qu'est-elle censée faire maintenant ? Prévenir son père, Captain America peut-être, ou plutôt Dugan ? Devrait-elle se taire pour laisser le temps à Bucky de digérer l'information ? Elle n'aime pas ce genre de responsabilités. Elle voudrait que la bonne solution lui tombe tout cuit dans le bec, pour qu'elle soit certaine de blesser le moins de monde possible.

Peut-être qu'elle a blessé Bucky en lui disant la vérité.

Eri a l'impression que ses poignets lui brûlent, mais continue à gratter.

Elle l'a remis au lit après qu'il se soit évanoui, mais est-ce que ça sera suffisant pour qu'il récupère ? Est-ce qu'elle a fait pire que le mal en voulant aider ? Elle sait pourtant que parfois agir n'amène à rien de bon. Elle l'a vu avec Chisaki. Il y a eu des morts parce que des héros ont voulu aider ; elle leur en est reconnaissante, à jamais, mais elle aurait préféré que personne ne meure.

Elle aurait préféré ne pas recevoir d'aide.

Ses doigts collent ; est-ce qu'elle a mangé quelque chose de gluant ? Est-ce qu'elle a même mangé lorsqu'elle est rentrée ?

Eri lève les yeux vers l'horloge ; il est dix heures passées. Elle a manqué ses premiers cours. Il faudra qu'elle produise un justificatif d'absence. Ou peut-être pas ; elle n'a aucune excuse valable. Autant assumer. Est-ce que c'est sa tête qui la lance autant ? Ah oui, elle n'a pas dormi de la nuit. Elle devrait le faire. Juste se laisser tomber sur le canapé et dormir. Est-ce qu'elle y arrivera ?

Les mains de Chisaki, son rire et le corps de Nighteyes dansent devant ses yeux. Elle a sa réponse.

Elle a l'impression d'avoir son sang au bout de ses doigts, jusque sur ses poignets. Mais est-ce une illusion ? Elle a l'impression de respirer l'odeur métallique du sang. Est-ce sa tête qui lui joue encore des tours ?

— Eri ? Tu n'es pas allée en cours ? Il ne fallait pas rester pour… Seigneur.

Une main l'attrape par l'épaule et l'oblige à s'asseoir sur le canapé ; lorsqu'elle relève les yeux, la figure inquiète de Bucky la surplombe. Ce n'est pas normal, ça. C'est elle qui devrait être inquiète, pas lui. Pourquoi il s'angoisserait pour elle ? Elle va bien, mis à part son insomnie contre laquelle il ne peut pas faire grand-chose.

La main glisse de son épaule à son front et elle plisse les yeux.

— Je vais bien, tu sais. Tu devrais t'inquiéter pour toi. Tu t'es évanoui, pouf, comme ça, d'un coup.

— J'ai l'impression que tu fais de la fièvre et tu saignes. Tu as dû gratter tes poignets assez intensément.

Oh. Ça lui est déjà arrivé dans le passé, lorsque les réminiscences de son enfance sous la coupe de Chisaki devenaient trop fortes ; elle n'avait plus recommencé depuis au moins la naissance de son petit frère Shota, il y a six ans.

— Je… Je vais me débrouiller, tu devrais aller te reposer.

— J'ai vu pire qu'une petite migraine, Eri. Laisse-moi m'en occuper. Tu as fait beaucoup pour moi. J'ai besoin de te rendre la pareille.

Bucky ne la quitte pas des yeux ; ses mots lui sont familiers. Eri a des propos similaires lorsqu'elle se sent en dette envers quelqu'un. Bucky et elle semblent fonctionner selon le même schéma. Elle ne gagnera pas, cette fois ; son invité s'entêtera jusqu'à ce qu'elle cède et elle n'a pas envie de combattre.

— Où est-ce que je peux trouver de quoi te soigner ?

— Placard de la salle de bain. T'sais, la pièce que t'pouvais pas utiliser à cause de tes blessures ?

Un ricanement lui échappe et Bucky soupire. L'a-t-elle énervé ? Son humour n'est pas des plus gentils quand elle est fatiguée ; sa mère dit qu'elle recopie alors l'une des mauvaises habitudes de son père, celle d'être infecte pour ne pas être aidée.

— T'es un drôle d'oiseau, gamine.

— Va te faire foutre.

— Hum, pas sûr qu'en étant recherché par à peu près toutes les organisations du monde, ça soit une bonne idée.

Bucky esquisse un fantôme de sourire.

Le rire d'Eri est étranglé par des larmes, mais au moins arrive-t-elle à lui rendre son sourire.

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Eri a fini par s'endormir.

Bucky a bien cru qu'elle fuirait encore de longues heures le sommeil, mais elle n'a pas de super-sérum pour tenir le coup. Elle lui ressemble par certains points, beaucoup trop à ses yeux. De ce qu'elle a laissé échapper, de ce qu'il a deviné, la jeune femme a elle aussi des crimes à se reprocher. Et pourtant elle lutte pour le bien des autres, désormais.

Est-ce qu'un jour aussi, il pourra se racheter de tous les morts qui jonchent son passé ?

Il vérifie machinalement que les bandages sur ses poignets tiennent bien, avant de s'asseoir au pied du canapé où il l'a allongée. Elle serait mieux dans son lit, mais il faudrait qu'il change ses draps et il n'a pas envie de fouiller partout pour en trouver de remplacement. Il n'a pas envie de pénétrer son intimité sans son consentement. Il en a déjà trop fait. C'est sa faute si elle est dans cet état ; s'il n'avait pas insisté pour savoir…

Un soupir lui échappe, alors que Mic saute sur le canapé pour s'installer sur sa maîtresse, miaulant piteusement. Est-ce qu'il sent qu'Eri n'est pas dans son état normal ? Est-ce qu'il sent que quelque chose d'inhabituel s'est passé pour paraître aussi malheureux ?

— Elle va s'en sortir. Elle est juste fatiguée, d'accord ? Ne la réveille pas.

Mic miaule de nouveau, avant de sauter sur ses genoux, quémandant des caresses que Bucky lui offre sans hésiter. Il devrait peut-être partir avant d'abîmer Eri un peu plus. Il la devine toute aussi cabossée que lui ; il ne peut que l'entraîner par le fond, non ? Pourtant, sa gentillesse le retient de partir, entre autres.

L'idée qu'Hydra s'en prenne à elle, même une fois qu'il sera parti, le terrifie. Eri est désormais trop impliquée, au courant de trop de choses pour qu'ils prennent le risque de la laisser en vie. Il devrait trouver un moyen de contacter Captain America pour qu'il la protège ; des rares souvenirs qui lui sont revenus, cela paraît être l'option la plus sage.

Mais il reste le Soldat ; sa confiance envers Steve est toujours oubliée. Il ne fait confiance qu'à lui-même.

Il sait pourtant que plus le temps passe, plus il la met en danger ; s'il part, il n'y aura cependant plus personne pour veiller sur elle, même si elle semble se débrouiller. Bucky n'arrive pas à prendre de décision.

Il tressaille de surprise lorsqu'Eraser quitte son arbre à chat pour venir vers lui. Mic salue son camarade d'un miaulement et le chat noir le rejoint sur ses genoux, toilettant quelques secondes le roux avant de le fixer de ses yeux jaunes. Est-ce qu'il est réellement en train de se faire valider par un chat ? C'est la première fois qu'Eraser l'approche sans être agressif.

Le chat noir frotte sa tête contre son bras métallique ; un éclat de douleur parcourt Bucky et il serre les dents, avant qu'Eraser ne saute sur le canapé pour se lover contre sa maîtresse, tel un chien protégeant son humain.

Est-ce qu'Eri a une famille sur qui se reposer ? Ou n'a-t-elle que ses chats ? Qui veillera sur elle s'il s'en va, alors qu'il a au moins la moitié des organisations légales et illégales qui veulent sa tête et qui n'hésiteraient pas un instant à la torturer pour la faire parler ?

Le Soldat prend une décision. Eri est sa nouvelle mission.

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Eri aime bien Bucky, vraiment. Depuis qu'il a pris soin de lui après sa crise, il ressemble un peu à ce qu'elle s'imagine être un grand frère.

Le côté surprotecteur avec.

Avec un soupir mi-amusé, mi-agacé, elle se sait de son arme de capture et se retourne vivement. En quelques secondes, Bucky tombe depuis le toit dans la benne à ordures ouvertes et elle l'entend jurer en russe, avant qu'il ne ressorte.

— Si tu voulais m'accompagner durant les nuits où je n'arrive pas à dormir, tu n'avais qu'à me demander.

— Comment tu m'as repéré ?

— Un sixième sens particulièrement bien développé.

— C'est ta malice qui est particulièrement bien développée. La poubelle, sérieusement ?

— Hé, c'est toujours moins dangereux que le sol !

— Je sais me réceptionner.

— Tsé, t'es pas un chat, t'as pas neuf vies et tu ne retombes pas toujours sur tes pattes.

— C'est une légende urbaine. Que les chats retombent sur leurs pattes, je veux dire.

Eri rit doucement alors que Bucky la rejoint en ronchonnant. Son rire s'éteint cependant lorsqu'elle observe l'angle étrange du coude du bras mécanique de l'assassin. D'un geste vif, elle s'en saisit et l'examine d'un rapide coup d'œil. L'articulation a été abîmée, sans doute par la chute. Il est probable qu'elle puisse la remettre d'aplomb avec ses connaissances en prothèses mécaniques. Entre celle de sa mère et celles d'Izuku, elle a appris à les réparer pour pouvoir aider ses proches au moindre problème.

— Je m'occuperais de ça en rentrant.

— Étudiante en médecine, Vigilante, mécanicienne, que de qualités.

Eri esquisse un sourire amer. Bucky ignore ce qu'elle a fait par le passé, ce qu'elle est capable de faire encore aujourd'hui. Monstre, Arme, Meurtrière. Les mots sont inscrits sur sa chair en cicatrices blanchâtres sur ses bras. Elle ne pourrait pas oublier, même si elle le souhaitait.

Parfois, elle envie l'amnésie de Bucky sur ses missions. Elle aimerait bien ne plus se souvenir de toutes les horreurs qu'elle a vécues.

— Pardon. Je ne voulais pas te blesser.

— Tu ne m'as pas blessé, Bucky.

— Je t'ai rappelé de mauvaises choses sans le vouloir, donc si.

— Et je te dis que non. Je sais mieux que toi ce que je ressens, non ?

— On se ressemble assez pour que je sache que tu mentirais pour que je ne me sente pas mal.

Pourquoi faut-il que Bucky la comprenne mieux que ses parents, sérieusement ? C'est à son tour de ronchonner, avant de se rendre compte qu'il ne l'a pas suivi. Elle se retourne, boudeuse, avant de frémir lorsqu'elle le voit se pencher dans la benne et en ressortir une petite masse qui bouge faiblement. Lorsqu'il la rejoint, elle se rend compte qu'il s'agit d'un chaton, donc la fourrure blanche est presque difficile à discerner sous la crasse qui la recouvre.

— Je l'ai entendu miauler. Il… Il y en avait d'autres, mais…

Bucky n'a pas besoin de finir sa phrase pour qu'Eri comprenne que le petit chaton blanc est le seul survivant de sa portée.

— Comment on peut faire ça à des chatons ? chuchote Bucky.

— Tu es bien placé pour savoir ce que l'homme peut faire à ses semblables, alors à des chatons ? La mère ne devait pas être stérilisé et le propriétaire s'en est débarrassé ainsi parce qu'il n'a pas réussi à les donner après le sevrage.

— Comment tu peux être aussi sûre de toi ?

— Il est trop grand pour être né récemment et ce n'est qu'une supposition. Je l'amènerais chez le vétérinaire demain. Mais d'abord, on va rentrer prendre soin de lui et de ton bras, d'accord ?

Bucky hoche la tête, le regard plein d'amour pour le petit chaton dans ses bras. Si Hydra lui a enlevé la mémoire, ils n'ont pas pu détruire son cœur et petit à petit, ce sont des morceaux du sergent Barnes qui réapparaissent. Peut-être Eri devrait-elle prévenir son père, à un moment donné ? Qu'il puisse utiliser son argent et son influence pour le réintégrer dans la société.

Quand Bucky ira mieux, se jure-t-elle.

Mais elle a un pincement au cœur lorsqu'elle songe que Captain America finira par l'apprendre à son tour et accaparer Bucky. Lorsqu'elle parlera de lui, elle perdra son ami. Mais Steve en a sans doute plus besoin qu'elle, après tout, c'est l'un des rares survivants des Commandos Hurlants. C'est son meilleur ami, elle n'a pas le droit de le lui voler.

Eri n'aurait pas dû s'attacher à lui.

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— Est-ce que... Tu crois que tu pourrais me l'enlever totalement ?

Eri redresse la tête de son bras mécanique, surprise par sa question. Elle repose son tournevis, le mettant hors de portée du chaton nouvellement adopté par Bucky. Winter tend à jouer avec tout ce qui lui passe sous la patte, de l'innocent bout de ficelle à la queue d'Eraser. Étonnamment, le chat noir est plus conciliant avec ce nouveau venu que ne l'aurait imaginé l'ancien assassin.

— Tu ne pourras plus te battre comme avant.

— Ça sera suffisant.

Bucky veut se débarrasser de tout ce qui appartient à Hydra. Il n'est plus leur marionnette. Il ignore encore ce qu'il fera sur le long terme, comment il mettra un terme à leurs agissements après ce qu'ils lui ont fait, et ce qu'il viendra de lui encore après, mais pour l'instant, il a besoin de se reconstruire sans être continuellement hanté par la preuve qu'il a été un assassin pour une organisation contre laquelle il a un jour lutté.

— Je n'ai pas les capacités de t'en refaire un non plus.

— Je te dis que ça ira.

— Je veux être sûre que tu ne le regretteras pas.

— De toute façon, un regret de plus ou de moins…

Eri grimace, touchée par l'argument. Elle ronchonne, avant de reprendre son tournevis ; elle examine plus attentivement la jointure du bras au reste de son corps. Son visage se plisse et se tord au gré de ses émotions ; elle est aussi expressive que Steve dans les rares morceaux de souvenirs qui lui sont revenus.

— Ça va pas être de la tarte.

— En même temps, c'est un bras.

Bucky ricane lorsque l'étudiante souffle et lui donne une tape sur son bras métallique.

— Un peu de sérieux, s'il te plaît.

— J'ai oublié comment l'être.

— Tu vas me faire des cheveux blancs, attention !

Eri rit de sa propre plaisanterie ; difficile en effet de blanchir plus sa chevelure. Bucky esquisse un sourire alors qu'il songe que le visage lumineux de l'étudiant lui réchauffe le cœur. C'est agréable de la voir aussi joyeuse alors qu'elle semble broyer du noir ces derniers temps. Elle ne lui a rien dit, certes, mais la plupart de ses sourires ne montent pas jusqu'à ses yeux. L'ancien assassin ignore pourquoi elle fausse ses émotions et il espère que ce n'est pas à cause de lui.

— Alors, tu es sûre de toi ?

— Si tu pouvais te séparer ce qui te rappelle sans cesse le sang sur tes mains, tu le ferais, non ?

Eri porte machinalement la main à la corne sur son front, vestige de son Alter ; Bucky a le cœur qui tombe au fond de l'estomac alors qu'il réalise la portée du geste. Il comprend mieux pourquoi elle lui ressemble autant. Son Alter a tué des gens.

Bucky se fustige pour avoir rappelé de mauvais souvenirs à Eri, mais celle-ci n'en fait pas mention. Elle se contente de sourire, avant de se mettre à l'œuvre. L'ancien assassin inspire, avant de se mordre la langue à chaque élan de douleur qui le parcourt tandis que l'étudiante s'acharne à lui enlever son bras.

Il ne montrera pas sa douleur. Eri n'a pas besoin de se culpabiliser à cause de ses propres choix.

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Le coup de poignard – virtuel – dans son estomac à intervalle régulier, Eri s'en serait bien passée. Pourquoi a-t-elle oublié de racheter des anti-inflammatoires avant ses règles ? Maintenant, même bouger du canapé lui semble un rêve inaccessible. Elle jette un regard à son téléphone ; elle pourrait envoyer un message à Kota, mais il doit être avec sa petite amie dont il lui parle tout le temps, elle ne le dérangera pas pour si peu.

Puis, Kota risquerait de tomber sur Bucky et elle n'est pas en état de répondre à ne serait-ce qu'une seule question de son ami au sujet de l'assassin.

— Tu n'es pas en cours ?

En parlant du loup.

— Nan, j'ai mes règles et j'ai pas pensé à prendre des anti-inflammatoires, alors ça fait un mal de chien. Si tu pouvais la boucler !

Elle n'a pas la patience de gérer Bucky, aujourd'hui. Est-ce qu'il sait même ce que sont les règles ? Ou plutôt, est-ce qu'il s'en souvient ? Vraiment, ce n'est pas avec ça qu'elle ira mieux. Elle n'a plus qu'à attendre que ça passe en agonisant bruyamment. Elle récupère à grand peine un oreiller pour le caler sous sa tête, fermant les yeux en espérant que la douleur passe vite, aujourd'hui.

— Tu voudrais que je te déplace sur ton lit ? Tu serais peut-être plus confortablement installée…

— Si je bouge, je hurle, laisse tomber.

L'idée de rejoindre son lit est tentante et elle l'aurait fait en temps normal, lorsque ses médicaments auraient fait effet. Là, elle ne peut qu'imaginer la douleur qu'engendrerait le mouvement.

— Est-ce que tu voudrais un thé ?

— … Tu saurais faire fonctionner la bouilloire tout seul ?

— Je t'ai déjà vue faire.

— Et où trouver le thé ?

— Je veux bien être un idiot, Eri, mais je ne suis pas un incapable non plus.

Eri ricane alors qu'elle entend son ami bouder. À vrai dire, sa seule expérience de vie avec un homme adulte est son père et, même s'il est un génie dans ses domaines de prédilection, il n'est pas fait pour vivre seul. Il n'y a pas de place dans sa tête pour des choses aussi triviales que l'emplacement du pain ou se souvenir de remplir le frigo. Elle le soupçonne d'avoir développé Jarvis en partie pour ça.

Tony n'est pas un mauvais père pour autant. Il est toujours là pour ses adelphes et elle, toujours prêt à les encourager et à les aider. Quand bien même il est arrivé plus souvent en retard aux réunions parents-professeurs qu'elle n'a de doigts, même s'il lui est arrivé d'oublier de leur souhaiter bonne nuit, la tête dans un projet, il a toujours été présent et aimant. Beaucoup d'enfants n'ont pas cette chance.

— Alors trouve-moi le thé vert à la violette et peut-être que je t'aboierai pas trop dessus.

— Hey, c'est moi le chien de garde d'Hydra, toi, tu tiens plus du chaton domestique. Comme Winter.

— Le chaton a très envie actuellement de te passer par la fenêtre.

— Mais ça attendra que tu n'es plus mal, je me trompe ?

Eri grogne, constatant que Bucky a déjà cerné son état. Elle retient le juron qui danse sur le bout de sa langue, estimant que son ami est déjà bien assez gentil – et surtout obligé – de la supporter, autant éviter de mettre de l'essence sur le feu. Son humeur s'adoucit cependant un peu alors qu'elle entend le sifflement de la bouilloire et le froissement du paquet de thé.

Elle a un sourire lorsque Bucky pose la tasse sur la table basse, devant le canapé.

— Infusé trois minutes, comme marqué sur le paquet.

— Si t'étais pas un vieux schnock, je t'épouserai.

— C'est clairement pas le premier défaut que je me serais trouvé.

— Ancêtre. Relique. Pièce de musée.

— Mais ça suffit, oui ! Va dire ça à Captain America si tu l'oses.

— Merci pour le thé.

Bucky soupire et elle tente en vain d'agrandir son sourire ; la douleur gagne encore, pour l'instant. Un des chats montent alors sur le canapé et elle grimace, avant que son ami ne l'attrape délicatement pour le reposer au sol.

— On n'embête pas les malades, Winter.

— Ce chaton est aussi terrible que toi, plaisante-t-elle.

— Mais Eraser l'apprécie, je dirais donc qu'il est pire.

Eri rit, avant de gémir de douleur. Bucky s'excuse et elle fait un signe de la main pour lui signifier que ce n'est pas grave. Elle a vu pire et au moins, il lui change un peu les idées. C'est mieux que les jours où elle supporte toute seule ses règles parce qu'elle ne veut déranger personne.

— Est-ce que je peux faire autre chose pour toi ?

— … Tu crois que tu peux me supporter encore un peu plutôt que de te retrancher dans la chambre ?

— D'accord.

Eri l'entend s'asseoir au pied du canapé et elle s'apprête à lui dire de prendre au moins une chaise, avant de soupirer. Bucky est têtu, parfois ; s'il a décidé de s'installer là pour être proche d'elle et qu'elle se sente soutenue, alors il restera quoi qu'elle dise.

— Merci, Bucky.

— De rien. On laisse pas souffrir ses amis seuls, sale môme.

Eri a tout juste l'énergie de lever son majeur à son encontre ; Bucky ricane, avant de s'adosser contre le canapé, chantonnant une musique qui semble vieille aux oreilles de l'étudiante.

Il faut croire qu'aujourd'hui sera loin d'être ses pires règles.

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— Aujourd'hui, on sort !

— Je te demande pardon ?

— Tu as déjà vu Central Park sous la neige, avec les lumières de Noël ? Non ? Alors, mets le bonnet et l'écharpe que je t'ai achetés et roule ma poule !

Eri ressemble à une enfant, dans un manteau rouge bordé de fausse fourrure blanche et un bonnet à pompom sur les oreilles. Elle vérifie que son arme de capture est bien enroulée autour de son cou – elle sort toujours avec et Bucky ne saurait dire si c'est une habitude ou un réflexe de survie – et se saisit de ses gants, avant de taper du pied lorsqu'elle s'aperçoit qu'il n'a toujours pas bougé.

— Allez, ça te fera du bien de voir autre chose que les quatre murs de l'appartement.

— C'est pas comme quand on sort la nuit, Eri. Et si j'étais repéré ?

L'étudiante lève les yeux au ciel, avant de poser les poings sur les hanches.

— Parce que tous tes ennemis s'attendant à ce que tu sortes à Central Park observer les décorations, sans ton bras mécanique et avec une amie, hum ? Personne t'y cherchera, idiot, puis avec le bonnet et l'écharpe, même une caméra à reconnaissance faciale te reconnaîtrait pas.

— On prend des risques pour rien, peste Bucky.

Pourtant, il enfile quand même ce que lui a acheté Eri, bougonnant bien fort pour qu'elle l'entende. Mais il sait pertinemment qu'elle ne changera pas d'avis si elle a évalué les risques et estimé qu'ils étaient trop faibles pour qu'elle s'en soucie. Un rire joyeux s'échappe de la gorge d'Eri alors qu'elle lui prend la main pour l'attirer dehors, refermant la porte derrière eux.

Bucky reste renfrogné alors qu'Eri lui fait traverser New York ou presque. Il est nerveux devant autant de monde qui se presse pour les achats de Noël. Il y a trop de bruits, de personnes qui se bousculent, qui peuvent s'attaquer à eux à tout instant. Sa main se serre sur celle de l'étudiante, de peur de la perdre dans la foule.

Il admet qu'il serait dans de beaux draps sans elle.

Enfin, ils arrivent à Central Park ; Bucky admet qu'il est soufflé par les décorations toutes plus magnifiques les unes que les autres. Il ne sait plus où donner des yeux de la tête alors que les arbres brillent de mille feux. Il a l'impression d'être redevenu un enfant qui s'émerveille devant la magie de Noël. Il a une boule dans la gorge alors que pour la première fois depuis longtemps, il est réellement conscient qu'il manque quelqu'un à ses côtés pour apprécier pleinement ce moment.

— Tu crois que je pourrais revenir avec Steve ici, un jour ?

Eri ne répond rien ; Bucky se retourne vers elle, les sourcils froncés, avant d'échapper de justesse à une boule de neige lancée par son amie.

— Évidemment, idiot. Je ferais tout pour dès que tu seras plus à l'aise pour sortir de ton abri.

Bucky se fige brièvement. C'est vrai. Il ne peut pas rester pour toujours auprès d'Eri, à se reconstruire et à la protéger. Hydra n'a pas donné signe de vie, ce qui est des plus étranges. Ils devraient pourtant l'avoir déjà retrouvé avec leurs moyens. Peut-être a-t-il réellement réussi à leur échapper ?

Il devrait recontacter Steve. Mais pas maintenant. Après les fêtes, pour ne pas ternir le sourire d'Eri.

Et peut-être, aussi, pour se recréer des souvenirs pour combler le trou immense dans sa mémoire.

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— Tout va bien, Eri ? Tu as la tête dans les nuages.

Eri tressaille, prise en flagrant délit de rêvasserie en plein dîner de famille. Elle s'excuse auprès de son père en disant qu'elle est fatiguée, les études sans doute ; sa mère lui rappelle de ne pas forcer. Morgan s'inquiète, ses grands yeux sombres s'écarquillant encore plus, alors que Shota grogne que les études de toute façon, c'est nul, agitant ses oreilles noires en sirotant son jus de carottes.

Elle s'en veut, un peu, de leur mentir aussi effrontément. Mais elle ne peut pas avouer qu'elle songe à un ex-assassin d'Hydra qu'elle héberge dans son appartement. Elle a beau avoir grandi avec un père marchand d'armes, elle sait qu'il y a des bombes qu'il ne vaut mieux pas lancer.

Elle n'aime pas l'idée d'avoir laissé Bucky seul pour Noël, même s'il lui a assuré mille fois que ça irait, qu'elle devait profiter de ses proches plutôt que de se soucier de lui. Mais pourquoi ne se soucierait-elle pas d'un ami ?

Heureusement, la longue soirée passe sans autre incident et elle rejoint sa chambre d'enfant avec un soupir soulagé. Au moins n'a-t-elle plus rien fait de suspicieux. Elle ne veut pas inquiéter ses parents. Elle se pose devant son ordinateur portable, l'ouvre pour vérifier qu'il n'y a pas eu d'incidents répertoriés dans son quartier, sait-on jamais.

Soudain, la curiosité l'emporte et elle lève la tête vers le plafond.

— Jarvis, est-ce que Papa a parlé d'Hydra, récemment ?

— Êtes-vous inquiète par rapport à votre Alter ?

— Évidemment, comment je ne le serais pas, boude-t-elle.

— Il n'y a aucune activité recensée depuis un moment et les recherches sur vous sont proches de zéro. Il semblerait que vous n'ayez rien à craindre.

— Proche de zéro ?

— Il y a toujours des curieux qui s'intéressent au scandale de la drogue anti-Alters, surtout au Japon, mais rien d'inquiétant.

Évidemment. Son identité a beau avoir été caché au public, le fait que Chisaki ait élaboré sa drogue à partir du sang d'un humain a fini par faire surface. L'Annihilateur, c'est comme ça que les journaux l'ont surnommée. Un surnom qu'elle hait de toutes les fibres de son corps, mais contre lequel elle ne peut rien faire sans dévoiler qui elle est.

— Et est-ce que tu pourrais effectuer une recherche sur le Soldat de l'Hiver ?

Un instant de silence. Eri pressent qu'elle n'aimera pas la réponse de l'IA.

— Miss, je crains que ces informations ne soient sensibles pour vous. Si vous avez entendu des rumeurs…

Gagné.

— Jarvis, s'il te plaît. Ne mets pas Papa au courant.

Elle peut presque entendre l'IA soupirer, avant qu'il n'envoie les résultats de sa recherche sur son ordinateur. Ce sont surtout les dossiers de différentes organisations ; il y a presque autant d'informations sur Bucky que de glaciers dans un désert. Il y a quelques vidéos de ses crimes, qu'elle ne regarde pas. Tout comme elle n'aimerait pas que son ami tombe sur des vidéos d'elle utilisant ses pouvoirs, Bucky ne voudrait pas qu'elle voit ça.

Pourtant, un titre retient son attention. Elle se pince l'avant-bras pour être certaine de ne pas rêver, avant de vérifier que le son de son ordinateur est bien éteint et de lancer la vidéo. Seigneur. Son grand-père a été assassiné par le Soldat de l'Hiver. Edwin Jarvis, l'adulte que son père estimait le plus étant jeune, est mort des mains de Bucky.

Nom de putain de Dieu.

— Je me vois au regret d'informer votre père de l'existence de cette vidéo, Miss Eri.

— Évidemment, Jarvis.

Eri peut définitivement faire une croix sur son père pour réhabiliter Bucky.

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Bucky a l'appartement pour lui tout seul. C'est étrange ; il a pris l'habitude d'avoir Eri dans les pattes. Il a moins l'impression d'être un monstre lorsqu'elle est là, à sourire et plaisanter avec lui comme s'il restait un morceau d'humanité en lui.

Lorsqu'elle n'est pas là pour lui apporter un peu de lumière, ses doutes lui murmurent à l'oreille qu'il est et restera à vie un assassin, que se racheter est impossible.

Un soupir lui échappe, alors qu'il joue avec le portable que lui a offert Eri. Elle lui a dit en plaisantant que c'était son cadeau de Noël, mais il n'y a qu'elle qu'il pourrait avoir besoin de contacter. Il se demande bien ce qui lui est encore passé par la tête. Avec un soupir, il l'allume ; heureusement qu'Eri lui a montré comment faire.

Peut-être qu'elle lui a envoyé un message pour savoir s'il survivait tout seul ? Mieux vaut la rassurer, elle serait capable de rappliquer à l'appartement plutôt que de passer du temps avec sa famille. Il se demande à quoi ses proches ressemblent.

Il a oublié ce que c'était, une famille. Il l'envie un peu, vu la joie sur son visage alors qu'elle préparait sa valise pour les vacances de Noël. Est-ce qu'il en avait une aussi, avant ? Est-ce que Steve en faisait partie ? Eri lui a dit qu'il s'agissait de son meilleur ami, mais jusqu'à quel point ?

Bucky se fige lorsque dans son répertoire s'affiche un autre contact, en plus d'Eri.

Steve.

L'étudiante a réussi à mettre la main sur le numéro personnel de Captain America ; est-ce qu'il a vraiment envie de savoir comment ? Il préfère ignorer toutes les capacités d'Eri. Si quelqu'un devait l'interroger dessus, au moins, il n'aurait pas grand-chose à dire. Il préfère que son amie garde ses secrets.

Ses doigts tremblent, avant qu'il ne fasse un choix qu'il risque de regretter.

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De : Moi

21h42

Steve. C'est Bucky.

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Bucky ne s'attend pas à une réponse immédiate, aussi repose-t-il le téléphone pour jouer avec Winter. Son attention est pourtant entièrement portée sur l'appareil, espérant l'entendre vibrer. Et lorsqu'enfin c'est le cas, Bucky délaisse immédiatement le chaton pour récupérer le portable.

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De : Steve

22h11

Si c'est une blague de mauvais goût, je vous prierais d'arrêter.

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Bucky lève les yeux au ciel en grognant ; Winter miaule, penchant la tête sur le côté, comme pour lui demander ce qui ne va pas.

— Mon ami est un imbécile, Winter. Eri dirait qu'on s'accorde bien.

Il hésite un instant, avant de lever son téléphone. Comment prend-on une photo, déjà ?

.

De : Moi

22h19

*photo envoyée*

.

De : Steve

22h20

Bucky ? C'est bien toi ? Tu as fini par te souvenir de moi ?

.

De : Moi

22h22

Pas vraiment. Pas entièrement.

Quelqu'un m'aide, actuellement.

Quelqu'un qui n'est pas d'Hydra.

C'est compliqué, d'accord ?

Je suppose que tu as des questions.

Je ne suis pas sûr de pouvoir y répondre.

Pas encore.

.

De : Steve

22h28

Dis-moi où tu es. Je viens te chercher.

.

De : Moi

22h29

Je ne peux pas. Captain America est tout sauf discret. Tu mettrais mon amie en danger.

Laisse-moi du temps, s'il te plaît.

Je te promets qu'un jour, on se verra en face à face.

Un jour, j'aurais la réponse à nos questions.

.

De : Steve

22h34

Je la protégerai.

.

De : Moi

22h36

Steve, elle est comme moi.

Un bout d'obscurité ramené à la lumière.

Elle ne te fera pas confiance.

Elle aura peur que tu la trahisses.

Je n'ai pas l'impression qu'elle t'apprécie.

.

De : Steve

23h43

Je fermerais les yeux sur tout ce qu'elle a pu faire d'illégal.

.

De : Moi

23h44

Même des meurtres ?

.

De : Steve

23h47

… Tu sais choisir tes amis.

.

De : Moi

23h48

Fais gaffe, tu en fais partie.

.

De : Steve

23h51

Très drôle. Tu en as d'autres en stock du même genre ?

.

De : Moi

23h53

Non.

Mais je connais un certain nombre de synonymes de vieillard décati.

.

De : Steve

23h55

… J'arrive pas à savoir si tu es sérieux ou non.

.

De : Moi

23h56

J'ai oublié comment être sérieux.

Et mon amie a…

Hum

Disons

Un registre développé.

.

De : Steve

23h58

Est-ce que tu peux au moins me donner un nom ?

Ton amie te ment peut-être.

Hydra est partout.

.

De : Moi

0 : 00

Elle ne m'aurait pas enlevé mon bras, sinon.

Elle a gagné ma confiance, Steve.

Je ne me souviens pas de celle que j'avais en toi.

Je suis désolé.

Bonne année

En espérant que je retrouve mes souvenirs.

.

Bucky éteint le téléphone, le cœur à la fois joyeux et en peine. Il comprend qu'Eri a simplement voulu lui faire plaisir, mais Steve l'a blessé en se montrant si pressant pour en savoir plus sur son amie. Il ne peut pas trahir Eri. Il s'est juré de la protéger.

Ça serait tellement plus simple s'il pouvait se rappeler sa confiance et sa foi aveugle en Steve. Tellement, tellement plus simple.

.

Eri saute pratiquement au plafond lorsque sa porte s'ouvre sans qu'elle n'attente quelqu'un en particulier. Sa main trouve son arme de capture dans la foulée ; l'intrus se retrouve ligoté avant d'avoir pu dire ouf. Dieu merci, Bucky est dans la chambre ; au moins, le pire est évité alors qu'elle reconnaît l'invité surprise et soupire d'agacement.

Kota la fixe avec stupéfaction et une pointe de culpabilité ; Eri lève les yeux au ciel avant de passer une main devant son visage.

— Alors, je veux bien que tu me libères, Eri, j'ai une porte à refermer derrière moi.

— C'est rare que tu viennes sans t'annoncer, aussi ! Tu sais quelle frousse tu m'as fichue ?

Eri parle fort ; elle espère que Bucky l'entend et restera sagement dans la chambre. Mieux vaut éviter que Kota et lui ne se rencontrent. Son ami n'a guère sa retenue. Elle craint un peu trop l'issue d'une telle confrontation.

Avec un soupir, elle récupère son arme de capture et se rassoit, tandis que Kota referme la porte derrière lui.

— Pardon, pardon ! Ça fait trois mois que je suis pas venu, excuse-moi de pas y avoir pensé !

— Comment va ta copine ? Tu as enfin réussi à te détacher de ton rocher, petite moule ?

— Elle m'a plaqué, oui, grommelle Kota.

— Oh, c'est donc pour ça que tu viens me voir ? Pour pleurnicher dans mon giron ? Sérieusement, Kota !

Eri admet qu'elle n'est pas toute blanche dans cette histoire. En temps normal, elle aurait invité Kota à venir manger à l'appartement, petite copine ou non ; seulement, il y a Bucky depuis plusieurs semaines chez elle. Elle ne pouvait pas prendre le risque d'avoir Kota dans les parages. Elle ne peut toujours pas le prendre.

Faire semblant d'être en colère est plus simple. Elle s'excusera plus tard.

Kota pâlit et détourne les yeux, avant de les plisser. Eri se fige alors qu'elle suit son regard pour tomber sur Winter, confortablement installé sur un sweat qui appartient à Bucky. Un sweat bien trop grand pour elle ; évidemment que son meilleur ami en devient immédiatement suspicieux.

— Eri, depuis quand tu as un chaton blanc ?

— Je l'ai trouvé dans la rue ! Il était abandonné !

— Comme le petit copain à qui doit appartenir ce sweat, hum ?

Seigneur, elle veut mourir sur place. Elle cache son visage derrière sa main, ses joues rougissant de gêne. Est-ce qu'elle ment et fait croire à Kota qu'elle a effectivement un petit copain qui a oublié son sweat dans son appartement – avec le risque que cela remonte aux oreilles de sa famille par une gaffe de Kota – ou est-ce qu'elle essaye de nier ?

— C'est pour ça que tu essaies de me mettre dehors, c'est parce qu'il est là !

Oh non. Oh non, non, non, Kota, non.

— Kota, ce n'est pas ce que tu crois !

Eri est piégée ; elle reconnaît la lueur de malice dans les yeux de Kota. Il est certain de sa déduction et, sans méchanceté, il voudra forcément en savoir plus. Un soupir lui échappe, avant qu'elle ne prenne appui sur le canapé.

Elle ne voulait pas en arriver là, mais elle n'a pas le choix.

— Oh et puis merde. Bucky, s'il te plaît, tu peux venir ?

La porte de sa chambre s'ouvre ; Bucky ricane en passant le chambranle et elle le foudroie du regard. Un peu de soutien ne serait pas malvenu, merde !

— Et ça te fait rire, en plus. Fais-moi donc regretter de t'avoir sauvé la vie.

— Désolé. C'est nerveux. Ça devait finir par arriver.

Bucky hausse les épaules avec un air désolé. Eri soupire, glissant une main dans sa poche, avant de les présenter l'un à l'autre en les désignant tour à tour.

— Kota, je te présente le Sergent Bucky Barnes. Bucky, mon meilleur ami Izumi Kota.

Kota plisse les yeux, avant de réaliser. Eri aurait dû se douter qu'il ferait le lien ; il a étudié à l'Académie du SHIELD, avant qu'Hydra ne détruise l'organisation de l'intérieur. Il a forcément étudié les Commandos Hurlants à un moment donné ; beaucoup de tactiques du SHIELD ont été modelées sur les actions de Captain America et de ses hommes.

— Attends, Barnes comme… Eri, dans quoi tu t'es fourrée ? Il est censé être mort !

— La poisse familiale, Kota, la poisse familiale.

— Dis-moi que tu as au moins prévenu ton père, ou Izuku, dis-moi que tu n'as pas gardé ça pour toi !

Son silence trahit Eri ; Kota soupire, passant une main devant son visage. La lassitude se lit dans ses yeux, alors qu'il pose ses poings contre ses hanches, réprobateur.

— Tu dois le faire. Il n'est peut-être pas celui qu'il prétend être.

— Il n'a prétendu à rien, Kota ! C'est moi qui ai deviné avec les informations que j'ai obtenues ! Va donc dire à Captain America qu'il s'est trompé, tiens ! s'emporte Eri.

Elle étouffe les doutes qui lui murmurent qu'elle-même a pu se tromper en établissant des liens. Certes, tout converge, mais si ce n'était qu'un énorme enchaînement de coïncidences ? Si elle avait tort depuis le départ ?

— … Rogers est au courant qu'il est ici ?

Bucky souffle, avant de se placer entre Kota et Eri, comme pour tenter d'apaiser la situation.

— Non. Personne n'est au courant. Et pour l'instant, c'est mieux comme ça. J'ai encore besoin d'un peu de temps, petit. Dès que je serais prêt, Eri contactera Steve. Je te le promets.

Kota l'observe de haut en bas, avant de lever les bras au ciel, décidant visiblement de lâcher l'affaire.

— Très bien, très bien, tant que ta présence m'empêche pas de me prendre une cuite de thé en râlant sur mon ex auprès d'Eri, j'ai rien à dire !

— Une cuite. De thé.

Bucky hausse un sourcil, avant de se permettre un fin sourire.

— Je comprends mieux pourquoi vous êtes amis.

— Le trilobite, va te fossiliser, tu veux ? râle Eri.

Kota la trahit en riant allègrement ; elle lui marche sur le pied, avant d'aller faire bouillir de l'eau.

Ça s'est plutôt bien passé, dans l'ensemble, non ?

.

Bucky reste figé devant l'homme qui s'installe sur le canapé du salon comme s'il était chez lui. Eri est encore plus blanche que d'habitude, à deux doigts de s'évanouir. L'intrus semble avoir depuis longtemps perdu toute la mélanine de ses cheveux et de sa barbe ; pourtant, sa silhouette titille la mémoire de l'assassin.

Est-ce qu'il est censé le connaître ?

— Kota a kafté, hein ? finit par soupirer Eri.

— Non. Tes recherches sur le Soldat de l'Hiver, par contre… soupire l'inconnu. Tony m'a demandé de venir voir comment tu allais. Eri, franchement, à quoi tu pensais ? Je veux bien qu'après avoir compris qu'il était Bucky, tu n'as pas pu t'empêcher de l'aider, mais avant ? C'est un assassin, bon sang ! Quand est-ce que tu considéreras ta vie comme aillant de l'importance ?

— Après ce que j'ai fait, Dugan, vraiment ? J'ai autant de sang que lui sur les mains et tu le sais. Je me suis vue en lui ! Je ne pouvais pas rester sans rien faire ! Ils l'ont manipulé, torturé, ils lui ont lavé le cerveau et tu voulais que je le jette dehors ?

Dugan ? Bucky reconnaît ce nom.

C'est un membre des Commandos Hurlants.

C'est un de ses vieux amis.

Bucky aurait tant voulu le revoir autrement.

— J'aurais aimé que tu en parles à un adulte, Eri.

— Mais je suis une adulte ! C'est toujours quand ça vous arrange que je suis encore une enfant !

Bucky doit intervenir. Il voit les larmes dans les yeux de son amie, les tremblements de ses mains. Sa colère – ou est-ce de la peine ? – la secoue ; il n'aime pas la voir dans cet état. Il craint qu'elle se gratte à nouveau jusqu'au sang, inconsciente du mal qu'elle se fait. Sans un mot, il se déplace jusqu'à la cuisine, prépare un thé alors que Dugan et Eri se font face en silence.

— Je suis désolé si je t'ai blessé, Eri, reprend plus doucement Dugan. J'aurais aimé que tu en parles à une autre personne, que tu n'affrontes pas ça toute seule.

— Je suis la seule qui peux le comprendre. Vous ne pouvez qu'imaginer ce qu'on ressent lorsqu'on a des dettes qu'on ne pourra jamais payer.

— Je ne le nie pas. Mais je ne peux qu'imaginer la peur que tu as dû affronter à mesure que les jours passaient et que tu repoussais sans cesse le moment où tu te confierais à quelqu'un. Je me trompe ?

— Je… Je voulais le dire à Papa, après Noël. Puis je suis tombée sur la vidéo et… J'ai su que je ne pouvais pas. Il est en colère ?

— Je viens de découvrir que tu es la mystérieuse personne qui héberge Bucky dont Steve n'arrête pas de parler, choupie, Tony n'est pas au courant. Et personne ne le sera pas si tu ne le veux pas.

— Vraiment ?

— Eri, s'il y a bien quelque chose de fragile chez toi, c'est la confiance que tu places chez les autres. Je ne suis pas assez stupide pour la briser.

Bucky dépose la tasse de thé devant Eri, qui lui adresse un regard reconnaissant. Dugan observe leur interaction silencieuse en tapotant la table du doigt. À cet instant, il aimerait avoir ses souvenirs pour avoir une idée de comment se comporter, de comment l'homme devant lui compte gérer la situation.

L'assassin est responsable de tout ce bordel ; c'est à lui de prendre le blâme, si blâme il y a.

— Je ne veux pas qu'Eri ait des ennuis pour m'avoir hébergé et aidé.

— Elle n'en aura pas. Comme je l'ai dit, personne d'autre ne le saura si elle le souhaite.

— Alors pourquoi êtes-vous en colère ?

— Les tendances de sa famille à faire passer la vie des autres avant la sienne m'agace fortement. Entre son père, son oncle et elle, on a pas le cul sorti des ronces, soupire Dugan. Ce n'est pas spécialement contre elle.

Eri esquisse une grimace gênée et Bucky lève la main pour lui serrer l'épaule. Elle lui sourit doucement, avant de se saisir sa tasse et de cacher son visage dedans. La situation doit lui être bien plus pénible qu'elle ne le montre.

— Qu'est-ce qu'il va se passer, maintenant ? Je ne peux…

Bucky souffle, alors qu'il tente de trouver les mots les plus justes.

— Je ne me sens pas encore capable d'affronter Steve. Pas en ayant perdu tous mes souvenirs. Et je ne sais pas s'il y a vraiment un futur pour moi.

— J'ai peut-être une proposition à vous faire. À tous les deux.

— Je vous… Je t'écoute ? Je te tutoyais, avant ? hésite Bucky.

— Tu m'insultais même de pochtron, l'Américain, je crois que je peux supporter que tu ne sois pas poli avec moi.

Eri ricane, peut-être bien plus de nervosité que d'amusement, mais c'est déjà ça. Bucky sera plus rassuré lorsqu'elle sera de nouveau détendue. Il lui adresse un regard en coin, avant de faire signe de la tête pour que Dugan continue.

— L'oncle d'Eri tient un orphelinat du genre particulier, pour les enfants qui ont développé un Alter bien trop puissants pour eux. Cela permet d'éviter qu'ils ne se fassent embrigader par des organisations plus ou moins honnêtes et de leur apprendre à contrôler leurs pouvoirs dans un environnement sain.

— Mais les Alters ont disparus, non ?

— Ils commencent à réapparaître, chuchote Eri. Surtout les plus puissants.

Elle touche pensivement sa corne ; sans doute est-ce lié à son Alter et Bucky comprend soudain qu'elle est concernée. Pourtant, jamais il ne l'a vu en faire usage. Est-elle terrifiée par son propre pouvoir ?

— Tu pourras prendre le temps qu'il te faut te remettre, là-bas, reprend Dugan. Et peut-être pour assimiler tes souvenirs.

— Assimiler ? Qu'est-ce que…

Le regard de Dugan se pose sur Eri. Est-ce que son Alter pourrait lui rendre ses souvenirs ? Mais pourquoi en aurait-elle peur si c'était ça ? Pourquoi ne le lui aurait-elle pas proposé avant, dans ce cas ? Il doit lui manquer des données.

Quoi qu'il en soit, Bucky n'obligera Eri à rien. Il peut avancer sans ses souvenirs, même s'il préférerait les avoir.

— Eri ? C'est ton Alter, ton choix. Je suis surpris que tu n'y aies pas pensé.

— Tu me demandes de l'utiliser. Il n'a jamais fait que des horreurs.

— Je ne pense pas que Mirio dirait la même chose.

— Il n'aurait pas eu besoin de moi si je n'existais pas en premier lieu.

Bucky hésite, pesant le pour et le contre, avant de chuchoter :

— Qu'est-ce que fait ton Alter, exactement ?

— Il rembobine les êtres vivants. Jusqu'à un point dans son passé… Ou jusqu'au néant.

Il réalise pour ça qu'Eri se considère comme une meurtrière. C'est déjà arrivé, au moins une fois, peut-être plus. Elle est traumatisée par son propre Alter.

Elle pourrait le rembobiner avant les horreurs d'Hydra.

Bucky déteste Dugan pour lui présenter une possibilité pareille.

— Tu n'as pas à accepter, Eri. Je peux vivre sans souvenirs. Je ne veux pas que tu te forces alors que ça te fait peur.

— Tu te souviendras de tout si je fais ça, Bucky. De tous les morts dont tu ne te rappelles pas.

— Et je pense que c'est une punition acceptable pour mes crimes. J'imagine que tu voudrais oublier tes propres péchés, Eri. J'imagine que tu m'envies. Mais j'ai fait des choses horribles sous le contrôle d'Hydra. C'est trop simple de ne rien savoir, c'est trop simple de pouvoir se dire qu'on a rien fait. Manipulé ou non…

— C'est ta responsabilité et tu veux l'endosser, murmure Eri. Ouais, je comprends. Je fais exactement la même chose, je serais mauvaise de vouloir te le reprocher. Est-ce que je peux y réfléchir ?

— Aussi longtemps que tu le souhaiteras. Je serais chez ton oncle si tu me cherches.

Il est temps que Bucky laisse Eri tranquille. Si Dugan est au courant, il est certain que la jeune fille sera bien protégée. Hydra ne l'atteindra pas. Il est temps d'avancer.

Il est temps de commencer à payer pour ses crimes.

.

— Hey. Ça fait longtemps que je ne suis pas venue te voir, non ? Depuis la réussite de mes examens l'année dernière, je crois. C'est long, six mois, j'en ai bien conscience.

Eri dépose la gerbe de fleurs sur la tombe d'Aizawa, toujours bien entretenu malgré les années. Yamada et Hitoshi viennent sans doute plus régulièrement qu'elle. Un soupir lui échappe alors qu'elle s'assoit sur les graviers devant la tombe, ses yeux se perdant sur la photo de l'ancien héro présente sur la pierre tombale.

Même si Tony est un père formidable, parfois, elle se demande ce que ça aurait été de vivre avec Aizawa, de ne jamais craindre son Alter parce qu'il aurait été là pour l'arrêter Elle aurait sans doute eu des chats plus tôt, elle aurait sans doute été réveillée le matin par la voix de Yamada et l'odeur du café. Peut-être qu'elle aurait pris son habitude de dormir n'importe où.

— J'étais occupée à sauver quelqu'un, tu sais. À lui tendre la main pour qu'il sorte de l'ombre, comme Izuku et Mirio ont fait pour moi.

Si elle n'était pas tombée sur Bucky, ce soir-là, que serait-il advenu de lui ? Est-ce qu'il aurait survécu ? Est-ce qu'il aurait continué à fuir et à combattre Hydra sans jamais se reposer ? Est-ce qu'il aurait pu reprendre contact avec Steve ? Elle est heureuse d'avoir piraté le téléphone de Captain America à l'aide de Jarvis pour obtenir son numéro ; Bucky a l'air heureux lorsqu'il envoie des messages à son vieil ami.

Eri espère que ça l'aide à tenir le coup. Elle ignore comment ça se passe avec son oncle Izuku. Elle n'a pas osé appeler.

— Je suis lâche, je crois. J'ai peur, si tu savais. Tu n'es plus là pour m'arrêter si je dérape, pourtant je sais que je contrôle mon pouvoir. J'ai réussi à rendre son Alter à Mirio, après tout. J'aurais sans doute pu rendre ses ailes à Hawks si j'en avais eu le temps, j'aurais pu rendre sa jambe à Maman.

Il y a des sanglots dans sa gorge qui ne veulent pas sortir. Si elle accepte de soigner Bucky, n'est-ce pas une trahison envers ses proches qui pourraient en profiter ? Sa mère pourrait retrouver sa jambe, Izuku son bras et sa jambe aussi, Keigo ses ailes. Pourquoi son ami passerait avant eux, après tout ?

— Je ne veux pas choisir entre qui je soigne et qui je laisse amputé d'une partie de lui. J'ai peur qu'ils me disent tous qu'ils peuvent faire avec. Qu'est-ce que tu ferais, à ma place ?

Elle pourrait sans doute aussi soigner le cœur de son père. Le réacteur Ark a laissé des traces, même s'il ne le porte plus. Elle pourrait effacer ses cicatrices de l'Afghanistan. Elle pourrait aider tant de monde, et pourtant.

— Est-ce que ça fait de moi quelqu'un d'égoïste ? Est-ce que je ne devrais faire comme Papa, m'afficher au monde entier et aider tous ceux qui viennent à moi ? Mais ça serait aussi attirer des convoitises, n'est-ce pas ? Et puis, ils sauraient tous que je suis l'Annihilatrice. La Voleuse d'Alter.

Eri resserre ses genoux contre elle. Pendant un temps, lorsqu'elle n'avait plus son Alter, elle se fichait bien de comment les gens l'appelaient. De toute façon, pour la plupart de ceux qu'elle rencontrait en face, c'était « Mademoiselle Stark ». Elle préfère tout de même utiliser le nom de famille de sa mère, c'est plus discret. Les Américains la connaissent surtout sous son pseudonyme d'héroïne qu'elle a réutilisé en tant que catcheuse, soit sous le nom de Rumi Stark.

Ce qui assure à sa fratrie une certaine tranquillité à l'école, elle doit bien l'avouer.

Mais désormais, lorsqu'elle se regarde dans le miroir, certaines nuits, ce n'est plus la gentille petite héritière Stark qu'elle voit, mais la personne qui a détruit des millions de vies.

— Je ne veux plus être le monstre.

— Si ça peut te rassurer, tu ne l'as jamais été. Pas à nos yeux en tout cas. Le monstre, c'est All for One ou Overhaul. Pas leurs victimes.

— Hitoshi !

La main de l'ancien apprenti héros se pose sur son crâne, alors qu'il s'assoit à côté d'elle. Elle pose sa tête contre son épaule en silence, appréciant sa présence réconfortante. Il fait partie de ceux avec qui Eri est à l'aise et dont elle ne craint nullement le jugement.

— Tu es là depuis longtemps ?

— Depuis que tu te traites d'égoïste.

— Qu'est-ce que tu en penses, toi ?

Un soupir échappe à Hitoshi, alors qu'une ombre passe dans ses yeux. Est-ce qu'Eri aborde sans le savoir un sujet douloureux ?

— Ne cherche pas à plaire aux gens. Il y a aura toujours un mécontent. Regarde ton père ; il a beau sauver le monde, dès que quelque chose part de travers, c'est tout de suite sa faute.

— Tu parles d'Ultron ?

— Ouaip. Il a merdé, je le nie pas. Mais il n'était pas le seul et il a réparé ce qu'il a fait. Oui, il y a eu des victimes. Il a assumé, il a payé les réparations, les funérailles, il a assuré aux familles des victimes un soutien financier. Ça ne ramènera pas les morts, certes. Mais il est le seul à porter le blâme.

— Parce que les gens ont toujours eu l'habitude de le blâmer quoi qu'il arrive, n'est-ce pas ? Parce qu'il est…

— Il est comme moi, d'une certaine façon. Le mouton noir. La cible facile pour x ou y raison, le bouc émissaire. Banner a aussi participé à créer Ultron, mais personne ne le cite, jamais.

— Alors qu'est-ce que je devrais faire, à ton avis ?

— Tu sais, tes parents, Keigo, ils connaissent tous ton Alter. Ils savent que tu l'as récupéré. Ils ne t'ont rien demandé pour autant. Tu ne peux pas aider les gens qui ne le veulent pas, Eri, comme tu ne peux pas te tuer à la tâche pour sauver les gens. Tu veux mon avis ? Utilise ton pouvoir que pour les gens que tu en estimes digne et qui t'en font la demande ; les autres, envoie-les se faire foutre.

— C'est plus simple à dire qu'à faire.

— Toujours. Mais la plupart te verront comme une criminelle pour des actes faits sous la contrainte. Veux-tu vraiment aider des gens qui n'ont aucune considération pour toi en tant qu'être humain ?

— Mais j'ai tué des gens !

— Ton père aussi. Captain America, Black Window, Hawkeyes. Ils ont du sang sur leurs mains, même si c'était pour le bien commun. Et ils sont considérés comme des héros. Je n'approuve pas, quand bien même je comprends.

— Mon pouvoir est dangereux.

— Comme un couteau. Aussi utile pour étaler du beurre sur une tartine que pour poignarder.

— Tu as réponse à tout, hein, soupire finalement Eri.

Hitoshi ricane, avant de triturer entre ses doigts sa propre écharpe de capture.

— Je me suis entraîné devant la glace rien que pour aujourd'hui, tu sais.

Il lui adresse un sourire malicieux et Eri ricane, le cœur débarrassé de ses incertitudes et de ses doutes. Hitoshi la connaît bien et peut comprendre ses réflexions sur certains traits qu'ils partagent. Elle aurait mieux fait de l'appeler avant.

— Idiot.

Eri est certaine que, là où il est, Aizawa les observe avec un sourire attendri.

.

Retrouver ses souvenirs a un goût-doux amer.

Bucky ne regrette pas d'avoir demandé à Eri d'utiliser son Alter sur lui, il est heureux qu'elle ait accepté. Mais il ne pensait pas qu'il avait tué autant, qu'il avait autant souffert aux mains d'Hydra. Il est probable qu'il fasse plus de cauchemars, à l'avenir.

— Oh, la Belle au Bois Dormant est réveillée !

L'assassin tressaille et se retourne pour apercevoir Loki entrer dans sa chambre sans paraître un instant gêné. Leur première rencontre a été pour le moins chaotique ; s'il n'y avait pas eu Izuku pour le retenir et expliquer que l'extraterrestre était là pour se repentir de ses actes, il l'aurait sans doute frappé par instinct.

Il faut croire que la famille Midoriya-Stark a l'habitude de tendre la main à ceux que les ténèbres tentent d'avaler tout entier.

— Tu as vu Izuku et Shoto ? l'interroge-t-il doucement.

Loki n'aime pas lorsque ses interlocuteurs haussent la voix. Il est tendu lorsque les gens crient ou parlent fort. Bucky n'a pas besoin d'être devin pour se douter que le passé de l'Asgardien recèle de belles saloperies.

— Hum, je crois que Shoto est toujours à l'ONU, à tenter de les empêcher de mettre la main sur les Avengers. J'ai cru comprendre qu'il y avait un mauvais passif avec des héros contrôlés par une agence. Quant à Izuku, il est avec Eri.

— Comment va-t-elle ?

— Pour quelqu'un quoi ne voulait pas utiliser son Alter ? J'imagine pas trop mal. Je ne l'ai pas croisée. Elle était à New-York lors de ma tentative d'invasion, je ne voudrais pas lui faire revivre de mauvais souvenirs.

— Si tu lui avoues avoir été contrôlé, elle risque surtout de te prendre en pitié.

— Un être supérieur tel que moi, être pris en pitié ? Te moques-tu donc de moi, mortel ?

— Je n'oserai pas. Par contre, me moquer du tout jeune adulte incapable de résister aux pâtisseries terriennes, totalement.

Loki lève son majeur – les adolescents de l'orphelinat exercent une mauvaise influence sur lui, décidément – et Bucky rit doucement. Il n'aurait pas pensé trouver ici un Asgardien en disgrâce, encore moins quelqu'un qui s'est aussi retrouvé à faire des choses terribles sans avoir réellement le choix.

Il comprend mieux Eri, maintenant. C'est à la fois un soulagement et une souffrance de trouver quelqu'un qui a vécu des choses semblables, parce qu'on voudrait l'aider sans savoir comment.

— Tu crois qu'elle aura des ennuis pour t'avoir aidé ?

— S'il y a bien une chose que je ne doute pas, c'est la capacité des Midoriya-Stark à faire disparaître tout ce qui ne les arrange pas. Après tout, ça fait quoi, quatre ans que tu échappes aux Avengers et à ton père en étant ici ?

— À peu près. Je crois que je ne remercierai jamais assez Izuku d'avoir été dans la Tour lorsque j'y suis rentré et de m'avoir frappé assez fort pour que je reprenne mes esprits.

— Finalement, leur poisse fut notre chance, tu ne trouves pas ?

Bucky observe au loin la mer turquoise, où joue des adolescents et des enfants de l'orphelinat. Combien d'entre eux auraient pu tourner comme Eri si Izuku ne les avait pas pris en charge ? Combien auraient pu devenir des armes au service d'une organisation ou d'un pays ? Ce n'est pas juste de la chance.

Sans les choix d'Izuku, leur destin aurait sans doute pris un tour bien différent. Aurait-il connu Loki, dans un monde où Izuku n'aurait pas survécu ? Aurait-il connu Eri ? Aurait-il retrouvé Dugan, ses souvenirs ? Aurait-il pris le temps de renouer avec Steve ou se serait-il retrouvé dans le pétrin et obligé de s'accrocher à lui avec une confiance fragile ?

— Un peu, oui.

Leur discussion est interrompue par un bruit sourd dans le couloir. Bucky et Loki échangent un regard, avant que ne retentisse le rire clair d'Izuku et un ricanement que l'assassin reconnaît comme celui d'Eri.

Lorsque Bucky ouvre la porte, un jeune homme est étalé au sol, ligoté par l'arme de capture d'Eri ; cette dernière est assise sur lui, jouant avec une pomme, alors qu'Izuku est hilare à quelques pas. L'ancien héros essuie les larmes à ses yeux de sa main mécanique, avant de se pencher vers le jeune adulte saucissonné.

— Je t'avais prévenu que même ta vitesse ne te ferait pas échapper à Eri si tu lui piquais son petit-déjeuner, Pietro.

— Vous ne m'avez tout de même pas sauvé la vie pour qu'elle m'humilie, si ? grogne le dénommé Pietro.

Eri ouvre la bouche pour répondre ; elle croise le regard de Bucky et se relève d'un bond, son prisonnier visiblement tout oublié.

— Bucky ! Est-ce que ça a marché ? Est-ce que j'ai réussi ? Est-ce que tu vas bien ?

— Est-ce que toi, tu vas bien ?

Eri se fige, avant qu'un sourire immense ne traverse son visage.

— Oui. Grâce à toi, je n'ai plus si peur d'utiliser mon Alter. Et Izuku m'a demandé de veiller sur cette tête de pioche.

Elle désigne Pietro d'un mouvement vague de la main, alors que ses yeux pétillent de malice.

— Je parie qu'Eraser mettra des semaines avant de l'accepter.

— Je ne parie pas, c'est presque certain, rit Bucky.

— Et comment va Winter ?

L'assassin s'apprête à répondre, lorsqu'il sent le regard incrédule de Loki dans sa nuque.

— Un problème ? demande-t-il en se tournant à demi vers lui.

— Tu as appelé Winter un chaton blanc. Quel manque d'originalité.

— Je t'aurais connu plus tôt, je l'aurais appelé Loki, il est aussi dramatique qu'une personne de ma connaissance.

— Et la dite-personne aime autant les caresses ou non ?

Le sourire d'Eri est ingénu ; Izuku, Loki et lui s'étouffent pratiquement avec leur salive. Izuku gagne même quelques teintes de rouges sur ses joues, tandis que Loki détourne prudemment les yeux. Eri les fixe tour à tour avec incompréhension.

— Qu'est-ce que…

Son visage s'éclaircit alors qu'elle comprend.

— Oncle Izuku est polyamoureux. Je sais que Shoto n'est pas contre une relation multiple, ils ont déjà essayé. Ne me dites pas…

Un ricanement lui échappe.

— Je ne dirais absolument rien à personne tant que vous tâtonnerez, les garçons, mais je veux être la première au courant si ça devient officiel !

— Sale môme, grogne Bucky.

L'assassin ne saurait même pas dire ce qu'ils sont. Il apprécie la compagnie de Loki parce qu'ils se ressemblent ; il aime passer du temps auprès de Shoto et Izuku parce qu'ils lui donnent la sensation d'être humain et non pas la marionnette d'Hydra.

Ils n'ont encore jamais discuté de ce qui vibre entre eux lorsqu'ils sont ensemble et Bucky aurait aimé ne pas avoir à y réfléchir maintenant.

— Vieux fossile !

Eri lui tire la langue et il se contente de lever les yeux au ciel ; il a l'habitude, maintenant. Ce serait presque triste si elle abandonnait les surnoms liés à son grand âge maintenant. L'étudiante arbore tout de même un air plus doux ensuite, alors qu'elle glisse ses mains dans ses poches.

— Bucky ? Merci d'avoir saisi ma main et de m'avoir fait confiance.

— Merci à toi de m'avoir tiré vers la lumière, Eri. J'essayerai d'en être digne.

— N'essaye pas, sois-le.

Eri lui sourit, alors qu'elle attrape d'une main Pietro pour le remettre sur ses pieds, avant de le traîner derrière elle dans le couloir. Elle les salue de la main, commençant à s'éloigner.

— Bonne journée, Izuku, Loki. À la revoyure, le trilobite !

— À jamais, le doc !

La jeune femme rit ; le soleil illumine le couloir et le futur qui s'ouvre devant Bucky.

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