Écrit par HateWeasel
119. Mon Cher Ennemi.
Les élèves travaillant sur la maison hantée étaient impatients de voir ce que le garçon à la cravate rose avait ramené. Ses cheveux étaient en bataille, il avait des cernes, et il n'arrêtait pas de bailler. Kristopherson n'avait vraisemblablement pas eu assez de sommeil en travaillant sur ses costumes. Toujours est-il que le résultat était fantastique. Tous les costumes étaient de très bonne qualité, toutes les coutures et les détails étant parfaits. Même les vêtements qui étaient censés être « déchirés » et « abîmés » étaient parfaits dans leur imperfection. Il était bel et bien le« fils d'une déesse de la mode ».
Ceux qui devaient apparaître sur le devant de la scène essayèrent leurs costumes avec enthousiasme tandis que ceux qui étaient censés travailler en coulisses s'arrêtèrent un moment par curiosité. Kristopherson avait une malle remplie de vêtements avec lui, tous les costumes étaient étiquetés avec le nom de la personne qui devrait le porter. Il se tenait à côté de la malle et appelait les élèves pour qu'ils viennent récupérer leurs costumes ainsi que les accessoires qui allaient avec avant de repartir les essayer.
Le faux-blond s'arrêta un instant afin de se frotter les yeux pour rester éveillé. Il prit un costume au hasard de la malle et cria :
- Daniel ! Viens prendre ton déguisement !
Puis il prit les accessoires assortis sur une table non loin. Il s'agissait d'un ensemble d'armure allant parfaitement avec le thème médiéval, composé de véritables cottes de mailles qui avaient sans l'ombre d'un doute pris une éternité à être confectionnées. La tunique était noire avec une croix rouge, ainsi que du faux sang étalé de manière stratégique pour donner l'impression d'un retour de guerre. Il y avait des gantelets, des épaulières, et bien évidemment une épée, le tout fait de métal peu solide et bon marché, mais toujours plus saillant que du plastique. Ce qui complétait le costume, cependant, c'était le heaume. C'était un heaume standard, mais Kristopherson avait d'une manière ou d'une autre réussie à donner une forme de crâne à la visière. Ce n'était pas un simple costume. C'était un chef-d'œuvre.
Daniel semblait plus qu'enthousiaste avec la tenue, étant donné qu'il se mit immédiatement dans « la peau du personnage », maniant la fausse épée dans tous les sens. Normalement, ce genre de comportement aurait fait réagir Kristopherson, mais ce dernier consacrait toute son énergie à la distribution des costumes, laissant Lawrence le gronder.
- Audrey ! cria le faux-blond, costume et accessoire en mains.
Le garçon au bonnet-crâne s'approcha pour tout récupérer avant de disparaître dans les « vestiaires ».
Lorsqu'il ressortit, personne ne fut en mesure de le reconnaître. Tout d'abord, ses cheveux n'étaient plus devant son visage, révélant ses yeux multicolores, ce qui était intentionnel. Kristopherson avait fait le couvre-chef qu'il portait, une sorte de crâne de grand canin, afin de mettre sa frange en arrière étant donné que ses yeux étaient la pièce maîtresse du costume. C'était un manteau avec une doublure ayant presque l'air d'un uniforme militaire, d'une couleur nuit ornée d'orange, avec ce qui semblait être une cage thoracique s'enroulant autour, peinte afin de ressembler à de véritables os. Audrey était à la hauteur de son surnom avec tous ces os présents sur le costume. Sur son épaule droite, il y avait le crâne d'un autre animal inconnu, plus petit que celui sur sa tête, et sur son épaule gauche reposait une cape semblable à une toile d'araignée, attachée par un fil doré-orangé. Bien que le garçon ressortait du lot de chevaliers, il semblait être le maître du château, une sorte de prince de la Mort, si vous préférez. Alors que le costume était impressionnant, celui qui le portait ne semblait absolument pas convaincu.
- Tu es sûr que je peux vraiment y arriver ? demanda-t-il à un certain blond.
Alois lui sourit et lui tapota le dos.
- Ne t'inquiète pas ! Laisse le personnage te posséder, et tout ira très bien ! dit-il.
- « Posséder » ? répéta Audrey. Alors... Imaginer que je suis vraiment la personne qui porterait ça, tu veux dire ?
- Précisément, mon ami squelettique. Tu ne peux pas avoir peur si ton personnage n'a pas peur, expliqua le blond.
Il releva les yeux lorsqu'il entendit le garçon somnolant l'appeler. Il regarda de nouveau l'autre garçon, lui adressant un pouce levé avant d'aller chercher son propre costume.
La tenue lui fut rapidement montrée, et il la reconnut instantanément.
- C'est... s'estompa-t-il, choqué de voir cela ici.
- Hum ? Ouais. Je me suis basé sur le fantôme du manoir hanté où on est allés. Je n'arrivais pas à penser à quoi que ce soit d'autre, dit Kristopherson, occupé à fouiller dans la malle.
Alois passa sa main sur le tissu où il y avait du sang « minutieusement » éparpillé, avant de s'arrêter à une tâche particulièrement grande sur l'abdomen, du côté droit.
- Eh... Kris... commença-t-il.
- Quoi ?
- Est-ce que... tu sais quelque chose sur ce garçon ? demanda Alois avec hésitation, suspectant quelque chose en regardant les marques du le costume. Le garçon du tableau ?
Kristopherson marqua une pause avant de répondre.
- Oui, dit-il. Il a une de ces histoires. Je l'ai lu dans le journal que Preston a trouvé dans un bureau du manoir.
Un journal ? Quel journal ?
- Où est-il ? Je... s'estompa le blond, cherchant une excuse. Je veux en savoir plus sur lui pour m'imprégner du personnage.
- Attends un peu, dit l'autre garçon en donnant d'autres costumes. Il est dans mon sac. Va te changer, et je te le donnerai après.
Eh bien, c'était plus facile que prévu. Habituellement, Kristopherson aurait suspecté quelque chose, ou il aurait été réticent, disant quelque chose comme « tu ne peux pas juste inventer un truc ? ». Mais non, aujourd'hui il était coopératif, probablement parce qu'il était si fatigué.
Alois fit ce qui lui était dit, mettant le costume et se regardant dans le miroir. Bon sang, c'était une vision qu'il ne voulait pas revoir. Il portait un manteau violet qui s'arrêtait après le fessier et s'ouvrait en bas, une chemise blanche et un ruban noir autour du cou. Le veston avait une doublure et était vert, avec des lignes noires verticales et un col noir, et il était également tâché de faux sang sur la zone de l'estomac. Il ne portait pas de short, cependant. Il portait un pantalon gris foncé qui rentrait dans ses bottes marrons ornées de rubans violets. Exactement comme ce jour-là.
Ce jour, pas celui d'avant, ni celui d'après, mais ce jour, ce jour où son rival, son adversaire, sa Némésis, son actuel petit ami l'avait mortellement blessé. C'était le jour antérieur à cet autre jour, où il avait été tué par son propre majordome. Il s'agissait également d'un jour précédent celui où il avait pris possession du corps de son ancien adversaire et qu'il avait souhaité se venger de son majordome, et de celui du Phantomhive en faisant un nouveau pacte avec sa bonne. Ce fut ce jour que le blond avait supposément disparu du monde des mortels pour de bon, avant de se réveiller dans le sous-sol du Phantomhive, presque un siècle plus tard.
Tous ces souvenirs refirent surface dans son esprit alors qu'il regardait le garçon dans le miroir, qui en retour, le regardait également, d'un air presque moqueur. Il détestait ce visage. Il détestait ce garçon et tout ce qu'il était. Ce n'était pas lui – plus maintenant, et pourtant il était là, sortant de nulle part, sans y être invité. La furie d'Alois s'amplifia lorsque le garçon se mit à pleurer.
Des larmes coulèrent le long de son visage, alors qu'il fixait le garçon. Il fronça les sourcils et serra les dents de manière menaçante face au garçon dans le miroir, son expression passant de l'incrédulité à la rancœur. Le garçon dans le miroir, en retour, en fit de même, imitant le blond. Finalement, Alois sentit quelque chose de chaud et d'humide sur ses joues. Il mit une main sur sa joue, et réalisa qu'il était en train de pleurer. Il était le garçon dans le miroir.
Sa rage et son cœur s'arrêtèrent momentanément. Le garçon du miroir ne vivait-il pas dans le passé ? Il n'existait pas ici, pourtant il était là. Pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-il simplement pas rester là où était sa place, et laisser le pauvre blond seul ? C'était comme si le garçon du miroir refusait de mourir, comme Alois.
- Eh, Alois ? Es-tu là ? l'appela une voix familière, le tirant hors de ses pensées.
Il s'agissait de la voix de son cher rival, Ciel Phantomhive.
- O-Oui. J'étais sur le point de sortir, dit le blond d'une voix tremblante alors qu'il sortit de la petite structure en forme de tente qui faisait office de cabine d'essayage.
Il ouvrit le rideau et fit face au garçon, ce dernier ayant l'air aussi surpris que lui. Ciel s'était apparemment habillé dans une autre cabine, et il était également vêtu d'une tenue similaire à celle qu'il aurait porté durant les bons vieux jours. Il portait une veste bleue foncée avec un col noir, dotée d'une doublure, et un bout de tissu noir faisant tenir le costume à l'avant ainsi que des manchettes noires aux poignets. Il avait une chemise blanche en-dessous et un ruban bleu atour du cou, attaché avec un petit noeud. Il portait un pantalon s'arrêtant à ses chevilles, ainsi que des chaussures noires. Il avait du faux sang étalé sur son torse comme s'il s'était battu, et du rouge autour de la manchette gauche. Tout cela était si familier.
Ils ne firent que se regarder pendant un moment, essayant d'encaisser le choc. Ils ne se tenaient plus comme Ciel Phantomhive et Alois Trancy : élèves de Warwick et amants. Désormais ils étaient Ciel Phantomhive et Alois Trancy : ancien rivaux. Était-ce réellement le cas, cependant ? Ils ne voulaient ni l'un ni l'autre que ce le soit, mais c'était ce que leurs souvenirs racontaient.
Ils s'observaient, s'attardant sur chaque détails, remarquant ce qui avait changé et ce qui n'avait pas changé, leurs regards se posaient à divers endroits de l'un et de l'autre, avant qu'ils s'arrêtent tous les deux à leurs visages qui avaient légèrement changés. Pour une raison quelconque, ils semblaient plus âgés que ce dont ils se souvenaient.
- Alois, tes yeux, dit finalement Ciel en remarquant les rougeurs gonflées autour des yeux du blond.
Il savait que le garçon avait pleuré en se voyant dans cet accoutrement. Il était un peu remonté contre Kristopherson, même si ce dernier n'avait pas pu s'en douter. Alois toucha le dessous de ses yeux et il sentit le léger gonflement humide avant de l'essuyer.
- Je vais bien, dit-il en s'essuyant le visage avec sa manche. C'est juste... C'est juste que...
Il n'y arrivait pas. Il n'arrivait pas à inventer une excuse de toute pièce comme il le faisait d'ordinaire, et il eut du mal à trouver quoi dire lorsqu'il sentit une paire de bras s'enrouler autour de sa taille et le rapprocher du bleuté.
- Tout va bien, chuchota Ciel alors que le blond cachait son visage dans son épaule. Nous ne sommes plus des ennemis, alors ne pleure pas, (Il se dégagea un moment pour regarder Alois), Tu sais... dit-il, bien que ton visage attristé soit mignon, je pense que tu es encore plus mignon lorsque tu souris.
L'autre garçon s'essuya de nouveau les yeux avec sa manche, faisant disparaître l'eau qui s'y trouvait.
- C'était tellement cliché... dit-il finalement en regardant le bleuté, mettant ses mains sur ses épaules.
- Je sais. Tu vois ce que tu me fais faire ? Tu me rends niais.
Alois gloussa. Ciel Phantomhive ? Devenant niais ? Alors ça c'était un accomplissement. Ce fut tout ce qu'il fallait au blond pour comprendre qu'ils ne pouvaient plus être ennemis.
- Alors ? Tout va bien ? demanda finalement le bleuté, d'une manière quelque peu embarrassée.
- Oui, répondit Alois. Je te préfère comme ça, de toute façon. Tu étais un superbe ennemi, mais tu es encore mieux en petit ami.
Il mit ses mains sur les joues du garçon, se préparant à embrasser le bleuté, mais à peine leurs lèvres s'effleurèrent qu'ils entendirent un bruit terrifiant. Il s'agissait du cri excité d'une adolescente.
Ils se séparèrent et virent Anastasia. Elle écarquillait les yeux, le visage rouge, une main sur la bouche.
- Désolée, dit-elle. Je ne voulais pas vous interrompre... Vous savez où est Kris ?
Le bleuté fronça les sourcils et se racla la gorge pour ne pas perdre la face.
- Il dormait à l'intérieur, la dernière fois que je l'ai vu, dit-il.
- Cet idiot. Je lui ai dit d'aller dormir et d'arrêter de s'attarder sur tous les détails, dit la fille avec un soupir exaspéré. Merci. Oh, et les démonstrations d'affection en public ne sont-elles pas interdites ? les taquina-t-elle en faisant sauter le sourcil du bleuté.
Elle partit alors à la recherche de son frère dans la maison hantée. Ciel soupira d'exaspération tandis qu'elle s'en allait. Pourquoi avait-il fallu qu'elle les interrompe ? Au moment où cela devenait intéressant en plus.
Ses pensées prirent fin lorsque son compagnon blond l'embrassa sur les lèvres et lui sourit. Alois prit le poignet de son compagnon et l'entraîna dans la maison hantée afin de finir les dernières préparations pour le soir. Le Festival de Halloween de Warwick n'était plus que dans quelques heures.
