Écrit par HateWeasel
123. Un Diable De Majordome, Tu N'es Pas.
Il était midi lors du second jour du Festival annuel de Warwick Academy. Les stands qui servaient de la nourriture étaient bondés. Un certain « maid café », en particulier. Les visiteurs étaient curieux de savoir de quoi il s'agissait, alors ils s'y précipitaient pour le voir de leur propres yeux. Il y avait même la queue !
Tout le monde y donnait du sien alors que toutes les bonnes (et majordome) du personnel se démenaient afin de trouver une table aux clients, les servir, et ainsi de suite. Plusieurs clients s'asseyaient tous à une table, ce qui n'aidait pas beaucoup le travail des serveurs. Ce genre de groupes aimaient rester assis un moment après avoir commandé pour discuter, prenant donc la place d'autres personnes qui attendaient. La personne qui restait le plus longtemps, cependant, était un petit garçon borgne assis à une table pour une personne.
Il était là depuis quelques heures, lisant, discutant avec un certain majordome blond lorsque ce dernier n'était pas demandé, et buvant parfois son thé. Il en était à sa troisième ou quatrième tasse et il commençait à s'ennuyer, alors il s'occupait en observant la foule. C'était aussi fascinant que de regarder des poissons nager dans un aquarium. Son oeil visible se concentrait de temps à autres sur le majordome blond qu'il appréciait tant, seulement pour se détourner lorsque le concerné remarquait qu'il était observé.
Cependant, cela pouvait être très agaçant, parfois. Il n'aimait pas trop voir des filles draguer Alois- son Alois. Il observa le blond parler avec elles en prenant leurs commandes, les traitant poliment avant d'être ramené dans la conversation quand il tentait de partir pour donner leurs commandes en cuisine.
Le blond avait une étrange façon de leur parler. Cela sonnait très faux aux oreilles du bleuté. Tout d'abord, son accent était différent. Ciel avait l'habitude d'entendre le blond parler avec un étrange mélange d'Anglais du Nord et du Sud, mais actuellement il s'exprimait comme lors de leur rencontre, comme le ferait un aristocrate. Il avait complètement oublié cela. Le blond avait sans doute dû s'entraîner pour être capable de changer d'accent, afin de se faire passer pour le véritable Alois Trancy. Le bleuté arrivait à entendre quelques morceaux de leur discussion grâce à son ouïe supérieure, et il était agacé de voir à quel point certaines questions étaient fréquentes, telle que « que fais-tu tout à l'heure » ou « quand est-ce que tu auras fini de travailler ». Lorsqu'on lui demandait s'il était célibataire, cependant, le bleuté trouvait les réactions des filles amusantes lorsque le blond répondait : « Non, j'ai un petit ami ». Un sourire narquois apparut sur les lèvres du bleuté en entendant ces mots. Il pouvait également dire par le regard du garçon qu'il trouvait lui aussi cela amusant.
Finalement, Alois se fraya un chemin vers la table de Ciel. Il évita d'être embarqué dans une autre longue et inintéressante conversation avec d'autres clients. Il mit ses mains sur la surface de la table et s'y pencha avec un froncement de sourcil bien visible et quelque peu comique.
- J'sais pas combien de temps je vais encore tenir, dit-il de son habituel accent.
C'était en quelque sorte agréable de revoir le vrai Alois.
- Que veux-tu dire ? demanda le bleuté avec un évident sarcasme.
Il prit une nouvelle gorgée de son thé.
- Je parle de ces foutues filles ! Si on me demande encore une fois « qu'est-ce que tu fais après », je vais vomir, dit Alois en imitant la voix des filles en les citant.
- Essaye de ne pas le faire sur les clients, dit Ciel. Je pensais que tu aimais l'attention.
- Toutes les attentions n'en sont pas des bonnes.
- Passer son temps à s'attirer des ennuis compte comme une bonne attention ?
- Ciel, tu devrais savoir depuis longtemps que nous avons tous les deux une définition très flexible de ce qui est « bon ».
- Eh bien, je ne peux pas en dire le contraire, dit le bleuté en prenant une autre gorgée de son thé. Un autre ? demanda-t-il, tenant sa tasse avec un léger sourire narquois.
Levant les yeux au ciel, le blond prit la tasse et la théière en lâchant un simple et railleur « Oui, maître » avant de disparaître une fois de plus dans la foule.
Ciel ne put que se remettre à observer l'océan d'humains. Son œil trouvait parfois quelque chose de quelque peu intéressant et il s'attardait dessus un moment avant que cela ne l'ennuie. Il balaya la foule du regard une fois de plus à la recherche de quelque chose de nouveau. Finalement, il se concentra sur Kristopherson dans son uniforme de bonne, et il devait l'admettre, le faux-blond était plutôt convaincant en fille- enfin, jusqu'à ce que l'on se rappelle de ce qu'il cachait sous sa jupe.
Il parlait même une octave plus haut, et les clients semblaient y croire. Un garçon en particulier sembla convaincu. Lorsque Kristopherson passa à côté de lui, il lui donna une fessée, le faisant japper et lâcher le plateau qu'il portait. Il regarda l'homme qui riait et ses amis, les sourcils froncés, et le visage rouge. Comment osait-il ?! Jamais auparavant Kristopherson ne s'était senti aussi humilié et violé de toute sa vie.
Ce fut à son tour de rire, cependant, lorsque l'homme écarquilla les yeux de surprise et sauta de son siège, tenant son cuir chevelu désormais brûlant et recouvert de thé. Alois se tenait derrière lui, tenant dans sa main une tasse de thé vide. Le blond afficha un sourire espiègle.
- Oh, je suis confus ! dit-il en feignant l'innocence, remettant la tasse sur sa soucoupe. Ma main a glissée. Je vais vous chercher une serviette juste après avoir servi à ce client son thé.
Ciel ricana tandis qu'Alois retourna en cuisine pour prendre une nouvelle tasse de thé et tout ce qu'il lui fallait, alors que l'homme fulminait à sa place dans ses vêtements trempés. Le blond amena ensuite nonchalamment le thé à la table du bleuté.
- Désolé pour ça. Ton thé a été victime de ma vengeance, dit-il au borgne en posant la tasse.
- Je ne pense pas que ce fusse une « vengeance ». Je pense plutôt qu'il s'agissait de « défendre un ami », répondit Ciel.
- Beurk, tu me donnes l'air sympa ! dit Alois, faisant une grimace.
- Tu es « sympa » lorsque tu le veux.
- J'imagine que je n'en fais pas assez alors !
- Tu n'as pas à en faire beaucoup, Alois...
- Alors tu admets que j'ai des facilitées ?
- J'admets que tu es un idiot, dit le bleuté en prenant une gorgée de thé.
Alois le regarda faire un moment avant que le bleuté devienne confus.
- Quoi ?
- Je me demandais... commença Alois. Les démons n'ont pas besoin d'uriner, pas vrai ? Et tu as bu plusieurs tasses de thé, alors où est-ce que ça va ?
Ciel faillit recracher le liquide. Il s'essuya la bouche avec le revers de sa main.
- Qu'est-ce que c'est que cette question ?! demanda-t-il.
- Le genre de question qui m'empêche de dormir la nuit...
- Les démons n'ont pas non plus besoin de dormir...
- Mais pourquoi ?
Le bleuté se frotta les tempes. Il n'avait aucune idée de pourquoi. C'était juste ainsi que les choses étaient. Il regarda le blond et dit :
- Je te le dirai lorsque nous l'apprendrons en cours de biologie démone.
- Oh, maintenant tu fais le petit malin, dit le blond en faisant la moue.
- N'es-tu pas supposé donner une serviette à cet homme après avoir renversé du thé sur lui ?
- Nan. J'allais juste « oublier », répondit Alois, mimant des guillemets avec ses doigts autour du mot « oublier », il n'avait jamais eu l'intention de le faire. Je préfère rester ici et parler avec toi.
- Ne devrais-tu pas travailler ?
- Que vont-ils faire, me virer ? J'ai tellement peur, Ciel. Je suis bénévole, merde.
Soupirant, le bleuté était à court d'arguments. Débattre avec le blond était inutile. Il s'affala dans sa chaise, et laissa le garçon faire ce qui lui chantait. Il commençait à en avoir assez d'être assis tout seul de toute façon, et Alois avait pris une chaise pour s'asseoir.
- Je m'ennuie, geint ce dernier.
- Alors retourne travailler, dit Ciel.
- J'veux pas ! Ça m'ennuie de parler avec des prostituées !
- Ce ne sont pas des prostituées, Alois...
- Oh, ouais... dit le blond, comme s'il comprenait ce que l'autre garçon voulait dire. Les prostituées sont payées. Je suppose que ce sont juste des garces.
Ciel couvrit sa bouche d'une main et essaya de se retenir de rire. Pourquoi ce blond était-il en mesure de le faire rire avec tant de facilité ? Il s'était d'une manière ou d'une autre frayé un chemin dans les fissures du cœur du bleuté, l'avait fait tomber amoureux de lui, et désormais Alois le faisait rire, et souvent. Le blond afficha un grand sourire en voyant la réaction qu'il avait provoqué chez le garçon.
- Pourquoi est-ce que tu retiens toujours ton rire ? Tu devrais rire plus souvent, dit Alois en se penchant sur la table afin de toucher son bras.
- Je ne sais plus. C'est juste ainsi, répondit le bleuté.
Auparavant, il aurait dit « qu'il avait oublié comment sourire », mais apparemment Alois lui avait rafraîchi la mémoire. C'était probablement ce qu'il restait de cette philosophie et sa grande fierté qui le rendaient incapable de rire sans mettre une main devant son visage, ou d'admettre passer du bon temps.
- Eh bien, arrête tes conneries, Phantomhive ! Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ? plaisanta le blond, levant les bras en l'air.
- Tu sais exactement ce qui ne va pas chez moi, dit-il avec un léger sourire.
Il regarda derrière le blond et leva un sourcil.
Anastasia se trouvait derrière Alois, habillée en bonne, les bras croisés tout en arborant une expression qui ne disait rien de bon, exagérée au point où cela en était comique. Elle dirigea son irritation vers l'arrière du crâne du blond, qui n'avait étonnamment pas encore brûlé, et elle mit une main sur son épaule.
- Alois, qu'est-ce que tu fais ?! demanda-t-elle. RETOURNE TRAVAILLER !
Elle pinça l'oreille du blond et le força à se lever.
- Aïe, aïe, aïe, AÏE ! dit le blond alors qu'on le tirait par l'oreille. Attends-moi, mon amouuuur ! cria-t-il au bleuté.
Cette fois, Ciel ria sans mettre sa main devant sa bouche. Oui, il y avait du progrès.
