Écrit par HateWeasel

134. La Vie Est Amusante Ainsi.

Lorsque Kristopherson arriva au manoir, la bâtisse était aussi silencieuse que la veille avant que les invités n'arrivent. Il fut le premier à se montrer, naturellement, étant donné qu'il était ponctuel. Le manoir était plus grand que sa maison, et renvoyait une élégance ancienne que son propre chez-soi ne possédait pas. C'était silencieux. Il manquait des domestiques et de l'animation, mais il s'agissait de la demeure de démons, après tout.

Il fut accueilli par Sebastian, qui le salua poliment et le guida à travers la demeure ridiculement grande. Finalement, ils arrivèrent là où se trouvait le maître des lieux, et le faux-blond fut mené dans le bureau du bleuté. Dans ledit bureau, il vit ce dernier assis derrière son bureau, regardant l'écran de son ordinateur. Son menton reposait dans sa paume gauche, tandis qu'il se servait de sa main droite pour cliquer. Il ne sembla même pas remarquer le faux-blond rentrer.

Alois, d'un autre côté, était assis à l'envers sur l'un des canapés, les pieds en l'air, dos contre le meuble. Ses mèches blondes retombaient alors que la gravité agissait, révélant la partie de son visage qui était habituellement cachée. Il se plaignait de la qualité du canapé, disant quelque chose sur le fait que cela « endormait ses fesses ». Ciel ouvrit la bouche pour lui répondre, lorsqu'il aperçut Kristopherson se tenir dans la pièce.

- Bonjour, Kris, dit-il en détournant enfin son attention de l'appareil hypnotique.

Alois remarqua à son tour le faux-blond- ou plutôt, ses chaussures, avant de lever les yeux et de voir l'amoureux du rose le regarder comme s'il se disait qu'Alois était stupide.

- Bonsoir~ ! dit le démon blond toujours à l'envers avec un sourire.

Il se positionna afin d'être correctement assis et de pouvoir laisser une place à l'humain qui accepta l'offre.

- J'ai ouï dire par la ligne téléphonique Phantomhive que tu souhaitais savoir comment je suis encore en vie.

En effet. Le journal que Kristopherson avait lu n'était pas allé très loin après le duel entre les deux comtes il y a tant d'années de cela. Après que le majordome démon de la demeure Trancy ait relaté les quelques jours où il s'occupait du démon bleuté, il n'y avait plus rien. Plus rien d'écrit. Rien parce que le majordome, Claude Faustus, était mort peu après.

- Oui... dit nerveusement Kristopherson.

Il ne savait toujours pas trop comment se comporter en sachant que ses amis étaient de véritables démons. Tout cela était très choquant pour lui. Ça, et le fait que le contenu du journal soit quelque peu... perturbant. Il ne savait rien du passé d'Alois, comment il avait obtenu son nom, sur son frère, rien. Il avait du mal à comprendre comment le garçon pouvait ne pas avoir perdu la tête ! Cependant, Kristopherson s'était dit qu'il fallait bien être spéciale pour surmonter cela. De même, il ne connaissait pas non plus le passé du bleuté, le « roi des démons ». Il ne savait pas comment il avait eu son premier serviteur démon, ou son cache-œil. Il y avait tant de choses qu'il ignorait sur eux, mais il était déterminé à découvrir la vérité aujourd'hui, toute la vérité.

Kristopherson fut sur le point de poser sa première question lorsque la porte du bureau s'ouvrit, et derrière elle se trouvait un autre garçon. Quand il vit de qui il s'agissait, il sursauta, surpris et le nouveau venu en fit de même. Ni lui, ni Audrey ne s'étaient attendu à se voir aujourd'hui.

- Salut... dit de manière gênée le garçon au bonnet-crâne.

- Salut... ? répondit le faux-blond avant de regarder curieusement le bleuté.

Ciel fit simplement signe au nouveau venu de prendre place sur l'autre canapé.

- Qu'est-ce que tu fais ici, Bones ? demanda Kristopherson dès que l'autre garçon fut installé.

- J'avais... quelque chose à demander à Ciel, expliqua Bones. Il regarda d'un air confus le maître des lieux.

- Félicitations ! dit avec enthousiasme le blond tout en frappant des mains. Vous avez tous les deux découvert notre petit secret !

- Quoi ?! dirent en cœur les humains. Ils n'arrivaient pas à croire qu'ils étaient tous les deux au courant.

- Comme il vient de le dire, vous savez que nous sommes des démons, dit le bleuté. J'ai pensé qu'il serait plus approprié de vous le faire savoir.

- Comment l'as-tu découvert ? demanda le garçon en rose à celui au bonnet-crâne.

- J'ai interrompu un combat entre eux et un autre démon. Et toi ? répondit Audrey.

- Je l'ai découvert au match de Rugby. Ils... ont déplacé la bombe... s'estompa Kristopherson, se rappelant de l'explosion et des Dieux de la Mort.

L'idée que l'on vienne le couper à sa mort pour récupérer son âme lui donna froid dans le dos.

- Ça me fait penser... dit Audrey en portant son attention sur le bleuté. Je voulais te poser des questions à propos de ces Dieux de la Mort.

- Vas-y, répondit le bleuté. Je répondrai à toutes tes questions.

Le Phantomhive ne laissa de côté aucun détail, exposant tout ce qu'il savait sur ces créatures divines. Leurs devoir, armes, uniformes, classes, hiérarchie, et caractéristiques physiques, s'arrêtant particulièrement sur leurs yeux puisqu'il supposait que c'était ce qui intriguait le plus le garçon. Les doutes qu'Audrey avait eus depuis le soir du match de rugby contre Tamworth se confirmèrent.

Il avait les yeux d'un Dieu de la Mort. Cela expliquait pourquoi il avait pu voir cela, ce jour-là. Ces choses que Ciel appelait une « lanterne cinématique ». Désormais il savait de quoi il s'agissait. Les souvenirs des défunts examinés par les Dieux de la Mort permettaient de déterminer si ces derniers iraient au Paradisio ou en Inferno.

Tout prenait du sens pour Audrey à présent. Le bleuté avait également sa propre théorie sur ses yeux, suggérant qu'il pourrait être à moitié Dieu de la Mort. Bones n'avait jamais connu son père- son véritable père. Sa mère s'était mariée à son beau-père lorsqu'il était très jeune. La femme ne parlait jamais de l'homme qui était son père biologique. Elle ne prononçait pas même son nom. Audrey ne le connaissait que comme « cet homme », comme sa mère avait pour habitude de le désigner. Bien qu'il soit choqué, horrifié, et déboussolé, il était aussi excité. Il avait les yeux d'un Dieu de la Mort ? Il devait l'admettre : c'était vraiment cool.

- Question suivante, dit le bleuté, sortant le seul humain à part entière de son choc en apprenant comment fonctionnait la mort et la vie après la mort.

Il allait en faire des cauchemars pendant des semaines, si ce n'est des mois. Il avait été embarqué dans ce monde si soudainement, et tout était si choquant et étonnant. C'était dur d'accepter que tout ce qu'il savait du monde n'était qu'un mensonge. Les vérités universelles étaient fausses. Le fait que les monstres n'existent pas, quelque chose que la plupart des enfants « venaient » à croire, mais qui avait toujours été vrai. Kristopherson était dans une pièce remplie de ces soi-disant « monstres ».

Il ouvrit la bouche pour prendre la parole :

- Alors, si c'est comme ça que les Dieux de la Mort marchent, qu'en est-il des démons ?

Le bleuté et le blond eurent un sourire mauvais en entendant sa question, lui faisant regretter de l'avoir posée.

- Tout d'abord, expliquons comment invoquer un démon, débuta Ciel. Règle numéro un : l'humain doit être sans foi.

Règle numéro deux, dit Alois pour le bleuté en levant deux doigts devant le faux-blond. L'humain doit désespérément vouloir survivre. Ce sont les seules conditions.

- Et... Ciel et toi les avez remplies ? demanda l'humain.

- Ouaip ! Mais tu connais déjà mon histoire ! dit le blond avec un grand sourire.

Kristopherson se sentit dévasté en se rappelant de ce qu'il avait lu dans le journal. Comment le blond pouvait-il sourire en parlant de quelque chose d'aussi horrible ?

Son attention et celle d'Audrey furent attirées par le bleuté alors qu'il passa ses mains derrière sa tête afin de détacher son cache-œil, et de le retirer. Il ouvrit l'œil, et les garçons « ordinaires » écarquillèrent les yeux. Ils connaissaient enfin le secret derrière le cache-œil. Il ne s'agissait pas d'un « accident » comme il l'avait prétendu. Ils observèrent cet œil, cet œil violâtre et luisant, marqué par un pentacle.

- Après avoir invoqué un démon, reprit Ciel, on peut former un pacte avec lui. Une fois cela fait, la signature démoniaque du démon, le pacte, apparaît à un endroit choisi par l'humain. Plus il est visible, plus il est puissant. Il s'agit du mien, dit-il en pointant du doigt son œil droit. Les autres restèrent sans voix, sauf Alois.

- Le mien était sur ma langue ! dit le blond en tirant la langue de manière puérile aux invités. Il n'y est plus parce que Claude est mort.

Cela expliquait pourquoi le journal s'était arrêté aussi brutalement. Kristopherson avait montré ledit journal aux autres pour voir ce qu'ils en pensaient avant même de savoir, alors tous les Sept connaissaient l'histoire de l'ancien Alois Trancy. Il s'en voulait à présent. Ce sentiment ne disparut pas après que le Phantomhive raconte sa propre descente aux enfers.

1885, 14 décembre : un feu avait réduit le Manoir Phantomhive en cendres- le même manoir où les quatre se trouvaient actuellement, tuant le maître des lieux, Vincent Phantomhive, et sa femme, Rachel. Le corps de leur fils n'avait jamais été retrouvé, étant donné qu'il était en vie. Il avait été vendu à une secte qui souhaitait invoquer un démon pour réaliser leurs vœux. Après plusieurs mois de souffrance, le jour de sa mort planifiée arriva, mais à la place, il fut celui qui invoqua le démon.

Vous connaissez la suite.

Comment il avait encore plus plongé dans les ténèbres. Les deux démons dans la pièce racontaient chacun à leur tour l'histoire, prenant leur temps pour expliquer leur version des faits. Comment Ciel avait rencontré Alois Trancy, son désir de tuer Alois Trancy, son duel contre Alois Trancy, et comment Alois Trancy, ou plutôt, Jim Macken était mort. Ils racontèrent aux deux autres garçons de la pièce comment Jim lui avait octroyé cette nouvelle vie de démon alors qu'il cherchait à prendre sa revanche sur Claude Faustus et Sebastian Michaelis en formant un pacte avec un troisième démon, Hannah Annafellows, désormais décédée. Audrey et Kristopherson n'en manquaient pas une miette. Il s'agissait sans doute de la meilleure histoire qu'ils aient pu entendre jusqu'à aujourd'hui, et ils connaissaient les personnages principaux depuis tout ce temps. Finalement, elle prit fin lorsqu'ils arrivèrent à la partie où le blond avait été ramené à la vie en tant que démon.

- Bordel... dit le faux-blond.

Il ne pouvait rien dire d'autre. Il s'agissait probablement du secret historique le plus élaboré qu'il entendrait jamais dans sa vie. Au moins il n'aurait pas à porter ce fardeau tout seul. Audrey était lui aussi au courant. Ils porteraient tous deux ce poids sur leurs cœurs, connaissant les drames que leurs amis avaient vécus, toute la souffrance et la douleur qu'ils avaient endurées, et ils ne pourraient rien dire à qui que ce soit.

Pourtant, ils semblaient se faire à cette idée. Ils ne s'importunaient pas du fait que le duo soit des démons. Ils n'avaient pas de problème avec le fait qu'ils aient plus de cent ans (Alois, cependant, réfuterait cela en disant n'avoir techniquement « vécu » que seize ans). Tout cela leur allait. Une partie d'eux aimait savoir, tandis qu'une autre n'était pas ravie.

Audrey et Kristopherson avaient tous deux quelque part voulu rester ignorants, étant donné que à présent, après avoir découvert ce monde et y avoir posé un pied, ils n'étaient plus en mesure de faire marche arrière. Ils ne pourraient jamais oublier les deux démons. Ils ne pourraient jamais oublier l'existence des démons, des Dieux de la Mort ou bien des anges. Ils savaient des choses que les humains « normaux » ne devraient jamais connaître, et ils ne pourraient eux-mêmes jamais être « normaux » à cause de ce savoir.

- Ne faites pas cette tête là, dit finalement Alois, leur souriant. Le monde est gris, de toute façon. Il n'y a rien de complètement noir ou blanc. Il y a juste savoir et ignorer.

- Tout à fait. Vous n'êtes plus dans l'ignorance comme le reste du monde, dit Ciel. Vous finirez par vous y faire.

Kristopherson soupira.

- J'espère bien. Ça n'a pas intérêt à interférer avec ma carrière dans la mode, dit-il en passant une main dans ses cheveux.

- Sinon, Alois, qu'est-ce que ça fait de sortir avec ton ennemi juré ? demanda Bones pour plaisanter.

- C'est plutôt excitant, répondit le blond. Il offrit un sourire narquois au bleuté, faisant légèrement rougir ce dernier.

- En effet, dit Ciel avec son propre sourire espiègle. C'est particulièrement drôle lorsque Alois tente de me vaincre.

Il s'assura de mettre en avant le mot « tenter », afin de bien se faire comprendre.

- Sadique... dit le blond en faisant la moue.

- Je suis un démon, tu te souviens ?

Ils essayaient de se dominer l'un et l'autre. C'était en quelque sorte leur manière de se tourner autour. Ils étaient tous deux d'un naturel compétitif, et avaient envie de surpasser l'autre. Alois le faisait en touchant à la grande fierté du bleuté, et Ciel par l'assurance du blond. Les deux autres garçons préféraient ne pas y penser.

- Alors, euh, Alois... commença Kristopherson, essayant de changer de sujet. À quoi ressemble ta forme démoniaque ? Je n'ai vu que celle de Ciel.

Il regretta immédiatement d'avoir posé la question, quand il fut glacé jusqu'aux os par le regard du bleuté. Le Phantomhive ne voulait pas que le garçon puisse voir le blond sous cette forme. Pas alors qu'il y avait autant de peau à vue.

Audrey comprit tout de suite, ayant vu le légendaire visage démoniaque de la menace blonde.

- Tu tiens fermement ta femme, hein, Phantomhive ? demanda-t-il.

- Je ne suis pas sa femme ! rétorqua le blond.

Ses joues devinrent rouges lorsque le Phantomhive émit un bruit alors qu'il tentait de se retenir de rire.

- Oh que si, dit le bleuté avec un sourire narquois. Il était très amusé par le visage rougi du blond.

- Ferme-là.

Ce n'était pas l'habituel comportement d'Alois Trancy. C'était quelque chose que le bleuté dirait. Si Daniel avait été présent, il aurait immédiatement sauté sur l'occasion pour faire une remarque crue, mais pour l'instant, les autres ne savaient rien du secret du duo. C'était probablement pour le mieux, cependant.

Ce soir-là, Kristopherson s'allongea sur son lit et fixa le plafond en songeant à tout ce qu'il avait appris plus tôt. L'existence des démons, des Dieux de la Mort, et le passé entremêlé du duo. Il ne pourrait jamais être au même niveau. Il pensait être un cas désespéré avant, mais désormais, il savait qu'il n'avait aucune chance de se mesurer au Phantomhive. Ce fut là qu'il se résolut à finalement laisser tomber Alois Trancy.

Soupirant, il se tourna sur le côté, et fixa le mur un long moment. Il pensa à de nombreuses choses ce soir-là. Il n'était pas comme les deux autres. Il n'avait pas l'éternité pour trouver sa place dans la vie. Ses yeux marrons passèrent du mur à la table de chevet à côté de son lit, et sur le téléphone rose qui s'y trouvait. Lentement, il tendit le bras pour prendre l'appareil, s'asseyant en même temps. Kristopherson se mit alors à faire défiler ses contacts avant de s'arrêter sur un nom, « Cameron Gully ».

Après quelques instants d'hésitation, il appuya sur le bouton vert « appeler ».