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Il observa le camp des Limenes de loin. Il n'avait guère eu de mal à le trouver dans les collines. Le groupe se promenait en toute impunité sur les terres indiennes, certain que personne ne le trouverait jamais. Le Renard se faisait fort de le détromper dans les minutes à venir.
Il étudia attentivement les lieux. Des chevaux étaient attachés près des arbres à une dizaine de mètres d'un feu de camp. Là se trouvaient quatre hommes et deux femmes du clan Limenes. Plus loin, le long de gros blocs rocheux, étaient installées des cages et leurs prisonniers.
Zorro compta quatre cages. Chacune abritait entre trois et cinq personnes. Il identifia tous les disparus des environs de Los Angeles des dernières semaines. Il n'en manquait pas une. Bien, tout serait plus facile.
Il se coula entre les ombres pour atteindre les rochers. Sa silhouette invisible dans la nuit lui permit d'atteindre facilement les cages. Il fit signe de faire silence quand des prisonniers l'aperçurent. Ceux-ci hochèrent la tête et attendirent dans le calme que ses doigts habiles ouvrent les serrures des cadenas.
Il n'allait pas aussi vite que Bernardo mais il n'eut aucun mal à faire jouer les mécanismes. Il eut une pensée pour le serviteur qu'il n'avait pas vu depuis plus d'un mois. Il était heureux pour son ami. Il était tombé amoureux au cours de l'année écoulée. Silvia, la nouvelle couturière du pueblo, avait volé son cœur. Encouragés par Diego, Bernardo et elle s'étaient rapprochés jusqu'à se fiancer et se marier trois mois plus tôt.
Son ami ne voulait pas le laisser seul mais Diego avait réussi à le convaincre de s'installer chez Silvia dans un premier temps pour vivre leur vie de couple loin des perturbations. Il serait tout temps pour eux de les rejoindre à l'hacienda plus tard. Bernardo n'envisageait en effet pas de quitter la famille de la Vega, son emploi et plus encore le rôle auprès de Zorro. Diego avait eu toutes les peines du monde à le convaincre que le don comme le justicier pouvait se passer de ses services pendant quelques mois. Et puis ce n'était pas comme si Bernardo n'était jamais à l'hacienda, il y était simplement moins souvent et arrivait le matin pour partir le soir rejoindre sa femme quand c'était le cas.
Silvia avait de la famille au Mexique. Trop éloignée, elle n'avait pas pu être présente au mariage, ce que la couturière regrettait. Bernardo et elle avaient donc décidé de se rendre là-bas le mois précédent. Ils seraient absents encore un moment et, malgré ce qu'il prétendait, Diego souffrait de cette absence. Bernardo était son ami le plus cher, le seul à le connaître vraiment. Il s'était retrouvé seul à gérer sa vie de don et son alter-égo. Heureusement pour lui, son attitude vis-à-vis la vie de rancho avait changé. Suivant ses véritables désirs, il s'était peu à peu rapproché de son père et du travail d'haciendado. Aujourd'hui, il était inclus dans la vie et le travail de don Alejandro dans l'optique de prendre sa suite. Si le vieux caballero se désolait toujours de ne pas voir son fils œuvrer physiquement, il devait reconnaître qu'il avait fait preuve d'un vrai talent pour la gestion financière. Ses propositions d'amélioration du fonctionnement de l'exploitation étaient justes. Don Alejandro redécouvrait son fils sous un autre jour. Il réalisait que toutes ses lectures n'étaient pas inutiles, bien au contraire. Peut-être pouvait-il s'accommoder de son caractère indolent, de ses grasses matinées et de ses lectures tardives. Peut-être devait-il accepter que son fils ne soit pas comme lui et que, malgré ses défauts, il avait des qualités qui étaient bien utiles à la gestion de l'hacienda.
Cette période bénie pour Alejandro de la Vega et Bernardo n'avait pas été si réjouissante pour Diego de la Vega et Zorro. Le premier avait dû manœuvrer avec la plus grande prudence pour s'investir dans le rancho sans trahir sa couverture. Mentalement, la tâche était épuisante. Physiquement, c'était Zorro qui avait dû mal à tenir le rythme. L'agrandissement de Los Angeles et la criminalité en hausse l'avaient vu bien trop souvent sur les chemins. Diego comme Zorro dormait peu, travaillait beaucoup et n'avait plus personne sur qui compter.
Sur un mot de sa part, Bernardo aurait été de retour mais Diego tenait à ce qu'il profite de sa vie, lui qui savait quelle chance s'était. Sur une parole, Alejandro aurait été au courant des agissements de Zorro et tout aurait été plus simple à gérer. Diego ne le voulait pas, pas encore en tout cas. Il était plus facile de protéger son père dans l'ignorance. Tout serait de toute façon réglé bientôt, du moins se le disait-il en attendant la nomination prochaine du capitaine Toledano à Los Angeles. À ce moment-là, Zorro aurait moins de travail et Diego bénéficierait de ce repos mérité. Mais depuis des mois qu'il attendait, rien n'était venu. Tout d'abord, le capitaine avait différé sa prise de poste en raison de l'accouchement imminent de son épouse. Raquel Toledano avait donné naissance à leur fils Martín. Il devait s'écouler encore quelques mois avant que la famille soit prête à prendre la route vers Los Angeles. Il était hors de question pour le militaire d'héberger les siens dans le modeste casernement. L'essor de la ville nécessitait aussi des bâtiments plus importants. Il était convenu que la famille arriverait une fois les travaux terminés. Elle pourrait s'installer dans une confortable demeure attenante à la caserne, une hacienda miniature qui conforterait le choix des Toledano de s'installer définitivement à Los Angeles. Zorro aidant le sergent Garcia, ils pouvaient prendre leur temps. C'était le raisonnement du capitaine.
Diego avait dû ronger son frein, encourageant la relation de Bernardo et Silvia et prenant part à la vie de l'hacienda. Quand tout aurait dû être prêt, voilà que les travaux avaient pris du retard et que le capitaine Toledano avait différé encore sa venue au pueblo. Cette fois, c'étaient les Limenes qui étaient en cause.
Les trafiquants d'êtres humains avaient enlevé tout type de personne. D'abord de pauvres hères, puis ils s'étaient enhardis. Leur plus grosse erreur avait été de tenter d'enlever le bébé confié à une nourrice un soir. Le capitaine était entré dans une colère noire en empêchant de justesse l'enlèvement de son fils. Il s'était promis depuis qu'il n'aurait pas de repos tant qu'il ne les aurait pas mis derrière les barreaux. Une fois fait, il viendrait à Los Angeles.
Poussés à la fuite, les Limenes s'étaient enfoncés dans les terres californiennes. Ils avaient fini sur les terres des Joanes où Zorro les avait trouvés ce soir.
Il avait libéré les prisonniers des cages quand le groupe découvrit le pot aux roses. Le Renard engagea le combat mais rien ne se passa comme prévu. Deux hommes et une femme manquaient quand il avait fait le décompte, ils le prirent par surprise. Alors que Zorro devait couvrir la fuite des prisonniers et arrêter les malfaiteurs, il se retrouva acculé contre une cage, à la merci des Limenes.
