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Le cliquetis des épées diminua. Dans un ultime cri, un homme s'effondra, touché mortellement. Le silence s'empara du site, plus profond dans la nuit noire.
Le regard de Zorro tomba sur le cadavre puis sur les cages vides. Il espérait que les prisonniers étaient loin maintenant. Ils avaient tout fait pour les retarder, envoyant Tornado à leur suite pour les distraire si ce n'était les gêner. Il ne pouvait qu'espérer que leurs poursuivants ne les aient pas attrapés.
Il se tourna vers l'homme inanimé qui était arrivé à point nommé alors qu'il se pensait perdu.
– Capitaine Toledano ! Capitaine ! appela-t-il en secouant doucement son épaule.
Les lumières du feu mourant effleurèrent sa tête et l'écarlate de ses cheveux. Le capitaine était inconscient et le sang qui s'écoulait de sa tempe n'était pas pour le rassurer sur son état. Il tourna la tête de part et d'autre à la recherche d'une monture, son bras pressant sa poitrine malmenée lors du combat, entre coups et taillades qu'ils n'avaient pu éviter.
Las, ils étaient complètement seuls. Ne subsistaient sur le sol que les cadavres des ravisseurs. Les chevaux effrayés avaient fui bien trop loin pour qu'il puisse les rappeler.
En cet instant, Tornado lui manquait terriblement.
Zorro hissa le soldat sur son dos. S'il devait marcher longtemps comme il le pensait, il fatiguerait moins en le portant ainsi. Ses muscles lui tirèrent des décharges de douleur à la manœuvre. Il laissa échapper un grognement mais serra les dents. Ils s'en tireraient ensemble ou ils ne s'en tireraient pas. Les Limenes étaient toujours dans les parages. Ils voudraient se venger en revenant au camp. Ils n'avaient qu'une heure devant eux pour prendre un maximum d'avance.
– Vamos, dit-il à son compagnon.
Seule une respiration lui répondit. Zorro fit un premier pas avec une grimace, puis un autre... Le capitaine Toledano ne réagit pas. Le hors-la-loi fixa un point au loin dans la nuit. Il devait tenir six kilomètres avant de pouvoir les mettre à l'abri s'ils ne croisaient aucune aide. Il n'avait pas le droit de flancher.
Il ajusta sa prise sur le corps inerte. Tout reposait sur eux pour arrêter les Limenes, sauver les prisonniers et les empêcher de faire d'autres victimes. Le souffle dans son cou lui rappela la réalité de leur situation. Tout reposait sur lui.
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Ils mirent près de deux heures à atteindre les grottes. La chance leur avait souri. Le vent leur avait bien porté les bruits des chevaux des Limenes, toutefois aucun ne s'était approché suffisamment près. Ils s'étaient tapis dans l'ombre, avaient attendu que le chemin soit sûr puis étaient repartis. Ils avaient franchi l'étendue de plaines et de collines jusqu'aux falaises sans se faire prendre.
Ils avaient quitté les terres Joanes. Passé les parois rocheuses, ils étaient sur les terres d'un autre ranchero dont l'hacienda se trouvait à une grande distance. Ils étaient à l'opposé du territoire indien et encore bien loin de Los Angeles. Ils étaient seuls, à l'écart de tout.
La grotte où ils entrèrent était facilement accessible bien que légèrement en hauteur. Elle permettait d'avoir une vue dégagée sur les environs. Zorro y déposa son chargement avec précaution. Le capitaine n'avait toujours pas repris conscience et cela ne le rassurait pas.
Il prit un moment pour reprendre sa respiration et savourer des instants de repos. Il était ankylosé et certaines blessures le faisaient souffrir. L'aube ne pointerait pas tout de suite et il était encore trop risqué pour faire un feu. Il serait visible de loin même s'il lui aurait permis de vérifier l'étendue de leurs blessures.
Ses yeux accoutumés à l'obscurité devraient suffire. Zorro chercha une plaie qu'il aurait manqué sur le corps du capitaine, sans en trouver. Le militaire avait seulement pris un mauvais coup sur le crâne.
– Capitaine, réveillez-vous ! Capitaine Toledano !
Après bien des essais, il réussit à le sortir de son état comateux. Le soldat entrouvrit les yeux.
– Zorro ?
– Sí, capitán.
L'homme tentait péniblement de rassembler ses souvenirs. Zorro le vit lutter. Il tenta de prononcer un son sans y parvenir et perdit à nouveau connaissance. Le Renard craint le pire puis soupira, soulagé. Le soldat s'en sortirait.
Il s'attela à vérifier son propre corps. Il compta des bleus et de belles estafilades, quoique moins que prévu. Comme il le craignait, c'était le coup de couteau qu'il n'avait pu éviter dans la bagarre qui avait mauvaise allure. L'entaille courrait sur une bonne partie de sa poitrine et était profonde. Il avait pris le temps sur le trajet de se faire un bandage de fortune avec les vestiges de sa cape mais la plaie coulait toujours. Non sans grimace, il ôta le tissu imbibé de sang pour en refaire un autre qu'il serra davantage. Au passage, il sentit que les muscles de son épaule gauche avait heurté le sol et un rocher bien plus durement dans la bataille qu'il ne le croyait. Il avait mis la douleur sur le compte du poids de son compagnons à porter, il se rendait compte que les dégâts étaient au-delà du simple hématome. S'il voulait en guérir vite, il devait ménager son bras. Ce qui semblait improbable, si ce n'était impossible, à cette heure.
Il lui fallait attendre le jour et tenter de réveiller son compagnon. Ensemble, ils pourraient gagner l'habitation la plus proche. Avec un peu de chance, Tornado viendrait s'il le sifflait et ils seraient tirés d'affaire.
S'allongeant près du capitaine, Zorro se laissa aller à un demi-sommeil.
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Au matin, le capitaine reprit conscience. Zorro, toujours en alerte, fut aussitôt sur ses pieds. Il vérifia les alentours puis vint rendre compte de la situation à son compagnon. Le capitaine saisit l'essentiel mais le choc à sa tête avait laissé des traces. Il était toujours incapable de se lever. Sitôt que le Renard l'aida à s'asseoir, le vertige le prit et il perdit connaissance.
Après de longues minutes, Zorro parvint à le faire réagir.
– Capitaine Toledano. Capitaine !
– Hmm…
– Capitaine, nous devons repartir.
– Soif.
– Il vous faudra attendre encore.
Il n'y avait pas d'eau dans les environs alors que l'un et l'autre étaient assoiffés. Heureusement pour eux, l'hiver était-là et avec lui des températures plus clémentes, ou la déshydratation aurait été un autre ennemi.
Zorro tenta de siffler Tornado. Le son se répercuta loin mais rien ne vint. Après une nouvelle tentative et de longues minutes d'attente, le Renard dut se résoudre à l'évidence. Ils devaient continuer seuls.
– Capitaine, nous…
Les mots moururent. Le militaire était de nouveau inconscient.
Zorro le chargea sur son dos et se mit en route.
Jamais les kilomètres ne lui parurent si longs. Ses pas ne paraissaient jamais le rapprocher de son objectif. Il était fatigué, blessé… et le temps passait sans qu'aucun changement ne survienne.
La matinée entière s'écoula avant qu'ils atteignent un bras de rivière. Zorro avait alors atteint ses limites.
Il déposa son fardeau et s'agenouilla près de l'eau. Il but à grandes gorgées, réveilla le capitaine en l'aspergeant doucement puis l'aida à boire. Tandis que le militaire reprenait pleinement conscience, le Renard s'allongea. Il était éreinté.
Son esprit lui indiqua que le sang coulait de sa poitrine et qu'il devait vérifier l'état de la blessure. Sa raison lui signifia qu'il devait s'en occuper sous peu. La fatigue eut raison de lui. Ses yeux se fermèrent sans qu'il puisse l'en empêcher. Il sombra dans le sommeil. Malgré ses appels, le capitaine ne parvint pas à le réveiller. Ce fut à ce moment-là que le bruit de sabots se fit entendre. Tornado les avait trouvés.
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Toledano battit des paupières. Il devait lutter pour chasser les brumes de son esprit. Après plusieurs tentatives, il parvint à se redresser. Il eut de la peine à atteindre la rivière, plonger sa tête dans l'eau le revigora assez pour qu'il prenne la situation en main.
Le cheval de Zorro ne voulait pas s'approcher de lui. Son regard allait de son cavalier à cet homme qu'il voyait comme une menace. Arturo se pencha alors vers le hors-la-loi.
– Zorro ?
Pas de réponse.
– Vous êtes blessé, constata-t-il.
Il ne se sentait pas la force de changer le bandage. Ce qu'il leur fallait c'était de l'aide.
– Tu es le cheval de Zorro, dit-il à l'animal. Nous avons besoin de ton aide.
Le cheval sembla comprendre. Il accepta de s'approcher quand il l'appela. Arturo s'aida des rênes pour se lever. Le monde autour de lui tangua. Ses jambes vacillèrent alors qu'une douleur fulgurante lui déchirait le crâne. Il s'accrocha au pommeau de la selle pour ne pas tomber.
– Zorro... je ne peux pas vous aider.
Le cheval l'avait compris et donnait des coups de museau pour le réveiller.
– Zorro, appela le capitaine. Il faut vous lever. Zorro !
Le hors-la-loi ne réagit pas. Le militaire était face à un dilemme. Partir trouver de l'aide, c'était laisser le blessé à la merci des Limenes. Rester et attendre et ils seraient désarmés s'ils les retrouvaient.
– Vous m'avez porté sur des kilomètres, señor Zorro. Je vous dois la vie. Nous affronterons la suite ensemble.
Arturo se laissa tomber au sol. Il était incapable de chevaucher et il n'était pas question qu'il abandonne l'homme qui l'avait sauvé à son sort.
Sa tête heurta trop vite le sol herbeux. Il s'évanouit sous la douleur, laissant le soin au cheval noir de veiller sur eux.
