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Don Alejandro secoua la tête dépité quand son fils daigna enfin se montrer. Il était près de midi.
Ils avaient à peine parlé à son retour. Fatigué, Diego avait laissé sa monture et ses affaires au soin de leurs gens. Il avait répondu par monosyllabes à ses questions en se restaurant, puis il s'était retiré. Son père reconnaissait qu'il avait les traits tirés, le voyage – ou quoi qu'il ait fait sur le chemin – l'avait fatigué. Ce fait était incontestable. Mais enfin… à ce point !?
– Vous devez manger, don Diego, le disputa gentiment Crescencia. Vous avez mauvaise mine.
– Je ferai honneur à votre cuisine, je vous le promets.
La cuisinière satisfaite les laissa en famille.
Maintenant qu'il le regardait de près, Alejandro l'admettait, Diego était plus pâle que d'habitude. Si ses yeux et son visage n'avaient pas pétillé de joie, il s'en serait inquiété.
– Tu sembles de bonne humeur, nota l'haciendado.
– Je suis heureux d'être de retour. De plus, Silvia nous a écrits, Bernardo et elle ne devraient pas tarder à être de retour.
D'après ses calculs, la lettre les devançait d'une semaine. Il avait hâte de les retrouver.
– De plus, j'ai appris sur le chemin que le capitaine Toledano arriverait sous peu à Los Angeles.
– Il s'y trouve en ce moment-même.
– Vraiment ?
Alejandro confirma et expliqua ce qu'il savait de l'affaire Limenes.
– Ces vauriens finiront leurs jours en prison.
– Il faut d'abord qu'ils soient jugés, père.
– Le juge Vasca s'occupera d'eux.
L'impartialité du juge était connue. Le clan Limenes écoperait d'une peine lourde pour ses actes, mais juste.
Ils poursuivirent le repas en se racontant mutuellement leurs journées. Diego s'épandit sur les ouvrages fabuleux qu'il avait déniché, un peu trop au goût de son père qui en retour donna des nouvelles de l'exploitation.
– Les vaqueros ont terminé de déplacer le bétail. Il reste à présent à réunir les chevaux et s'assurer de leur bonne santé. Nous commencerons demain mais je souhaiterais vérifier cet après-midi leur emplacement. Tu viendras avec moi. Cela te rendra peut-être des couleurs.
Ce n'était pas une suggestion, Diego sut qu'il ne pourrait pas s'y dérober.
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Chevaucher ne fut pas le supplice qu'il craignait mais la douleur à sa poitrine restait forte. Tout irait bien tant qu'il bougerait le moins possible. Son épaule lui serait aussi redevable.
Ils gagnèrent l'extrémité de leurs terres pour faire le tour des chevaux, juments et poulains. Quelques-uns s'étaient aventuré chez leur voisin. Don Nacho leur aurait pardonné ce vagabondage, cependant don Alejandro tenait à les ramener du bon côté du bois. C'était ce que Diego craignait. Essuyant son front trempé de sueur – la fièvre était toujours là et leur petite sortie n'aidait en rien à la faire descendre – il s'élança à sa suite pour prendre à revers le groupe et le ramener vers leurs terres.
Les animaux suivirent le mouvement jusqu'à ce que deux des plus jeunes fassent un écart.
– Rattrape-les, Diego ! Vite ! Je m'occupe des autres.
Le jeune homme se lança à leur poursuite. Les deux mâles avaient décidé de n'en faire qu'à leur tête.
Le galop et la tenue de son propre cheval lui tirèrent des grimaces. Il devait en terminer vite.
– Holà ! les arrêta-t-il avant le bois avant de les obliger à revenir vers les autres.
Les animaux renâclèrent puis cédèrent. Diego put rejoindre son père. Ils accompagnèrent les chevaux plus loin dans une prairie, où ils seraient toujours au matin.
– Rentrons, décréta don Alejandro après quelques minutes à s'assurer qu'ils ne bougeraient plus.
Diego opina avec un sourire. Ils rentraient enfin.
Sourire qui disparut quand des silhouettes se matérialisèrent dans son champ de vision. Les Limenes !
– Ces hommes sont malintentionnés, Diego, dit son père d'une voix grave. Sans doute les bandits manquants de la bande que les soldats ont arrêté.
Diego comprit qu'il n'avait pas tout saisi lors de son passage secret à l'hacienda ou que son père n'avait pas communiqué toutes les informations quand il lui en avait parlé. Trois Limenes étaient dans la nature. Ils venaient vers eux à bride abattue.
Don Alejandro avait un pistolet dans son sac de selle, ce n'était pas le cas de son fils. Ils se rapprochèrent l'un de l'autre tandis que l'aîné la prenait en main dans leur direction. Les Limenes découvrirent le pistolet au même moment qu'ils virent le capitaine Toledano apparaître derrière eux. Il poursuivait seul les bandits.
– Rendez-vous ! ordonna-t-il.
Don Alejandro leva haut son arme, prêt à abattre le premier qui approcherait. Les Limenes stoppèrent leur course, encadrés d'un côté par les de la Vega, de l'autre par le soldat. Ils étaient à trois contre trois. Diego constata qu'il était le seul à ne pas être armé.
Un moment on n'entendit que le souffle rapide des chevaux et le bruit de la nature. Puis Arturo Toledano prit la parole.
– Rendez-vous, señores, ou nous ouvrirons le feu.
Les bandits jaugèrent la situation. Les yeux des caballeros naviguaient entre les uns et les autres, à l'affût. Finalement les Limenes mirent pied à terre. Alejandro de la Vega sauta au sol à son tour pour continuer de les tenir en respect avant que le capitaine fasse de même.
– Lâchez vos armes, continua Toledano.
– Diego, viens, commanda son père.
Il voulait qu'il les attache pendant que le militaire et lui les gardaient en joue. Avec un mauvais pressentiment, Diego se coula au sol.
Les Limenes étaient des hommes marqués par le temps et les éléments. De stature solide, ils avaient déjà connu le pire et ne craignent plus grand-chose. Ils avaient bien voulu laisser tomber pistolets et rapières sur un ordre du capitaine mais Diego se méfiait. Ils étaient acculés, donc près à tout.
La suite lui donna raison.
