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Pan.
Le coup de feu de don Alejandro se perdit dans les fourrés, effrayant les chevaux qui détalèrent et empêchèrent le capitaine de tirer. Diego n'avait eu le temps que de venir dos à eux. Ils s'étaient jetés au sol au moment où il attrapait les mains du plus près de lui.
Les bandits n'en étaient pas à leur coup d'essai. Le premier avait sauté sous les pattes de son cheval, le deuxième avait fait une roulade sur le côté, le dernier s'était jeté en arrière sur Diego. Le premier détala poursuivit par Toledano. L'autre fut talonné par don Alejandro qui ne comptait pas le manquer une seconde fois. Restait le dernier qui se relevait après avoir écrasé la poitrine de Diego, rouvrant la blessure et lui coupant le souffle sous la douleur.
Un tir et un bruit sourd lui apprirent que le premier était en passe d'être arrêté et son comparse plaqué au sol par son père. Le troisième était en train de récupérer un cheval pour s'enfuir, arme en main.
Sous le coup de l'adrénaline, Diego se releva. Il franchit à la course les quelques mètres qui le séparaient du bandit et tenta de le faire chuter. Déséquilibré, l'homme manqua don Alejandro, la balle se ficha dans le sol. Diego usa de toute sa force pour le tirer de cheval. Il tomba sonné. Le caballero put alors évaluer la situation.
Son père luttait contre le Limenes avec ses poings. Ils étaient de force égale mais le don n'avait plus l'énergie de la jeunesse. Il serait bientôt mis à terre. De son côté, le capitaine ferraillait contre le bandit, lequel avait récupéré l'épée sur un cheval.
Diego fit de même avec une lame abandonnée au sol. Il s'assura que son propre ennemi était bien hors d'état de nuire avant de prêter main forte à son père.
Il eut tôt fait de pointer l'épée dans son dos.
– Reculez, señor.
L'homme leva les mains et obéit… une poignée de seconde avant de faire volte-face et d'attraper la garde de l'épée par dessus les mains de Diego. C'était un habitué du corps à corps et des situations désespérées. Malheureusement pour lui, le don avait lui aussi des années de pratique. La rapière vola au sol puis ce fut son tour. Il rejoignit son comparse au pays des rêves.
Sans voir le visage estomaqué de son père, Diego reprit en main l'épée pour courir venir en aide au capitaine. Le militaire était instable sur ses appuis. À sa démarche, Diego devinait que sa tête n'était pas guérie. Il n'attaquait plus son adversaire et ne faisait que se défendre, de plus en plus difficilement.
Diego n'y alla pas par quatre chemins.
– Écartez-vous, capitaine !
Il attaqua le Limenes restant. Sa maîtrise parfaite de l'escrime lui assura la victoire en quelques passes. L'épée de son adversaire vola dans les airs. Le pommeau de son arme frappa la tâte de son ennemi. Le dernier des bandits s'écroula inconscient comme les autres. Soulagé d'en voir terminé, Diego se détourna pour vérifier ses compagnons.
L'un comme l'autre le regardait ahuris. Le jeune homme passa la main sur son visage.
Pas de masque.
Il réalisa alors la situation. Sa main lâcha l'épée mais il était trop tard.
– Diego ! s'écria son père.
– Zorro ! enchérit Toledano à mi-voix.
Ce n'était pas son visage sans masque qu'il regardait, c'était la barre rouge sur sa poitrine. La blessure rouverte imbibait de sang sa chemise.
Le contre-coup physique et moral de l'affrontement devenait apparent alors que l'adrénaline diminuait. Diego chancela. Le capitaine le maintint debout.
– Zorro… répéta-t-il. C'est vous, n'est-ce-pas ?
Diego n'avait ni l'envie ni l'énergie de le détromper. Il acquiesça faiblement.
– Diego ! appelait son père en accourant. Comment diable as-tu fait cela ?
L'hidalgo ne connaissait pas toute l'histoire contrairement au capitaine, mais il saurait vite faire ses conclusions en découvrant la blessure de son fils.
– Il saura même si vous ne dites rien, lui souffla Toledano qui cachait la vue de sa poitrine au vieil homme.
Ainsi l'encourageait-il à lui dire en face la vérité.
Diego se redressa.
– Père.
Le ton ferme immobilisa don Alejandro.
– Diego ?
– J'ai pu faire cela car j'ai fait mes classes en Espagne.
– Tes classes ?
– Oui.
– Explique-toi, je ne comprends rien !
– Capitaine, l'ignora Diego en reprenant d'une voix décidée que les deux hommes ne lui connaissaient pas, il faut ligoter ces hommes. Les Limenes nous ont assez prouvés qu'ils étaient un danger pour le peuple et pour nous-mêmes.
– Je m'en occupe. Don Alejandro, je laisse votre fils à vos soins.
– Mes… Diego ?
L'hidalgo était sincèrement perdu. Il le fut plus encore en découvrant la ligne rouge sur le vêtement de son fils.
– Tu es blessé !
– Ce n'est rien.
– Rien ? Montre-moi ça !
– Ce n'est ni le lieu, ni le moment. Aidez plutôt le capitaine à ligoter ces hommes et récupérer leurs armes. Je me charge de nos chevaux.
Sa voix n'admettait pas d'objection. Alejandro s'inclina sans pour autant bouger d'un pouce.
Le cheval du capitaine, habitué aux échauffourées, ne n'était pas aventuré bien loin. Diego sauta en selle avec une aisance qui sidéra son père. Ce mouvement, il le connaissait bien, mais pas chez son fils.
– Diego ? chercha-t-il à comprendre.
Le jeune homme prit une inspiration.
– Père, je suis Zorro.
L'annonce rendit à nouveau muet le don. Diego ignora son air perdu et ce que la révélation impliquait. Il lança le cheval au galop.
– Don Alejandro ? appela le capitaine un peu plus tard alors qu'ils avaient regroupé les Limenes et leurs armes.
– Mon fils, c'est…
– Zorro, oui.
– Vous saviez !?
– Je l'ai appris comme vous il y a quelques minutes.
– C'est insensé !
– Ne pas le croire ne serait davantage.
Quand Diego revint avec les chevaux, le don dut lui donner raison. Cette prestance, cette aura que dégageait son fils… il ne l'avait jamais vu que chez une personne.
Zorro.
