Bonne année ! J'espère que vous êtes plein d'espoir, et que votre esprit shonen va vous permettre de réaliser vos projets !

Sinon, j'ai tapoté une partie de ce chapitre en écoutant l'album "Road to Knowhere" de Tommy Guerrero. Faites ce que vous voulez de cette information.

Merci à Worz, Eve et Zod'a pour leurs reviews. Vous êtes formidables !


Le réveil sonne, une fois, deux fois, trois fois. Il est coupé avant que la quatrième sonnerie ne retentisse, d'un coup de baguette.

Il ne réveille pas Cheleb, qui contemple déjà le plafond de son baldaquin depuis dix bonnes minutes. Son masque de sommeil est délicatement remonté sur son front, perdu dans ses mèches blondes, et son visage est lisse et sans émotions, quoique ses yeux soient encore gonflés de sommeil.

Un bruit d'eau s'élève depuis la salle de bain depuis déjà dix bonnes minutes. Caesaria doit être en train de se préparer, et elle n'aura pas terminé avant encore un bon quart d'heure. Inutile de se lever, donc.

Nous sommes jeudi, et Cheleb apprécie les jeudis. Elle n'a cours que le matin, et peut donc occuper son après-midi à étudier, ou à se reposer. Caesaria a cours, elle, et Cheleb apprécie la solitude de cette fin de semaine, où personne ne vient la déranger, et où elle ne se consacre qu'à elle-même.

Mais pour l'heure, c'est le matin, et les deux Françaises qui occupent leurs dortoirs s'agitent, agacées du temps que prend Caesaria. L'une d'elle, une jolie adolescente aux cheveux noirs, coupés au carré, passe et re-passe devant le lit de Cheleb d'un pas tendu.

Celle-ci s'étire longuement, avant de s'assoir, rideaux toujours fermés. Elle profite chaque matin de cette intimité fragile pour appliquer toujours le même rituel. Attendre que le sommeil quitte ses paupières alourdies, s'étirer, s'assoir. Oter et ranger son masque de sommeil, lisser ses cheveux désordonnés par la nuit, s'étirer à nouveau. Enfiler son peignoir de satin, ouvrir les rideaux d'un geste, et embrasser la chambre du regard.

Caesaria a consenti à libérer la salle de bain, et à son air, Cheleb devine qu'elle sera de mauvaise humeur toute la journée. Le lit de Dolioro est déjà ouvert et vide, son pyjama négligemment roulé en boule sur le matelas. Une des Françaises a filé dans la salle de bain, et le bruit de la douche résonne déjà. L'autre attend patiemment, assise devant la porte, un parchemin à la main.

L'atmosphère est calme, presque silencieuse, et la lumière des bougies jette des reflets dans les eaux sombres du lac, effrayant les poissons et attirant les brochets magiques, qui frôlent les vitres. Seuls les maugréments de Caesaria, qui se maquille assise en tailleur son lit, se font entendre, et Cheleb la regarde s'appliquer fards, khôl et poudres précieuses à l'aide d'une multitude de petits pinceaux en laissant ses pensées errer librement. Elle commence par Runes ce matin, puis elle a Soins aux créatures magiques, et ensuite viendra l'heure du repas. Les vacances de Noël approchent, il faut qu'elle commande une robe, et des fleurs de cristal pour sa mère, et du vin pour son père. Elle doit terminer son devoir de Potions, et le réussir, elle n'a eu qu'un A au dernier. Répondre aux lettres de sa cousine Lobelia, qui peine à trouver une place dans la haute-couture magique, et espère conseils et soutien de sa part. Vérifier que son grand-père, le vénérable Antioche Selwyn, a bien reçu son dernier courrier, qui traite de …

- Selwyn ? La salle de bain est libre, tu peux y aller.

Cheleb acquiesce, s'empare son uniforme, plié et préparé la veille, et se dirige vers la Salle de Bain.

- Cheleb ? Tu veux que je t'attende ?

Caesaria a terminé de se maquiller, et les délicates nuances rosées qui ornent ses paupières se marient parfaitement avec l'éclat de ses boucles brunes et ses yeux noisette, surlignés d'un long trait noir. Elle est soignée, élégante, ravissante même. Et pourtant si commune, songe Cheleb en la regardant attendre sa réponse avec patience. Elle n'a pas l'étoffe des Sangs-Purs. Elle n'est pas de leur monde, et il ne se passe pas un jour sans que les garçons de leur promotion ne le lui rappellent.

- Non, ne t'en fais pas. Je te rejoins.

Caesaria acquiesce, et termine de ranger son attirail de beauté. Devoir faire front seule ne lui fait pas peur, et c'est son audace et sa détermination qui lui ont permis de s'attirer la protection muette de Cheleb. Elle sort des dortoirs, tandis que son amie entre dans la Salle de bain, qu'elle verrouille soigneusement.

Caesaria traverse la Salle Commune, dans laquelle quelques retardataires s'empressent de bâcler des devoirs pour la journée, et la tête haute, sort des cachots, et remonte à l'air libre de la Grande Salle, où la plupart des élèves sont déjà installés. Elle entre dignement, se dirige vers sa table, enjambe le banc, prenant soin de ne pas regarder le groupe de son année, qu'elle surveille du coin de l'œil. Un regard, et Lestrange sautera sur l'occasion. Il est trop tôt pour se permettre une nouvelle confrontation, qui se soldera, elle le sait, par sa propre défaite. Alors elle se sert en haricots, découpe son bacon, casse le jaune de son œuf le menton levé, sans jamais perdre de vue le groupe.

Le groupe est antérieur à Poudlard. Il s'est constitué dès la naissance de ses membres, et si elle l'avait su le jour où elle est entrée à Poudlard, elle se serait épargnée bien des épreuves.

La force du groupe est qu'elle ne réside justement pas dans l'effet de groupe, mais dans l'indépendance organique de chacune de ses composantes. Le groupe n'est pas composé d'amis. Le groupe est fait de garçons de Sang-Pur ou presque, regroupant suffisamment d'intérêts, maximisés en puissance, pour qu'ils y soient acceptés. Le groupe comporte trois puissants, trois moins puissants, et trois parvenus. Aucun n'est inoffensif, mais aucun n'est invincible, et c'est devenu la devise de Caesaria, son mantra, qu'elle se répète chaque fois qu'elle les voit. Chaque membre du groupe a ses intérêts propres, et donc ses faiblesses. Ce sont ces faiblesses que Caesaria traque.

Pour les parvenus – Rogue, Woodhouse, Mulciber – ce n'est pas compliqué. Ils veulent le prestige et le respect des grands noms. Ils veulent une place et une légitimité dans l'aristocratie Sang-Pur, et leur faiblesse réside donc dans leur généalogie et dans leurs efforts considérables pour se faire accepter des hautes sphères. Comme à l'époque de la cour de Versailles sur laquelle Cheleb aime tant lire, un mot de travers peut faire choir une vie. Une rumeur, et s'en est fini de votre existence. Caesaria sait tout cela, parce que son père est lui-même un parvenu, qu'elle a hérité de ce statut encombrant et désagréable, et que les Serpentards ont érigé cette condition comme un rempart entre elle et eux.

Les trois moins puissants ont des objectifs similaires à ceux des parvenus, c'est-à-dire établir leur puissance. Ils sont en concurrence entre eux, ces brutes de Young, Parkinson et Yaxley, mais ils ont au moins la certitude de leur nom. Leur statut est légèrement moins précaire, et leur condition, moins difficile. Cela dit, le moindre faux pas leur coûte tout autant.

Et puis, il y a les trois puissants. Le cadet Black, le cadet Lestrange, et le roi des Serpentards, le cadet Rosier. Si Black n'a jamais cherché de noises à Caesaria, elle ne peut en dire autant de Lestrange, qui s'est mis en tête de la pousser à bout dès leur Répartition, lui demandant publiquement si elle était une Sang de Bourbe. Caesaria n'oublierait jamais le silence attentif qui s'était fait sur leur tablée, son propre bégaiement furieux, et le sourire de cet avorton dont elle n'avait jamais entendu le nom. Elle l'avait insulté, et Malfoy les avait fait taire avant que les choses ne dégénèrent.

Et puis, l'enfer avait commencé. Le harcèlement était quotidien, et chaque nouveau sortilège appris lui était dédié. Elle retrouvait ses affaires vandalisées, son petit déjeuner souillé, ses cheveux étaient coupés et colorés dans les couloirs, elle perdait ses dents, ses devoirs, ses vêtements parfois. Et personne ne disait rien, parce que Rabastan était un Lestrange, et que Rodolphus avait laissé un souvenir prégnant dans les mémoires.

Et un jour, la jolie blonde au visage figé de son dortoir était intervenue. Elles étaient en quatrième année, et Lestrange venait de renverser le contenu d'une potion sur Caesaria, qui était si peu surprise qu'elle en oublia de s'énerver. Et Selwyn, assise à côté de Caesaria, avait dit « arrête Rabastan. Tu es ridicule. » et Lestrange n'avait, étonnamment, rien répondu.

S'il n'avait rien fait, elle l'apprit plus tard, ce n'était pas par crainte de Cheleb, avec ses queues de cheval soignées et sa grosse montre en argent, mais par déférence pour son fiancé. Parce que Evan Rosier était craint de tout le monde, même dans la sphère des puissants.

Alors, comme tous les matins, Caesaria découpe avec une précision géométrique le contenu de son assiette, l'ordonne en petits carrés, et ingère méthodiquement le tout. Et du coin de l'œil, elle surveille le Roi et sa cour.

[…]

Lorsque Cheleb pénètre dans la Grande salle, apprêtée et maquillée discrètement, la première chose qu'elle fait est toujours de chercher son fiancé du regard. Elle ne sait pas vraiment pourquoi, tout ce qu'elle sait est qu'elle ne peut pas s'en empêcher.

Ce matin n'échappe pas à la règle, et avant même de regarder où se trouve Caesaria, elle repère Evan. Celui-ci mastique avec lenteur, les yeux dans le vague, tournés vers la table des Serdaigle, et autour de lui, Yaxley et Mulciber débattent avec vigueur. En la remarquant, il se contente d'avaler une gorgée de jus sans la quitter des yeux, avant de reporter de nouveau son regard sur la table des Serdaigles.

Calme, froid, et indifférent.

« Ça aurait pu être pire », dit toujours Lisle Selwyn, la mère de Cheleb. « Il aurait pu être laid ».

Cheleb et Evan ont été fiancés à leur naissance, parce que Rigel Selwyn avait une dette envers Arcius Rosier. Lisle et Amaryllis n'ont pas eu leur mot à dire, une dette sorcière se devant d'être respectée. Sinon, où irait le monde ?

Cheleb et Evan n'ont pas joué ensemble petits, ils n'étaient pas amoureux dans leur enfance, et leurs parents ne leur ont révélé leurs fiançailles qu'au cours de leur scolarité. A ce moment, Cheleb était en train de se demander ce que ce serait de céder aux avances de Shafiq, et si c'était cela, être amoureuse. Et puis, son hibou est arrivé un mardi matin, et elle était liée à ce camarade charmant mais vide.

Cheleb était souvent qualifiée d'inexpressive. On lui disait parfois qu'elle était irréprochable. Elle avait appris jeune à ne pas dévoiler ses sentiments, parce que Rigel Selwyn n'aimait pas ça, et que c'était déjà un affront suffisant qu'elle soit née fille alors que son frère Alnilam Selwyn avait obtenu un héritier mâle la même année. Alors Cheleb ne parlait pas, tout en s'efforçant de ne jamais se faire oublier. Sa présence froide irradiait là où elle se trouvait sans même qu'elle ait à ouvrir la bouche, et s'être accomplie ainsi, aux antipodes de sa craintive génitrice, était parmi ses plus grandes sources de fierté.

Mais Evan, lui, vivait tout autrement. Il n'anesthésiait pas ses sentiments, ni ne les dissimulait. Il était comme une coquille vide. De temps en temps, par-dessus le gouffre venait se déposer le voile d'une émotion. La colère, le plus souvent, jaillissant sous forme de violence. L'avidité, parfois – la première fois qu'ils avaient couché ensemble – mais c'était rare et temporaire, et de toute façon, c'étaient bien les deux seules émotions qu'elle ne lui avait jamais vues. Elle n'attendait rien de lui, parce qu'il n'avait rien à lui donner.

Et pourtant, chaque matin, elle cherchait sa présence. Et lorsqu'elle ne la trouvait pas, elle fronçait ses sourcils, cogitait, s'agitait, jusqu'à ce qu'il apparaisse.

Ils parlaient relativement peu, parce qu'ils ne savaient pas vraiment quoi se dire. La conversation n'intéressait pas Evan, et les banalités de Cheleb finissaient toujours par tomber à plat. Parfois il l'écoutait, sans cligner des yeux ni bouger le visage, et ce regard fixe et vide la mettait mal à l'aise. Parfois, il ne l'écoutait pas. Il faisait autre chose en même temps, ou il lui jetait un regard dur pour exprimer son désaccord, avant de partir.

Lorsqu'ils étaient en sixième année, peu après Noël, Evan s'était fait marquer. Ça n'avait pas surpris Cheleb outre mesure – Arcius Rosier voyait dans Voldemort un soutien politique et un possible ralliement des électeurs par la peur. Jeter son fils en pâture à cet homme était un compromis honnête pour acheter des voix.

Evan ne s'y était pas opposé. Il n'avait pas protesté. Et lorsqu'il était réapparu en ce lundi pluvieux d'automne, le teint blême et les yeux comme deux trous noirs, Cheleb avait froncé les sourcils. Tout au long de la semaine, son bras gauche n'avait cessé de se crisper par à coup, et son poing se fermait et s'ouvrait tout seul. MacGonagall et Slughorn l'avaient remarqué. Evan, qui n'avait jamais rien renversé en potions, avait brisé la fiole qu'il devait rendre à leur directeur de maison, qui avait posé sur lui un regard soucieux. Quant à la directrice des Gryffondors, elle avait clairement montré sa suspicion, en voyant la baguette de son élève trembler avant chaque sort.

Cheleb s'était dit qu'il fallait intervenir. Elle avait payé Rogue pour qu'il lui prépare de l'essence de Murlap, et jeudi soir, alors que Evan dodelinait de la tête, seul dans la Salle Commune, avachi dans son fauteuil, elle la lui avait tendue. Il était épuisé, d'épaisses cernes venant souligner ses yeux, et elle avait trouvé inquiétant le regard en biais qu'il avait posé sur elle.

Et comme souvent, Cheleb avait songé qu'elle aurait préféré un garçon laid.

[…]

- De l'arithmancie ? J'appelle ça de la torture psychologique. Si on avait ça en France, j'aurais déjà redoublé six fois.

- Bof, ce n'est pas plus compliqué que la géométrie magique.

- Tu plaisantes ? Tu as vu la démonstration qu'il a fait ? Ça prenait tout le tableau, même lui s'est perdu.

- Mais non, c'était juste une impression. Tout le monde n'a pas un petit pois comme toi à la place du cerveau.

Pedrioski laisse échapper un juron, et Tito répond par un regard moqueur, avant de tourner les talons, son bras passé sous le mien m'entraînant dans le mouvement.

Bien que je ne sois pas amie avec Pedrioski, je me sens un peu peinée pour lui. Il n'était pas particulièrement désagréable, mais comme les colères de Tito m'intimident suffisamment pour me dissuader de protester, je la laisse enchaîner sur un nouveau sujet.

- Ce matin, en Sortilèges, j'étais avec les Serdaigles. Eh bien on ne dirait pas comme ça mais ce sont de vraies commères ! Ils avaient tout un tas de ragots à se raconter, ça fusait de partout. Tu savais que le garçon de ta classe, Sérieux Brown, il avait couché avec Mulciber ?

Je laisse échapper un hoquet entre rire et dégout, et m'empresse de vérifier que les concernés ne se trouvent pas autour de nous – nous ne nous en tirerions pas vivantes.

- Qui a dit ça ?

- L'Allemande, la blonde qui dit des choses étranges.

- A qui est-ce qu'elle disait ça ?

- Une Française de son dortoir.

Je lève les yeux au ciel. C'est du Brodbeck tout craché, de mettre des innocents en danger sans aucune raison.

Je me demande vraiment ce que cette illuminée fabrique à Serdaigle.

- Ecoute, la règle numéro une dans cette école, c'est de ne pas écouter Brodbeck. Et ne répète jamais ce genre de ragots, si les concernés nous entendent, tu peux dire adieu à ta tranquillité. Et c'est Sirius Black, pas Sérieux Brun.

Avant que je n'aie pu développer le fond de ma pensée, Marlene nous rejoint d'un pas vif, une épaisse pile de parchemins dans ses bras et le souffle court. Elle a l'air catastrophée, et je remarque quelques mètres derrière elle le regard brillant de Woodhouse qui ne perd pas une miette de ses mouvements.

- Jab, s'exclame aussitôt mon amie en arrivant à notre hauteur. Il s'est passé quelque chose en Runes, tu ne devineras jamais quoi !

Je me contente d'hausser un sourcil sceptique. La dernière fois que Marlene m'a fait ce genre de teasing, c'était pour m'annoncer la floraison de son arbuste décrépi du Tibet, qui répandait son odeur moisie dans notre salle de bain depuis un mois.

Soi-disant que la salle de bain était la pièce dont le taux d'humidité le plus proche de son habitat naturel ou je ne sais quelles foutaises.

- Il y a eu une bagarre !

- Une bagarre ?!

Tito et moi fixons Marlene, estomaquées.

Il faut dire que l'étude des Runes est sans doute le cours le plus calme et ennuyeux de Poudlard. Je n'y ai jamais mis les pieds, mais il n'y a qu'à voir ses membres pour comprendre que c'est mortifère.

- Entre qui et qui ?

- Les Maraudeurs et les Serpentards !

- Mais les Maraudeurs ne suivent pas le cours de Runes, Marlene.

- Mais … La bagarre n'était pas en Runes ! Je l'ai appris pendant le cours et … Attend, tu croyais vraiment que des gens s'étaient battus en Runes ?

Marlene laisse échapper un rire clair, et je lève les yeux au ciel.

Me disait bien que ce n'était pas net.

- C'est qui, les Rôdeurs ?

- Les Maraudeurs. Personne d'important. C'était quand Marlene ?

- Ce matin. Mais ma source est sûre, c'est Young qui me l'a dit !

- Le grand ?

- Non, celle à Poufsouffle.

Les Young sont des triplés, répartis dans trois maisons différentes. Vous comprenez bien que j'ai du mal à suivre.

- Ah bon. Et pourquoi ?

Nous sommes rejointes par une amie française de Tito, une dénommée Mathilde, qui nous interrompt pour jeter quelques piques bien senties à Pedrioski, lequel nous suit depuis quelques minutes. Si j'en crois sa mine outrée, il se croyait discret le pauvre.

- Vous parlez de la bagarre ? J'y étais ! s'exclame-t-elle aussitôt avec fierté.

- Sérieusement ?

- Bah raconte !

Il faut savoir que les bagarres entre Serpentards et Maraudeurs ne sont pas si fréquentes. Les coups bas interposés sont légions, et il ne se passe pas deux semaines sans que l'un des deux camps ne se venge de l'autre. Mais des bagarres ouvertes, ça n'arrive plus depuis la cinquième année, d'où l'ampleur que prend le moindre accrochage direct.

- Il y avait une fille de Serpentard qui se disputait avec ce grand type, l'Etrange, et les Rôdeurs sont arrivés, ils ont vu ce garçon qui s'en prenait à la fille, et ils se sont battus.

Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui racontait aussi mal.

Marlene, Tito et Pedrioski ont l'air aussi atterrés que moi, et Mathilde se renfrogne.

- Vous ne me croyez pas ?

- Si. Le type, c'est Lestrange. La fille, c'était sûrement MacGrant. Ce qui est bizarre, c'est que les Serpentards ne se disputent jamais en public. Et les Maraudeurs interviennent rarement pour aider l'un d'eux, déclare Marlene en plissant les yeux.

- Il y a anguille sous roche, note sagement Pedrioski.

Pour une fois que cet hurluberlu dit quelque chose de sensé.

- Jab, ton pronostic ?

- C'est qui Jab ?

- C'est moi, abruti.

- Ah pardon.

Je réfléchis un bref instant, avant de hausser les épaules.

- Les Serpentards sont bizarres. Faut pas chercher à les comprendre.

[…]

Suite au précédent cours de DCFM, j'ai décidé de me rattraper en histoire de la magie, seule matière ne nécessitant pas de baguette ou de contact avec des êtres vivants visqueux et agressifs, et donc à ma portée.

Et pour cela, rien de tel qu'une petite dissertation complémentaire à la Bibliothèque, pendant que mes camarades s'amusent dans la Salle Commune !

Ah, ce que j'ai envie de me pendre.

Arrivée à la bibliothèque, je contemple les tables, toutes occupées par un minimum de quatre élèves, et m'enfonce dans les rayons à la recherche d'une place libre. Et dans un endroit de préférence silencieux, je note en passant près de la table de Londubat et Fortescue qui roucoulent en s'embrassant.

Et, bien évidemment, la seule table correspondant à mes critères se trouve le long de la réserve, isolée, et est occupée par une seule personne, qui ne se donne même pas la peine de relever la tête à mon approche.

Vous pensiez que c'est Rosier, hein ? Et ben raté, c'est Lestrange.

Je tire donc maladroitement une chaise, qui résonne dans l'atmosphère feutrée de la bibliothèque, et le Serpentard lève ses yeux froids et moqueurs vers moi. Il me sonde longuement, de haut en bas, juste assez pour me mettre mal à l'aise, puis replonge dans sa lecture.

Je pose le plus délicatement possible mes parchemins sur la table, puis retourne dans les rayons pour piocher les livres nécessaires à ma dissertation d'Histoire de la Magie. Lorsque je reviens à la table, je constate avec effroi – bon ok peut être pas de l'effroi mais vous avez compris – que Lestrange a déplacé ses affaires pour se retrouver pile en face de moi, et qu'il semble m'attendre.

Je m'installe précautionneusement, prenant bien soin de ne pas croiser son regard, et ouvre mes livres.

Donc.

Eudebert le Breton, roi des Trolls en 451.

Je me plonge avec joie dans la lecture de la vie d'Eudebert, qui avait une passion pour le comté français, et trempe ma plume dans l'encre, lorsqu'un premier raclement de gorge fige mon mouvement.

Je laisse passer quelques secondes en suspens, puis reprend ma dissertation – c'est-à-dire que j'écris le titre.

- Hmm hmm.

Je relève tout doucement la tête, et observe par en dessous Lestrange. Lequel me fixe avec une insistance qui me met mal à l'aise.

Nous nous toisons un instant en silence, lui me fixant de son regard ironique, et moi attendant qu'il prenne la parole.

- Un problème, Bangwalder ?

Je cligne bêtement des yeux.

- Pardon ?

- Tu as levé les yeux de ton devoir et tu me fixes. Je te demande donc si tu as un problème avec ma présence.

Soufflée par son insolence, j'entrouvre la bouche, cherchant une réponse correcte, et, n'en trouvant pas, je me contente de me replonger dans mon devoir, outrée.

Eudebert, donc. Sacré roi en 451, dans un contexte de grave crise sociale troll et de conflit avec les Centaures du Maghreb. Un rôle essentiel de l'essor des relations entre trolls et sorciers. Je note sagement ces informations dans un semblant d'introduction, puis je suçote le bout de ma plume en fixant le portrait d'Eudebert – qui avait des verrues sur le nez, soit dit en passant. Et ensuite on s'étonne que l'Histoire de la magie rebute les étudiants, et que les statistiques des élèves arrêtant cette matière le plus tôt possible soient si élevées.

L'inspiration ne me venant pas de sa grosse tête boutonneuse, je relève les yeux, et croise malencontreusement ceux de Lestrange, qui ne m'ont pas quittée. Et comme je suis la plus courageuse des Gryffondors, au lieu de le confronter ou de soutenir son regard, je me contente de lever les yeux vers le plafond, comme si de rien n'était.

Pitoyable, Jabberwocky.

Pitoyable, mais je viens d'avoir une idée de plan.

Je me replonge donc dans ma copie et note à toute vitesse mon idée avant de l'oublier, et commence à développer mes parties avec concentration, m'aidant des livres et notes chipées à Marlene. Je commence petit à petit à entrer dans mon sujet, écrivant avec application, lorsqu'un signal d'alarme s'allume dans ma tête.

Lestrange, en décroisant ses jambes, vient de taper son pied contre mon tibia.

Le contact n'a rien de doux ou romantique, il est même un peu trop brutal pour être accidentel. Je sens un agacement croissant monter en moi, mêlé à une légère panique parce que merde des meurtres dans la réserve y'en a eu des tas dans l'histoire de Poudlard !

Bon, ok, il n'y en eu qu'un seul, en 1802, et il était accidentel, dû à une trop grande fragilité des étagères. Mais il se peut que je sois la deuxième !

Je redresse donc la tête, le fixe cette fois sans détour, et Lestrange sourit de toutes ses dents.

- Un problème ? répète-t-il avec un sourire narquois.

- Oui, je siffle. J'aimerais que tu me laisses travailler. Au cas où tu ne te rappellerais pas, je suis dernière en histoire de la magie et j'aimerais un A dans une des seules matières sans baguette. Alors maintenant, tu arrêtes de m'emmerder ou je porte plainte.

- Ou tu … ?

- Référence moldue.

Il fronce le nez, clairement dégoûté par ce dernier mot. Ce type était à coup sûr un haut dignitaire nazi dans une vie précédente, et ça ne scandalise que moi.

- J'oublie toujours que tu es issue d'une branche des Lestrange aussi …

- Souillée ?

- J'allais dire éloignée, mais puisque tu le proposes.

Nous nous toisons avec animosité, chacun dégouté du lien familial qui nous lie.

En vérité, malgré nos noms de famille, nous n'avons probablement quasiment aucun lien de sang, la famille Lestrange étant vaste et répartie dans plusieurs pays. Sans compter que le pourcentage de sang Lestrange dans nos veines est infime face à la multitude d'autres familles auxquelles il a été allié, par des mariages et des naissances. La généalogie Sang-Pur européenne est à la fois ridiculement étriquée, et terriblement compliquée.

- Je voulais te proposer un marché.

- Encore ?

Je ne sais pas pourquoi je dis encore, puisque je n'ai eu que deux marchés (ou plutôt arnaques) depuis le début de l'année. Et encore, je ne devrais pas compter mon cousin.

- Je ne me rappelle pas avoir déjà été en affaire avec toi.

- Moi non plus.

Il hausse les sourcils, clairement condescendant face à ma bêtise, et je sens mes joues chauffer.

- Caesaria MacGrant, ça te parle ?

La fameuse.

- Je vois parfaitement.

- Nous voudrions qu'elle arrête de fréquenter Selwyn.

C'est à mon tour de hausser les sourcils.

- Et qu'est-ce que j'ai à voir avec ça ?

- Cheleb t'aime bien.

Alors là, je nage de choc en choc.

- Ça ne m'avance pas, je rétorque sèchement. Je n'ai aucune envie de me mêler à vos affaires de Serpentards. Réglez ça entre vous.

Lestrange se penche légèrement, et commence à glisser ses affaires dans sa sacoche. Je remarque que ses cheveux sont attachés en demi chignon – coiffure de tombeur qu'aurait très bien pu faire Sirius Black.

- Dommage, souffle-t-il. J'avais pourtant convaincu Antonin de ne pas toucher à ta jolie sœur.

Ma jolie sœur ?

Qu'est-ce que cette harpie vient faire dans cette discussion ?

- Jelena est en France, et c'est ta cousine ! je rétorque avec vigueur, bien que je n'aie aucune idée qui peut être ledit Antonin.

- Jelena n'a pas plus de sang en commun avec moi que n'importe quel camarade de mon dortoir. Je ne lui suis obligé de rien.

- Tu n'as pas le droit, je siffle en sortant ma baguette. Je n'ai rien demandé, je ne veux pas être mêlée à vos histoires sordides. Et laisse ma sœur en dehors de ça, ou …

Au moment précis où je m'apprête à proférer ma menace, Lestrange m'envoie m'écraser méchamment contre le mur d'un informulé. Je grimace en sentant l'impact des pierres contre mon dos, et me redresse misérablement en cherchant mon inutile baguette à côté de moi.

- N'oublie pas cette petite discussion, Bangwalder, reprend le Serpentard d'un ton léger en atteignant l'angle du rayonnage où nous étions dissimulés. Je compte sur toi.

Je reste hébétée, essayant de réunir mes pensées en un ensemble cohérent.

Tout ce qui me vient est la certitude que Rosier a raconté à Lestrange qu'il m'avait faite chanter pour sa retenue. Lestrange s'est sans doute dit que j'étais une sorte de distributeur à services gratuit. Ça ne peut être que ça.

Par contre, comment peut-il connaître Jelena, scolarisée en France depuis sa première année ?

[…]

- Tu as seize ans ?

- Oui, je grommelle en rabattant mon plaid sur moi, en prenant bien garde de ne pas le tacher avec l'encre de ma plume. Ça te pose un problème ?

- Ça veut dire que si je sortais avec toi, je ferais du détournement de mineur, déclare Fenwick avec un air qui se veut intelligent.

- Heureusement qu'on ne sort pas ensemble, alors.

Black éclate d'un grand rire derrière son journal, qui lui vaut presque aussitôt un coussin de la part de Fenwick. La Gazette vient tomber à mes pieds, et j'y jette un regard en biais, me souvenant du conseil de Dumbledore.

Conseil que je n'ai toujours pas appliqué, puisque le journal arrive le matin, à l'heure où j'ai envie de tout sauf de lire des faits divers sordides, écrits en caractères gothiques étriqués à vous rendre myope.

Je ne sais pas trop pourquoi Black et Fenwick sont là. Nous étions tranquillement en train de travailler face au feu avec Marly, lorsque Fenwick s'est incrusté, suivi de Black qui semblait s'ennuyer mortellement jusqu'à il y a quelques minutes.

- Par contre Bangwalder, tu es vraiment jeune.

- Je n'ai que quelques mois de moins, ne vous emballez pas trop non plus, je rétorque.

- Quand même, on a presque un an de plus que toi !

- J'ai l'air d'en avoir quelque chose à faire ? Vous me déconcentrez.

- Tu veux de l'aide ? demande aussitôt Fenwick, déclenchant des ricanements de la part de l'autre troll.

Je lui décoche un regard mauvais, et rattrape de justesse le livre qui allait tomber du canapé sur lequel nous nous entassons tous les quatre.

- Au fait, Sirius, ça avance avec Lancaster ? reprend cet abruti, déclenchant un silence de mort.

Je relève lentement la tête, adresse un sourire à Joffrey qui vient de grimper sur mes genoux, et fixe Black, qui semble avoir avalé une chaussette.

- Je crois qu'elle aime mon frère, déclare-t-il finalement avec dégoût. Tu as dû nous confondre, Benjy.

- Non elle ne l'aime pas, souffle Marlene sans lever la tête du croquis de botanique qu'elle perfectionne depuis une bonne heure – si je devais comparer nos travaux, je dirais que le sien est une œuvre de Michel Ange, et le mien, un brouillon de Picasso.

La tête de Black se tourne si vite vers elle qu'elle produit un craquement désagréable.

- Ah bon ? rétorque-t-il avec une agressivité qui me fait tiquer. Qui te l'a dit ?

- Ça se voit, répond froidement Marlene. Elle ne le voit que comme un ami, c'est écrit en lettres majuscules sur son front. Il n'y a que toi pour ne pas le voir. Enfin, tu sais ce que l'on dit, la jalousie aveugle …

Black lève les yeux au ciel avec un agacement non feint, et prétexte un devoir à finir pour prendre la fuite.

Ils sont beaux, les Gryffondors !

- C'est vrai ? je me permets de demander à Marlene une fois qu'il a quitté la salle commune. Ils ne s'aiment vraiment pas ?

- Pour Regulus, je n'en sais rien. Mais pour Honey, c'est clair comme roche !

- La roche n'est pas claire.

- La ferme, Fenwick.

- Tu es mineure, parle-moi correctement.

- Il n'y a aucun rapport, je m'insurge. Tu es probablement le Gryffondor le plus stupide que Poudlard n'ait jamais connu, tu ne sais même pas faire tes lacets ou allumer une télévision !

- A part ça, ça te dirait d'aller à Pré au lard avec moi samedi ?

Cette fois je m'étouffe pour de vrai, et Marlene se déplace immédiatement pour m'administrer de grandes tapes qui menacent de décrocher mes poumons.

- Faut pas te mettre dans de tels états, déclare Fenwick d'un ton léger en se levant. Je comprends que tu sois impressionnée, mais je t'assure que je n'ai jamais mangé aucune de mes copines. Enfin bref, samedi quatorze heures devant la statue de sortie !

Il s'éloigne de quelques pas, avant de se retourner et ajouter d'un ton de connivence :

- Et ne prend pas d'argent, c'est moi qui invite.

Et sur ces sages paroles, il sort de la salle à son tour, de la démarche tranquille et assurée de l'homme qui a obtenu ce qu'il veut.

Enfin, qui croit avoir obtenu ce qu'il veut.

[…]

La silhouette du Serpentard type a cette particularité d'être reconnaissable entre mille.

Déjà parce qu'elle est haute, culminant à une taille sans doute supérieure à la moyenne britannique. Ensuite parce qu'elle est anguleuse et osseuse, presque cassante tant elle est sèche : ses épaules semblent avoir été tracées à la règle, ses jambes sont maigres et il a de hautes pommettes, apparentes. Une silhouette toute en longueur, donc, et qui n'est pas spécialement rassurante.

Voilà ce que je me dis en voyant Rosier arriver dans le couloir cossu et sombre des souterrains, pour le traditionnel cours de potions mixant Gryffondors et Serpentards. Ce type ressemble aux chats faméliques et mauvais qu'on croise dans les quartiers douteux de Londres.

Sauf que lui est riche.

- MacKinnon, nous salue-t-il aimablement en arrivant à notre hauteur, sans même avoir fait de détour pour saluer sa bande. Tu ne vois pas d'inconvénients à ce que j'emprunte ta camarade pour ce cours une nouvelle fois ?

Mais c'est pas vrai, il est amoureux de moi ou quoi ?

- Je ne le fais pas par plaisir, siffle-t-il avec agacement devant le regard mauvais de Marly. C'est Slughorn qui m'oblige à me mettre avec elle pour élever un peu son niveau pitoyable puisque apparemment, même Rogue ne suffit pas.

- Pourquoi demandes-tu mon avis dans ce cas ? rétorque Marly avec animosité, en glissant son bras sous le mien.

- Par courtoisie, mais visiblement ce genre de concept est étranger aux idiotes de votre genre.

- Dégage, aboie mon amie.

Il hausse les sourcils, mais le reste de son visage demeure impassible, signe que sa réaction n'a rien de spontané ou de naturel.

- Tu ferais mieux de ne pas oublier quels genres d'obligation ta famille doit à la mienne, MacKinnon. Si j'étais toi, je ne jouerais pas avec le feu.

Et sur ces paroles énigmatiques qui laissent Marlene muette de colère, il m'entraîne à sa suite.

Face à cette situation surréaliste comparable aux chroniques romantiques de SorcièreHebdo, la seule pensée qui me vient est qu'entre la peste et le choléra, j'aurais sans conteste préféré que Fenwick soit le seul à se montrer si démonstratif.

Je veux dire, Rosier, c'est Rosier. A sa vision, mon cerveau ne m'envoie pas le signal « garçon de ton âge en approche », mais « danger à fuir », en rouge et clignotant.

- Ne te fais pas d'idées, déclare ce dernier au moment où mes pensées commencent à prendre une tournure digne des plus grands romans mélodramatiques du XIVème siècle. C'est vraiment Slughorn qui veut que je t'aide.

Vu son mépris, je remets la thèse de la comédie romantique en question. Quoique, on a déjà vu des mensonges plus élaborés …

- J'espère bien, je marmonne, parce qu'il est important que tu saches que je n'ai aucun sentiment pour toi, et que si tout cela est faux, ça ne te mènera à rien de …

Il m'interrompt avec un ricanement incrédule si spontané que je lève les yeux de la paillasse que je prépare.

- Je ne sais pas ce que tu crois exactement Bangwalder, mais tes insinuations me dégoûtent suffisamment pour que je te conseille de ne pas continuer.

Thèse du mensonge abandonnée également. Bien que je sois vexée par les mots qu'il emploie, je sens une vague de soulagement déferler dans mon corps.

Aussitôt remplacée par une vague d'inquiétude.

Est-ce qu'il va considérer cette aide comme une nouvelle contrainte, dont je lui serai prétendument redevable ?

D'ailleurs, il ne s'est toujours pas vengé de la retenue. Tout comme Lestrange n'a pas réitéré ses menaces, alors que je n'ai strictement rien fait pour satisfaire sa demande.

Nous travaillons en silence, mes pensées occupées par des centaines de théories qui tournent sans relâche dans ma tête, et prenant bien soin de n'avoir aucun contact, lorsqu'un incident vient troubler la quiétude du cours – incident qui prend bien évidemment la forme de Lancaster qui se jette sur Black avec un rugissement de rage. Ils vont se vautrer au sol avec un grand bruit, renversant chaudrons et ingrédients sous les cris affolés de Slughorn, qui est visiblement au bord de la crise de nerf.

Rosier a relevé les yeux, fixe les deux belligérants sans aucune lueur d'intérêt, et lâche pour lui-même :

- Pourquoi cette guenon ressent-elle toujours le moyen de se faire remarquer ?

Je ne supporte pas Lancaster, mais mue par un élan spontané – que je ne m'explique pas – de solidarité pour ma maison, je me sens obligée de prendre la parole :

- Vous avez son équivalent sous la forme de Caesaria MacGrant.

- Et j'ai autant d'estime pour elle que pour Lancaster.

Je repense à la « mission » de Lestrange, et me demande si Rosier est au courant de son objectif, et de mon rôle dans sa réalisation. Au vu de son manque de réaction, je dirais que non.

- Pourtant ta fiancée la fréquente, fais-je remarquer en regardant Slughorn attraper Black par le col et commencer à lui postillonner des remontrances au visage.

- Ma fiancée et moi sommes deux entités différentes et indépendantes l'une de l'autre, Bangwalder, rétorque mon interlocuteur. Et je ne savais pas que tu l'espionnais.

- Je ne l'espionne pas, je m'insurge aussitôt. N'importe quel élève du château sait que Selwyn et MacGrant se fréquentent, parce qu'elles forment le duo le plus bizarre de l'école.

Il dodeline de la tête, visiblement convaincu par l'argument.

Il y a un silence, au cours duquel je reprends mon observation de la colère de Slughorn, qui n'a pas cessé de gesticuler, et distribue généreusement des heures de colle aux deux fauteurs de trouble.

- MacGrant est une idiote, mais c'est un électron libre.

Je hausse les sourcils, attendant une suite qui ne vient pas.

- Pourquoi est-ce mal vu qu'elle fréquente Selwyn ? je lâche dans un excès de confiance face au silence qui s'installe.

Il se tourne avec lenteur vers moi, et c'est à son tour de hausser un sourcil.

- Depuis quand les affaires de Serpentard t'intéressent ?

Je hausse les épaules, et me sens rougir de gêne face à cet échec cuisant et très peu subtil. Comme il me regarde toujours avec insistance, je comprends que je dois m'expliquer si je ne veux pas finir au fond des donjons pour espionnage ou je ne sais quelle connerie digne de Staline.

- C'est Puck qui m'en a parlé, je lâche finalement, sachant pertinemment que la parole de Puck, vraie ou fausse, est invérifiable et n'a donc aucune valeur. Enfin, pas plus que la mienne en tout cas.

- Ah, vraiment ?

Rosier n'est absolument pas dupe, et n'apprécie pas vraiment que je me paye sa tête. Mais voilà si Rosier est Staline, Lestrange est Lénine, ce qui n'est pas plus rassurant.

Je n'ai pas le temps de répondre que Slughorn, encore sous le coup de la colère, approche de notre chaudron à moitié vide et l'observe avec un agacement visiblement croissant.

- Bangwalder a malencontreusement surdosé la poudre de scarabée, déclare immédiatement Rosier en posant une main faussement amicale sur mon épaule et en serrant assez fort pour que j'ai mal. La potion était gâchée, nous recommençons en étant plus attentifs, ne vous en faites pas.

Slughorn nous adresse un regard suspicieux, avant de s'éloigner de sa démarche lourde vers d'autres tables.

- Maintenant tu te tais, tu observes, et tu ne touches plus à rien, grince Rosier en se saisissant des ingrédients et d'un couteau.

Comme d'habitude.

[…]

- Et celle-là ?

Je relève la tête, et observe d'un œil torve ma meilleure amie qui tourbillonne dans sa robe jaune.

- Pas de jaune sur une blonde, je réponds mécaniquement.

- Pourtant, Brodbeck en porte.

- Tu as envie de ressembler à Brodbeck ?

Marlene fait une petite moue et retourne dans sa cabine, tandis que je replonge la tête dans mes mains, fixant le sol. Nous sommes actuellement chez Madame Guipure, et Marlene s'est mise en tête de trouver sa robe pour Noël. Alertée Merlin sait comment, Tito a absolument tenu à nous accompagner, ainsi que Mathilde, et par conséquent son pote français, Léo Gilbert. Pedrioski, vexé d'être écarté a décidé de se joindre à nous, et nous voilà donc tous les six éparpillés dans le magasin, dans ce qui devait être « une excursion discrète à Pré au Lard pour que Fenwick ne réalise pas que je lui ai posé un lapin ».

Bref, aucune discrétion, et malgré les deux heures que nous avons déjà passé dans la boutique, aucun de nous n'a trouvé sa tenue pour Noël. Autant vous dire que je désespère.

Et pour tout arranger, le carillon de la porte m'informe de l'arrivée de Woodhouse et sa jumelle maléfique, Selwyn.

- La guerre civile est proche, je murmure à Léo, assis à côté de moi pour enfiler de nouvelles chaussures.

Il lève la tête, sondant Woodhouse, les yeux plissés.

- Il a l'air mauvais, déclare-t-il finalement en baissant les yeux pour faire ses lacets.

Je hoche la tête, impressionnée par sa perspicacité.

Il faut dire qu'il se dégage littéralement un nuage noir de Woodhouse, tandis qu'il avance d'un pas décidé vers les cabines.

- Il ne faut pas qu'il voit Marly, je chuchote.

Au même moment, cette dernière sort tout sourire de sa cabine, virevoltante dans sa robe rouge.

- Oh oh, déclare Léo.

Effectivement.

Lorsque le regard de Marlene croise celui de Woodhouse, son visage se ferme aussi rapidement que celui du Serpentard s'illumine. Littéralement.

- Il l'aime ? demande à mi-voix Léo, qui n'a rien perdu de la scène.

- Oui, je murmure en me relevant pour m'interposer entre eux.

Contre toute attente, ils ne s'insultent pas directement, mais commencent par se toiser de haut en bas en silence. Et, à ma grande surprise, c'est Marlene qui prend la parole en premier.

- Celle-ci ira très bien, Jab. On y va.

Elle s'apprête à rentrer dans sa cabine, lorsque Woodhouse se décide enfin à parler, la silhouette mince et hautaine de Selwyn se profilant derrière lui.

- Elle est affreuse, déclare-t-il posément. Tu ressembles à une tâche de sang.

- On se passera de ton avis, je rétorque durement en repoussant Marly dans sa cabine.

Mais le mal est fait. Dès demain, Marlene se rendra chez Madame Guipure, afin d'échanger sa robe, parce que le commentaire de Woodhouse est déjà imprimé à l'encre capitale dans sa tête.

Je fixe la tête de cet abruti avec une envie profonde de lui coller mon poing dans son nez, tandis que ce dernier observe ses ongles avec désinvolture.

Et pour couronner le tout, la cloche de la porte carillonne une nouvelle fois, et j'ai le plaisir de voir débarquer Fenwick, Meadowes, et les Maraudeurs au grand complet.


Voilà voilà. Je me rends compte que varier les points de vue et les narrations, ça me plaît bien, donc si ça vous convient aussi, je ferais ça plus souvent !

Je réfléchis, mais je crois que je n'ai rien à créditer dans ce chapitre. Donc je vais vous faire une petite pub : en ce moment je lis la fic le juste vivra par sa loyauté, de scars from the sun. C'est une Sirius/OC très chouette, n'hésitez pas à passer voir !

Ah et pour finir, j'ai vu que j'avais eu des visiteurs de Pologne sur cette fanfic. J'ai trouvé ça marrant, si vous repassez par là sachez que je vous dédie ce chapitre !