Salut salut, vous allez bien ?

Moi c'est un peu le spleen, j'ai eu 7 à mon partiel de droit constit et je le vis plutôt mal. Je me disais bien que finir deux heures en avance ce n'était pas bon signe, mais à ce point là, bon. Heureusement que de fantastiques auteures que nous connaissons tous ont updaté leurs fics durant ces heures sombres ! Ça a eu le mérite de me divertir, et de me rebooster pour le Pays des Merveilles.

Donc mesdames et messieurs, voici le chapitre 9 : les fêtes !


- Votre autorisation de sortie.

- Ma quoi ?

- Votre autorisation ! Vous êtes sourde ?

- Monsieur Rusard, je suis majeure.

Rusard ouvre et referme la bouche, son teint crayeux vire au rouge brique, et Io hausse les sourcils avec flegme.

- Je sais ce que vous traficotez, Derviche, bafouille finalement le concierge avec colère. Attendez seulement que je vous coince …

- Oui, oui, répond Io. On peut y aller ?

Rusard semble prêt à imploser, et je retiens un rire en suivant Io vers le passage qui mène à Pré au Lard. Elle rejette ses longs cheveux en arrière, sous le regard admiratif des Troisièmes années qui attendent pour sortir, et s'engouffre dans le passage d'un pas royal, uniquement destiné à épater la galerie.

Dehors, il a neigé. Le ciel est bleu vif, la température a glissé en dessous de zéro, et sous mon bonnet et mon écharpe, je ressemble à un gremlin enrhumé.

- Tu es sûre que ça ne te dérange pas ? je demande pour la quatorzième fois à Io, qui lève les yeux au ciel.

- Non, ça ne me dérange pas de t'accompagner acheter ta robe pendant que MacKinnon roucoule auprès de je ne sais plus qui. Mais la prochaine fois que tu me le demandes, je te laisse te débrouiller toute seule.

- Johnson. Marlene est avec Johnson.

Io hausse les sourcils, et évite de justesse d'entrer dans le champ d'action d'une bataille de boule de neige de quatrièmes années. Je n'ai pas cette chance, et grimace en sentant une boule éclater contre mon bras.

- Oups ! s'exclame l'auteur de l'attaque, sourire angélique aux lèvres. Pardon madame !

C'est ça. Je lui en foutrais, moi, des « madame ».

- C'est le sosie de Shawn, non ? poursuit Io, sans se préoccuper des nains aux boules de neige.

- Oui, totalement.

- Je croyais qu'elle était passée à autre chose.

Je lui jette un regard par en dessous, blasée. C'est bien mal connaître Marlene.

Nous continuons à progresser dans la rue principale, avant de stationner devant une boutique de vêtements sorciers, face à laquelle se pressent plusieurs groupes de sorcières.

- On n'a qu'à commencer par ici, propose Io.

- Chaque robe coûte un mois de salaire.

- Pour le plaisir des yeux, alors.

Je me laisse convaincre, et nous entrons dans la boutique, d'un pas guilleret pour Io et hésitant pour moi.

- C'est bondé, je marmotte. On n'a qu'à repasser en fin d'après-midi ?

- Il y a cinq personnes, Jab.

Dans une si petite boutique, ça compte.

Avec résignation, je suis donc Io dans les rayons, écartant les robes du bout des doigts.

- Je peux vous aider, Mesdemoiselles ? pépie soudain une vendeuse, qui vient d'apparaître devant nous si soudainement que je la soupçonne d'avoir transplané.

- Bien sûr, répond Io d'une voix toute aussi onctueuse. Mon amie cherche une robe pour les fêtes. Vous pourriez l'aider ?

La vendeuse m'observe d'un œil critique, et je me tends.

- Vous faites quelle taille, Mademoiselle ?

- Je ne sais pas, je réponds d'un ton sec.

Elle tord la bouche, et Io croise les bras, très à l'aise.

- Bon. Vous avez des idées de robe ? Une couleur, une forme ?

- Du blanc, je lâche au hasard. Et des manches longues.

La vendeuse opine, et repart vers sa réserve. Io me fixe, les yeux ronds.

- Quoi ?

- Une robe blanche, à Noël ?

Je n'y avais pas pensé.

- Au pire, je la colorerai, je rétorque donc avec hauteur. Et puis j'ai envie de changer du noir.

- Si tu le dis.

La vendeuse revient avec des robes dans les bras, sa baguette calée derrière l'oreille (habitude que je trouve répugnante), et je scrute nerveusement la boutique et la rue, dans la crainte de croiser quelqu'un que je connais.

- Je vous ai ramené un modèle standard, déclare aussitôt la jeune femme en me brandissant une robe sous le nez. Si la coupe vous convient, je pourrais procéder aux modifications de détails selon vos préférences !

J'observe la robe d'un œil critique. Totalement sobre, à peine resserrée à la taille, plutôt longue quoiqu'un peu plus courte au niveau des tibias que derrière, sans fioritures inutiles.

- Pas mal, juge Io, accoudée à une étagère.

- Vous voulez l'essayer ? demande la vendeuse, baguette à la main.

J'opine du chef, et d'un coup de poignet, me voilà parée. Un détail un peu problématique me saute aussitôt aux yeux.

- Sexy, Jabbie, lâche Io avec un sourire moqueur, tandis que je contemple mon reflet dans le miroir avec gêne.

- Vous pourriez réduire un peu ce décolleté ? je demande à la vendeuse, tout en jetant des coups d'œil craintifs autour de nous.

Caesaria MacGrant vient d'entrer, seule, dans la boutique. J'en oublie un instant mon décolleté, pour froncer les sourcils. Il me semblait pourtant avoir aperçu Selwyn dans la rue commerçante, et il est rare de les voir l'une sans l'autre en dehors des cours.

Rare, mais pas impossible. Mêle-toi de tes oignons, Jab.

- Ça vous convient ?

Je reporte mon attention sur le miroir. Le décolleté a été considérablement raccourci, atteignant une profondeur bien plus convenable.

- Oui, je réponds donc en tendant le cou à nouveau pour suivre MacGrant des yeux.

Après tout, même si je ne compte pas obéir aux ordres de Lestrange, un peu de renseignement ne fait jamais de mal.

Le temps que la vendeuse emballe la robe et que je paye, MacGrant est déjà sortie de la boutique. L'avisant devant la vitrine de Scribenpenne, je lâche de mon ton le plus dégagé :

- Tiens, je viens de me souvenir que je n'avais plus de plume. On va chez Scribenpenne ?

Io tourne aussitôt vers moi un regard soupçonneux, et je lui renvoie un sourire angélique.

- Tu suis MacGrant ? demande-t-elle en haussant le sourcil droit avec circonspection, et je me renfrogne.

Plutôt qu'un club de Bavboule, ce sont des cours de théâtre qu'il faudrait ouvrir. Certaines personnes en auraient bien besoin, et je ne me ferai pas l'offense de citer leurs noms.

- MacGrant ? Pourquoi veux-tu que je la suive ?

- Je ne sais pas, on dirait.

- Eh bien tu te fourvoies. Je vais vraiment acheter des plumes.

- Tu mens. Même ta façon de parler n'est pas naturelle.

- Pardon ?

- Sept ans que je te connais, et tu n'as jamais employé le mot « fourvoyer ». En plus, tu t'es grattée le sourcil en même temps.

- Parce que ça me grattait, peut-être ?

- Ça te grattait parce que tu mentais.

- Bon, Derviche …

- Ça ne me dérange pas que tu la suives. Si tu m'expliques, je peux même t'aider.

Cette fois, je n'ai pas besoin de me forcer pour lui jeter un regard excédé, et tourner les talons. Au diable Lestrange et ses menaces, je n'ai pas de temps à perdre à convaincre Io et espionner cette pauvre fille.

- Et tes plumes ?

- Marlene m'en prêtera, je réponds avec humeur.

- Tu es fâchée ?

- Penses-tu.

Elle consent à se taire – fait rare – et nous faisons un crochet par les Trois Balais, avant de rentrer.

[…]

- Et celle-là ?

L'œil vitreux, je contemple la robe que Jelena brandit sans conviction, avant de lâcher un énième :

- Non. Elle ne me va plus.

Ma sœur range la robe avec un soupir agacé, fouille dans un tintement de cintre dans les tréfonds du placard, et en sort une nouvelle robe noire et ample.

- Non, je geins aussitôt. Tu veux que je ressemble à Rogue ?

- Je ne sais pas qui est Rogue, siffle Jelena qui commence à perdre patience, mais cette robe est très convenable.

- Mais pourquoi je ne peux pas mettre la blanche ?

- Parce que c'est ta robe de réveillon. Qui met du blanc à Noël, enfin ?

- Moi.

- Non. Tu veux que Grand-mère te fasse passer la nuit à la cave ?

Avec un soupir de défaite, je me laisse tomber en arrière sur mon lit. Joffrey quitte aussitôt son poste, près de la fenêtre, pour venir escalader mon ventre, et je lui adresse un sourire attendri.

- Celle-là ? suggère Jelena, sortant une robe vert bouteille de nulle part.

- Ah non.

- Pourquoi ?

- Elle est verte.

Jelena me fixe avec un tel dédain, que je me sens obligée de m'agacer.

- Oh, tu ne vas pas encore me sortir ton laïus « rien ne sert de détester une couleur à cause d'une maison de ton école » ? Toi, depuis que tu as rompu avec Arthur, tu ne peux même plus écouter Elvis Presley sans casser quelque chose !

- C'est totalement faux.

- C'est totalement vrai.

Jelena remet brutalement la robe dans le placard, signe que j'ai visé juste, et se remet à fouiller.

- Non mais laisse tomber, je baille en regardant Joffrey faire de même. Je mettrai la blanche.

- Hors de question.

- Alors je mettrai la tienne, la rouge.

- Toujours pas. J'ai prévu de la mettre.

- Ce soir ?

- Oui.

Je soupire lourdement, et Jelena ressort la robe noire que j'associe à Rogue, qu'elle colore d'un coup de baguette.

- Ça te va, comme ça ?

- Je suppose que je n'ai pas le choix.

- Tu supposes bien.

La coupe de la robe est plutôt androgyne, longue et ample, avec des manches larges et un col qui permet de faire sortir une chemise. Un truc que j'aurais pu porter pour aller en cours, quoi.

Jelena avise mon air dubitatif, et d'un nouveau mouvement du poignet, fait apparaître des broderies dorées le long des manches, et du col, tout en affinant légèrement la robe.

- Et là ? Satisfaite ?

- Sublime.

Elle me jette la robe au visage, agacée.

- Bon, mets ça et viens dans ma chambre, que je t'arrange.

Je me redresse en grimaçant, Joffrey me plantant ses griffes dans le pull pour ne pas tomber, tandis que ma sœur retourne dans sa chambre, adjacente à la mienne. J'enfile la robe sans conviction, et sort dans le couloir pour contempler mon reflet dans le miroir en pied qui s'y trouve.

Les arrangements de Jelena ont rendu la robe un petit peu plus féminine, mais j'ai la désagréable impression de ressembler à Dumbledore lors de son discours de rentrée 1974.

Oui, des petits plaisantins ont fait paraître l'an dernier une parodie de Vogue, dans laquelle figuraient les outfits de Dumbledore, années par années. J'ai entendu dire que c'était une Poufsouffle d'origine américaine qui avait eu l'idée de lancer ce projet, et j'avoue que l'idée n'était pas mauvaise. Surtout quand on sait que Dumbledore lui-même s'est procuré le magazine.

Mais toujours est-il que je ressemble à un directeur centenaire, et que ce n'est pas exactement le style que je visais.

- Jelena, je gémis. Je suis moche !

Ma sœur passe la tête par le chambranle de sa porte, et me scrute avec attention.

- Viens, soupire-t-elle finalement. Je vais arranger ça.

Oui, nous sommes une famille qui soupire beaucoup. Mais mieux vaut cela que la violence.

Je m'assois docilement sur sa chaise de bureau, dépitée du reflet que me renvoie son miroir. Jelena s'active déjà derrière moi, baguette et lotions à la main pour démêler, lisser, et hydrater mes cheveux. Sa tâche accomplie, elle resserre rapidement ma robe au niveau des côtes, de la poitrine, et de la taille, tout en amplifiant légèrement l'épaisseur de la jupe. Elle relève ensuite mes cheveux, et s'applique à tresser plusieurs mèches partant de la base de ma tête, avant d'attacher le tout en chignon. D'un sortilège informulé, quelques fils dorés viennent orner les tresses, et elle attache une fine chaîne d'or autour de mon cou. Puis, elle me fourre dans les mains mascara et rouge à lèvres, avant de me désigner la porte.

Le tout n'a pas pris plus de cinq minutes, mais c'est une autre personne que me renvoie le reflet du miroir.

- Merci, je m'exclame sincèrement.

- File, grince Jelena. A cause de toi je vais devoir mettre une autre robe.

Si on arrive toutes les deux en rouge, les matriarches vont monter sur leurs grands chevaux, et c'est moi, la cadette, qui sera accusée de copier ma sœur. Autant nous éviter ça.

- J'apprécie ton sacrifice, je déclare à la porte close qui me fait face, avant de retourner à ma chambre.

Le temps que je mette méticuleusement du mascara sur mes cils et que j'atténue un maximum le rouge à lèvres pourpre, Jelena est déjà prête, et nous traversons ensemble le couloir qui sépare l'appartement en deux pour rejoindre la pièce de vie. Nos parents nous y attendent en relisant des courriers, et en nous voyant, mon père fait mine d'être ébloui, tandis que ma mère nous toise de haut en bas.

- Test passé ? je demande, en la voyant finalement refermer une enveloppe et se lever.

- Admettons, répond-elle, jetant à Jelena un regard indéchiffrable. Où sont vos manteaux ?

Je lève les yeux au ciel, agacée du débat qui va suivre.

- Maman, on va prendre la poudre de cheminette, et atterrir directement chez Leta. On n'a pas besoin de se couvrir.

- Vous allez être couvertes de cendre.

- Jab va être couverte de cendre, rectifie Jelena qui a déjà enfilé sa cape.

- Il y a des sorts pour ça, non ?

- On en reparlera quand tu sauras les lancer, me coupe mon père. En attendant, met ton manteau.

Mon père. Mon meilleur allié. Je n'ose y croire.

- Ferme la bouche, ricane Jelena. Et dépêche-toi, on va être en retard.

Je m'exécute avec agacement, et quelques minutes plus tard, nous sommes tous les quatre dans le Hall de ma grand-mère, face à son elfe de maison.

- Bonjour, roucoule celui-ci en se courbant légèrement. Madame Lestrange vous recevra dans la pièce de vie.

Leta nous attend effectivement dans l'immense salle qui lui sert de salon et salle à manger. Elle se lève presque à regret, et nous toise sans aménité – un peu comme ma mère l'a fait dix minutes auparavant, l'impassibilité en moins.

- Qu'est-ce que c'est que cette robe, Jabberwocky ? aboie-t-elle d'ailleurs d'entrée de jeu. Dumbledore pourrait la porter !

Pas un membre de ma famille ne réagit, et comprenant que je n'ai pas d'aide à attendre de ce côté-là, je carre les épaules et m'apprête à rétorquer, lorsque ma grand-mère me coupe à nouveau :

- De toute façon, il a toujours été un peu efféminé. C'est de l'or, que tu as dans les cheveux ?

- Non, souffle Jelena.

- Ah, j'aurai cru. Tu as encore des progrès à faire, ma fille.

Jelena sourit, et Leta se tourne vers mes parents, restés muets le temps de l'échange.

- Vous restez dormir ?

- Non, déclare mon père.

- Oui, répond ma mère.

Ils se regardent avec agacement, et je me retiens de lever les yeux au ciel. Cinq minutes que ma famille est au complet, et je suis déjà au summum de la lassitude. Jelena ne dit rien, ma mère lâche trois mots glacés, Leta les regarde sans expression apparente, l'elfe nous observe depuis la cheminée, qu'il tisonne.

- On reste, capitule finalement mon père, et je me retiens de soupirer.

Je regrette de ne pas avoir plus insisté pour accepter l'invitation des MacKinnon.

Ils sont peut-être Liverpuldiens, mais au moins, ils sont marrants.

- Jabberwocky ?

Je tourne la tête vers ma grand-mère, et elle me désigne le couloir.

- Je t'ai attribuée la deuxième chambre, au deuxième. La grande. Jelena, tu es au troisième, avec Jerry et Chimène.

Je fronce les sourcils. Je suis toute seule au deuxième ?

- Quoi ? assène ma grand-mère, qui n'a rien manqué de ma réaction. Tu as peur ?

M'énerve cette vieille chouette.

- Non, je réponds d'un ton aigre.

En vérité, je suis morte de trouille. Dormir seule à un étage désert du manoir, c'est bien la dernière chose dont j'avais envie pour le soir de Noël.

- Parfait. Passons à table.

Le repas se fait dans un calme relatif, entrecoupé par le bruit des couverts, les apparitions de l'elfe, remplaçant saumon par foie gras, puis foie gras par chapon, et les actualités que ma mère consent à donner à ma grand-mère, au sujet du ministère.

- Je suis allée y faire un tour, récemment, lance ma grand-mère d'un ton désinvolte en coupant son chapon.

Ma mère braque si vite et si intensément son regard sur elle, que je m'en sens immédiatement mal à l'aise. L'atmosphère a changé en un instant, et j'échange avec Jelena un regard inquiet, tandis que mon père a suspendu son geste. Ma grand-mère a pris soin de prononcer sa phrase en français, et même s'il l'a comprise, la suite de la conversation va exiger de lui une concentration accrue.

- Voir un vieil ami, poursuit Leta. Judicaël Volant, ça te dit quelque chose ?

- Non, répond sèchement ma mère.

- Il est venu en tant qu'inspecteur étranger au service des Aurors. Paraît que certains de la coopération magique ont fait du zèle auprès du Ministère français.

Elle ponctue ses paroles d'un regard appuyé en direction de mon père, qui fronce les sourcils. Pas sûre qu'il ait compris le sens exact du mot « zèle », mais l'idée a dû passer puisque lui aussi adopte une posture défensive face à ma grand-mère, qui se délecte du malaise engendré par ses paroles.

- Et alors ? répond ma mère d'un ton glacé, tandis que la farce refroidit lentement dans son assiette de porcelaine.

- Et alors rien, je suis simplement passée au ministère le saluer. Il m'a parlée de toi. Tu sais comment ils t'appellent, au Ministère ?

- Leta, coupe mon père. Ne parlons pas de travail le soir de Noël.

- Tu as raison, Jerry, répond ma grand-mère en faisant tourner son champagne dans sa flûte. Jelena, quand sont tes examens ?

Plus provocatrice que cette vieille toupie, vous ne trouverez pas.

- Fin juin, répond ma sœur.

L'elfe vient discrètement remplacer le chapon et la sauce aux morilles par des coquilles saint Jacques à la crème, et avant que je ne commence à saliver, mon ventre déjà plein me rappelle douloureusement à l'ordre.

- Ah, bien. Toi aussi, Jabberwocky ?

- Oui.

- Tu le sens bien ?

Son ton est ouvertement narquois, et je redresse juste assez la tête de mon assiette pour lui jeter un regard noir.

- C'est tout de même bizarre, que vous commenciez à onze ans et finissiez à dix-sept ans, en Angleterre, reprend Leta sans attendre de réponse de ma part. Le système de Beauxbâtons est bien plus ingénieux. A douze ans, les gamins sont plus mûrs pour commencer les cours, et à dix-huit, plus mûrs pour affronter la vie.

- Sûrement, je réponds sans conviction.

Moi, j'aime bien cette asymétrie. Ça m'a permis de commencer l'école en même temps que Jelena, et de ne pas passer un an sans elle, entre mes parents.

Un léger silence s'étire, où nous mangeons sans parler. Seuls les crépitements de la cheminée se font entendre, et je savoure chaque seconde qui s'écoule sans que Leta n'ouvre la bouche.

Les coquilles saint Jacques sont débarrassées, remplacées par un trou normand. Un sorbet au citron vient orner nos coupelles, et Jelena relance prudemment la conversation sur le sujet du nouvel an.

- Vous êtes majeures, déclare aussitôt ma grand-mère en remuant son sorbet fondu. Vous faites ce que vous souhaitez. Mais il y aura des personnalités intéressantes, à ce réveillon.

- Comme qui ? demande mon père, qui ne s'y présentera bien évidemment pas, puisqu'il est Né-Moldu.

- Les Petit, les Perrot, les Gage. Peut-être les Tremblay, et j'ai envoyé un mot aux Rosier.

Je tourne la tête vers mon aïeule, interloquée.

- Les Rosier ?

- Oui. Tu as un problème avec eux ?

Quatre paires d'yeux inquisiteurs se posent sur moi, et je sens mon visage chauffer.

- Non, aucun. Les Rosier français ?

- Non, les Rosier afghans. Qui veux-tu que ce soit, Jabberwocky ?

- Il y a des Rosier en Grande-Bretagne, rétorque ma mère.

Etonnée de ce soutien inattendu, je tourne la tête vers elle.

Ma grand-mère fronce les sourcils.

- Peut-être. Je ne les connais pas.

- Arcius Rosier est leader d'un groupe de pression au département de la Justice. Officiellement, c'est un parti politique. Officieusement, du lobbying. Tu ne l'as pas croisé, lors de ta visite ?

- Il semblerait que non. Tu veux que je les invite ?

Je tressaille, et mon visage se crispe assez ostensiblement pour ma grand-mère comprenne le message.

- Les Rosier français sont des gens charmants, reprend-elle en remuant délicatement le sorbet fondu dans sa coupelle. Desdémone, qui a mon âge, est en bons termes avec nous. Je crois qu'elle a un fils de ton âge, Chimène. Il est potionniste.

Ma mère hoche la tête avec désintérêt, mon père fronce les sourcils, et Jelena pouffe de rire.

- Les affaires vont bien, Jerry ?

- Ça va, grommelle mon père. Ça irait mieux si les Français pensaient un peu plus collectif, mais on ne les changera pas.

- Il me semblait que les Américains vous donnaient du fil à retordre aussi.

- Moins que le Ministère des affaires magiques.

Ma mère et ma grand-mère oublient soudain leur discorde pour adresser à mon père la même expression, entre dédain et fierté pour l'indiscipline dont leur ministère fait preuve, et l'agacement de mon père qui en résulte.

L'elfe amène le fromage, et la discussion s'oriente vers la chute du cours du Bézant – la monnaie magique française – puis sur le Quidditch (discussion n'impliquant que mon père, ma sœur et Leta, qui a un avis sur tout), puis sur l'Académie française des sorciers, que ma grand-mère, bibliophile invétérée, s'efforce d'influencer le plus possible.

- Le latin, répète-t-elle d'un ton hautain, ils oublient toujours le latin ! Plutôt que d'inventer des traductions sans queue ni tête, ils devraient se souvenir de leurs racines !

- C'est marrant, je lâche en triturant mon pain. Les Sangs-Purs en Angleterre sont obsédés par le latin. Plus que les Français.

- C'est normal. Les plus grandes familles sont d'ascendance française – les Lestrange, les Malefoy, les Rosier. Donc ils mettent en valeur leurs origines, et les autres suivent le mouvement pour se donner l'air distingué.

Ma mère approuve, mon père baille. Tout ce qui n'est pas l'Ecosse ne l'intéresse pas. Jelena joue avec ses couverts, la bûche succède au fromage.

- Au fait, Jabberwocky, lance soudain ma mère, tu as acheté les manuels pour tes cours ?

- Oui, je réponds d'un ton maussade.

J'attends patiemment la remarque cinglante de ma grand-mère, qui met étrangement longtemps à arriver. Je tourne la tête vers elle, et elle me retourne un de ses regards acérés habituels, sans le moindre commentaire désobligeant.

Déstabilisée, je me tourne vers mon assiette, et m'attaque à la part de bûche colossale que l'elfe m'a servie. Aucune remarque sur mon soutien ou mes moyennes n'est faite, et l'ambiance s'allège légèrement à mesure que nos estomacs achèvent de se remplir.

- Bon, cingle finalement ma grand-mère après s'être soigneusement essuyé la commissure des lèvres de sa serviette brodée. Allez dormir, Jerry ne fait que bailler.

Mon père proteste faiblement, et nous nous dirigeons tous d'un pas alourdi par notre repas vers les étages. Je me rappelle soudainement que je dors seule au deuxième, et me renfrogne, ignorant les « joyeux Noël » que nous souhaitent quelques portraits avec amabilité. Jelena m'adresse un regard plein de compassion en me voyant quitter les escaliers pour m'enfoncer dans le corridor sombre, et arrivée à la deuxième chambre, je m'empresse de clore la porte derrière moi.

La chambre est spacieuse, des bougies allumées l'éclairent faiblement. Les murs sont rouges, un grand lit à baldaquin trône au milieu de la pièce. Une coiffeuse et une armoire constituent le reste du mobilier, et je déglutis en regardant les ombres danser sur les lourds rideaux de velours, tirés devant la fenêtre.

Dans l'armoire se trouve un pyjama, que j'enfile prestement avant de me glisser dans mon lit en frissonnant. Je laisse les baldaquins ouverts, scannant la chambre d'un regard vigilant – qui pourrait sembler apeuré de l'extérieur, mais qui n'est rien d'autre qu'attentif, je vous le garantis.

Finalement, ne détectant rien de spécial, j'éteins prudemment les bougies, ne laissant que la chandelle sur ma table de chevet allumée, et me renverse en arrière, yeux clos. Que je rouvre un instant plus tard, en entendant un craquement suspect venir de l'armoire.

Mon regard est aussitôt attiré par un mouvement léger, au-dessus de moi. Le plafond du baldaquin luit faiblement, et semble bouger, à la manière des tableaux.

A tous les coups, Leta m'a enfermée dans une chambre maudite, pour me punir de mes notes.

Je saisis la chandelle d'une main qui se veut assurée mais qui tremble tellement que je me verse de la cire sur le pyjama, et dirige la lumière de la petite flamme vers le plafond.

Ce n'est pas un tableau, c'est un arbre généalogique.

Des portraits tissés s'agitent doucement, reliés par des minces branches d'or, qui brillent à la lueur de la bougie. Des noms sont inscrits sous chaque visage, et les lettres semblent trembler à mesure que je dirige la lumière d'un bout à l'autre de la tapisserie, qui couvre tout le plafond du baldaquin. Une phrase surplombe l'arbre, et je la déchiffre avec peine.

Corvus oculum corvi non eruit.

Le corbeau ne mange pas l'œil d'un autre corbeau. La douce devise des Lestrange, dont l'arbre qui me surplombe me paraît soudain bien oppressant.

Je reconnais les deux patriarches, Corvus et Cyrille, dont les visages austères me contemplent avec dédain, gravés sous la devise. Tous deux sont Français, mais si Corvus est un des aïeuls de la branche britannique, et Cyrille est mon ancêtre, et Leta figure parmi ses dernières descendantes directes. Cette dernière n'a jamais voulu nous parler de ses parents. Jelena suppose qu'elle est le fruit d'un adultère, et que son père était Cyrille IV – ce qui expliquerait son patronyme, et son isolement, mais ce ne sont que des hypothèses, et des années de conspiration et d'espionnage, pratiquées par Jelena et moi, ne nous ont jamais permis de les étayer.

Sous le nom de Corvus, sa descendance s'étend jusqu'à une autre Leta. Sa mère, Laurena Kama, a un nom qui m'est totalement inconnu, et je laisse de nouveau mon regard dériver vers la branche française. Aussitôt, je fronce les sourcils. Au même niveau chronologique que Leta, ne se trouve que Nozéa II Lestrange. Pas de trace de ma grand-mère, ni de ma mère, et si l'absence de cette dernière pourrait s'expliquer par la date de création de la tapisserie ou sa désuétude, Leta aurait dû figurer comme contemporaine de Nozéa.

Ça ne fait aucun sens, mis à part celui de la thèse de Leta comme enfant illégitime. Impossible, donc, de trouver qui était son mari. A moins que l'arbre ne soit pas exhaustif ?

Ma grand-mère est une vieille chouette agressive et moqueuse, mais elle est loin d'être bête ou sénile. Si elle m'a mise dans cette chambre, c'est forcément à dessein. En revanche, seul son cerveau tordu sait lequel, et j'avoue être trop fatiguée pour chercher plus loin.

A mon habitude, je déléguerai la lourde tâche de réfléchir à quelqu'un d'autre.

[…]

Regulus contemple d'un œil morne le petit parchemin ensorcelé à son nom, flottant au-dessus de son assiette, avant de relever la tête, balayant la salle du regard.

Des tables de huit ont été réparties dans la pièce, magiquement agrandie. Le plafond reflète des milliers d'étoiles scintillantes, reliées en constellations par de fines lignes d'argent, et la tapisserie généalogique brille sur le mur du fond, les couleurs plus éclatantes que jamais. La table est superbe, dressée avec élégance et raffinement, les couverts d'argent s'alignent harmonieusement avec le long des assiettes de porcelaine, et les verres de cristal étincellent à la lumière des bougies, juchée sur des chandeliers d'or et de cuivre. Les convives, amassés autour de la table en petits groupes, s'accordent à la magnificence de la pièce. Ils rivalisent de préciosité, dans leurs robes coûteuses, et les étrennes s'empilent sur le buffet d'acajou. Au plafond, le gui déploie ses branches lascives, et les elfes se faufilent entre les invités, si silencieusement et discrètement que seul Regulus parvient à déceler leurs fugaces apparitions.

- Bonsoir, Regulus.

Il se retourne, découvre Mensa Parkinson, qui lui adresse un sourire incertain. Ils sont camarades de classe, partenaires de potion même, et les liens qu'ils entretiennent habituellement sont cordiaux. Ce soir, cependant, ils sont en dehors du cadre scolaire, et leur attitude est étrangement guindée.

- Bonsoir. Je ne t'avais pas vu arriver. Tu vas bien ?

- Très bien, merci. Je n'étais jamais venue, votre maison est splendide.

Bien que « splendide » ne lui semble pas être le terme le plus approprié, Regulus hoche poliment la tête. Sa mère s'est donnée beaucoup de mal pour faire oublier qu'ils vivaient dans une maison au milieu des Moldus, et non dans un manoir perdu dans la campagne anglaise, et il doit reconnaître que le résultat n'est pas désagréable à regarder. Ce n'est pas le moment de gâcher ses efforts.

- Je transmettrai, répond-il donc avec amabilité. Tes parents sont venus ?

- Oui, je crois qu'ils parlent avec les Shafiq.

La conversation retombe à nouveau. Il prend le temps de la regarder un peu plus attentivement, tandis qu'elle détourne le regard pour analyser les invités qui les entourent. Elle porte une jolie robe verte, sans excès ni fioritures, accordée à ses yeux vifs et mordorés. Elle n'est pas particulièrement jolie, et sa silhouette est plutôt commune, mais quelque chose dans son attitude la distingue de la banalité. Une assurance tout en souplesse et en ruse, une tranquille confiance, un calme faussement indifférent. Mensa Parkinson n'est pas une proie.

- Je vais aller saluer les Flint, décrète-t-elle soudainement. A plus tard, Regulus.

Il se contente de hocher la tête, et reporte son attention sur les invités. Rosier vient d'entrer dans le salon, aux côtés de Dolohov : son visage n'exprime rien, mais il dégage une aura si négative que les invités autour s'écartent légèrement. Dolohov ricane, à son habitude, et un instant plus tard, Dolioro vient se planter devant lui, sourire trop large aux lèvres. Ils échangent quelques mots, et tous deux s'éloignent ensemble, tandis que Rosier se dirige vers Regulus, qui n'en éprouve aucun enthousiasme.

- Regulus, bonsoir, lâche Rosier avec désintérêt en arrivant à sa hauteur.

- Bonsoir. Tu es venu seul ?

Il se répète, mais qui viendra l'en blâmer ? La réponse à la question l'intéresse.

- Cheleb ne devrait pas tarder, répond Evan en regardant autour de lui. Jolie décoration. C'est de ta mère, j'imagine ?

- Oui.

- Vous attendez encore du monde ?

- Je n'en sais rien, répond Regulus avec humeur. Ce n'est pas moi qui gère les invités.

Rosier lui adresse un regard surpris, et il regrette immédiatement ses paroles. Ce n'est pas une bonne idée de montrer qu'il est aussi tendu, et surtout pas à Rosier : c'est lui qui doit l'introduire, et le moindre faux pas pourrait le compromettre, lui faire perdre encore un peu plus de temps.

- Désolé, lâche-t-il donc. J'ai du parler à des gens qui m'ont mis de mauvaise humeur.

Rosier retrousse ses lèvres en un rictus moqueur, pas dupe pour un sou, et reporte son regard sur les convives qui les entourent. Un silence inconfortable s'instaure : ils n'ont rien à se dire, aucune affinité particulière, et Regulus se prend à regretter la présence de Mensa.

- J'ai entendu dire que ta mère avait invité Minchum, déclare Rosier en observant d'un œil distrait le contenu de son verre.

- Oui. Il viendra peut-être en fin de soirée.

- C'est un vrai pantin. Pour peu qu'il ait rencontré des progressistes ce matin, et il vous fera faux bond.

Une caractéristique de Rosier qui a toujours agacé Regulus, c'est cette façon de parler, comme s'il était en retrait des évènements. En retrait et en hauteur, alors que c'est un Mangemort, dont les parents organisent tout autant de réceptions que les Black, et qui, apparemment, ne manque pas de zèle dans ses fonctions officieuses. Alors cette façon de se positionner crispe prodigieusement Regulus : il n'est peut-être pas aussi démonstratif que certains de ses pairs, mais il déteste être pris de haut.

- Ça vaut le coup d'essayer, répond-il néanmoins.

L'image fugace de Rookwood animant un pari entre eux deux s'impose un instant dans son esprit, avant de s'évanouir. De leur cercle, seuls MacGrant, Rookwood et Rogue n'ont pas été invités : même les Woodhouse ont eu droit à leur carton d'invitation. Rookwood a haussé les épaules, Caesaria s'est contentée de remuer avec sérénité sa petite cuiller dans son café, Rogue a brièvement serré les dents, et Regulus a trouvé leur réaction très digne au vu de l'humiliation qu'il venait de leur faire subir.

- Peut-être, répond Rosier en regardant Yaxley s'avancer vers eux, sans faire un geste pour le saluer. Peut-être pas.

Yaxley arrive à leur hauteur. Il a l'air, comme souvent, très mécontent, et s'empresse de vider sa flûte de champagne.

- J'ai croisé les Fawley, grince-t-il. Ma mère parle de me fiancer à sa fille.

Regulus hausse les sourcils avec étonnement.

- Leur fille ? Jocaste, celle à Serdaigle ?

Du menton, Yaxley pointe une jeune fille qui se tient à côté de Mensa, à l'autre bout de la pièce. Elle a un carré strict, un regard de faucon, et une taille fine, ceinte d'une gaine de cuir.

- Ouais.

- Et ? interroge Rosier, les yeux rivés sur la concernée. Qu'est-ce qui te déplait chez elle ?

Yaxley s'agite, puis se penche légèrement, et baisse la voix pour leur avouer :

- J'espérais tomber sur Mabel Prewett.

- Mabel ? répète Rosier, incrédule. Mabel Prewett ? Elle a quatre ans de plus que nous.

- C'est une femme mature, répond Yaxley avec toute la dignité qu'il lui reste.

Le ricanement de Rosier est si spontané que des visages surpris se tournent vers lui. Regulus se permet également un sourire narquois, et Yaxley les fusille du regard, vexé.

- On n'a pas tous la chance de tomber sur une Narcissa ou une Cheleb, grommelle-t-il.

Le rire de Rosier se résorbe, son expression redevient neutre. Il ne répond pas, et fixe à nouveau son regard sur Jocaste. Impossible de deviner ce qu'il pense, et au regard froidement interrogateur qu'elle lui renvoie, il se contente de lui répondre par un signe de tête.

- Tu fais la fine bouche, lâche-t-il finalement à l'intention de Yaxley. Cette fille vaut mieux qu'une bonne partie des personnes dans cette pièce. Sans offense, Regulus.

Ils échangent un regard ironique que Yaxley capte, et il se renfrogne à nouveau.

- Vous ne la connaissez pas, insiste-t-il.

- Toi non plus.

- Dis donc Rosier, tu lui dois une faveur ou quoi ? Je te trouve bien loquace à son sujet, grogne soudain Yaxley, irrité.

L'atmosphère devient soudain aussi réfrigérante que si un Détraqueur s'était introduit au sein du groupe. Rosier observe Yaxley sans mot dire, Yaxley fait mine d'être absorbé par la coiffure compliqué de d'Angharad Woodhouse, le regard de Regulus passe de l'un à l'autre, dans l'expectative d'une réaction qui tarde à venir.

- Je remets simplement les choses à leur place, répond finalement Rosier. Si l'un de vous deux était à plaindre dans cette alliance, ce serait plutôt elle.

C'est au tour de Yaxley de fixer Rosier avec stupeur, tandis que ce dernier tourne la tête avec indifférence. Regulus décide que c'est le bon moment pour partir, et les salue brièvement avant de s'éloigner, se fondant dans la masse des invités. Il croise le regard de sa mère, qui discute avec une fausse cordialité avec les Bulstrode, puis celui de Cheleb, qui se tient seule à côté d'une fenêtre. Après un instant d'hésitation, il se dirige vers elle, et elle incline la tête en le regardant s'approcher.

- Bonsoir Regulus.

- Tu n'es pas avec Evan ? répond Regulus.

- Je t'ai salué. Tu pourrais en faire de même.

- Bonsoir Cheleb.

Il a conscience d'avoir été grossier, un peu trop familier avec cette grande dame, et se sent soudain un peu honteux. Il n'ajoute rien, attend patiemment sa réponse avec un demi-sourire d'excuse.

- Non, je ne suis pas avec Evan, répond-elle finalement, après avoir avalé une gorgée de boisson.

- Je crois qu'il te cherchait.

- Il sait où me trouver, rétorque-t-elle avec un haussement d'épaules indifférent. Tu as croisé Ringo ?

- Non.

Et tant mieux, songe-t-il. Il ne supporte pas Woodhouse, avec ses manières de molosse affamé, et peine à comprendre comment Cheleb peut l'apprécier. A l'image de Caesaria, Woodhouse est issu d'un milieu social moins prestigieux que le leur, et ses manières laissent à désirer. Il parle fort, il est agressif, il a un peu trop conscience de sa force physique. Non, vraiment, il ne voit pas ce que Cheleb lui trouve, elle qui est si distinguée, si élégante. Elle est aussi intelligente et cultivée, et ils ont déjà eu des conversations tard le soir dans la Salle Commune, chuchotant leur curiosité sur les technologies moldues dans le silence du feu qui s'éteint. Après, seul dans son lit, Regulus enviait Rosier.

- Ta mère m'a dit qu'elle avait mis plusieurs semaines à organiser cette soirée, déclare Cheleb en regardant l'arbre généalogique qui leur fait face. C'est très beau.

Il hoche la tête, un peu las à nouveau. Les mondanités le fatiguent, physiquement et moralement. Cheleb semble le voir, parce qu'elle lui tend un verre sorti de nulle part, et ils trinquent sans se regarder.

- Qu'est-ce que tu trouves à Woodhouse ? demande-t-il soudain, tout à trac.

La question est sortie d'elle-même, Cheleb le contemple avec le même étonnement étudié que son fiancé affichait un peu plus tôt. Il tente de détendre ses épaules, de paraître naturel, mais la tâche est difficile, et de toute façon, elle ne se laisse pas abuser par les apparences.

- Je ne sais pas vraiment, répond-elle après quelques instants de réflexion. J'aime sa sincérité, je pense.

- Sa sincérité ? répète Regulus, incrédule.

- Oui. Il ne fait pas semblant.

Elle laisse couler quelques secondes de silence, avant de conclure :

- Il ne fait jamais semblant.

- Comme Caesaria ?

Elle dodeline de la tête sans répondre, et il sent le sujet lui glisser entre les doigts.

- Mon père me fait signe, reprend-elle en déposant son verre sur un guéridon à proximité. A plus tard.

Et elle s'éloigne dans la foule, légère comme une nymphe, belle comme un rêve.

Dans l'angle, à côté du buffet, Jocaste n'a rien manqué du regard mélancolique de Regulus. Il est d'un an son aîné, mais elle aime bien le regarder. Elle lui a toujours trouvé un air triste, derrière son impassibilité de façade.

Laissant vagabonder son regard de nouveau, elle croise celui de Yaxley, et s'empresse de détourner les yeux, pour se concentrer sur les longues boucles brunes d'Amaryllis Rosier, qui écoute patiemment l'échange entre son époux et Abraxas Malefoy. Avisant le regard de Jocaste posé sur elle, Amaryllis lui adresse un signe de tête rigide, et ses yeux étincellent d'agacement. Les Greengrass n'ont jamais été connus pour leur bon caractère, et les Fawley sont toujours entachés par la démission honteuse de leur aïeul, le ministre Hector Fawley.

D'autres invités toisent leurs confrères, à la manière de Jocaste. Rodolphus Lestrange, qui semble s'ennuyer ferme, assis seul à une table. Bellatrix Black, à la recherche d'une proie pour tromper son ennui. Regulus Black, qui écoute patiemment le patriarche Selwyn exposer ses succès financiers. Le patriarche Black, qui contrôle le bon fonctionnement de la soirée en faisant mine de s'intéresser à ce que lui raconte la mère de Jocaste, Rhéa Fawley. Le fils Avery, qui écoute Cheleb Selwyn lui parler avec un sourire paresseux, sourire paresseux qui ne résiste pas à l'arrivée du fils Rosier.

Le monde Sang-Pur n'est rien d'autre qu'un cycle. Les mêmes noms se succèdent, les mêmes idées, aussi. Jocaste s'ennuie terriblement dans ce cercle sans fin, et pourtant, ça ne semble choquer qu'elle, d'être promise à cette vie ennuyeuse. Sa génération ressent le même malaise, elle en est consciente – il n'y a qu'à voir le regard triste de Regulus, le regard coléreux de Yaxley, et le regard vide de Rosier pour s'en rendre compte. Mais personne n'agit : tous se précipitent dans les schémas de leurs parents, qui n'ont pas eu plus de choix à leur âge, et ainsi de suite.

Lorsque Jocaste s'amuse avec ses amis, à Poudlard, elle trouve que la vie est belle et courte. Lorsqu'elle observe ce genre de mondanités et se rappelle les obligations auxquelles elle devra bientôt se soumettre, le gouffre de la mélancolie lui paraît toujours bien proche.

[…]

- Jab. C'est moche comme nom ça, ça ne veut rien dire.

- La ferme Andy, souffle Marlene en arrachant le verre de bière des mains de son frère.

- Non mais sérieusement, je me suis toujours posé la question. C'est quoi ce prénom ? Ça vient d'où ?

- C'est islandais, je réponds d'un ton sec.

- J'en étais sûr, grommelle Andy, et je lui adresse un regard atterré.

Après moultes négociations, j'ai obtenu l'autorisation de fêter mon nouvel an chez Marlene, à Liverpool. Ma grand-mère a beaucoup râlé sur l'avenir de chômage et de misère qui m'attendait, et si j'en crois les bêtises que débite l'aîné MacKinnon depuis le début de la soirée, j'aurais peut-être dû l'écouter.

- Tu n'y connais rien à l'islandais, le rabroue vertement Marlene. Et tu es ivre. Et si tu allais dormir ?

- Vous allez parler de trucs de filles ?

- Peut-être, oui.

- Je peux rester ?

- Je viens de te dire d'aller te coucher !

Andy tord la bouche avec déception, et je laisse échapper un petit rire face à sa mine contrite. Marlene va sûrement me parler de son rencard avec Johnson ou des abdominaux de Fenwick, et son frère n'a effectivement pas besoin d'entendre ces choses. Moi non plus, d'ailleurs.

- Je suis un peu fatiguée Marly, je lâche de mon ton le plus naturel possible, en simulant un bâillement, qui devient réel, et prend une longueur légèrement suspecte.

Le regard de Marlene se charge de promesses de vengeance, et je change subitement d'avis.

- En fait non, c'était une petite fatigue passagère, je bredouille.

- Parfait ! Allez Andy, tu dégages.

- Parle mieux à ton aîné, grommelle Andy en se levant avec difficultés.

Il parvient à trouver un simulacre d'équilibre, juché sur ses grandes jambes, et atteint péniblement la porte. La fatigue couplée à l'alcool le fait tanguer, et Marlene le regarde disparaître avec agacement.

- Il boit toujours trop, soupire-t-elle.

Pour sa défense, il rentrait de soirée. Ne croyez pas qu'il ait bu seul en nous écoutant, sa vie n'est pas triste à ce point.

- Bon, reprend mon amie en se tournant vers moi, les yeux brillants. J'ai du nouveau !

Je chasse le soupir las qui me vient aux lèvres, et me compose un visage intéressé.

- A propos de qui ?

- De toi, quelle question !

Je fronce aussitôt les sourcils, méfiante.

- De moi ?

- Je t'avais dit que je parlerai de ton cas magique à ma mère, tu te souviens ?

- Non.

- Vu qu'elle est médicomage, je me disais qu'elle pourrait peut-être savoir quelque chose. Tu ne t'en souviens vraiment pas ?

- Non.

- Bon, eh bien voilà, je lui ai demandé.

Marlene sirote son verre de jus de citrouille, écarte le plateau sinistré des gâteaux, et rassemble les couverts. Je l'observe faire, décontenancée.

- ... Et donc ? Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

- Qu'elle n'avait jamais entendu parler d'un cas pareil, mis à part suite à des traumatismes. Comme tu m'as dit que ce n'était pas le cas …

- En tout cas, pas que je me souvienne, je la coupe.

- Oui, voilà, comme ce n'est pas le cas, elle ne voit pas ce que ça peut être. Elle pense qu'il faut attendre de voir comment ça évolue.

- C'est tout vu, je grommelle. Ça fait bientôt deux ans que ça ne fait que diminuer.

Marlene hausse les épaules. Ma chute de magie ne l'a jamais vraiment alarmée, même si elle reconnaît volontiers qu'il s'agit d'un phénomène qui ne dépend pas de moi. Elle pense que c'est une phase, et est convaincue que je ne suis pas la seule dans mon cas.

- C'est ça, ce que tu appelles du nouveau ? je lâche avec mauvaise humeur.

- Ne t'énerve pas. Ma mère va parler de tes symptômes à des collègues spécialistes, et me tenir au courant. Je me suis dit que ça pourrait te rassurer de le savoir.

Un peu que je suis rassurée. Je n'ai jamais été aussi soulagée de ma vie, même !

Toute ma bonne humeur s'est envolée.

[…]

Les yeux dans le vague, Regulus regarde les invités quitter un par un le square Grimmaurd, après avoir pris le temps d'échanger des remerciements onctueux avec leurs hôtes.

La maison se vide peu à peu, le silence retombe au fur et à mesure, l'atmosphère s'alourdit. Les derniers couples minaudent auprès de Walburga, et à travers la porte entrouverte, Regulus peut voir la neige tourbillonner dans la nuit. Puis la porte est refermée, sa mère va aboyer ses derniers ordres à Kreattur, et Regulus monte se coucher. Il gravit les escaliers avec l'impression d'être fait de plomb, contemple un instant le défense d'entrer sur sa porte, avant de la pousser avec lassitude. Il peut entendre des éclats de voix provenir de l'autre bout du couloir, comme Walburga et Orion se disputent encore, et peste une fois de plus contre la trace qui l'empêche de jeter des sorts au sein de sa maison.

Il se glisse rapidement dans son lit, éteint sa lampe de chevet, ferme les yeux en crispant les paupières. Et avant de s'endormir d'un sommeil sans rêve, il se félicite intérieurement : de toute la soirée, il n'a pas pensé une seule fois à Sirius.


L'arbre généalogique des Lestrange vient de Pottermore, il est certifié made by JKR.

Vous avez donc fait la connaissance de la petite famille Lestrange/Bangwalder ! Ravie de vous les avoir présenter. Dans la "version originale" de la fic, ils ne devaient pas apparaître avant encore un petit bout de temps, et ça me contrarie presque de les avoir révélé aussi tôt. J'espère qu'au moins, ils vous auront plu !

J'ai encore pas mal de chapitres à réécrire, et ce qui est chiant, c'est que ça implique que je réorganise l'intrigue. Sachant que j'ai des lectrices attentives, qui ne me laissent pas le droit à l'erreur haha ! Merci encore à Worz, Ly-Lyra Sensei, Aselye et feufollet pour leurs reviews, en espérant que la suite vous plaise toujours !