Écrit par HateWeasel
306. La Ferme.
Alois et Kristopherson, suivis par Daniel, couraient aussi vite que possible le long de la plage, bien que le sable s'affaissant sous leurs pieds rendait la tâche compliquée. Ils aperçurent les falaises qui surplombaient la plage dont Audrey avait parlé, mais ils ne virent pas Audrey. Ils ne virent que du sable, des rochers, et des amateurs de plages, mais pas d'Audrey. Le trio ralentit son pas, cependant, lorsqu'il remarqua un petit attroupement de personnes vers les rochers.
Audrey était un garçon courageux. Il faisait toujours le nécessaire dans les moments décisifs, là où les autres n'en avaient tout simplement pas la force. Il avait tiré sur un démon afin de sauver ses amis ou alliés, et un ange, ce qui lui vaudrait sans doute une place en Enfer. Cela ne l'effrayait pas, cependant, étant donné qu'il faisait affaire avec une paire de démons plutôt célèbre. Rien de tout cela ne lui faisait peur, mais alors qu'est-ce qui pouvait bien le terrifier à ce point à présent ? Quelle terrible force pourrait être assez redoutable pour pousser un le Dieu de la Mort à demander de l'aide ? Alors que le trio se rapprochait, il comprit, fut profondément confus, et plus qu'un peu amusé.
Un groupe d'adolescentes s'était apparemment pris d'affection pour Audrey, et le pauvre garçon ne savait tout simplement pas comment gérer cela. Les yeux verts et dorés de ce dernier étaient parfaitement cachés sous sa frange, comme s'il tentait de garder la face, mais ses amis savaient qu'ils étaient grands ouverts, apeurés. Le visage d'Audrey était tordu en un sourire gêné et crispé, pour ne pas être impoli, et il était rouge jusqu'aux oreilles.
Le pauvre garçon n'avait pas eu beaucoup d'expériences avec les filles, et maintenant, il était encerclé par un ennemi qui lui était totalement étranger. Non seulement elles l'encerclaient, mais en plus elles étaient à moitié nues en bikini, et il était littéralement dos au mur. Qui plus est, elles essayaient de le draguer, et il n'avait pas la moindre idée de ce comment réagir.
Elles étaient sans pitié ; elles jouaient avec ses cheveux, touchaient ses bras et ses épaules, l'effleurant « accidentellement » avec leurs poitrines. C'en était trop pour Audrey. Ce le serait pour la plupart des gens, également. Lorsque notre espace personnel est violé, il est naturel d'être mal à l'aise, après tout. Le caractère sexuel de ces attaques, ainsi que l'anxiété sociale du garçon ne faisait qu'empirer la chose.
L'expression sur le visage d'Audrey lorsqu'il vit le trio approcher fut d'un bonheur et d'un soulagement à l'état pur. Ses sauveurs étaient arrivés. Nerveusement, il regarda le groupe de filles, et parla.
- Bon, euh, mes amis sont là, maintenant, alors je dois y aller, dit-il en se frayant un chemin de force à travers le groupe. C'était… cool de vous rencontrer !
Il se hâta docilement vers les autres garçons, cherchant à se mettre en sécurité en se mettant derrière eux, créant une sorte de barrière entre lui et les terribles sirènes. Les autres garçons l'observèrent un instant, avant de se regarder. Aussi évident que cela était, Alois eut le besoin incontrôlable de demander :
- Tu était terrorisé par une bande de filles ? dit-il en chuchotant afin que les filles en question ne l'entendent pas.
Audrey fronça les sourcils, son visage encore rouge.
- Et ? Je ne sais pas comment parler aux filles ! répliqua de manière indignée le Dieu de la Mort, son ton semblable à celui du blond. Tu as vu comment elles se frottaient à moi ! Comment est-ce que je suis censé répondre à ça ?!
- Facile, tu prends celle que tu aimes le plus et tu la ramène chez toi, si tu vois ce que je veux dire, intervint Daniel.
- Daniel, arrête d'être un porc pendant quelques minutes comme ça on peut repartir ? dit Kristopherson en écartant une mèche sauvage de son visage. Les autres ont déjà dû revenir avec la nourriture à l'heure qu'il est.
Avant qu'ils puissent bouger, cependant, les filles s'étaient rapprochées.
- Vous êtes les amis d'Audrey ? demanda l'une d'elles, marchant directement vers le groupe.
- Ouais ? répondit Alois. Et donc ? Avant que vous vous fassiez des idées, certains d'entre nous ne sont pas hétéros.
- Alors, vous êtes gay ? répondit l'une des filles, inclinant la tête sur le côté tandis que les autres eurent l'air excitées.
Les garçons n'aimaient pas ça.
- Je le suis, il est bi, dit Kristopherson en se montrant du doigt avant de montrer le blond. Mais il a un copain.
- On devrait trop traîner ensemble ! dit une autre fille, portant un bikini rose excessivement cher. On pourrait aller faire du shopping et…
- Une minute, qu'est-ce qui te fait penser qu'on veut faire du shopping ? demanda Alois. Parce qu'on aime les hommes ? Tous les gays n'aiment pas le shopping. Regardez Daniel, ici présent, par exemple. Il déteste ça.
- Je ne suis pas gay ! protesta immédiatement le Westley en fronçant les sourcils tout en faisant la moue.
Alois ignora tout bonnement la protestation du garçon et reprit.
- Vous voyez ? C'est malpoli de mettre des étiquettes sur les gens, dit le blond. Et autre chose, ce n'est pas très gentil de faire passer un mauvais quart d'heure à un mec juste parce qu'il est beau à regarder. Le pauvre Audrey a du mal avec les interactions sociales et à interagir avec les filles, et il était clairement mal à l'aise avec vous toutes, mais vous avez quand même persistées. Vous n'arrêtiez pas de le toucher alors qu'il ne voulait pas, et c'est juste dégueulasse. C'est une agression sexuelle ! Du harcèlement ! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez vous ?
Les filles restèrent silencieuses un moment, certaines baissant le regard, se sentant coupables, tandis que les autres étaient indignées.
- Il n'a jamais dit qu'il ne voulait pas, répliqua l'une d'elles.
Alois plissa le nez avec dégoût.
- Il le montrait clairement, répondit le blond. Lorsque quelqu'un se tient sur la défensive, a du mal à garder le contact visuel, ou recule face au toucher tout en cherchant une manière de s'enfuir, c'est que la personne n'est pas intéressée. Audrey a fait toutes ces choses depuis que nous sommes arrivés ici. Comment est-ce que vous n'avez pas pu le voir ? Est-ce que vous êtes stupide ?
- Ça veut juste dire qu'il est timide ! Ce n'est pas comme si on allait le violer, quoi, dit l'une des filles.
- Ouais, en plus les mecs ne peuvent pas se faire violer, dit celle en rose.
Cette fille venait de dire l'une des pires choses à dire devant la menace blonde, et elle le découvrirait bien assez tôt.
Alois fronça les sourcils, les dents serrées, poings se fermant et se rouvrant. La colère bouillonnait à l'intérieur de lui, alors que la phrase se répétait dans son esprit, encore et encore. Les mots suffisaient à l'énerver bien assez, mais l'indifférence avec laquelle la remarque avait été faite ne faisait que remuer le couteau dans la plaie.
Comment pouvait-elle savoir ? Comment cette adolescente aisée, dorlotée, et bien logée pouvait-elle savoir ce que cela faisait de ne pas être traité comme un être humain, mais plutôt comme un bien ? Comment pouvait-elle savoir ce que cela faisait de se faire prendre toute dignité, tout amour propre, par un autre « être humain » beaucoup plus puissant, ou plutôt, un monstre se faisant passer pour tel ? Comment pouvait-elle savoir ce que cela faisait de subir cela de manière répétée, de jour comme de nuit, à moins d'avoir la « chance » qu'une autre « poupée » soit choisie pour souffrir à sa place ?
C'était impossible. Cette fille ignorait complètement l'adversité et les peines des autres. Elle ignorait tout des peurs, des regrets, des sentiments, ou du bien-être des autres personnes ; mais pire encore, cela lui était égal. Maudit soit-elle. Cette fille stupide. Cette fille grandirait et deviendrait un monstre qui marcherait et utiliserait les autres pour son propre bénéfice. Maudit soit-elle. Qu'elle aille en Enfer.
Le blond finit par craquer, marchant d'un pas lourd vers cette fille parfaitement ignorante, les yeux bleus glacés écarquillés. Ces yeux étant presque ceux de la folie. Ses amis tentèrent de l'arrêter lorsqu'il leva le poing en l'air, l'attrapant. Avec toutes leurs forces combinées, ils furent en mesure d'arrêter le blond juste avant qu'il touche sa cible. Il se tira en avant, cependant, les traînant avec lui. Leurs pieds ne pouvaient pas vraiment prendre appui sur le sable, et si la fille n'avait pas bougé d'elle-même, elle exhiberait son bikini avec un œil au beurre noir. La seule raison pour laquelle il s'était arrêté d'avancer était pour ne pas accidentellement blesser les garçons qui le retenaient.
- Lâchez-moi ! cria la menace tandis que certaines des filles hurlaient. Elle dit de la merde ! Juste un coup de poing ! Un seul !
- Alois, du calme ! cria Audrey.
Même en tant que membre le plus musclé du groupe, il avait du mal à restreindre le démon, qui bougeait à peine.
- Tu pourrais vraiment lui faire mal !
- Oh, mais je vais lui faire mal, tu vas voir ! répliqua le blond, presque en grognant. Je vais lui faire mal, et ce ne sera même pas une fraction de ce que ce vieil homme m'a fait ! « Les mecs ne peuvent pas se faire violer » ?! Sale pétasse ! J'ai été enfermé dans un putain de sous-sol pendant deux ans ! Deux putain d'années ! Tu sais ce que ça fait, hein ?! Tu sais ce que ça fait à quelqu'un ?!
- Je suis désolée ! cria la fille, battant en retraite dans le groupe de filles qui se tenaient à présent apeurées. Je ne savais pas !
- Tu mens ! Tu es juste désolée parce que je veux te frapper ! cria Alois en retour.
- Eh ! Vous devriez partir d'ici, les filles ! dit Daniel, perdant prise sur le blond. Mes bras fatiguent !
Ainsi, les filles prirent la fuite ensemble, avec l'étrange « meute » qu'elles formaient. Elles laissèrent des traces dans le sable alors qu'elles fuyaient, ne laissant que cette preuve de leur existence, en plus d'un garçon blond fraîchement bouleversé. Le garçon les observa fuir, fulminant tout du long.
Lentement, les muscles d'Alois commencèrent à se relaxer, et il n'était plus aussi tendu et à cran. Avec hésitation, les autres le relâchèrent, bien après que les filles aient disparues. Le blond avait effrayé ses amis, aucun d'eux ne se rappelaient d'un moment où ils l'avaient vu agir ainsi auparavant. En effet, ils savaient qu'il pouvait être sérieux parfois, mais rien de tel. Alois était toujours aussi insouciant, et joyeux ; toujours prêt à faire des plaisanteries et des crasses ; plein d'assurance. Là, il agissait comme un animal terrorisé.
La respiration du blond fut moins saccadée, et l'eau dans ses yeux disparue, ne menaçant plus de couler le long de son visage. Après quelques instants, il jeta un œil en direction de ses amis sidérés avant que ses yeux ne fusent vers le sol. Il avait vraiment fait une scène, hein ? Timidement, Alois mit ses mains l'une contre l'autre, bougeant distraitement les pouces.
- Je… Je suis désolé que vous ayez dû voir ça… dit-il enfin, ne croisant pas le regard des autres.
Tous les Sept Sensationnels connaissaient le passé du duo de démons, sans passer par les détails inutiles, ainsi que les descriptions et les choses qui étaient peut-être un peu trop crues pour cinq garçons autrement « normaux ». Ils savaient que le blond avait été violé plus jeune, afin d'assurer sa propre survie, mais ils ignoraient la blessure plus profonde que l'abus avait laissé à l'esprit de leur ami, comme Alois l'avait voulu. Il ne voulait pas que son premier véritable groupe « d'amis » soit repoussé par ses troubles apparents. Peu importe ce qu'il faisait, il semblerait qu'il ne serait jamais capable d'être « normal », lui aussi, hein ?
- Ne t'inquiète pas… dit Kristopherson, brisant le silence. Mais, plus important, est-ce que tu vas « bien » ?
- Bien sûr qu'il ne va pas bien, Kris. Tu n'as pas vu ce qu'il s'est passé ?
- Ferme ta gueule, Dan.
Le blond hésita quelque peu à répondre, étant donné qu'il n'en était lui-même pas vraiment sûr. Finalement, il prit la parole et dit :
- Je crois… Ça fait longtemps que ce n'est pas arrivé, je vous le jure…
- Pas de problème, mec. On comprends, dit Audrey de manière rassurante. Tout le monde a une corde sensible. Mon vrai père et moi, Kristopherson et les chevaux, Daniel et le fait qu'on dise qu'il est « gay »…
- Je ne suis pas gay ! interrompit le fils de politicien.
- … Le fait est que, on a tous nos problèmes, reprit le Dieu de la Mort. Certains sont juste plus gros que d'autres. Ne t'en fais pas.
- On ne pense pas que c'est ta faute, et on ne pense pas que tu es fou, Alois, ajouta Kristopherson en offrant un sourire au garçon.
- Ouais, on est tes amis, dit Daniel. On t'aime parce que t'es bizarre !
- La ferme, Dan, dirent le faux-blond et le Dieu de la Mort en même temps.
Kristopherson regarda ensuite à nouveau la menace blonde.
- D'accord ? demanda-t-il, surprenant le garçon.
Évidemment qu'Alois était surpris. Il n'avait jamais eu autant de gens se souciant de lui, auparavant, et il n'avait pas réalisé que c'était le cas jusqu'à maintenant. Ce n'était pas seulement Ciel et Luka qui se souciaient de lui, ses amis aussi. Bien qu'ils ne comprendraient jamais vraiment ce qu'Alois avait vécu, ils feraient de leur mieux, parce qu'il était leur ami. Pour lui, c'était extraordinaire.
- D'accord, dit-il enfin.
- Cool. J'ai la dalle ! dit Daniel. Tout le monde doit déjà être en train de manger là ! Audrey, pourquoi est-ce que tu te fais enlever par des meuf bonnes sans même partager ?
- La ferme, Dan...
